M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis ce soir pour un débat qui eût mérité un temps plus long que celui qui lui est consacré. Néanmoins, je ne serai pas un trouble-fête et ne bouderai pas mon plaisir de réfléchir sur un sujet essentiel pour notre pays !
Essentiel, car la France est, par tradition, ce pays où la culture a engendré de vrais progrès, de vraies révolutions qui ont bouleversé nos modes de pensée, nos façons de vivre, nos comportements sociaux, économiques, nos modes éducatifs. Toutes les formes de culture y ont contribué, toutes les formes artistiques y ont participé.
Essentiel encore, car la culture est ce puissant levier qui fonde la cohésion sociale, dynamise les territoires, vivifie l’économie. Pour s’en convaincre, il n’est que de prendre quelques exemples des festivals les plus réputés : je citerai indifféremment les Chorégies d’Orange, la Cinéscénie du Puy-du-Fou, ou encore les fresques vivantes créées et interprétées par les habitants de certains villages. Ainsi, dans ma petite commune de l’Aveyron, Flagnac, le spectacle Hier un village fait participer tous les habitants du village et même des environs. Ici et là, on retrouve le même engouement, la même fièvre pour organiser, dans les meilleures conditions possible, des spectacles qui drainent quelques centaines, voire plusieurs milliers de spectateurs, et qui soudent dans un même élan population locale et population de passage.
J’ai pris à dessein ces exemples, non pas qu’ils soient les seuls dans ce domaine, mais parce qu’ils font intervenir les collectivités territoriales à leurs trois niveaux : régional, départemental et communal. L’un des problèmes qui nous sont posés est celui du rôle respectif de l’État et des différentes collectivités territoriales en matière de culture. Ce problème, madame la ministre, est au cœur de notre actualité avec la prochaine réforme des collectivités territoriales, et qui n’est pas de tout repos !
Permettez-moi de faire un peu d’histoire pour rappeler que la loi initiale de décentralisation de 1982, assortie de la loi de 1983, n’avait pas fait de la culture une compétence exclusive de l’une ou de l’autre de ces collectivités. Il s’en était ensuivi une certaine forme de désordre permettant notamment les trop fameux « financements croisés », sources de dépenses publiques non maîtrisées, de lenteur administrative, de dilution des responsabilités.
La loi du 16 décembre 2010 avait inscrit le principe – et seulement le principe ! – de suppression de la clause de compétence générale, sauf pour le tourisme, le sport et – mes collègues qui m’ont précédée l’ont dit – la culture, mesurant ainsi l’intérêt de permettre aux collectivités de soutenir la culture, à quelque niveau que ce soit, en veillant aux conditions d’une intervention financière raisonnée.
Puis la loi du 27 janvier dernier a prévu le rétablissement de la clause de compétence générale, accompagnée de l’instauration des conférences territoriales de l’action publique. L’objectif est clair : grâce à ces conférences territoriales, permettre un exercice concerté des compétences des collectivités locales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.
Cette disposition, si elle était judicieusement utilisée – j’en forme le vœu ! –, permettrait de sortir du désordre ambiant et d’ordonner les politiques culturelles entre tous les acteurs. Elle permettrait aussi, par un dialogue constructif entre toutes les parties, de privilégier les formes de culture les plus adaptées aux différents territoires, et d’éviter d’assister de nouveau au spectacle aujourd’hui affligeant de ces collectivités qui, au prétexte de maîtriser judicieusement leurs dépenses, réduisent drastiquement leur soutien aux actions culturelles en pensant qu’il y aura bien une autre collectivité, quelle qu’elle soit, pour prendre le relais en dehors d’elles-mêmes !
En réalité, qu’adviendra-t-il, dans le texte qui va nous être soumis, des compétences des collectivités locales ? Pour le moment, les informations fournies me paraissent quelque peu brouillonnes, voire contradictoires, nous amenant les uns et les autres à nous interroger.
Nous nous demandons, par exemple, si la région deviendra le chef de file en matière de culture, dans une vision souple et différenciée du rôle de chacun sur la base de véritables engagements conclus conventionnellement. Ou bien allons-nous nous diriger vers une formule plus autoritaire, la culture s’inscrivant dans un schéma prescriptif, certes négocié, mais s’imposant ensuite aux collectivités, départements, communes et à leurs groupements ?
Pour ma part, je suis et je reste convaincue que l’intelligence des élus locaux – celle qui relie, au sens premier du mot latin intelligentia, composé du préfixe inter et du radical legere – peut permettre de continuer d’offrir à nos concitoyens la richesse infinie de nos ressources culturelles, sans qu’il soit besoin de s’inscrire dans un carcan normatif dont chacun s’attachera à sortir le plus rapidement possible.
D’ores et déjà, les mesures existent qui ont permis aux régions, aux départements et aux communes d’être pleinement responsables de secteurs entiers d’activités – les bibliothèques, les musées, les archives – ou de s’en répartir la responsabilité – l’enseignement artistique, l’inventaire général du patrimoine culturel, l’archéologie préventive.
Chacun d’entre nous en est particulièrement conscient, il reste, il est vrai, des points à clarifier, à simplifier, y compris dans les domaines qui relèvent encore de l’État. Je pense, par exemple, à la définition des normes nationales en matière d’inventaire ou au classement sur la liste des monuments et mobiliers historiques. Ces clarifications et simplifications permettront une meilleure efficacité de l’action publique, tout comme une meilleure maîtrise des ressources dont disposent les collectivités.
Je vous sais, madame la ministre, très attachée au principe de partenariat des collectivités locales avec l’État. Plusieurs exemples le démontrent de façon éminente : l’antenne du Louvre à Lens, avec un partenariat exemplaire entre l’État, la région Nord-Pas-de-Calais et l’établissement public du musée du Louvre, lequel reçoit notamment des fonds issus de l’accord sur le Louvre Abu Dhabi. Je veux également citer l’antenne lorraine du Centre Pompidou à Metz, ou encore la Maison des cultures et des mémoires de la Guyane.
Madame la ministre, nous partageons l’une et l’autre un bien beau souvenir tout récent qui me donne l’occasion de signaler la place prépondérante du ministère de la culture dans la naissance du musée Soulages de Rodez. Le Président de la République, qui l’inaugurait le 30 mai dernier, voilà huit jours, a su dire avec conviction, avec enthousiasme même, son adhésion à ce projet né du mariage du génie d’un artiste natif de la ville de Rodez avec la détermination des élus locaux. Quel splendide exemple de ce que la confiance en la culture peut apporter à l’échelon non plus seulement local, mais également national, voire international !
Vous n’aurez pas manqué d’entendre que les membres de mon groupe et moi-même serons toujours à vos côtés, chaque fois que vous défendrez la place de la culture, aussi bien dans le cadre de ses compétences étatiques redessinées – je pense au patrimoine et au projet de loi que vous nous présenterez – que dans celui d’un vrai partenariat entre collectivités territoriales et entre ces dernières et État.
Je sais que vous mettrez toute votre vigueur, toute votre force à défendre le budget de votre ministère, entraînant une attitude aussi volontariste des élus locaux, conscients de ce qu’apporte la culture.
Je forme le vœu qu’État et collectivités territoriales prennent ensemble tout le sens de ce qu’est la culture en soi – faut-il rappeler que le mot culture vient du mot latin cultus, le sillon ? La culture est ce sillon profondément creusé pour y planter les semences héritières d’un passé qui feront de demain l’harmonie de ce monde.
Madame la ministre, je fais confiance à votre sens de l’intérêt général pour tracer ce sillon porteur d’espérance ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en rebondissant sur les propos que vient de tenir Anne-Marie Escoffier et en évoquant une réalité. Très souvent, trop souvent, les budgets consacrés à l’action culturelle peuvent paraître aux yeux de certains superflus, et les élus locaux, voire nationaux, doivent quelquefois se battre et ferrailler pour obtenir des budgets à la hauteur de leurs ambitions.
Or, cela a été dit, en ce début d’année, un rapport des inspections générales des finances et des affaires culturelles a rappelé le poids considérable de la culture dans notre richesse nationale : 3,2 % du PIB, soit autant que l’agriculture et l’agroalimentaire, et deux fois plus que les télécommunications.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Françoise Cartron. J’ai pu m’apercevoir que cette information avait été largement relayée par les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui traduit sûrement un sentiment de surprise face à cette ampleur financière de la culture, autant qu’un attachement fort à une « industrie » définitivement pas comme les autres !
Rappelons-nous ce que disait Malraux : la culture est « ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». Elle est ce qui permet de lier les individus ensemble, de ne pas les désunir.
Les biens et services culturels véhiculent des valeurs, du contenu et du sens, aussi bien pour l’accomplissement de soi qu’au service de notre construction collective.
Cette idée de cohésion sociale à laquelle j’associe la culture est devenue, à certains égards, un lieu commun. Tout le monde y recourt, tout le temps, prenant ainsi le risque de vider de contenu ce qui, pourtant, représente un fondement de notre société.
Parler de cohésion sociale sous-entend, en premier lieu, qu’il y ait dans notre société un besoin de cohésion entre les individus face à des inquiétudes grandissantes.
Parler de cohésion sociale, c’est ensuite exprimer une démarche volontariste qui vise à rétablir ce lien distendu, parfois même cassé.
La cohésion sociale, c’est donc bien la recherche d’une certaine communauté de valeurs et de projets. C’est l’idée de solidarité qui prévaut, d’une interdépendance entre les membres d’une société, sans que soit pour autant remise en cause une certaine diversité sociale et culturelle. Il est important, je crois, de le rappeler aujourd’hui !
Plus généralement, notre démocratie a besoin de deux piliers essentiels et interdépendants, la culture et l’éducation, sans lesquels elle ne peut être effective. En conséquence, le développement de l’accès au « bien culturel » et à sa pratique, dès le plus jeune âge, à l’égard des publics qui en sont le plus éloignés s’inscrit nécessairement dans cette démarche volontariste dont j’ai parlé.
Le 16 septembre dernier, vous présentiez, madame la ministre, votre grand projet pour l’éducation artistique et culturelle, afin d’améliorer durablement l’enseignement artistique et de développer les pratiques culturelles des jeunes.
Ce projet prend en compte cette double dimension pour un plus juste partage de l’exceptionnelle richesse artistique et culturelle de la France sur l’ensemble de notre territoire. Et cette priorité politique, que je partage en tout point, ne peut être mise en place que par un accompagnement adapté de ceux qui en sont les acteurs, au quotidien, sur nos territoires. C’est pourquoi 10 millions d’euros supplémentaires y ont été consacrés, ce qui marque la volonté d’un engagement durable.
C’est pourquoi, aussi, ce projet reposera sur la mobilisation de toutes les forces qui portent cette ambition pour la jeunesse, particulièrement des acteurs locaux. Ceux-ci sont évidemment directement concernés par la mise en œuvre du parcours d’éducation artistique et culturelle dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et de la réforme des rythmes scolaires.
Les collectivités territoriales savent mobiliser la diversité des intervenants. Elles savent construire en prenant en compte les spécificités locales, sans qu’il soit aucunement question d’établir une concurrence entre les enseignements artistiques dispensés dans le temps scolaire et les pratiques artistiques développées sur le temps périscolaire ou extrascolaire, ou même de substituer les uns aux autres. Le maître mot, c’est la complémentarité ! Car il s’agit non pas d’imposer un modèle d’en haut, mais bien de fixer un cadre général tout en favorisant les initiatives au plus près des besoins et des ressources de chaque territoire.
Voilà deux mois, le Conseil économique, social et environnemental a présenté un projet d’avis intitulé Pour un renouveau des politiques publiques de la culture. L’une de ses propositions phares est de développer l’éducation des jeunes aux médias et à la culture à l’intérieur et en dehors du temps scolaire.
Lors de votre tour de France de l’éducation artistique et culturelle, vous avez pu aussi mesurer, madame la ministre, les besoins spécifiques des territoires les plus éloignés géographiquement ou socialement de l’offre culturelle.
Je sors à présent du cadre éducatif propre, pour revenir à l’articulation, plus générale, des politiques publiques entre l’État et les collectivités locales.
Au début de la décennie 2010, nous le constatons, la politique culturelle est à la croisée de nombreux défis.
Oui, la France est riche de sa culture, de son patrimoine et de ses arts, et dynamique en ce domaine grâce à la vitalité de ses créateurs et de ses techniciens ! Cette réalité, dont nous pouvons être fiers, doit beaucoup à un long processus de développement d’instruments de politiques culturelles, qui ont répondu à deux exigences : d’une part, la préservation d’un environnement favorable pour la création artistique ; d’autre part, l’accomplissement d’une mission de service public et de lutte contre les inégalités culturelles dont je parlais au préalable et dont le parcours artistique sera une composante indispensable.
Oui, les politiques publiques développées par l’État et les collectivités locales favorisent la diversité des expressions culturelles, la pluralité des formes et des genres !
Oui, les politiques publiques soutenues par l’État et les collectivités locales favorisent les activités amateurs, facteurs de « faire ensemble » et de « vivre ensemble » !
Mais cette densité incontestable n’empêche pas aujourd’hui la subsistance, voire l’aggravation, d’inégalités à travers notre territoire, ce qui pose évidemment les questions à la fois du financement et de l’avenir de notre système de régulation.
Les politiques culturelles sont confrontées à la nécessité de devoir s’adapter à de très profondes mutations sociales, sociétales, économiques et politiques, technologiques et artistiques. Elles doivent aussi se construire dans un contexte européen, tout en prenant en compte les contraintes budgétaires et les reconfigurations territoriales à venir.
Aussi, la mise en œuvre des conditions permettant un approfondissement de la décentralisation culturelle est nécessaire, et le rôle de chacun doit être, je crois, clarifié. Des réponses nouvelles doivent être apportées, afin d’éviter que les responsabilités des collectivités locales ne soient marginalisées, parce que nous sommes véritablement passés en quelques années d’une politique de soutien culturel à une véritable politique culturelle des territoires.
À cet égard, un indicateur doit être relevé : l’enquête sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 publiée au mois de mars dernier fait apparaître que les communes et leurs groupements en assument près des trois quarts, soit 73 %. Par rapport à 2006, année de la précédente enquête, les dépenses culturelles territoriales ont progressé de près de 10 %, soit une augmentation annuelle de 2,3 % en France métropolitaine. C’est pourquoi les annonces récentes peuvent susciter l’inquiétude.
Tout le monde s’accorde sur un point : la décentralisation culturelle doit être mieux organisée, afin d’éviter la superposition ou la dispersion d’actions culturelles qui peuvent être constatées ici ou là.
Mais la suppression des départements, le regroupement des régions et la disparition de la clause de compétence générale sont parfois interprétés comme la fin prévisible de ressources publiques importantes en faveur des politiques culturelles territoriales et de la lutte contre les inégalités.
En particulier, la disparition de la clause générale de compétence ne risque-t-elle pas de limiter les financements croisés des projets et infrastructures à l’échelon local, et ainsi d’amoindrir le rôle bénéfique de ces politiques culturelles pour le développement local et pour la cohésion sociale ?
Madame la ministre, je vous poserai trois questions.
Quelle réponse pouvez-vous apporter à ceux qui craignent que la culture ne constitue qu’une variable d’ajustement, et non plus un vecteur de compétitivité, d’attractivité et de cohésion ? Quel sera le nouveau cadre d’action des acteurs publics ? Quelle régulation de l’État mettre en place pour préserver les objectifs d’égalité territoriale et d’excellence culturelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par citer une phrase d’Antonio Machado qui, je crois, peut tout à fait s’inscrire dans le cadre de ce débat et que nous pouvons, nous, élus, partager : « Pour nous, diffuser et défendre la culture sont une même chose : augmenter dans le monde le trésor humain de conscience vigilante ». Il y va en effet, en la matière, de notre responsabilité à tous.
En tant que dernier orateur inscrit dans ce débat et en introduction de mon intervention, j’aimerais rappeler ce que Claudy Lebreton a l’habitude d’affirmer concernant les collectivités locales et la culture : « Aujourd’hui sans collectivité territoriale, il n’y aurait pas de création ni de diffusion » artistique. Et force est de le constater, pour des raisons tout à la fois historiques et économiques, les faits lui donnent raison.
La participation des collectivités locales représente, en matière de dépenses aussi bien de fonctionnement que d’investissement, 80 % du financement de la culture.
Grâce aux grands mouvements de décentralisation initiés par la gauche, nous sommes progressivement passés d’une forme d’application territoriale des systèmes d’intervention de l’État à un soutien public local des activités artistiques. Cette plus grande proximité a permis le développement de nombreuses initiatives artistiques locales en dehors des grands plans nationaux. S’est alors progressivement installé un nouveau rapport à la culture en tant qu’élément permettant, localement, de recréer des espaces vivants, des dynamiques fondamentales pour le lien social et le vivre ensemble.
Dans ce nouveau schéma culturel, qui s’est établi dans nos territoires au fil des actes de décentralisation, les collectivités locales ont pris toute leur place. Et au fur et à mesure qu’elles s’emparaient de la question culturelle, les services se sont dotés d’expertises.
Ce sont ces collectivités qui sont capables de créer des passerelles entre les acteurs culturels, qui accompagnent les porteurs de projets, qui mettent en place des actions éducatives. Toutes ces actions reposent sur des fondements élargis, comme les notions d’aménagement du territoire et de création d’emplois, et n’oublions pas le fait que travaillent dans le domaine culturel entre 300 000 et 400 000 personnes.
La culture apparaît donc aujourd’hui comme une vraie fonction transversale et un puissant moyen de développement local, auquel les élus locaux sont particulièrement attachés. Elle est devenue un réel élément d’attractivité, de rayonnement, d’identité et de lien social sur lequel je reviendrai. Et quoi qu’en disent certains, c’est également un facteur de développement économique qu’il faut savoir mieux mettre en avant.
Dans ce domaine comme dans d’autres, les compétences sont réparties entre les différentes strates de collectivités.
La commune, échelon de proximité par excellence, reste la collectivité qui intervient le plus au plan culturel. Ses interventions concernent tout aussi bien le patrimoine, avec des dizaines de milliers de monuments classés en France, les musées, dont plus des deux tiers relèvent des collectivités locales, le patrimoine immobilier, qui est considérable : en effet, comme vous le savez, après la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, la propriété des cathédrales a été transférée à l’État, tandis que celle des églises l’a été aux communes. Enfin, les différentes écoles artistiques sont souvent gérées par les communes, tout comme les bibliothèques.
Les départements, quant à eux, détiennent des compétences en matière d’archives et de bibliothèques, et les régions, comme bien souvent, jouent un rôle de coordination.
Ces premiers éléments me conduisent nécessairement à établir, comme vous avez été nombreux à le faire, mes chers collègues, un rapprochement avec l’actualité brûlante de la réforme territoriale, si importante pour l’avenir de la France et de nos territoires. Car, en matière culturelle comme dans d’autres domaines, qui dit diversité des échelons et clause de compétence générale peut vouloir dire, comme l’a rappelé Françoise Cartron, doublons et chevauchements de financements.
Dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint pour les collectivités locales, il est, à mon sens, important que ces points fassent partie des éléments de discussion dans le cadre de la prochaine réforme territoriale. Et ce, en ayant tout de même à l’esprit que la culture fait partie de ces domaines, relativement instables sur le plan financier, des politiques volontaristes non obligatoires.
La clause de compétence générale prend alors tout son sens pour les acteurs culturels, notamment dans les territoires ruraux, un peu plus isolés. Le fait, qui s’observe très fréquemment dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, de pouvoir diversifier, sur un même projet, les tutelles financières est capital pour parvenir à établir le budget d’un projet et pour pérenniser une activité.
Pour autant, et dans le cadre d’un grand chantier de modernisation et de regroupement des collectivités locales comme celui qu’ont lancé le Président de la République et son Premier ministre, une clarification et une simplification des compétences paraissent également nécessaires en matière culturelle. D’autant qu’un relatif consensus se dégage sur cette question : les départements, ou les futures grandes intercommunalités censées les remplacer, seraient chargés de la lecture publique et des archives, et les grandes régions du développement économique et de l’aménagement du territoire.
Mais, là encore, les acteurs du monde de la culture souffrent du manque de lisibilité au moment de l’instruction des dossiers. Chaque sénateur siégeant dans cet hémicycle se rend compte de cela tous les jours, lorsqu’on lui demande de soutenir telle ou telle demande de subvention auprès de la DRAC, du ministère de la culture et de la communication, de la région, de l’euro-région, de la commune, de l’intercommunalité : il est à chaque fois confronté à la nécessité d’établir un nouveau dossier.
Alors que cette situation fait perdre beaucoup de temps et nuit à la lisibilité du financement des projets, pourquoi, dans le cadre du choc de simplification, ne pas pousser plus loin le développement des guichets uniques ? Je vous rappelle que cette formule est déjà expérimentée, par exemple pour les résidences d’auteurs, ainsi qu’entre les DRAC et les régions.
Dans le même souci de simplification et d’efficacité, madame la ministre, la question de la mutualisation des fonds pourrait être évoquée.
Cependant, en tant que parlementaires, et peut-être plus encore en tant que parlementaires de gauche, nous avons la responsabilité de reconnaître que l’accès à la culture doit encore être amélioré.
En effet, la grande promesse de la politique culturelle, reprise et amplifiée dans les intentions décentralisatrices, semble avoir été contrebalancée par la place prédominante d’un public bien défini dans la consommation artistique. Différentes études concordantes font apparaître que ce public est, de façon très schématique, majoritairement urbain et diplômé. Preuve qu’un travail important reste à accomplir pour permettre au plus grand nombre de bénéficier d’une offre culturelle attractive et de qualité.
Comme nos collègues Yves Krattinger et Jacqueline Gourault l’ont rappelé dans leur rapport Faire confiance à l’intelligence territoriale, pour tous les acteurs locaux, dans les municipalités, les intercommunalités et les conseils départementaux, la culture est « un levier de cohésion sociale, d’expression d’une identité locale, d’attractivité, de rayonnement, de développement économique et touristique des territoires. » Ce levier doit continuer à être développé pour jouer un rôle croissant dans la sphère publique.
La culture produit un effet sur les habitants des territoires eux-mêmes : elle est bien souvent pour eux un élément de fierté et d’identité, qu’ils participent ou non aux actions menées.
À cet égard, permettez-moi de citer l’exemple d’un festival qui se tient non loin des Pyrénées-Atlantiques, et que vous connaissez, madame la ministre : le festival de jazz de Marciac, qui montre à quel point une population peut s’approprier un projet culturel ; en vérité, ce festival est un facteur de fierté et de développement économique pour la commune et pour tout le département !
Parfois, la culture joue même un rôle plus important encore, lorsque le développement culturel devient le point de départ d’un développement urbain et d’actions de modernisation de la ville ; le musée Guggenheim de Bilbao, au Pays basque espagnol, illustre parfaitement ce mécanisme.
Je veux profiter de ce débat sur la culture et les collectivités territoriales pour évoquer un sujet qui, vous le savez tous, me tient particulièrement à cœur : la valorisation des langues régionales, qui passe notamment par la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992.
Le Président de la République, lorsqu’il était candidat, avait pris l’engagement de faire ratifier cette charte ; c’était, pour être précise, le cinquantième-sixième engagement de son programme. Par la suite, il avait ajouté : « le prochain acte de décentralisation devra y contribuer ». Eh bien, nous y sommes, avec le projet de réforme territoriale !
De ce projet, madame la ministre, nous connaissons aujourd’hui les grandes lignes ; mais je souhaiterais obtenir de vous des détails, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion des langues régionales.
Je pense que cette réforme offre l’occasion d’avancer sur cette question, en particulier pour ce qui est du fonctionnement des collectivités territoriales. L’article 10 de la charte, consacré aux autorités administratives et aux services publics, énumère, dans son alinéa 2, les dispositions éventuellement applicables aux collectivités territoriales.
Le Conseil d’État a émis un avis négatif sur la ratification de cette charte, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir plus tard, au motif que son article 10 mais aussi son article 9 relatif à la justice ne seraient pas conformes à l’article 2 de la Constitution.
Je comprends qu’il existe des réticences d’un point de vue légal, mais aussi des difficultés techniques et opérationnelles liées à la mise en œuvre de l’article 10 à l’échelon de l’administration centrale. Je voudrais cependant apporter certaines précisions, qui semblent avoir été oubliées.
Tout d’abord, les États parties ne sont pas tenus d’appliquer l’ensemble des articles et paragraphes de la charte : celle-ci offre en quelque sorte un programme à la carte, chaque État devant appliquer au moins 35 des 98 paragraphes qu’elle comprend. Un caractère obligatoire s’attache seulement à certains articles, au titre desquels les États parties doivent mettre en œuvre un minimum d’engagements.
Or, dans le cas de l’article 10, l’obligation est fixée à un paragraphe. La France pourrait mettre en œuvre au minimum l’alinéa 2, relatif aux collectivités territoriales, et rejeter les autres alinéas de cet article. Il suffirait d’arrêter une liste officielle des langues régionales et minoritaires de la République française pour que les collectivités territoriales concernées par ces langues puissent adopter, si elles le souhaitent, les dispositions relatives à leur fonctionnement prévues par l’alinéa 2 de l’article 10 de la charte.
Comme le soulignait Guy Carcassonne, éminent constitutionnaliste qui nous a malheureusement quittés voilà un an, d’ailleurs quasiment jour pour jour, l’article 2 de la Constitution « n’était pas vraiment nocif jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel l’invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne ». Je pense, avec sans doute de nombreux autres parlementaires, que l’on pourrait faire de cet article une lecture plus conciliante, qui autorise la ratification de la charte et mette un terme à l’opposition stérile entre la langue française et les langues régionales.
Madame la ministre, vous comprendrez que j’aie tenu à rappeler la promesse qui nous a été faite. Vous savez qu’un certain nombre d’initiatives ont été lancées ; je pense en particulier à celle qui vient de l’Assemblée nationale. En tant que sénatrice d’un département, les Pyrénées-Atlantiques, où le basque, le gascon et l’occitan sont régulièrement parlés, je suis soucieuse du rôle majeur que les collectivités territoriales peuvent jouer pour les défendre !