Mme Catherine Procaccia. Heureusement…
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Deroche, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, déposée par le député Paul Salen, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 janvier 2012 et transmise au Sénat. Je salue à cet égard les propos tenus tout à l’heure par M. le président Sueur sur le retard trop souvent pris dans l’examen des propositions de loi par la seconde assemblée saisie.
La présente proposition de loi s’inscrit dans la lignée de plusieurs textes tendant à permettre aux salariés et aux fonctionnaires de concilier les événements les plus tragiques de l’existence – maladie, décès d’un proche – avec leur vie professionnelle. Déjà possible dans le cadre d’un accord collectif dans les entreprises du secteur privé, le don de jours de repos n’est pas prévu dans le secteur public. Certains employeurs publics locaux ont néanmoins décidé d’organiser des mécanismes analogues, généralement pour répondre à une situation individuelle précise, mais sur un fondement légal incertain.
Portée par une véritable attente au sein de la population, cette volonté de solidarité, même si les modalités de sa traduction pourraient à terme être précisées, demande à être pleinement soutenue par le législateur. Le groupe UMP, qui a inscrit ce texte à l’ordre du jour qui lui est réservé, juge important de consacrer par la loi, tout en prévoyant, naturellement, certaines garanties fondamentales, la possibilité du don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, afin notamment de permettre aux agents de la fonction publique de bénéficier de ce système.
De nombreuses entreprises, le groupe Casino, le groupe PSA, la compagnie d’assurances April, Merial, mais également la Mutualité sociale agricole de Picardie et l’Association pour l’emploi des cadres, ont, au cours des deux dernières années, mis en place par voie d’accord des mécanismes de don de jours de repos pour permettre à un salarié d’accompagner un enfant malade. À plusieurs reprises, comme dans l’accord signé au sein du groupe PSA, les négociations ont été engagées à la demande de salariés désireux de venir en aide à un de leurs collègues.
La possibilité pour les salariés et fonctionnaires d’exprimer leur solidarité envers un collègue suscite une véritable attente, et la presse s’est fait l’écho de cas où le don de jours de RTT s’est révélé impossible, faute de dispositions légales.
Certes, il existe déjà, dans le droit du travail, différents dispositifs permettant de prendre soin d’un enfant malade. Les absences pour enfant malade sont prévues par le code du travail. Par ailleurs, le passage à temps partiel est de droit pour s’occuper d’un enfant atteint d’une pathologie grave.
Enfin, un mécanisme spécifique pour ces cas graves, nécessitant une présence soutenue, a été mis en œuvre au travers du congé de présence parentale – c’est l’article L. 1225-62 du code du travail –, dont le bénéfice a été étendu il y a trente ans aux fonctionnaires, par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.
Ce mécanisme, complété par plusieurs textes, dont la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, ouvre la possibilité d’interrompre son activité à tout salarié, sans condition d’ancienneté, si l’enfant à charge, au sens des prestations familiales, est atteint d’une maladie ou d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité, rendant indispensables une présence soutenue à ses côtés et des soins contraignants.
À l’issue du congé de présence parentale, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente. Le congé peut être écourté, dans des conditions prévues à l’article L. 1225-52 du code du travail, en cas de diminution importante des ressources du ménage ou, tragiquement, de décès de l’enfant. Dans ces cas également, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente.
Le cadre existant permet aux parents de faire face aux cas les plus graves concernant leurs enfants. Il est cependant très contraignant pour les familles concernées, ce qui a incité plusieurs salariés ou employés de la fonction publique, informés de la situation d’un parent, à vouloir lui venir en aide par le don de jours de RTT.
Les différents congés prévus actuellement par la législation ne sont pas rémunérés, sauf accord collectif pour les salariés du secteur privé. Toutefois, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a créé une allocation journalière de présence parentale, servie par les caisses d’allocations familiales, pour les parents qui réduisent leur activité professionnelle pendant plus de quatre mois. Le montant de cette allocation est cependant plafonné à un peu plus de 945 euros par mois pour un couple et son attribution est soumise au respect d’un plafond de revenus.
Les jours non travaillés et rémunérés dans le cadre des accords de réduction du temps de travail antérieurs à la loi du 20 août 2008 sont, dès lors, un moyen de permettre l’absence d’une personne sans perte financière pour celle-ci. C’est donc un choix généreux et logique, de la part des collègues d’un parent, de vouloir mettre à disposition une partie des jours dont ils disposent au-delà des quatre semaines légales de congés payés.
Seules de grandes entreprises ont actuellement mis en place des systèmes de don de jours de RTT, le plus souvent à la demande de salariés. Ainsi, ce sont les entreprises où la négociation professionnelle est la plus active qui offrent à leurs salariés la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité. Les salariés des autres entreprises ne disposent d’aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent.
Surtout, un tel dispositif ne peut être mis en place, à l’heure actuelle, dans la fonction publique, sauf à sortir de la légalité. Or les cas douloureux qui ont retenu l’attention des médias montrent que cette solution répond concrètement aux besoins des familles et que l’aspiration des collègues de l’un des parents à l’aider est réelle. Ils appellent donc une réponse urgente.
La proposition de loi soumise à notre examen ne vise pas à se substituer aux accords déjà passés au sein des entreprises pour permettre le don de jours de repos. Elle étend simplement cette possibilité à l’ensemble des salariés, sous réserve de l’accord de l’employeur, ainsi qu’à la fonction publique, selon des modalités définies par décret. Elle offre un cadre et des garanties minimales, qui seront susceptibles de précisions ultérieures si la mise en œuvre du dispositif l’impose.
Les modalités du don et les motifs pour lesquels il peut intervenir sont encadrés par la proposition de loi.
L’article 1er ouvre la possibilité, pour tout salarié, de faire don de jours de repos dont il dispose à un de ses collègues ayant la charge d’un enfant gravement malade. Conformément aux dispositions du code du travail, ce don ne peut porter que sur les jours disponibles au-delà de quatre semaines de congés payés. Le don peut donc porter sur les jours correspondant à la cinquième semaine de congés payés et sur les jours compensateurs accordés à certains salariés qui travaillent au-delà de trente-cinq heures hebdomadaires.
Ce don ne peut se faire qu’à partir d’une démarche individuelle et volontaire. Il est soumis à l’accord du chef d’entreprise, en raison de l’incidence du transfert des jours de congés sur l’organisation du travail. Le don se fait pour un collègue déterminé. Il n’y a donc pas de don a priori pour tout collègue susceptible de se trouver dans la situation prévue par le texte. Conformément aux règles générales en matière de don en droit français, celui-ci doit être anonyme et gratuit, c’est-à-dire sans contrepartie. L’anonymat du don sera néanmoins quelque peu relativisé selon la taille de la structure : garanti dans une grande entreprise, il se trouvera nécessairement amoindri dans une PME. L’anonymat et la gratuité protègent le donateur et le donataire, et il conviendra que l’employeur veille à ce que le don volontaire ne devienne pas une obligation imposée à certains salariés ou que le salarié qui reçoit les jours ne soit pas l’obligé de ses collègues donateurs. Je récuse donc le terme de « charité », que l’on a pu lire parfois dans la presse ; il s’agit bien plutôt d’une démarche de partage, entre collègues, des conséquences d’une situation nécessairement injuste, la première des injustices étant la survenue de la maladie.
Concrètement, le don de jours de repos augmente le nombre de jours disponibles pour un salarié ayant la charge d’un enfant gravement malade. Il dispose donc de temps pour être présent auprès de son enfant, sans diminution de salaire ou de droits à retraite. Par ailleurs, dans les entreprises où un compte épargne-temps a été mis en place, les jours de repos donnés seront affectés et pourront donc faire l’objet d’une conversion en argent ou être utilisés pour un départ anticipé à la retraite.
Le mécanisme proposé sera rendu applicable à la fonction publique au travers de l’article 2 de la proposition de loi, qui renvoie à un décret.
La réalité de la situation dans laquelle se trouve une personne du fait de la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l’accident dont a été victime un de ses enfants est attestée par un certificat médical détaillé, établi par le médecin qui suit l’enfant au titre de la pathologie en cause. La proposition de loi ne précise pas qui doit être destinataire de ce certificat, mais il semble logique que ce soit l’employeur, car c’est lui qui est appelé à autoriser les dons de jours de repos.
La proposition de loi déposée par M. Paul Salen et adoptée par l’Assemblée nationale tend d’abord à poser le principe et les principales modalités du don de jours de repos. C’est au sein des entreprises que se négociera une partie des modalités pratiques du don, tenant au rôle des représentants de l’employeur, notamment des services des ressources humaines, ou à l’organisation de l’entreprise. Les dispositions réglementaires prévoiront le détail de l’organisation pour la fonction publique.
La commission des affaires sociales a fait le choix de ne pas retarder encore l’adoption de ce texte et n’a donc adopté aucun amendement. Par conséquent, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte sans modification. Il ne répond certes pas à toutes les situations, mais même s’il ne devait permettre qu’à quelques enfants malades de bénéficier de la présence de leurs parents à leurs côtés, cela justifierait que nous le votions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en commission des affaires sociales, les parlementaires du groupe CRC sont, comme vous tous, émus par ces femmes et ces hommes qui, confrontés à la maladie grave de leur enfant, à un accident important ou à la fin de vie de celui-ci, se retrouvent dans des situations complexes. En effet, les dispositifs existants, comme les absences pour enfant malade prévues à l’article L. 1225-61 du code du travail ou le congé de présence parentale, présentent d’importants inconvénients : ils sont trop limités dans le temps et insuffisamment rémunérés.
La proposition de loi se fixe donc comme objectif noble de permettre à ces parents, déjà en souffrance psychique, de pouvoir rester plus longtemps auprès de leur enfant pour augmenter ses chances de guérison. En sécurisant juridiquement les dons de jours de repos dans le privé et en étendant le dispositif au public, elle prétend leur éviter la précarité économique.
Comme vous, nous sommes, au groupe CRC, convaincus qu’il convient de mieux accompagner les familles. Le faible nombre de familles concernées chaque année, tout au plus 1 500 par an, nous conforte d’ailleurs dans l’idée que c’est possible.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Dominique Watrin. Toutefois, nous considérons que votre proposition de loi ne permet pas de répondre à ces objectifs et à ces ambitions louables. Elle ne garantit en rien qu’un parent concerné puisse disposer de tout le temps nécessaire pour accompagner autant que de besoin son enfant. Car le don, théoriquement anonyme et gratuit, reposera sur l’aléa et peut-être même sur l’injustice ! La perception du nombre de jours de repos pourra être fonction de la place dans la hiérarchie, du capital de sympathie ou encore du nombre de fois où le salarié aura déjà lui-même cédé des jours de repos. De la sorte, deux salariés d’une même entreprise placés face à des besoins identiques pourraient ne pas bénéficier du même traitement.
L’auteur et les rapporteurs de la proposition de loi citent volontiers comme exemples emblématiques le cas de ce père de famille de chez Badoit qui a pu cumuler 170 jours de repos grâce à la solidarité de ses collègues ou bien, plus récemment, de ce fonctionnaire de police qui avait cumulé la promesse de plus de 150 jours de RTT, mais qui n’a pu en profiter compte tenu de l’état actuel du droit. On évoque aussi volontiers les accords collectifs chez Badoit justement, 2 500 salariés, dans le groupe PSA, 90 000 à 100 000 salariés, ou chez Casino, 73 000 emplois. Mais comment un salarié d’une très petite entreprise confronté à la même souffrance psychique et à la précarité économique pourrait-il cumuler autant de jours de repos et donc de possibilités d’accompagner son enfant ?
Ce qu’il faudrait, c’est créer un vrai droit, garanti à tous et non hypothéqué sur les relations amicales et sociales que l’on a pu tisser ; un vrai droit qui ne dépende pas du bon vouloir des autres salariés, de leur propre état de fatigue ou tout simplement du besoin de prendre la totalité de leurs jours de congés ; un droit qui évite la culpabilisation de l’autre.
Qui plus est, la proposition de loi, et cela nous ennuie quelque peu, prévoit que l’employeur pourrait s’opposer à l’élan solidaire exprimé par des salariés. Autrement dit, on entend créer un droit qui serait doublement putatif, dépendant tout à la fois des collègues de travail et de l’employeur.
Ce n’est pas, mes chers collègues, l’idée que nous nous faisons, pour notre part, du mot « solidarité ». S’il faut effectivement renforcer et sécuriser la solidarité locale, il faut aussi sécuriser la solidarité nationale.
Et je vous le dis, nous n’avons pas de leçon d’humanité à recevoir, notamment de la part de l’auteur de la proposition de loi, qui a déclaré dans la presse que les élus seraient en quelque sorte irresponsables s’ils ne votaient pas cette loi et, plus encore, s’ils avaient l’outrecuidance de déposer des amendements ! À l’évidence, avec de tels messages adressés aujourd'hui aux parlementaires, on imagine ce que sera demain la pression sur les salariés culpabilisés.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ça, c’est sûr !
M. Dominique Watrin. Nous, sénateurs CRC, sommes fiers d’assumer notre responsabilité de législateur. Et c’est notre rôle de parlementaires communistes, de parlementaires de gauche de faire avancer le droit social ! C’est pourquoi, bien que limités par l’article 40 de la Constitution, nous proposerons que soit engagée sans délai une étude de faisabilité. Celle-ci montrerait, j’en suis certain, qu’il est possible, à condition évidemment d’en avoir la volonté politique, de dégager quelques dizaines de millions d’euros pour améliorer le dispositif de l’allocation journalière de présence parentale, en la portant notamment à 90 % du salaire net.
Car il faudra qu’on nous explique ! Le Gouvernement est capable de distribuer 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales aux entreprises sans la moindre contrepartie, mais il ne pourrait pas dégager quelques dizaines de millions d’euros pour améliorer le sort de ces parents ?
Enfin, cerise sur le gâteau, c’est aux salariés, déjà en peine, qu’il est demandé ici d’être généreux, la notion de partage s’appliquant uniquement entre salariés. Est-ce faire preuve de dogmatisme que de poser la question de la solidarité verticale ? La vérité, c’est que vous appelez les salariés, les ouvriers, les agents publics, y compris les petites gens, à se substituer à la solidarité nationale, alors qu’ils doivent eux-mêmes faire face à des difficultés. La vérité, c’est que votre proposition de loi, présentée comme généreuse, exonérera totalement les employeurs de leurs responsabilités. Pis, elle va créer, je l’ai dit, des situations d’injustice intolérables entre ceux qui pourront et ceux qui ne pourront pas collecter des jours de repos.
Oui, sécurisons juridiquement les accords collectifs et les démarches individuelles de solidarité ! Mais oui, parce que nous sommes des législateurs responsables, parce que nous sommes garants de l’égalité de traitement entre les citoyens, ayons aussi l’ambition de porter l’exigence d’une solidarité universelle !
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC ne votera pas la proposition de loi.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd'hui est la conséquence d’actions généreuses, celles de salariés ayant fait don de leurs jours de repos pour aider un collègue parent d’enfant malade à demeurer auprès de lui pendant sa longue hospitalisation ; M. le ministre et Mme la rapporteur viennent de le rappeler.
Nous devons avant tout nous interroger sur la cause de ces dons. En effet, il existe déjà dans notre droit une panoplie de congés liés à des circonstances familiales.
Certains de ces congés ne sont pas indemnisés. Je pense au congé pour enfant malade d’une durée de trois ou cinq jours par an, qui s’applique dans le cas d’affections relativement bénignes, ou au congé de soutien familial, entre trois mois et un an, pour venir en aide à un membre de la famille atteint d’un handicap ou d’une perte d’autonomie particulièrement grave.
D’autres congés sont indemnisés. C’est le cas du congé de solidarité familiale, d’une durée de trois mois renouvelables, qui permet d’assister un proche souffrant d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ou en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable. L’indemnité est aujourd'hui de 54,82 euros dans la limite de vingt et un jours ; elle n’est pas cumulable avec d’autres prestations.
Le congé de présence parentale est celui qui semble le plus adapté à la situation qui nous préoccupe. Il est attribué pour une période maximale de quatorze mois et il est indemnisé par la sécurité sociale, sous forme d’une allocation journalière de présence parentale. L’enfant doit avoir moins de vingt ans, le parent doit en assurer la charge effective et le congé peut être renouvelé si nécessaire. L’allocation est de 50,74 euros par jours pour un parent seul et de 42,71 euros pour un couple. Un complément peut être versé par la caisse d’allocations familiales sous forme d’un remboursement de frais de 109,24 euros par mois. J’ajoute que ce remboursement est soumis à un plafond de revenus et tient compte du nombre total d’enfants à charge.
Il est bien évident que ce n’est pas avec les sommes que je viens de citer qu’une personne ou une famille peut vivre, a fortiori avec un enfant malade ou hospitalisé.
Nous savons tous ce qui se passe alors : les parents les moins fortunés – c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de femmes – utilisent d’autres congés, notamment leurs propres congés maladie. Au demeurant, la situation qu’ils vivent les conduit souvent à avoir eux-mêmes un besoin absolu non seulement de disponibilité, mais aussi de repos. Ces arrangements sont parfaitement compréhensibles, mais ils ne sont pas légaux et peuvent faire courir des risques aux salariés sur le plan professionnel.
Confrontés à des situations dramatiques dans des entreprises, les salariés collègues de parents en difficulté ont mis en œuvre des initiatives généreuses. Ils ont donné une partie de leurs jours de repos pour leur permettre d’être avec leur enfant. Ce sont des gestes remarquables, d’une grande humanité, des gestes fraternels dans un monde que l’on dit trop souvent individualiste et égoïste. En tant qu’êtres humains, ils nous apportent un espoir. En revanche, en tant que législateurs, ils nous interrogent. Comment devons-nous répondre ?
Le texte nous propose une généralisation de ce système. Soit ! Cependant, si les initiatives des salariés ont eu lieu, c’est bien parce que les dispositifs légaux existants ne répondent pas correctement aux besoins et sont insuffisants, surtout sur le plan financier.
Ce sont environ 1 000 à 1 500 familles qui sont concernées chaque année. À combien s’élèverait l’augmentation du montant de l’allocation journalière de présence parentale pour permettre à ces familles de s’occuper de leur enfant gravement malade ? On nous dit que le contexte budgétaire ne se prête pas aux dépenses, qu’il faut au contraire faire des économies ; nous le croyons volontiers. Reste que nous savons aussi que les sommes concernées ici sont très peu de choses au regard des masses budgétaires en jeu et qu’elles auraient une valeur considérable, et à nos yeux peu discutable, pour les familles. C’est donc là avant tout, nous semble-t-il, qu’il faut agir. Un relèvement des plafonds de ressources serait une mesure minimale. J’ajoute que cela aurait un avantage considérable par rapport à ce qui nous est proposé ce soir : la garantie d’exister pour tous, dans les mêmes conditions.
Il est de notre rôle de législateur d’entamer un dialogue sur cette question avec le Gouvernement pour régler cette affaire de manière équitable.
Il me semble, ainsi qu’aux collègues de notre formation politique, qu’il est particulièrement difficile de légiférer en matière de générosité ; vous l’avez vous-même noté voilà quelques instants, monsieur le ministre. On peut, et c’est notre cas, souscrire pleinement aux initiatives individuelles ou collectives, je le répète, généreuses des salariés, ne pas vouloir les empêcher, bien entendu, et même les soutenir. Toutefois, notre rôle de législateur se situe au-delà. Il nous appartient de travailler pour l’intérêt général et de faire en sorte que chacun dispose, en vertu de la loi, des mêmes droits et des mêmes devoirs. Or le texte qui nous est proposé ne répond pas à cette obligation.
Permettez-moi de faire quelques observations.
Il y a d’abord une évidence : le salarié parent qui travaille dans une entreprise de 500 salariés – M. Watrin l’a souligné – obtiendrait vraisemblablement beaucoup plus de journées que celui qui travaille dans une entreprise de 30 personnes. Le dispositif proposé est donc structurellement biaisé. Nous ne pouvons pas inscrire dans la loi une telle inégalité, qui serait l’un des fondements du texte.
Comment l’anonymat du don, surtout dans une PME, serait-il garanti ? Le salarié qui reçoit devrait-il alors se sentir redevable auprès des autres salariés ? Ne risque-t-on pas d’assister à des pressions, à des conflits si des salariés ne peuvent pas, voire ne veulent pas donner des jours de repos ? Certains ne risquent-ils pas d’être rétifs si leur générosité a pour eux des conséquences fiscales et sociales négatives ? D’autant que le texte ne fixe comme seule borne que les vingt-quatre jours de congés annuels. N’y a-t-il pas alors un risque de stigmatisation, ce qui irait à l’encontre des objectifs visés ?
L’idée d’une chaîne de solidarité est très belle, mais nous devons être très attentifs aux difficultés que je viens de soulever.
Par ailleurs, comment s’organisera concrètement l’opération ? Les salariés ont des métiers différents. Ils ne sont pas interchangeables.
En outre, comment seront formalisés la demande du salarié et l’accord de l’employeur ? La réponse à cette question n’est pas sans importance en cas d’accident du travail du salarié offrant des jours de repos.
Le texte de la proposition de loi ne prévoit pas la signature d’un accord. Pourtant, c’est bien par ce canal que sont intervenues les opérations de dons ayant déjà eu lieu, par exemple dans l’entreprise Merial ou l’entreprise Badoit dans la Loire.
L’employeur apportera-t-il une participation sous une forme restant à définir ? Laquelle ? Des jours de congé supplémentaires ? S’il n’y a pas d’accord, ce point reste soumis à sa seule bonne volonté, même si personne n’en doute. Mais, surtout, en l’absence d’accord, nous restons dans le flou : un mouvement spontané, généreux, mais aux conséquences juridiques et pratiques imprévisibles.
Enfin, pour les fonctions publiques, le texte de la proposition de loi prévoit un décret. C’est reconnaître ainsi que nous interviendrions aux limites du domaine réglementaire.
Au total, nous constatons que les élans de générosité des salariés pour soutenir des parents d’enfant malade suscitent l’émotion et le soutien non seulement de nos compatriotes, mais aussi des médias. Nous recevons cela, en tant que législateurs, comme un appel à agir. Nous devons donc nous garder de notre premier mouvement, qui nous pousse naturellement vers la générosité. Jusqu’à présent, le don de jours de repos s’est effectué dans les entreprises, par voie d’accord, de façon ponctuelle et sans intervention législative. Au demeurant, rien ne l’interdit.
Pour autant, cette voie, remarquable sur le plan humain, n’est, je le répète, pas satisfaisante sur le plan juridique. De surcroît, elle n’est pas vraiment généralisable. Elle pourrait même mettre en péril les dispositifs existants, alors qu’il conviendrait au contraire de les renforcer. Il faudra d’ailleurs bien s’atteler à cette tâche, et nous devrons tout mettre en œuvre pour travailler sur ce volet de la protection sociale, afin de le faire avancer.
Compte tenu de toutes ces interrogations, le groupe socialiste s’abstiendra.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de vous donner la position du groupe UDI-UC sur la proposition de loi, je souhaite revenir sur la situation à laquelle elle envisage d’apporter, en partie seulement, une solution.
Nous évoquons ici le cas d’un enfant de moins de vingt ans atteint d’une maladie grave qui va nécessiter une hospitalisation de longue durée dans un service hospitalier très hautement spécialisé et souvent très éloigné du domicile des parents. L’enfant souffre de sa maladie, des soins douloureux qui lui sont prodigués ou d’une immobilisation qui lui est imposée, et ses parents pensent que leur présence constante auprès de lui atténue ce traumatisme.
Face à cette situation, si les deux parents travaillent, on sait que l’un des deux – souvent la mère – quittera son emploi, ce qui aura pour conséquence le risque de perdre cet emploi et, en tout état de cause, la perte de revenus.
Dans le cas d’une famille monoparentale, la cessation d’activité du parent est quasiment impossible, et il ne peut alors compter que sur ses droits à congés pour être présent auprès de son enfant.
Ces parents, seuls ou en couple, qui ne peuvent se priver de leur salaire s’arrangent ainsi pour cumuler les congés non encore pris ou pour anticiper sur ceux à venir. Dans certains services, en particulier chez les fonctionnaires hospitaliers ou les policiers, ils cumulent leurs jours de récupération liés à des services de nuit, de week-end et de présences exceptionnelles. Malgré tous ces efforts et l’aide d’autres membres de leur famille, ils n’arrivent pas toujours à assurer auprès de leur enfant la présence permanente dont on sait qu’elle contribue grandement à l’amélioration de l’état de santé de ce dernier et, on l’espère, à sa guérison.
Aux termes de la proposition de loi, afin d’augmenter la durée de présence des parents auprès de leur enfant, certains de leurs collègues pourront, s’ils le souhaitent, leur donner des jours de congés de RTT, assurant ainsi le travail à leur place. On comprend bien qu’il ne sera pas toujours possible, dans certaines entreprises, de remplacer quelqu’un à son poste, la proposition ne pourra alors s’appliquer. Laissons au bon sens de chacun, salariés et employeurs, l’intelligence d’apprécier la possibilité ou non de le faire !
Je rappelle au passage qu’il est interdit qu’un salarié prenne moins de quatre semaines de congés par an ; cette proposition de loi ne changera rien à cette interdiction. Il s’agira donc, pour chaque salarié donateur, d’offrir quelques jours au parent concerné, au gré de ses souhaits et de ses possibilités. C’est évidemment l’addition de ces quelques jours donnés par plusieurs salariés qui rendra cette initiative réellement efficace. Cela ne concerne donc pas les petites entreprises ayant peu d’employés, le nombre de jours donnés cumulés n’étant pas suffisamment important pour être significatif.
Combien de cas seraient-ils concernés chaque année par les dispositions de la proposition de loi ? Les statistiques hospitalières évoquent environ 1 800 cas par an. Tous les parents concernés ne vont pas être des salariés. Tous les parents concernés ne vont pas être des parents isolés sans famille proche et coopérante. Tous les parents concernés ne vont pas être éloignés des lieux de soin de leur enfant.
Ces situations resteront donc des exceptions. C’est donc par quelques dizaines qu’on comptera les parents qui auront besoin de ces dons de jours et par quelques centaines les salariés qui seront amenés à les leur donner. Ne traitons pas ce sujet comme s’il concernait des millions de personnes !
Je trouve à ce texte bien des vertus humaines : on est là devant des dispositions qui vont permettre à certaines personnes d’en aider une autre, dans un moment particulièrement douloureux et stressant. On permet à des femmes et à des hommes de manifester leur empathie, leur amitié, leur générosité et leur solidarité à l’égard d’une ou d’un collègue malheureux et désemparé. Rien n’est imposé, ni aux salariés ni aux employeurs !
Je sais que certains ont signalé l’inégalité de traitement entre petites et grandes entreprises. Je sais que l’on peut être accusé de substituer les solidarités personnelles au droit public et social. Mais nous souhaitons, par ce texte, donner la priorité au pragmatisme sur le dogmatisme et laisser, pour une fois, les sentiments s’exprimer en permettant un geste d’humanité entre les personnes qui travaillent et vivent ensemble. C’est la raison pour laquelle je vous encourage, mes chers collègues, à voter le texte. C’est en tout cas ce que fera notre groupe. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)