Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteurs, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été étoffé et renforcé par le travail parlementaire, et il est plus à même de rendre véritablement effective l’égalité entre les femmes et les hommes, à condition que ses auteurs aient bien sûr la volonté politique de mettre à exécution les différentes dispositions qui y sont incluses.
Colette Guillaumin, dans son livre Sexe, Race et Pratique du pouvoir, écrivait en 1992 : « si les femmes sont des objets dans la pensée et l’idéologie, c’est que d’abord elles le sont dans les rapports sociaux, dans une réalité quotidienne dont l’intervention sur le corps est l’un des éléments clés. Ces mêmes interventions jouent pour les hommes dans le sens de la construction d’un sujet, sujet de décision et d’intervention sur le monde. »
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de ceux qui peuvent aider la société à opérer la transition, dans les mentalités, de la femme-objet à la femme-sujet.
Le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes est de fait à analyser, toujours selon Colette Guillaumin, en tant que rapport de « classes de sexe ». La vigilance est donc toujours et plus que jamais de rigueur. Au détour d’un amendement que certains pourraient presque qualifier de rédactionnel, nos collègues députés ont pu constater qu’il n’est pas de droit acquis qui ne puisse faire l’objet d’une remise en cause rétrograde.
Je songe, on l’aura compris, à l’article 5 quinquies C qui prévoit la suppression de la référence à la notion de « détresse » dans le cadre d’une demande d’interruption volontaire de grossesse et à l’article 5 quinquies qui étend le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. C’est bien du corps de la femme qu’il est encore ici question, c'est-à-dire de cet « objet » à propos duquel on croit encore, de haut, avoir le droit de dire ce qui est bien et ce qui est mal.
Il n’est pas inutile de le rappeler, les thématiques soulevées par le féminisme des années 1970 tournaient en grande partie autour du corps. Et pour cause. La liberté d’avortement avait été l’enjeu fondamental des luttes de cette époque-là. Les slogans répétés étaient révélateurs, ils étaient clairs : « un enfant, si je veux, quand je veux », « c’est à nous de décider », « la politique sur notre corps ne se fera pas sur notre dos ». Il s’agissait de faire de la maternité un choix. Les femmes mettaient en avant autant une capacité de décision morale que leur simple droit de propriété sur leur propre corps.
Aujourd’hui, alors que nous avons avancé sur le chemin de l’égalité, nous ne voulons plus, nous ne pouvons plus accepter ce mot de « détresse », figurant dans la loi initiale autorisant l’IVG, qui place notre droit de choisir la maternité en seconde position.
Le droit à l’IVG est un acquis fondamental. Or le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes constate, dans son récent rapport de 2013, presque quarante ans après son inscription dans la loi, que le droit à l’avortement reste un « droit à part » et qu’il n’est toujours pas un « droit à part entière ».
Face à ces reculs, face à ces menaces, nous voterons, nous, écologistes, avec conviction et enthousiasme, l’article 5 quinquies C, qui affirme simplement le droit des femmes à disposer de leur corps, celles-ci étant, en tant que sujets matures et éthiques, les seules juges de leur état et des motifs pour lesquels elles ont recours à une IVG.
Mais revenons au texte dans son ensemble, qui paraît, madame la ministre, avoir recueilli un certain consensus auprès des parlementaires ; nous en faisons partie. Nous aurions toutefois souhaité que, sur certains aspects, notamment la protection contre les violences, ce projet de loi fût plus ambitieux encore. Il faut créer plus de places d’hébergement d’urgence pour les 200 000 femmes qui, chaque année, sont victimes de violences conjugales. Il faut donner les moyens aux services de police de lutter efficacement contre la traite des êtres humains, les condamnations pour des faits de traites étant encore trop peu nombreuses.
Je sais que le temps vous manque aujourd'hui, mais je regrette qu’ait été reporté l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul sur les violences à l’égard des femmes. Il serait opportun qu’une nouvelle date, en juin, soit fixée prochainement, car ce texte donnerait un coup de pouce à la mise en place du processus de lutte contre les violences.
De même, s’il contient quelques avancées pour les femmes étrangères, il nous semble que ce projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes manque là encore, décidément, d’ambition.
Vous nous avez souvent opposé, madame la ministre, qu’il fallait attendre la grande réforme du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA. Or cette réforme se fait attendre justement et nous avons l’opportunité, dans des délais plus courts, de prendre des mesures importantes pour la vie et l’avenir des femmes étrangères victimes de violences sur notre territoire. C’est la raison pour laquelle nous défendrons, comme en première lecture, des amendements allant dans ce sens.
Notre volonté n’est en l’occurrence que d’enrichir un texte déjà fort solide. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois et Mme Muguette Dini applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues venus nombreux participer à ce débat, il est très légitime de vouloir faire progresser l’égalité entre femmes et hommes pour l’accès à l’emploi, pour les salaires, pour le déroulement des carrières ou l’organisation du travail, et aussi, bien sûr, pour le partage des responsabilités familiales et la lutte contre les violences conjugales.
De la même façon, on ne peut qu’être ouvert à toute disposition permettant aux femmes de surmonter les obstacles trop nombreux à leur participation à la vie politique ou syndicale.
Dans ces domaines, il est vrai qu’il reste beaucoup à faire. Les moyens peuvent être discutés, mais les objectifs sont naturellement communs à chacune et à chacun d’entre nous et les majorités successives ont toutes apporté leur pierre à l’édifice.
À l’inverse, les dispositions qui ont été introduites dans le projet de loi pour modifier les conditions d’accès à l’interruption volontaire de grossesse soulèvent des objections de principe difficilement surmontables, sans avoir par ailleurs d’effet utile.
La disposition adoptée par l'Assemblée nationale ouvre en effet l’interruption volontaire de grossesse non plus seulement aux femmes enceintes « que leur état place en situation de détresse » mais à toute femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Le législateur renoncerait ainsi à formuler les raisons pour lesquelles l’interruption volontaire de grossesse peut être pratiquée. Ce faisant, il élargirait les possibilités d’accès à l’avortement à d’autres motifs que la détresse de la femme, sans d’ailleurs énoncer ces derniers. Toutes les motivations, quelles qu’elles soient, se verraient donc conférer une égale valeur légale.
Cette disposition soulève de graves objections, alors même que sa portée concrète n’est probablement pas majeure, puisque, je tiens à le souligner, aucune instance n’a aujourd’hui le pouvoir de vérifier la réalité de la condition de détresse posée par la loi Veil.
Cependant, les principes fondamentaux sur lesquels repose notre législation sont en cause.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est toujours la même !
M. Philippe Bas. Certes, la loi Veil n’est pas un monument intangible. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Elle prévoyait d’ailleurs elle-même son réexamen cinq ans après son adoption, comme on le fit aussi en 1994 et en 2004 pour les lois de bioéthique. Et elle a été modifiée ou complétée à plusieurs reprises, notamment pour prévoir le remboursement des interruptions volontaires de grossesse et pour allonger la période pendant laquelle l’interruption volontaire de grossesse est autorisée. Nous aurons peut-être au cours des années à venir à modifier de nouveau la loi afin de résoudre des difficultés nouvelles qui apparaîtraient ou de statuer sur des innovations médicales ou médicamenteuses.
Mais aujourd'hui il s’agit de tout autre chose : sont en jeu les fondements mêmes de la loi de 1975. Son article 1er dispose en effet que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie » et qu’« il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». La valeur constitutionnelle du principe du « respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » a aussitôt été reconnue par le Conseil constitutionnel. Le législateur a énoncé ce principe pour la protection de l’enfant à naître. Si l’interruption volontaire de grossesse y porte clairement atteinte, c’est une atteinte que le Conseil constitutionnel n’a pas estimée inacceptable au regard des objectifs de santé publique poursuivis par le Parlement, car, juge-t-il, la loi « n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit ».
Mme Laurence Cohen. C’est quoi, le commencement de la vie ?
M. Philippe Bas. Cela justifie que l’avortement demeure interdit hors les cas prévus par la loi Veil.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. On n’y touche pas !
M. Philippe Bas. Ainsi, en vertu de la loi pénale, lorsqu’il est pratiqué autrement qu’« en cas de nécessité » et autrement que « dans les conditions définies » par la loi, il peut toujours, aujourd’hui encore, être sanctionné. Il faut souligner à quel point l’approche de la loi Veil, qui fait de l’interruption volontaire de grossesse une dérogation à un principe fondamental de notre droit, est audacieuse.
Mme Annie David. Incroyable ! Consacrer autant de temps à l’IVG ! Et l’égalité salariale ?
M. Philippe Bas. Tout droit fondamental peut en effet connaître des limites légales, mais la loi Veil, avec une franchise assumée, va beaucoup plus loin. Elle ne pose pas seulement une limite au droit au respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, elle permet explicitement et, selon ses termes mêmes, d’y porter une « atteinte » individuelle en cas de « nécessité », et cette atteinte individuelle est par nature irréversible (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) puisqu’il est mis fin à la grossesse.
La « nécessité » – expression de la loi – qui autorise l’« atteinte » – expression de la loi – au principe se traduit depuis bientôt quarante ans par une exigence légale : l’invocation de sa « détresse » – troisième expression de la loi – par la jeune femme qui demande l’interruption volontaire de grossesse.
Mme Cécile Cukierman. La loi prévoit un délai !
M. Philippe Bas. La condition de détresse a donné lieu à d’amples débats en 1974. Certains, parmi lesquels Michel Debré (Mme Cécile Cukierman s’exclame.), demandaient que cette condition soit vérifiée par une instance médicale. (Mme Cécile Cukierman s’exclame de nouveau.) Simone Veil ne le voulait pas et elle a tenu bon. Dès lors, depuis 1974 – et pas en application d’une décision du Conseil d’État de 1980 qui n’a fait qu’énoncer les règles qui figurent dans la loi –, seule la femme qui demande à interrompre sa grossesse est habilitée à apprécier la réalité de sa propre détresse au moment de sa demande.
Mme Cécile Cukierman. C’est quoi, la détresse ?
M. Philippe Bas. C’est pourquoi la loi Veil est une loi de confiance à l’égard des femmes. Elle s’en remet entièrement à leur conscience, sans que nul soit qualifié pour porter la moindre appréciation sur leur décision souveraine. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Mme Laurence Cohen. C’est le libre choix !
M. Philippe Bas. Cependant, à travers cette référence à la « détresse » comme à travers l’exigence d’une « nécessité », la loi assume de dire que l’avortement ne peut être motivé que par des raisons graves qui rendent la poursuite de sa grossesse insupportable pour la femme. (Exclamations sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa s’exclame également.)
Après plusieurs décennies d’application de la loi Veil, si un consensus très large s’exprime autour de cette loi, ce consensus n’est pas général, hélas, et il ne peut sans doute pas l’être.
Le compromis sur lequel la loi repose n’a jamais été reconnu par ceux qui refusent d’accepter la libéralisation de l’avortement, ni par ceux qui, à l’opposé, ne peuvent admettre que le principe de respect de la vie s’applique dès le début de la grossesse.
Mme Annie David. Dix minutes là-dessus et pas un mot sur le reste de la loi !
Mme Cécile Cukierman. C’est une obsession !
Mme Maryvonne Blondin. Et le reste ?
M. Philippe Bas. Les uns et les autres, pour des raisons diamétralement opposées, contestent donc le raisonnement de principe sur lequel est fondée la loi de 1975.
L’amendement adopté par l'Assemblée nationale s’inscrit dans une logique doctrinale. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Dans sa façon d’aborder la dimension philosophique du problème de l’avortement, la loi Veil s’était pour sa part voulue humble et pragmatique. Elle refusait de trancher entre des convictions antagoniques totalement irréductibles. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Dans notre République de liberté, de respect et de tolérance, ces convictions contraires doivent pouvoir s’exprimer et coexister sans empêcher l’application de la loi.
Il s’agissait en 1974 de mettre fin à la tragédie vécue par tant de femmes qui prenaient le risque de mettre en péril leur propre vie pour empêcher la naissance d’un enfant qu’elles estimaient ne pas pouvoir accueillir. La poursuite de cet objectif essentiel a fait prévaloir la dimension humaine du problème sur l’affirmation d’une doctrine irréfutable. Un équilibre a alors été trouvé, sans doute imparfait en pure logique philosophique, et donc à certains égards fragile, mais un équilibre nécessaire. Cet équilibre ne devrait être déplacé qu’avec prudence, en respectant les consciences,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Philippe Bas. ... après un débat approfondi, ouvert à tous les grands courants de pensée et aux grandes familles religieuses de notre pays. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Prenons garde à ne pas mettre la loi en danger en modifiant le compromis historique de 1975 sans qu’aucune utilité l’impose !
Mme Esther Benbassa. Nous sommes majeures !
M. Philippe Bas. Aucune difficulté réelle n’est alléguée pour expliquer la suppression de la condition de détresse. C’est un amendement de circonstance qui a introduit cette évolution. (Mme Cécile Cukierman s’exclame de nouveau.) Il a été adopté dans l’improvisation, pour des raisons plus politiques que pratiques.
Mme Maryvonne Blondin. Entendre cela quarante ans après, c’est incroyable !
M. Philippe Bas. En outre, il s’agit de modifier le code de la santé publique et de restreindre la portée d’un principe constitutionnel sans que ni le ministre de la santé ni le garde des sceaux, qui sont pourtant les ministres responsables l’un de ce code l’autre du respect de la Constitution, aient été entendus par le Sénat.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Bas. Si vous voulez affirmer que, désormais, la décision d’interruption volontaire de grossesse sera légitime quel qu’en soit le motif, beaucoup de Français ne pourront l’accepter (Mme Esther Benbassa s’exclame.),...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la femme qui a le droit de décider !
M. Philippe Bas. ... parce qu’ils attendent du législateur non pas qu’il soit neutre, mais qu’il pose des règles ayant valeur de références pour les comportements individuels. (Exclamations sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin et Esther Benbassa s’exclament également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de laisser l’orateur s’exprimer ! Lui seul à la parole !
M. Charles Revet. Oui, laissez-le s’exprimer !
Mme Éliane Assassi. Il est difficile de ne pas réagir !
M. Philippe Bas. Ces références sont utiles en ce qu’elles contribuent à prévenir les dérives dans le recours à l’interruption volontaire de grossesse. La décision appartient et appartiendra toujours à la femme (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) : raison de plus pour que le cadre dans lequel cette décision peut légalement être prise soit clairement défini par le législateur.
Que ceux qui veulent rendre possible l’interruption volontaire de grossesse sans aucune condition de fond aillent jusqu’au bout de leur logique en demandant aussi la suppression de l’exigence d’une « nécessité » fondant la décision de la femme.
Mme Annie David. Il a dépassé son temps de parole !
M. Philippe Bas. Alors, ils devront assumer d’avoir entièrement vidé de son contenu le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie,…
Mme Laurence Cohen. C’est quand le commencement de la vie ?
M. Philippe Bas. … et c’est tout le dispositif de la loi Veil qui s’écroulera, provoquant dans la société française une déchirure sans précédent depuis quarante ans. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Une telle déchirure doit absolument être évitée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sept mois après son adoption en première lecture par notre Haute Assemblée, le présent projet de loi est de nouveau soumis à notre examen. Je suis ravie, madame la ministre, que nous poursuivions nos travaux, avec vous et que vous n’ayez pas été placée ailleurs (Mme la ministre sourit.), ce qui nous aurait privés de vos lumières. Le texte a été amélioré et enrichi par nos collègues députés. Je souhaite revenir plus particulièrement sur quatre des articles restant en discussion.
J’évoquerai tout d’abord l’article 8 bis. Introduit par l’Assemblée nationale, il oblige la juridiction saisie à se prononcer sur la question du maintien de l’autorité parentale sur l’enfant du couple, lorsque l’un des parents est condamné pour meurtre ou acte de barbarie sur la personne de l’autre parent. Notre rapporteur, Virginie Klès, a proposé d’étendre cette disposition, notamment en cas d’agressions sexuelles ou de harcèlement moral, et je m’en réjouis. Je tiens à cette occasion à saluer, chère collègue, l’excellence de votre travail, votre courage et votre opiniâtreté, ainsi que ceux de notre rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Michelle Meunier.
Lors de l’examen de la loi du 9 juillet 2010, j’avais insisté, dans cet hémicycle et à cette tribune, en ma qualité de rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales, sur la protection de l’enfant en cas de violences conjugales. J’avais alors approuvé le renforcement des procédures du droit de visite spécial et l’organisation du droit de visite et d’hébergement, notamment en cas d’ordonnance de protection.
En commission comme en séance publique, nos débats avaient aussi porté sur la mise en œuvre des modalités de l’exercice de l’autorité parentale, qui entre souvent en contradiction avec l’exigence de la protection de la victime des violences, et surtout des enfants. (M. Charles Revet s’exclame.) Nous n’étions pas allés jusqu’à la suppression de l’autorité parentale. Je le regrette. Elle nous est proposée dans le présent texte et c’est, à mon sens, une avancée majeure.
Dès 2008, le professeur Maurice Berger, pédopsychiatre de renom, insistait sur les conséquences graves de la violence conjugale sur l’enfant. Michelle Meunier et moi-même l’avons auditionné, le 14 janvier dernier, dans le cadre de notre mission sur la protection de l’enfance. Il insiste sur les traumatismes neurologiques subis par les enfants, témoins de ces violences. Il parle même de « neuro-protection ».
Il explique très bien que l’enfant qui est témoin d’une scène violente entre ses parents n’a pas un psychisme assez autonomisé pour y faire face. Pour lui, c’est son monde et toute sa sécurité interne qui s’écroulent. L’impact de ces scènes est encore plus grave s’il s’agit d’un nourrisson. Celui dont la mère est violentée alors qu’elle le porte dans ses bras se vit comme un bébé frappé.
De nombreuses études révèlent qu’une majorité de femmes tuées par leur ex-conjoint le sont au moment de l’exercice du droit de garde. Il y a celles qui sont tuées, mais aussi toutes celles qui sont battues, violées. Dans nombre de cas, l’enfant est présent quand sa mère subit ces violences.
Mme Annie David. Tiens, M. Bas n’a pas parlé de cela !
Mme Muguette Dini. Au regard de ces constats, l’idée qu’un mauvais conjoint peut être un bon père est absolument inconcevable !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
Mme Muguette Dini. J’en viens aux dispositions de l’article 8, relatives au recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. Là encore, le sujet est récurrent. Lors de l’examen de la loi du 9 juillet 2010, nous avions passé un très long moment à en débattre. Ce fut de nouveau le cas au cours de la première lecture du présent projet de loi. Chaque fois, la même question revient : la médiation pénale peut-elle constituer une alternative aux poursuites ? Pour moi, chère rapporteur, cela est totalement impossible. (Mmes Laurence Cohen et Brigitte Gonthier-Maurin applaudissent.)
La médiation pénale constitue une réponse inadaptée et inefficace en cas de violences conjugales dès lors qu’elle met en présence le conjoint violent et sa victime. Je vous rejoins en outre, ma chère collègue, dans la considération à apporter à la violence psychologique, en sus de la violence physique.
Mmes Laurence Cohen et Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement !
Mme Muguette Dini. Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale évoque la possibilité de médiation pénale « pour les cas de violences les moins caractérisées ». Que sont donc ces violences les moins caractérisées ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Voilà !
Mme Muguette Dini. Je récuse l’idée selon laquelle il existerait des violences plus ou moins graves au sein des couples. Une violence n’est jamais mineure ! Elle n’est jamais insignifiante ! (Mmes Laurence Cohen et Brigitte Gonthier-Maurin opinent.)
Je suis convaincue qu’il convient de proscrire le recours à cette procédure en cas de violences au sein du couple et j’ai déposé un amendement en ce sens.
Je tiens aussi à revenir sur la réforme du congé parental d’éducation. Vous le savez, madame la ministre, je reste très réservée sur le nouveau dispositif présenté à l’article 2, même si, je le reconnais, il tend à responsabiliser le père et la mère et à instaurer une plus grande d’égalité entre eux.
Les lois que nous élaborons doivent apporter des solutions aux problèmes de nos concitoyens. Dans le cas présent, je crains que nous ne complexifiions le quotidien de nombreuses familles.
M. Charles Revet. Très probablement !
Mme Muguette Dini. On le sait, la plupart du temps, c’est la mère qui prend, et qui continuera à prendre, le congé parental.
M. Charles Revet. C’est normal !
Mme Muguette Dini. Elle retournera donc travailler lorsque l’enfant aura deux ans et demi, ce qui n’est pas dramatique en soi. Les parents rencontreront des difficultés, en revanche, pour trouver un mode de garde en attendant l’entrée à l’école maternelle de leur enfant. Cette période peut parfois durer un an, en fonction de la date de naissance de ce dernier. Dans certains cas, l’enfant pourra entrer à l’école à deux ans, alors que dans d’autres, aucune école ne l’accueillera avant trois ans.
Cette préoccupation, vous l’avez dit, madame la ministre, est accrue pour les parents de jumeaux, de triplés et plus. Aussi ai-je déposé un amendement qui, à la suite de ce qui a été ajouté par nos collègues députés, prévoit de prolonger le congé parental d’éducation, pour ces familles de jumeaux et plus, jusqu’à l’entrée à l’école maternelle des enfants.
L’article 17 ter, sur les concours de « mini-miss », a été intégré au texte, par le biais, rappelons-le, d’un amendement du groupe centriste, porté par Chantal Jouanno. Quelque peu modifié à l’Assemblée nationale, il a toutefois le mérite de poser clairement dans la loi la nuisance que représentent les concours de beauté pour les enfants. À ce titre, il nous donne satisfaction. La question de l’hypersexualisation des enfants, dont la manifestation la plus évidente est celle de ces concours de beauté, loin d’être anecdotique, est un sujet majeur dont nous aurons encore à nous préoccuper.
Je souhaite terminer mon propos sur le sujet de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et plus spécifiquement sur l’égalité salariale. Sur ce point, on a coutume de faire référence à « un quart en moins ». Aujourd’hui, les femmes gagnent globalement, à compétences égales, un quart de moins que les hommes.
Le 7 avril dernier, c’était le Equal Pay Day. En français, la journée de l’égalité salariale. Il s’agissait du jour symbolique où les Françaises ont enfin engrangé le salaire que les hommes avaient gagné au 31 décembre dernier. Quatre mois de différence, soixante-huit jours travaillés supplémentaires, pour parvenir à gagner autant. Au travers de ces éléments, cette inégalité salariale m’est apparue avec beaucoup plus d’acuité.
Ce jour-là, j’ai lu avec intérêt, madame la ministre, votre interview sur ce sujet dans Le Parisien. Je vous rejoins sur la nécessité de lutter contre l’autocensure des femmes. Il est essentiel qu’elles prennent conscience de leur valeur et osent prétendre à des augmentations de salaire et à des évolutions de carrière. L’objectif est que le Equal Pay Day se situe très vite au 31 décembre !
Globalement satisfaits de ces avancées sur l’égalité entre les femmes et les hommes, une majorité des membres de mon groupe se joindront à moi pour voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois, Mmes Maryvonne Blondin et Esther Benbassa ainsi que M. Roland Courteau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.