M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons la discussion de ce qui sera certainement la grande loi du quinquennat, portant sur l’agriculture et sa modernisation.
Il nous faut donc saisir cette occasion – en gardant à l’esprit qu’elle sera peut-être la seule avant longtemps – pour mieux protéger la santé des agriculteurs et des riverains d’exploitations, les consommateurs et leur alimentation, l’environnement et la santé animale, des méfaits graves et avérés des pesticides.
En octobre 2012, la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, dont j’ai demandé la création et dont j’ai été la rapporteur, rendait ses conclusions, approuvées sur ces travées à l’unanimité. Au terme de sept mois de travail et d’une centaine d’auditions, ce rapport dressait un tableau assez alarmant de la situation sanitaire liée aux pesticides en France.
Ce rapport, parmi ses constats majeurs, établissait que les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont encore sous-évalués ; que le suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ; que les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques qu’ils font peser sur leurs utilisateurs comme sur le reste de la population ; que les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles ne prennent pas suffisamment en compte la problématique de santé.
Dès lors, je me réjouis que le projet de loi prenne la mesure de ces constats graves, en retenant notamment, sur certains points, les recommandations de la mission d’information. Je veux remercier le ministre et son cabinet pour la disponibilité et l’écoute dont ils ont constamment fait preuve durant les mois de travail de la mission parlementaire comme par la suite.
Venons-en à ces mesures. Outil précieux pour la collecte des données de terrain, le dispositif de phyto-pharmacovigilance, dont la création a été recommandée par la mission, permettra de surveiller avec précision les effets en situation réelle des produits phytopharmaceutiques.
Complémentaire, la mise en place d’un suivi post-AMM, que réclamait également la mission commune d’information, permettra d’en finir avec une anomalie sanitaire, certains produits, une fois autorisés sur dossier, ne faisant l’objet d’aucun contrôle pendant des années.
Bien que ce principe soit imparfaitement consacré, le projet de loi a également le mérite d’affirmer que la vente de pesticides doit être accompagnée de conseils d’utilisation et de précaution délivrés par des professionnels formés.
Corrélativement à ces mesures d’encadrement et de réglementation, les dispositions destinées à favoriser l’essor des méthodes alternatives en encourageant le développement des produits de bio-contrôle ne sont pas oubliées dans le projet de loi.
Ce train de mesures, que je n’ai pas le temps d’examiner plus en détail, permettra d’engager un véritable basculement vers la lutte intégrée et la réduction de la consommation de produits phytosanitaires.
De manière plus générale, nous faisons, avec ce projet de loi, le pari de l’agroécologie : preuve que la prise en compte des problématiques de santé et d’environnement, loin de s’y opposer, est bien complémentaire du souci de moderniser l’agriculture de notre pays et d’apporter des solutions aux besoins économiques de nos agriculteurs.
Les sénateurs du groupe socialiste enrichiront le projet de loi en défendant plusieurs amendements portant sur des questions importantes. Je pense en particulier à la définition des sanctions en cas de fraude ou de trafic illégal de produits pesticides et à la possibilité d’introduire des distances de sécurité entre des habitations et les zones d’utilisation de produits phytosanitaires. Je pense aussi à la prise en compte des adjuvants dans les décisions d’AMM de l’ANSES et au renforcement des pouvoirs de contrôle et d’information du Parlement à l’égard de cette agence.
Concernant l’ANSES, j’espère bien que, au moment de la refonte de ses prérogatives, le ministre pourra nous donner des garanties sur les moyens qui lui seront accordés, en particulier sur la levée des plafonds d’emplois. Ce point est crucial et fondamental pour la réussite des missions que nous souhaitons lui confier.
Toutefois, je tiens à exprimer deux regrets.
En premier lieu, j’estime que la restriction de la publicité qui semble se dessiner à ce stade de la discussion est insuffisante. En effet, l’enjeu central d’une politique visant à réduire les risques liés aux pesticides reste celui de la diminution des volumes consommés, un résultat qu’on est aujourd’hui bien loin d’obtenir. Or ce changement de paradigme ne pourra pas se produire si nous continuons de laisser les pesticides être présentés aux agriculteurs comme des produits miracles.
En second lieu, je constate que le projet de loi comporte peu d’avancées en ce qui concerne le dépistage, la reconnaissance et la compensation des maladies professionnelles. Mes chers collègues, nous ne devons pas abandonner cet objectif fondamental : j’espère qu’il sera mieux pris en compte lors de la suite de l’examen du projet de loi, mais aussi dans les prochains textes relatifs à la santé.
Enfin, je profite de ma présence à la tribune pour exhorter le ministre à porter au niveau européen une voix de la France qui soit ambitieuse, comme il a su si bien le faire dans d’autres dossiers. Je pense en particulier à la stratégie sur les perturbateurs endocriniens, qui, en dépit des blocages de la Commission européenne, doit impérativement être relancée.
De même, il serait important de plaider pour la création d’un fonds de recherche public et indépendant dans le domaine de la santé ; ce fonds devrait être financé par les industriels et disposer de moyens suffisants pour réaliser des études d’envergure indépendantes sur les risques sanitaires et environnementaux insuffisamment documentés.
M. Joël Labbé. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le ministre, mes chers collègues, si j’appelle à amplifier l’orientation prise, je ne minimise pas l’ampleur des avancées que nous allons opérer. Aussi suis-je heureuse de constater que le travail de notre mission commune d’information porte ses fruits. C’est pourquoi je voterai le projet de loi avec enthousiasme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt – c’est ainsi qu’il s’intitule ! – dont nous allons débattre dans les heures et les jours qui viennent appelle de ma part quelques commentaires. À cet égard, permettez-moi de souligner deux points essentiels.
D’abord, il faut reconnaître que le champ est devenu un espace social, selon l’expression de M. Babusiaux, ancien directeur du Conseil national de l’alimentation.
En d’autres termes, l’agriculture, désormais, est aussi productrice de biens publics : les paysages, l’eau, l’air. Pour autant, cette réalité sociétale ne doit pas nous faire oublier que la mission première de l’agriculture reste de produire et donc de nourrir les hommes.
Ensuite, nous ne pouvons pas parler de politique agricole sans replacer l’agriculture française dans son contexte européen, ni, parallèlement, sans considérer la politique que mènent les États-Unis, déterminée par le Farm Bill, adopté par le Congrès le 4 février dernier. De ce double point de vue, que constate-t-on ?
L’Europe consacrera 385 milliards d’euros à la PAC au cours de la période 2014-2020, soit 55 milliards d’euros par an, quand les États-Unis affecteront à leur agriculture 956,4 milliards de dollars, soit un peu moins de 700 milliards d’euros, en dix ans, c’est-à-dire 70 milliards d’euros par an.
L’Europe, et donc la France, a globalement découplé ses aides à la production, tandis que les États-Unis font l’inverse.
On constate également que l’Europe ne garantit pas véritablement le revenu de ses agriculteurs, alors que les États-Unis le font, au risque d’être en délicatesse, voire en contradiction, avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
M. Charles Revet. Ce n’est pas leur problème !
M. Jean Bizet. Nous n’ignorons pas que les crédits d’intervention sont passés, en un quart de siècle, de près de 80 % à 5 % des crédits de la PAC. En d’autres termes, gouvernement après gouvernement – toutes sensibilités politiques confondues –, les fonds publics diminuent, laissant les agriculteurs de plus en plus soumis aux fluctuations et aux règles du marché.
Si, en tant que libéral, cette situation ne me heurte pas fondamentalement, je m’inquiète toutefois des disparités entre les deux côtés de l’Atlantique : demain, les farmers américains, dotés d’une garantie de revenu assez forte, seront mieux armés que les agriculteurs français pour aborder l’avenir.
Permettez-moi, monsieur le ministre, d’ajouter un autre motif d’inquiétude : notre incapacité, gouvernement après gouvernement, là encore, à assurer autant que faire se peut un minimum d’équité dans le partage de la valeur ajoutée, de l’amont à l’aval. J’irai même plus loin : la stratégie politique des prix bas menée par le leader de la grande distribution française est dangereuse à moyen et long terme pour les consommateurs eux-mêmes ; à court et moyen terme, elle est dévastatrice pour nos outils de transformation, dont la restructuration, la modernisation et l’agrandissement sont sans cesse reportés, faute de marges financières suffisantes.
Notre collègue Dominique de Legge ayant exposé ce problème il y a quelques instants, je me contenterai de vous rappeler que, en l’espace de six mois, la grande distribution a accepté, en Allemagne, trois augmentations successives du prix des matières premières laitières, alors qu’aucune évolution n’est intervenue en France. (M. Didier Guillaume, rapporteur, acquiesce.) En d’autres termes, la grande distribution française sera comptable, demain, de la non-modernisation et de la non-restructuration de nos outils de transformation.
Monsieur le ministre, vous êtes trop averti des problématiques agricoles pour ignorer que les drames bretons, qui sont loin d’être résolus, tiennent essentiellement à ce problème, qui risque de gagner l’ensemble du territoire national, notamment dans la filière de la viande blanche et dans la filière laitière.
Ce projet de loi d’avenir, avec les GIEE, le bail environnemental et la modification fondamentale du rôle de l’ANSES, constitue, à mes yeux, un rendez-vous manqué ; je le regrette, et les agriculteurs français plus encore.
Monsieur le ministre, je vous invite à ne pas manquer un autre rendez-vous : celui qui est programmé à mi-parcours de la PAC, en 2016. Plus qu’un rendez-vous de mi-parcours, il faudra sans doute en faire un rendez-vous destiné à accompagner et à encourager davantage les agriculteurs en matière de productivité et de compétitivité.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean Bizet. En effet, le temps économique est beaucoup plus rapide que le temps politique. Que l’on adopte pour sept ans une stratégie aussi différente de celle de notre principal concurrent m’inquiète, et ce d’autant plus que nous sommes dans un monde de compétition. Loin d’opposer nos agriculteurs – M. le rapporteur Didier Guillaume a très clairement souligné la nécessité de préserver nos produits sous signe de qualité –, il convient de conforter et de développer plus encore qu’aujourd’hui la productivité, la compétitivité et la capacité d’exportation de l’agriculture et de l’agroalimentaire français, sources d’emplois dans nos territoires.
Monsieur le ministre, vous l’avez deviné : votre projet de loi manque de souffle. Il me laisse sans voix : j’en suis désolé, vous n’aurez pas la mienne ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur le titre IV du projet de loi, qui regroupe les articles 26 à 27 ter.
Ces dispositions consacrées à l’enseignement agricole sont centrales, puisque notre système d’enseignement et de recherche devra s’affirmer comme le pilier de la transition agroécologique portée par ce projet de loi, au service d’un double objectif : performance économique et écologique.
Le titre IV traite de trois enjeux majeurs : l’agroécologie, la promotion sociale par l’enseignement agricole, ainsi que les dimensions européenne et internationale.
D’abord, il faut favoriser l’agroécologie, en formant à produire autrement. Pour ce faire, nous avons besoin d’une meilleure articulation des missions des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles et de leurs exploitations avec les orientations des politiques publiques pour l’agriculture. Il convient aussi de prévoir l’obligation d’inscrire la coopération internationale dans le projet d’établissement.
Ensuite, il convient de renforcer l’enseignement agricole comme outil innovant de promotion sociale, dans la logique de la refondation de l’école. Cette politique passe par l’acquisition progressive des diplômes, l’alignement des bourses sur le droit commun et l’ouverture des écoles d’ingénieurs aux bacheliers professionnels par la création d’une voie d’accès spécifique, ainsi que par le développement de la mobilité internationale.
Enfin, nous devons développer les coopérations thématiques renforcées sur la base du volontariat des acteurs, consolider la capacité d’expertise et accroître la visibilité internationale de notre enseignement supérieur agricole et de la recherche dans ce domaine.
Tel est l’objectif de la création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAV2F.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Excellent organisme !
M. Jacques-Bernard Magner. En effet, monsieur le rapporteur, car il permettra d’approfondir la coopération entre les acteurs de la recherche et de la formation agronomiques et vétérinaires, entamée via l’actuel établissement public de coopération scientifique, Agreenium.
La création de ce nouvel institut répondra, avec la mise en œuvre des orientations stratégiques nationales, à une double exigence : atteindre la masse critique nécessaire au rayonnement international, tout en conciliant le maintien de l’identité de chaque établissement et de sa politique de site.
Le groupe socialiste a mené de nombreuses auditions sur ce sujet ; il a notamment entendu des représentants des écoles vétérinaires, des écoles agronomiques et des syndicats. Nous avons constaté qu’il existait un large consensus sur la nécessité d’accroître le travail en commun des différents acteurs et sur la mission de pilotage stratégique qui doit être confiée à l’institut.
Nous avons également entendu la demande de clarification sur la structuration et la gouvernance de l’institut, avec, cependant, un impératif : il ne faut pas confondre gouvernance et coopération thématique. Nous n’avons pas besoin d’une grosse structure administrative : l’IAV2F doit être, avant tout, une structure fédérative, de coordination opérationnelle, capable de développer une dynamique de projets.
En devenant un établissement public à caractère administratif, l’IAV2F bénéficiera d’une véritable autonomie juridique, administrative et financière, qui lui permettra de mener à bien ses missions ; un directeur nommé par décret sera placé à sa tête et un conseil d’administration déterminera sa politique.
Monsieur le ministre, nous avons déposé plusieurs amendements à l’article 27 tendant, notamment, à mettre en place deux structures chargées d’épauler le conseil d’administration de l’IAV2F et d’alléger sa composition et ses missions : le conseil d’orientation stratégique et le conseil des membres. L’adjonction de ces deux instances permettra d’assurer la représentativité de toutes les composantes et de tous les membres de l’institut, tout en garantissant un fonctionnement opérationnel.
Nous proposons que le conseil d’orientation stratégique soit composé de personnalités qualifiées françaises et étrangères. Quant au conseil des membres, il réunirait un représentant au moins de chacun des membres de l’IAV2F. Associé à la préparation des travaux et à la mise en œuvre des décisions du conseil d’administration, il sera également consulté par celui-ci préalablement à l’adoption du programme de travail et du budget de l’institut.
Comme vous l’avez affirmé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, l’enseignement agricole est l’un des outils fondamentaux pour faire progresser l’agroécologie. Le titre IV du projet de loi est porteur d’une ambition forte pour l’enseignement agricole, qui doit être la matrice d’anticipation de nouveaux modèles de production et de nouvelles pratiques pour les futurs chefs d’exploitation.
Mme Françoise Férat. Ah bon ?
M. Jacques-Bernard Magner. Il permet, par ailleurs, à chacun de s’approprier les objectifs de participation au service public numérique, ainsi que d’accéder aux aides à la mobilité internationale.
La création de I’IAV2F participe, enfin, à assurer la structuration verticale de l’enseignement agricole, des débuts de la formation jusqu’aux plus hauts niveaux de l’enseignement et de la recherche.
C’est une belle ambition qui est portée par votre projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, monsieur le ministre. Nous la soutenons avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a été préparé avec sérieux par les services du ministère de l’agriculture, et examiné de manière approfondie par les rapporteurs et les différentes commissions du Sénat, qui se sont prononcées. Néanmoins, c’est un projet dont on peut dire qu’il porte mal son nom.
M. Philippe Bas. Il s’agit plutôt d’un texte portant diverses mesures d’ordre agricole et sylvicole.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Philippe Bas. Certaines de ses dispositions, sans être révolutionnaires, ni même à la hauteur des enjeux de la production agricole dans notre pays, sont positives et bénéfiques. D’autres, parce qu’elles sont inspirées par une approche assez punitive de l’écologie, devront être, de notre point de vue, si ce n’est être amendées, du moins, le plus souvent malheureusement, rejetées.
Il est vrai que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche…
M. Charles Revet. C’était une très bonne loi !
M. Philippe Bas. … n’a été votée que depuis quelques années. L’exercice consistant à vouloir refonder la politique agricole de notre pays était, en réalité, du fait de l’ampleur de ce texte, hors de portée.
Avant tout, je veux souligner que l’avenir de l’agriculture dépend d’abord des agriculteurs eux-mêmes !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Philippe Bas. Je suis heureux de constater que le mot « compétitivité » n’est plus aujourd'hui à proscrire quand il est question de politique agricole. Au contraire, l’ensemble des agriculteurs de notre pays se reconnaissent dans cet objectif, et ils ont raison. Si la politique agricole commune reste essentielle pour le développement des exploitations, les recettes qu’elle apporte à l’agriculture représentent, il faut s’en souvenir, 11 % du total des recettes d’exploitation. Par conséquent, l’essentiel pour nos agriculteurs est la manière dont leur activité sera confortée grâce à la formation, l’innovation, la modernisation des exploitations et l’installation des jeunes agriculteurs.
À cet égard, les évolutions structurelles qu’a connues notre agriculture depuis une vingtaine d’années doivent se poursuivre même si beaucoup d’entre elles soulèvent des questions aujourd'hui sans réponse. Le nombre total des exploitations a diminué fortement en vingt ans, puisque la baisse est de 50 %. Les exploitations de grande taille représentent désormais un tiers des exploitations ; elles doivent coexister avec des structures familiales plus modestes, elles aussi appelées à se transformer et à grandir.
En dix ans, le nombre de jeunes de moins de quarante ans qui se sont installés est passé de 34 % à 23 %. La moyenne d’âge des agriculteurs est de cinquante ans, ce qui entraînera de profondes modifications pour nos exploitations dans les dix ou quinze ans à venir. En cinquante ans, la France a perdu près de 20 % de sa surface agricole utile. Notre agriculture doit donc relever un grand nombre de défis. Or je ne trouve pas dans le projet de loi de réponse majeure à l’ensemble de ces questions.
M. Roland Courteau. Relisez-le !
M. Philippe Bas. Certes, il est possible que ce texte contienne quelques améliorations – nous aurons l’occasion d’en discuter –, mais aucune des dispositions prévues n’est ambitieuse au point de lui valoir l’appellation qui est la sienne, une loi d’avenir !
S’agissant de la formation, un certain nombre de points concrets auraient pu être abordés. La sécurité au travail crée aujourd'hui des difficultés : les apprentis ne peuvent plus monter sur un escabeau ? (M. Bruno Sido s’esclaffe.) La rémunération des stagiaires dissuadera également beaucoup de nos agriculteurs.
Par ailleurs, le projet de loi ne prend pas en compte les maisons familiales rurales,…
M. Charles Revet. Très juste !
M. Didier Guillaume, rapporteur. Mais si !
M. Philippe Bas. … alors qu’il traite pourtant de la question de l’enseignement. Il faut valoriser les maisons familiales rurales, car elles jouent un rôle très important dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Philippe Bas. En matière d’environnement, aucune mesure n’est prévue pour accompagner financièrement les agriculteurs dans leurs investissements pour le stockage des effluents, par exemple.
De plus, rien n’est envisagé pour l’entretien des cours d’eau et l’autorisation de nouvelles retenues d’eau. Et si je constate, heureusement, que l’ANSES sera dotée des pleins pouvoirs s’agissant des autorisations de mise sur le marché des pesticides, il n’en ira pas de même s’agissant de la question essentielle des semences OGM, sujet à propos duquel la politisation des décisions vient de nouveau d’être démontrée, alors que le principe de décision reposant sur l’expertise devrait être appliqué.
Enfin, je me réjouis que notre rapporteur Philippe Leroy…
M. Charles Revet. Excellent rapporteur !
M. Philippe Bas. … ait amorcé des discussions pour rapprocher chasseurs et sylviculteurs, tout en reconnaissant qu’ils sont déjà proches en réalité. Néanmoins, l’inquiétude des chasseurs sur un certain nombre de dispositions relatives à la gestion de la forêt française doit être entendue. C’est aujourd'hui un impératif majeur.
Voilà, en quelques mots, l’essentiel des remarques que je voulais formuler, mêlant à la fois les questions concrètes aux réponses ambitieuses que nous devons apporter aux grands enjeux qui se posent pour l’avenir de notre agriculture.
J’aurais voulu évoquer la filière équine, malmenée par les dispositions malheureusement prises en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Philippe Bas. Nous ne pouvons pas laisser cette filière sans réponse, car elle est aujourd'hui en difficulté ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à certains orateurs précédents,…
M. Bruno Sido. Ça commence bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. … j’ai, pour ma part, la conviction que le texte dont nous discutons aujourd’hui porte une vision nouvelle pour notre agriculture, qui se veut en cohérence avec notre modèle de société en pleine évolution.
C’est ce contexte particulier que j’ai délibérément choisi d’aborder. Il renvoie, en toute logique, aux problématiques des jeunes agriculteurs, de leur formation, de leur installation et de leurs modes de fonctionnement. Bref, vous l’aurez compris, mes chers collègues, à mes yeux, ce texte fait délibérément le pari de l’avenir ! (Marques d’amusement sur les travées de l'UMP.) L’intitulé de ce projet de loi « d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt » n’est donc ni fortuit ni le fruit du hasard, n’en déplaise, je le répète, aux sceptiques qui se trouvent à droite de l’hémicycle…
M. Didier Guillaume, rapporteur. Tout à fait ! C’est clair !
M. Jean-Jacques Mirassou. Hier soir, l’un des vôtres, chers collègues de l’opposition, n’a pas hésité à déclarer qu’un certain nombre de lois déjà anciennes étaient magnifiques, tout en reconnaissant dans la même phrase que la situation de notre agriculture était catastrophique ! Choisissez mieux vos arguments !
M. Didier Guillaume, rapporteur. C’est vrai !
M. Charles Revet. Oui, mais le contexte a changé !
M. Jean-Jacques Mirassou. Quoi qu’il en soit, tout le monde partage le même constat : confrontée à la mondialisation, l’agriculture française a perdu des parts de marché. Elle doit donc renforcer sa compétitivité. Dans le même temps, elle peut et doit valoriser les espaces ruraux, qui ont besoin d’un tissu d’exploitations vivant, où les agriculteurs bénéficient enfin de bonnes conditions de travail et de vie. Ces derniers le méritent, car ils sont, tout le monde s’accordera à le reconnaître, la clef du dynamisme d’un secteur économique stratégique pour notre pays.
Dans ce texte, monsieur le ministre, vous mettez en avant un nouveau concept qui vous tient particulièrement à cœur – on le comprend –, car il est, selon moi, puissamment novateur : je veux parler de l’agroécologie.
Votre ambition est d’ouvrir la voie d’une agriculture conjuguant performance économique et écologique de façon complémentaire et sans ambiguïté entre les deux termes.
Je peux comprendre les doutes ou les hésitations du monde agricole qui ont été exprimés hier soir par notre collègue Alain Bertrand, car les agriculteurs voient toujours arriver avec un peu de crainte un nouveau concept. Néanmoins, j’ai tout de même la faiblesse de penser que l’agroécologie permettra de réconcilier l’agriculture avec les acteurs à l’autre bout de la chaîne, à savoir les consommateurs. Nous ne pourrons pas faire l’économie de cette réflexion.
La création des groupements d’intérêt économique et environnemental symbolise parfaitement, en tant qu’outils, cette approche intégrée. Ils ont d’ailleurs été renforcés dans leur dimension sociale par notre rapporteur Didier Guillaume.
Le souci concernant le quotidien des agriculteurs apparaît nettement dans un texte qui favorise par définition – il y est question d’avenir ! – l’installation des jeunes.
Je veux citer, par exemple, l’extension jusqu’à trente ans du contrat de génération pour l’agriculture, qui constitue une initiative précieuse, afin de répondre au problème préoccupant de la baisse de la population agricole évoqué par les uns et par les autres. En effet, le taux de remplacement de l’ancienne génération est bloqué à un peu plus de 60 %, alors que le nombre total d’exploitations agricoles est passé de 660 000 à 490 000 entre 2000 et 2010.
L’autre défi que vous entendez relever, monsieur le ministre, concerne la formation des jeunes agriculteurs, mais aussi la recherche et l’innovation, afin de faire face aux enjeux du XXIe siècle. C’est ce que vise à garantir la création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, qui permettra la valorisation de l’excellence française dans ces domaines.
Je me félicite, enfin, qu’une demande ancienne ait été satisfaite, puisque le texte entend donner un nouveau cadre et un nouveau départ à l’enseignement agricole, qui restera fort légitimement – c’est fondamental ! – dans le giron du ministère de l’agriculture. Les passerelles pour les jeunes entre les bacs professionnels et l’enseignement supérieur constituent, par ailleurs, une précieuse avancée.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je voulais dire en quelques minutes. Je suis persuadé que le débat qui s’ouvre, parce qu’il est passionnant, confortera l’enthousiasme des uns et nivellera peut-être le scepticisme des autres. Pour ce qui nous concerne – est-il besoin de le préciser ? –, nous apporterons un soutien sans faille à ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)