Mme Éliane Assassi. C’est une plaisanterie ?
M. Victorin Lurel, ministre. Au reste, la progression du taux général de chômage est aujourd’hui bien moindre qu’en métropole.
Parmi ces signes encourageants figure également l’amélioration de la situation de nos entreprises locales au regard des dettes fiscales et sociales. Cela témoigne que l’état de leur trésorerie s’améliore sensiblement. (Mme Éliane Assassi manifeste son scepticisme.) On est encore loin du compte, mais la situation évolue dans le bon sens.
Ainsi, à la fin de 2013, le taux d’impayés s’élevait à 16 % pour les DOM, soit une baisse de 3,8 points par rapport à l’an dernier et une diminution de la dette sociale de plus de 142 millions d’euros en un an seulement. Nous venons de loin, mais un reflux s’amorce.
Les taux s’améliorent pour la majorité des catégories de cotisants : ainsi, on constate une baisse de 3,3 points pour le secteur public et de 1,6 point pour le secteur privé. Le taux des entreprises privées de plus de neuf salariés s’améliore de 0,8 point, et celui des plus petites entreprises de plus de 2 points durant cette même période. Il convient de le signaler.
Enfin, l’indicateur du climat des affaires établi par l’IEDOM, l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, qui poursuit sa progression au quatrième trimestre de 2013, confirme un regain de confiance et reflète un contexte économique plus optimiste.
Naturellement, notre effort doit se poursuivre et s’amplifier, mais il est bon, dans cette période de sinistrose générale, de le dire : les signaux sont positifs, même si beaucoup reste à faire.
C’est tout l’objet du pacte de responsabilité annoncé par le Président de la République, qui sera décliné dans les outre-mer.
En effet, les économies ultramarines n’ont pas encore retrouvé le chemin d’une croissance pérenne. La persistance d’un taux de chômage élevé en est le principal symptôme.
Handicapées par leur insularité et l’étroitesse de leur marché domestique, les économies ultramarines sont fragiles et mal armées pour affermir leur développement et affronter la concurrence, notamment régionale.
Disons-le, cette situation illustre l’échec de la politique de la précédente majorité, qui était avant tout fondée sur une addition d’outils et de mesures et sur l’illusion d’un développement endogène non financé, synonyme d’un retrait de l’État qui ne disait pas son nom.
Aussi le respect de nos engagements exigeait-il des réponses fortes.
La consolidation du budget du ministère ces deux dernières années, je l’ai dit, en a été la première et visible traduction.
Trois chantiers majeurs ont permis, en 2013, d’engager de manière adaptée dans les outre-mer une stratégie globale dans le respect des priorités fixées par le Premier ministre : la mise en œuvre de la loi relative à la régulation économique outre-mer, la réforme de la défiscalisation, le déploiement de la Banque publique d’investissement. Les premiers effets se font déjà sentir, mais il faut aujourd’hui aller plus loin et franchir une nouvelle étape.
C’est dans cet objectif que je réfléchis depuis plusieurs mois, vous le savez, à un projet de loi en faveur de la croissance et de l’emploi outre-mer.
Monsieur le sénateur Vergès, j’ai cru comprendre, au travers de certains de vos propos, que vous souhaitez que ce projet ne soit pas imposé depuis Paris. Je tiens donc à vous rassurer pleinement : comme je l’ai indiqué tout à l’heure devant l’assemblée générale d’une organisation patronale, je souhaite mener une concertation étroite. Je l’ai lancée en recevant les sénateurs d’outre-mer, de tous les bords politiques, le 10 décembre dernier, puis les députés, à la mi-janvier, pour leur faire part des grandes orientations de ce futur plan. Vous n’aviez pu être présent ce jour-là, mais je sais que vous ferez le nécessaire pour participer aux prochaines réunions que je proposerai.
Depuis le début de l’année, le pacte de responsabilité proposé par le Président de la République constitue le cadre dans lequel le Gouvernement est appelé à inscrire son action. Il doit donc être intégré dans nos réflexions. Vous en connaissez les grands axes : la poursuite de l’allégement des contraintes, des charges et de la fiscalité des entreprises ; des contreparties en termes de création d’emplois, de renforcement du dialogue social, de l’investissement et de la formation, de relocalisation des activités de production et – pourquoi pas ? – de lutte contre les inégalités salariales. La première chose à faire est de s’atteler à penser une déclinaison utile et pertinente de ce pacte dans les outre-mer.
Le Président de la République l’a rappelé le 23 janvier dernier : « La baisse des charges existe déjà en outre-mer, donc si je la propose pour toutes les entreprises, cela ne fera pas d’avantage significatif pour les entreprises ultramarines. […] je suis prêt à adapter, avec les employeurs d’outre-mer, le Pacte de responsabilité à ces territoires. »
Il nous faut donc saisir cet espace et l’investir. Nous avons commencé à le faire.
J’ai des projets, bien entendu, et ils se structurent progressivement à la lumière de mes échanges avec les acteurs politiques, économiques et sociaux, mais je souhaite écouter, avant de les formaliser. C’est la raison pour laquelle j’ai engagé un cycle de réunions, afin de faire le point avec les parties prenantes sur les pistes qu’elles privilégient.
Toutefois, le projet que je veux construire avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ne se limite pas à la déclinaison législative des mesures nationales qui seront arrêtées dans le cadre du pacte de responsabilité. Nous devons actionner l’ensemble des leviers disponibles afin de stimuler la croissance et l’emploi.
Certaines idées simples, nous le savons, ont parfois le mérite d’être efficaces et rapides à mettre en œuvre, contrairement à ce que disait Paul Valéry, pour qui « le simple est toujours faux ; ce qui ne l’est pas est inutilisable ».
C’est pourquoi, afin de leur conférer la cohérence et la portée nécessaires, je souhaite que toutes ces propositions soient rassemblées dans un ambitieux plan d’action pour la croissance et l’emploi outre-mer.
Précisons tout de suite une chose : la contrainte et l’exigence d’économies que suppose notre trajectoire budgétaire nous contraindront à faire des choix, lesquels ne consisteront pas à tout raboter ou à faire table rase de ce qui existe.
Je veux tout de même rappeler les moyens considérables que le Gouvernement a obtenus lors de la négociation européenne sur les programmes opérationnels pour la période 2014-2020, en dépit du contexte budgétaire que nul n’ignore. Les fonds structurels des régions d’outre-mer augmenteront de 23 % par rapport à la période 2007-2013. Ils financeront notamment une initiative inédite en faveur de l’emploi des jeunes, à hauteur de 70 millions d’euros pour les deux prochaines années. Le FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural, augmentera, quant à lui, de 31 %, et la Réunion, je me permets de le souligner, bénéficiera de 45 % de cette enveloppe.
Plutôt que de réclamer – ce n’est pas votre cas, mais je l’entends ici ou là – une avalanche de moyens supplémentaires, pour le moins incertaine compte tenu de notre situation, je vous propose aussi de travailler avec le Gouvernement à rendre plus efficaces et plus efficients les moyens dont nous disposons aujourd’hui.
Vous avez émis, monsieur le sénateur, des propositions qui sont – et c’est tout à votre honneur – particulièrement audacieuses, dont nous avons déjà écarté certaines. Tout à l’heure, j’ai posé la question du changement de paradigme. Êtes-vous prêts à faire preuve d’audace ? Êtes-vous prêts à sortir du territoire douanier d’exportation ? Non ! Êtes-vous prêts à sortir du territoire douanier européen ? Non ! Êtes-vous prêts à renoncer au statut de région ultrapériphérique ? Non ! Êtes-vous prêts, comme Saint-Barthélemy, à demander le statut européen de pays et territoire d’outre-mer associé ? Non ! Quelle est la volonté électorale et politique des populations ? Elle est en général de rester dans le droit commun : il faut donc tenir compte de ces données démocratiques.
Par conséquent, nous sommes opposés à certaines de vos propositions, monsieur le sénateur, comme je viens de le dire devant une autre assemblée. Je pense notamment à la suppression des sur-rémunérations des fonctionnaires : cette proposition, que vous partagez avec, notamment, des acteurs du monde des entreprises, a été écartée par le Président de la République lui-même lors de la campagne présidentielle.
M. Éric Doligé. Il peut peut-être y revenir ?
M. Éric Doligé. Il ne faut jamais dire « jamais » !
M. Victorin Lurel, ministre. … sur les acquis sociaux des agents en poste, d’autant qu’ils ne nous semblent pas être la cause de tous les maux outre-mer. C’est, bien au contraire, la consommation qui est l’un des principaux moteurs de l’économie outre-mer. Monsieur le sénateur Vergès, je rappelle que nous avons toujours, depuis 1946, mené une politique de la demande outre-mer : peut-être faudrait-il aussi lancer une politique de l’offre, mais ce n’est pas à Paris que l’on en décidera.
En tout état de cause, remettre en cause les sur-rémunérations serait porter un coup sévère et durable à la croissance, pis encore au développement économique. Il faut bien y réfléchir avant d’envisager un tel changement.
M. Éric Doligé. Cela mérite un débat.
M. Victorin Lurel, ministre. L’économiste Bernard Mendès-France avait publié, voilà très longtemps de cela, une analyse économétrique de la situation à la Réunion : ses conclusions différaient de ce que j’entends aujourd'hui. Il convient de raison garder et de bien mesurer les risques d’une évolution aussi fondamentale.
Le Gouvernement, bien entendu, est là pour proposer des outils, des moyens, des conventionnements, pour mettre en œuvre des politiques publiques spécifiques, mais pas – en tout cas, c’est ma conception – pour dire aux élus et aux collectivités locales ce qu’ils doivent faire.
Si certaines de vos propositions, monsieur le sénateur, en particulier en matière institutionnelle, font consensus parmi les élus locaux, le Gouvernement les accueillera de façon positive, mais il est, je le répète, hors de propos de demander à Paris de décider pour vous.
Si je prends la peine de vous répondre en détail, c’est parce que je ne voudrais pas laisser prospérer de fausses pistes et de mauvaises polémiques, reposant par exemple sur l’idée, parfois encore soutenue, en particulier dans la presse réunionnaise, qu’un mauvais traitement serait réservé à la Réunion. Je tiens aujourd'hui, à cette tribune, à faire litière de telles affirmations. Ces polémiques, souvent dirigées contre ma personne, sont blessantes lorsqu’elles relèvent d’une suspicion assez systématique et jamais étayée sur mon impartialité.
Non, le Gouvernement ne traite pas moins bien la Réunion, par exemple dans la répartition des contrats aidés. Ainsi, la Réunion a obtenu une enveloppe permettant de financer 5 000 emplois d’avenir, contre 1 500 pour la Guadeloupe ou la Martinique. Il est simplement dommage que la Réunion n’ait utilisé que 3 000 de ces emplois.
Non, le Gouvernement n’oublie pas les investissements à la Réunion. À cet égard, je ne citerai qu’un seul exemple : le financement du Pôle sanitaire de l’ouest décidé par ce gouvernement, qui vient concrétiser une décennie de combat acharné mené par votre collègue députée-maire Huguette Bello au bénéfice de la santé des Réunionnais.
C’est également ce gouvernement qui concrétise enfin les engagements pris par l’État dans le cadre du protocole de Matignon. Je connais bien sûr votre opinion, monsieur le sénateur, sur le projet retenu par la région Réunion, mais l’État se doit d’être impartial, à la Réunion comme ailleurs, et il ne pouvait priver les Réunionnais des retombées économiques de cet investissement de 1,6 milliard d’euros.
Non, je n’ai jamais décrété la mort de la canne à sucre, secteur essentiel et stratégique pour la Réunion. J’ai déclaré qu’il fallait anticiper la disparition des quotas sucriers, qui ont été condamnés par l’OMC en 2004. Il me semble important, aujourd'hui au Sénat, d’aborder ce sujet qui suscite de la frayeur, de dire qu’il y a égalité de traitement entre tous les territoires et que les moyens sont dispensés en fonction de critères objectifs. Il nous faut penser dès maintenant l’avenir. Dès l’automne dernier, un cabinet d’études indépendant a donc été missionné pour évaluer l’efficacité du système de soutiens publics actuel, dans la perspective notamment de la fin des quotas sucriers. Comment se préparer à celle-ci ? Il me semble que nous aurons tout à gagner à accroître la compétitivité-prix de la filière, à augmenter le niveau de production et à intensifier la compétitivité hors prix, qu’il s’agisse de la qualité, de la sécurité d’approvisionnement, de la logistique ou de l’exploitation des sous-produits.
D’ores et déjà, nous avons activé plusieurs leviers.
Ainsi, nous travaillons à ajuster au mieux le dispositif d’aide à la filière dans le cadre du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, le POSEI, et de l’aide nationale. L’étude actuelle doit nous permettre d’identifier objectivement les diverses situations, d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutiens publics et les éventuels besoins. Ses conclusions sont attendues pour la fin du mois d’avril 2014 et elles vous seront communiquées.
Nous soutenons également la production de cannes. À cet égard, la défense du foncier est une préoccupation majeure. Plusieurs outils y concourent directement, tels que la commission départementale de consommation des espaces agricoles ou l’optimisation de l’utilisation des terres agricoles, notamment à travers la mesure sur l’indivision inscrite dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de mon collègue Stéphane Le Foll.
Il convient en outre d’analyser le développement de la filière sucres spéciaux et d’accompagner la reconnaissance de la qualité, notamment grâce aux indications géographiques protégées.
Nous nous préoccupons d’encourager les nouveaux débouchés, au travers de la chimie verte, de l’innovation, de la recherche. La canne, on le sait, est une plante miraculeuse !
Il importe d’assurer la recette rhum des usines, avec le maintien du régime fiscal pour le rhum : sur ce point, une décision favorable du Conseil européen est intervenue voilà quelques jours.
Enfin, nous envisageons la possibilité que les sucres bruts non destinés au raffinage puissent être considérés comme un produit sensible dans les accords commerciaux en cours ou à venir, dès lors que le partenaire est en capacité d’exporter du sucre sur le marché européen
Au cours du premier semestre de 2014, toute une série de rencontres et de groupes de travail permettra de mutualiser la réflexion de toutes les parties sur la définition d’une stratégie d’ensemble pour la filière et d’arrêter un plan d’action et d’adaptation à la fin des quotas. L’amélioration de la compétitivité, le développement du secteur des sucres spéciaux et la mise en place des démarches de qualité et de reconnaissance géographique constituent des orientations qu’il conviendra bien entendu d’étudier.
Cette perspective de réforme du mécanisme de soutien au secteur sucrier, je le disais, n’est donc en rien une nouveauté : elle est connue depuis près de dix ans, si bien que le POSEI mis en place en 2006 a intégré cette perspective de la fin de l’organisation commune du marché du sucre et qu’une partie essentielle de l’aide au secteur est constituée d’une « aide forfaitaire à la réforme de l’OCM sucre ».
Le secteur bénéficie depuis de nombreuses années d’un soutien public important aux niveaux tant européen que national. Ces aides ont augmenté de manière inversement proportionnelle à la baisse du prix de référence du sucre sur le marché européen. Elles ont ainsi favorisé la stabilité économique de la filière canne-sucre – j’allais ajouter « rhum » – et permis aux sociétés sucrières de mettre en œuvre des investissements importants.
J’ai lu dans la presse et entendu souvent affirmer, ces jours derniers, que ces aides profiteraient plus aux Antilles qu’à la Réunion. Je tiens à répondre sur ce point. On peut entrer dans le détail des chiffres, mais il faut surtout se concentrer sur l’essentiel des aides, s’assurer que leurs modalités correspondent bien aux surcoûts rencontrés par la filière et que le dispositif de soutien est efficace.
Pour le détail de ces aides, je rappelle que le prix de la canne n’est pas fixé par l’État, mais qu’il est construit à partir du prix industriel de base auquel s’ajoutent la valorisation énergie, diverses primes liées aux zones difficiles, une aide nationale à la production de la canne, une fraction de l’indemnité compensatoire aux handicaps naturels, une aide au transport… Toutes les aides sont détaillées dans la convention canne de chaque département, signée par les planteurs.
Le prix industriel de base d’achat de la canne fixé dans les conventions prévoit un prix d’achat de 34,76 euros par tonne pour une richesse en sucre de 8 % en Martinique, de 23,81 euros par tonne pour une richesse de 9 % en Guadeloupe et de 39,49 euros par tonne pour une richesse de 13,8 % à la Réunion. On sait que les variétés de canne sont différentes d’un territoire à l’autre.
Ainsi, en Martinique, le total des aides aboutit à un montant de 84,84 euros par tonne. À la Réunion, la même assiette d’aides s’élève à 85 euros par tonne, sans compter la prime bagasse, qui vient s’ajouter. Il est donc délicat de comparer la situation d’un territoire à celle d’un autre. Surtout, je crois que nous avons besoin d’être unis sur le sujet, plutôt que de jouer la division. Le précédent de la fiscalité sur le rhum est là pour nous rappeler que c’est seulement en étant unis que nous pouvons gagner des combats.
Monsieur le sénateur, vos développements sur la nécessaire ouverture de nos régions outre-mer sur leur environnement sont naturellement frappés au coin du bon sens.
Comme certains d’entre vous le savent, une exposition intitulée « Les outre-mer : territoires d’excellence » se tient actuellement dans les salons du ministère des outre-mer. Onze entreprises y présentent des produits innovants qui démontrent un savoir-faire, souvent ignoré, dans des domaines très variés, tels que les cosmétiques, les biotechnologies, l’aquaculture, les chantiers navals, la cartographie, l’utilisation des fibres végétales, l’agroalimentaire.
Pour trouver des débouchés à ces entreprises, il faut élargir leurs marchés. Les nôtres sont souvent trop étroits. La priorité est donc de réussir l’insertion régionale, mais il faut procéder avec méthode et selon le principe de la réciprocité.
Exporter ne s’improvise pas, et il faut maîtriser toute une mécanique commerciale pour le faire de manière durable. Un apprentissage est nécessaire, or quoi de mieux que d’apprendre avec ses voisins ? Il est bien de se lancer à la conquête du marché caribéen, mais je pense que nous serions plus forts pour le faire si nous réussissions d’abord à créer un véritable marché unique antillais ou – pourquoi pas ? – antillo-guyanais. Les échanges économiques dans l’océan Indien avec l’Afrique du Sud, Madagascar ou le Mozambique sont l’avenir de la Réunion, mais sommes-nous déjà capables d’augmenter d’abord les échanges entre la Réunion et Mayotte ? Cet apprentissage achevé, ce savoir-faire commercial acquis, il faudra aussi penser à la grande exportation, pour ceux qui le pourront.
Je voudrais également insister sur la question des services. Les outre-mer sont des morceaux de France, et donc d’Europe, dans l’océan Indien, l’océan Pacifique ou l’océan Atlantique. Ils sont pour la plupart d’entre eux des morceaux d’économies développées – ce terme de « morceaux » a soulevé bien des polémiques lorsque nous étions plus jeunes – entourés de voisins qui, souvent, le sont moins. Ils offrent donc des services dans certains secteurs demandant de hauts niveaux de compétences et des infrastructures publiques efficaces. Cet atout doit être valorisé.
J’illustrerai mon propos par quelques exemples. J’ai organisé au mois de mai dernier, avec ma collègue Fleur Pellerin, une journée du numérique en outre-mer, dans le but de donner une information précise aux collectivités et aux opérateurs sur la politique du Gouvernement et de mobiliser les énergies sur les projets nouveaux, tel le plan « très haut débit », dans lequel l’État investit beaucoup d’argent.
J’ai reçu la semaine dernière le directeur de la mission « très haut débit », qui m’a fait un tableau complet de l’avancement des projets. Les choses progressent et, si elles maintiennent le rythme, les collectivités d’outre-mer peuvent devenir des territoires d’excellence numérique, ce qui les aidera à mieux surmonter les handicaps de l’insularité et de l’éloignement. Le rétrécissement du monde que provoque le développement des échanges numériques en ligne est une aubaine pour nos territoires.
Le ministère des outre-mer accueillera, le 6 mars prochain, la réunion du comité consultatif « France très haut débit », qui examinera les projets de quatre départements d’outre-mer. J’espère que des avis favorables seront donnés et que les fonds d’État seront débloqués pour mettre en œuvre ces projets. J’espère aussi que le projet guyanais sera présenté prochainement et que ce département rejoindra le groupe de tête rapidement.
Enfin, le Gouvernement a annoncé, par la voie d’un communiqué commun avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, le lancement de la sélection des candidats pour les licences mobiles 4G en outre-mer.
Depuis la journée du numérique en outre-mer que j’avais organisée avec Fleur Pellerin, nous avons, en huit mois, bien travaillé. Des dossiers majeurs sont entrés dans une phase opérationnelle pour préparer l’avenir de nos territoires.
La transition énergétique en outre-mer est un autre sujet crucial, qui a été évoqué par tous.
À la différence de l’Hexagone, qui bénéficie de la production nucléaire nationale, les outre-mer sont très dépendants des énergies fossiles. Ils doivent donc passer du pétrole aux énergies renouvelables.
Or, en ce domaine, nous sommes riches. Énergie solaire, éolien, géothermie, énergie thermique des mers, biomasse : une large palette de technologies est utilisable en outre-mer, même si certaines ne sont pas encore matures et doivent passer par une phase d’expérimentation. Avec la biodiversité, cette transition énergétique sera un de nos atouts à long terme, y compris pour relancer le tourisme.
Une fois le savoir-faire acquis, une fois que nos entreprises auront une vitrine technologique à valoriser, elles pourront exporter ces compétences dans des pays comparables, notamment insulaires. Il faut donc en faire un de nos axes de développement et de compétitivité.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait de la transition énergétique un enjeu essentiel pour les outre-mer. Celle-ci est en conséquence au cœur de l’action du ministère pour cette année 2014.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Victorin Lurel, ministre. La transition énergétique est en effet porteuse, dans ces territoires, de la fin de la dépendance aux importations d’hydrocarbures, d’économies au titre de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE, et donc de la solidarité nationale, par la substitution progressive des énergies renouvelables de plus en plus compétitives aux productions électriques thermiques classiques soumises aux cours des hydrocarbures, d’opportunités inédites de création de valeur ajoutée locale et d’emplois non délocalisables, de performance écologique, facteur d’image positive et donc d’attractivité économique, par exemple sur le plan touristique, et enfin de respect des engagements internationaux de la France en matière de décarbonation de son mix énergétique.
M. Jean Desessard. Mais c’est très bien, ce que vous dites là ! (Sourires.)
M. Victorin Lurel, ministre. Une première mondiale a lieu à Mayotte – on ne le sait pas toujours –, sur l’initiative d’une entreprise locale qui attend la publication prochaine d’un décret sur le stockage de l’énergie. Nous avons très significativement avancé sur cette question majeure.
Le débat national sur la transition énergétique a permis une expression complète des enjeux, contraintes et atouts des outre-mer en la matière, que ce soit au travers des débats régionaux menés dans les territoires et de leur synthèse, réalisée en juillet dernier, ou grâce à la contribution du réseau « Pure Avenir », qu’il convient de saluer et qui résulte d’une coopération entre la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Corse.
Le projet de loi en préparation permet une bonne prise en compte des enjeux, contraintes et atouts pour les outre-mer, car il prévoit, au titre de ses mesures nationales, une évolution des outils et de la gouvernance de la transition énergétique, un soutien prioritaire à la maîtrise de la demande en énergie et de l’efficacité énergétique, la lutte contre la précarité énergétique, la promotion du développement des énergies renouvelables.
Toutefois, des mesures supplémentaires, issues des travaux spécifiques aux zones non interconnectées, sont proposées et doivent constituer un véritable titre consacré à l’outre-mer au sein de la loi.
Ces mesures prennent la forme de treize propositions d’articles, en cours de négociation interministérielle, dont les plus significatives sont la mise en place d’une stratégie de rénovation énergétique du bâti existant et de retrait des équipements électriques les moins performants, l’amélioration du dispositif des certificats d’économie d’énergie, le développement de la filière photovoltaïque en auto- consommation – ce n’est pas nous qui avons cassé le modèle économique du photovoltaïque –, la création d’une redevance communale en matière de géothermie, l’obligation d’autorité organisatrice unique de transports et le développement des bornes de recharge des véhicules électriques – dont la mise en place a commencé à la Réunion –, l’évolution des paramètres d’analyse des projets de la Commission de régulation de l’énergie.
Je vous sais particulièrement mobilisé sur ces sujets, monsieur Vergès, et suis convaincu que vous serez au rendez-vous du grand débat qui se tiendra lors de l’examen parlementaire de ce texte, tout comme les autres sénateurs qui sont également intervenus sur ce sujet, ainsi que sur le futur projet de loi sur la biodiversité.
M. le président. Monsieur le ministre, nous vous remercions vivement de la précision de vos réponses, mais je dois vous demander d’être aussi concis que possible, car l’heure du débat avec Mme Pellerin sur l’épargne populaire est venue.
M. Victorin Lurel, ministre. J’avais prévu de répondre précisément à chacun, mais j’abrégerai donc mon propos.
Monsieur Frogier, en tant que signataire historique de l’accord de Nouméa, vous m’interrogez sur la préparation des élections provinciales qui auront lieu le 11 mai prochain.
Vous le savez, l’État a un rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’accord de Nouméa de 1998. Au même titre que les indépendantistes ou les non-indépendantistes, il en est signataire, il en est garant.
J’ai toujours dit – et le Premier ministre l’a dit aussi lors du congrès, en juillet dernier – que l’État était un partenaire à part entière, neutre mais pas inactif, un partenaire engagé pour la réussite du processus de l’accord de Nouméa, mais un partenaire attentif aux aspirations de l’ensemble des communautés qui composent la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui, et respectueux des opinions de tous.
L’année 2014 est cruciale pour le destin de la Nouvelle-Calédonie. C’est en effet le congrès issu des élections provinciales du 11 mai prochain qui aura la faculté de demander à l’État, à la majorité des trois cinquièmes, d’organiser la consultation prévue par l’accord de Nouméa. Je rappelle ce que le Premier ministre avait déclaré le 26 juillet à Nouméa devant le congrès : sauf à ce qu’une solution réunisse l’ensemble des forces calédoniennes, la question de l’accès de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté sera posée, et la consultation prévue se tiendra au plus tard en 2018, dans les termes prévus par l’accord de Nouméa.
Vous appelez mon attention et celle du Gouvernement sur le processus de révision des listes électorales spéciales, qui débutera lundi prochain. À l’aune des enjeux des prochaines élections provinciales, ce processus est, nous sommes d’accord sur ce point, particulièrement important. Comme vous le soulignez, les dispositions qui fixent les conditions d’inscription sur la liste électorale spéciale et celles qui précisent les modalités de révision de celle-ci figurent non seulement aux articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, mais aussi dans le code électoral.
Comme la révision de la liste électorale générale de droit commun, la révision annuelle de la liste électorale spéciale est faite non par les services de l’État en Nouvelle-Calédonie, mais par une commission spécialisée mise en place dans chaque bureau de vote. Au-delà des garanties prévues par le droit commun électoral, des garanties supplémentaires relatives à la composition de la commission spécialisée sont prévues par la loi organique du 19 mars 1999.
La première garantie tient à la présence, dans chaque bureau de vote, de deux électeurs de la commune désignés sur avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En pratique, ils représentent chacune des deux grandes tendances politiques calédoniennes, non-indépendantiste et indépendantiste. À ce titre, ils peuvent intervenir librement, pour relever les difficultés susceptibles de se poser.
La seconde garantie tient à ce que la présidence de chaque commission est assurée par un magistrat de l’ordre judiciaire, désigné par le Premier président de la Cour de cassation. La voix de chacun des membres de la commission compte, puisque les décisions sont prises à la majorité. La voix prépondérante du président est celle d’un magistrat indépendant du pouvoir politique, conformément aux termes de l’article 189 de la loi organique du 19 mars 1999.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à ce que la révision et la mise à jour de la liste électorale spéciale soient faites en toute transparence, afin que le processus soit insoupçonnable, que les élections se tiennent dans les meilleures conditions possibles et que la légitimité de leur résultat soit reconnue par tous.
L’État veillera à mettre à la disposition des membres des commissions spéciales tous les éléments qu’ils solliciteront afin de leur permettre de mener à bien leur mission. Un effort significatif sera fait tant par les magistrats qui présideront les commissions que par les délégués du haut-commissaire, afin d’informer le plus en amont possible les personnes concernées sur les démarches qu’elles doivent accomplir et sur les pièces qu’elles doivent produire afin d’être inscrites ou maintenues sur la liste électorale spéciale.
J’en viens aux demandes de radiation que vous avez évoquées, monsieur Frogier. Pardonnez-moi d’être long, monsieur le président, mais il faut être précis, car le sujet est délicat.
Il n’est pas illégal de demander la radiation d’électeurs de listes électorales. C’est une pratique courante, et pas seulement en Nouvelle-Calédonie. Comme le Gouvernement l’a toujours indiqué, il n’est pas possible de préjuger du bien-fondé de ces demandes ; je sortirais de mon rôle si, à ce stade, je portais la moindre appréciation à leur sujet.
Les commissions qui se réuniront à partir de la semaine prochaine disposent de tous les moyens pour mener à bien leurs travaux, d’autant que – c’est une spécificité calédonienne – sont membres de ces commissions deux électeurs de la commune, représentant les deux grandes familles politiques. Il n’y a pas d’automaticité dans la radiation – ni dans l’inscription, d’ailleurs –, et chaque membre de la commission, mais aussi chaque électeur concerné, est à même de présenter ses observations et, si nécessaire, les justificatifs requis.
Les décisions de la commission seront susceptibles d’un recours gracieux et d’un recours contentieux, avec possibilité de pourvoi en cassation.
L’État a-t-il une position à imposer ? Les commissions mènent leurs travaux en toute indépendance, sous le contrôle du juge. Le juge judiciaire est compétent ; c’est donc la Cour de cassation qui, en dernier ressort, tranchera les conflits qui surgiront à propos des inscriptions pour les prochaines élections au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Les arrêts des cours suprêmes sont par construction constitutionnels. En outre, en cette matière, l’accord de Nouméa s’applique en Nouvelle-Calédonie comme une Constitution.
Comme je vous l’ai déjà indiqué, je me garderai bien de donner un avis personnel. Cela n’aurait aucun sens et méconnaîtrait les principes mêmes de l’accord de Nouméa. Le législateur peut limiter le droit de voter dans les limites constitutionnelles, c’est-à-dire, en Nouvelle-Calédonie, celles qui sont fixées par l’accord de Nouméa, mais ce sont les juges qui auront le dernier mot, car le droit de voter est une liberté fondamentale.
Sur la question du corps électoral restreint, vous pouvez avoir l’assurance que le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie œuvrera pour que l’application des règles de révision des listes électorales soit strictement conforme à l’intention des signataires de l’accord de Nouméa ; le Premier ministre l’a encore rappelé hier.
Vous vous interrogez sur la mission du comité spécial de la décolonisation en Nouvelle-Calédonie. M. Roch Wamytan s’est rendu à New York au mois de janvier. Il y a rencontré le président du comité spécial de la décolonisation, ainsi que le représentant de la France auprès de l’ONU. Il a sollicité la venue d’une mission du comité spécial de la décolonisation pendant la période de révision des listes électorales. Le président de cette instance s’y est déclaré favorable.
Le Gouvernement ne voit aucune objection à la venue d’une mission de travail du comité spécial de la décolonisation début mars, afin de poursuivre le dialogue avec cette instance et les explications sur les conditions de révision des listes électorales spéciales pour le scrutin des élections provinciales de mai prochain. J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire personnellement, mais je le redis devant la représentation nationale : il s’agit bien d’une mission de travail, et certainement pas d’une mission d’observation électorale ou d’une mission de supervision ou de contrôle. Tel est bien d’ailleurs le sens que donne à cette mission le président du comité spécial de la décolonisation.
Vous le savez, la France a une tradition de collaboration avec le comité spécial de la décolonisation au sujet de la Nouvelle-Calédonie ; cette visite s’inscrit dans ce cadre. Je veux l’affirmer avec la plus grande solennité à l’intention de tous mes compatriotes calédoniens : non, il n’y a pas de soupçon qui pèse sur vous qui travaillez à la révision des listes, pas plus ici qu’à New York ; non, vous n’êtes l’objet d’aucune vindicte.
L’État français et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie travaillent avec l’ONU depuis de nombreuses années. Il n’y a là rien d’exceptionnel, et tous, au sein du comité des vingt-quatre, se félicitent du travail mené par la France et par tous les Calédoniens depuis vingt-cinq ans.
S’agissant de la proposition de loi constitutionnelle que vous souhaitez présenter, vous savez que l’arithmétique politique ne lui permettrait pas de prospérer. Pour organiser une réunion exceptionnelle du comité des signataires, il faudrait avoir l’accord de toutes les parties ; une telle réunion ne pourra donc pas se tenir.
Comme l’a fait le Premier ministre hier à l’Assemblée nationale, j’en appelle au sens des responsabilités de chacun. Nous devons tous peser nos mots et y réfléchir à plusieurs fois avant d’engager une action. Le processus électoral doit se dérouler dans les meilleures conditions, afin que l’on ne puisse douter du sens du vote. Aucun soupçon ne doit être possible.
Pour conclure, j’ai entendu les interpellations des orateurs sur la vie chère. Notre priorité, c’est d'abord le développement économique, l’emploi et la défense du pouvoir d'achat. Nous luttons contre tous les lobbies. Il faut du courage politique pour s’attaquer à ce lourd dossier. Le Gouvernement n’a pas cédé ; nous avons prélevé 27 millions d'euros : 23 millions aux Caraïbes et 4 millions à Mayotte. À la Réunion, les conséquences de la mise en œuvre de l’article 1er de la loi relative à la régulation outre-mer se feront sentir d’ici au mois de mai.
Il ne s’agit pas d’être dithyrambique, mais nous avons changé de paradigme. Aidez-nous, notamment lors du prochain débat sur le plan d’action pour la croissance, le développement et l’emploi dans les économies ultramarines, à faire prospérer cette ambition, qui rejoint celle qu’a évoquée M. Cointat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Christian Cointat applaudit également.)