M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en décembre dernier, nous étions réunis dans cet hémicycle pour un débat d’information, au tout début de l’engagement des forces françaises en République centrafricaine et après l’adoption, à l’unanimité, de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Quatre mois plus tard, avant l’interruption de la session parlementaire et conformément à l’article 35, alinéa 3 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle de 2008, que notre groupe a votée, nous sommes ici pour autoriser ou non la prolongation de l’opération Sangaris, qui mobilise désormais 2 000 de nos soldats.
Au nom du groupe UMP, je tiens d’abord à rendre hommage une fois de plus à ceux qui sont morts en opération. C’était le cas, dimanche encore, du caporal Dollet. Nos soldats mènent une action malaisée, car la crise centrafricaine est complexe et ses acteurs difficiles à identifier.
Aussi, la mission dévolue à la force Sangaris n’apparaît pas toujours très clairement. S’agit-il d’appuyer un gouvernement légitime ? Le régime de François Bozizé est tombé sous le coup d’une rébellion, qui s’est elle-même baptisée « Séléka », c'est-à-dire « l’alliance », mais dont la force militaire est constituée de combattants venus du nord-est du pays et essentiellement musulmans. Quant au président auto-proclamé M. Djotodja, incapable de rétablir l’ordre à Bangui, il a fini par démissionner, laissant la place à une présidente par intérim, choisie par un conseil national de transition, Mme Samba-Panza, qui était jusqu’alors maire de Bangui et qui est issue de la société civile. J’avais d’ailleurs eu l’honneur de la recevoir ici, au Sénat, avant son élection.
Son accession au pouvoir n’a pas encore permis de rétablir le calme. Face à la Séléka s’est constituée une milice dite « anti-balaka ». Il est réducteur d’en faire une milice chrétienne, face à une Séléka à dominante musulmane. Ces « anti-balakas » sont d’abord l’expression d’une réaction à une agression venue d’ailleurs ou ressentie comme telle. Ils pensent qu’ils peuvent se protéger des balles de kalachnikov des miliciens sélékas, d’où le terme « anti-balles d’AK », le fusil AK-47. Ils expriment d’abord une réaction nationaliste ou ethnique, doublée d’une incontestable propension au pillage.
Il faut rendre hommage ici aux autorités religieuses de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, l’iman Oumar Kobine Layama et le pasteur Nicolas Guerekoyame-Gbangou, qui ont agi ensemble et avec un grand courage pour essayer de rétablir le calme. Ce faisant, ils montrent que la situation actuelle ne résulte pas d’un affrontement religieux.
Bien évidemment, nos forces et celles de l’Union africaine ou de l’ONU sont là non pas pour soutenir un camp contre un autre, mais pour tenter de désarmer tous les violents. Ces derniers ont sans doute des inspirateurs… Ceux qui utilisent abusivement la religion, comme ils ont utilisé des enfants soldats, pour viser leurs buts politiques, doivent savoir qu’ils relèvent d’un tribunal pénal international. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si certains inspirateurs des violences commises ont été identifiés ?
Qui pourrait aujourd’hui comprendre que nous retirions nos forces d’un pays secoué par de telles violences ? Quel signal serait ainsi donné ? Quelle responsabilité serait alors celle de la France ? Bien évidemment, le groupe UMP se prononcera en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Jacques Legendre. Toutefois, notre vote ne nous dispense pas d’exprimer des regrets, de poser des questions et de formuler des recommandations.
M. Éric Doligé. Bravo !
M. Jacques Legendre. Première interrogation : était-il vraiment impossible d’éviter d’en arriver à cette violence généralisée ? Les mises en garde, pourtant, n’avaient pas manqué. L’arrivée de la Séléka à Bangui reproduit d’assez près les événements ayant précédé et suivi la chute, en 2003, du président Patassé et l’arrivée au pouvoir du général Bozizé : mêmes enrôlements de coupeurs de route, de pillards divers, par des rebelles souvent venus du nord musulman ou des limites du Tchad et du Darfour, qui se payent de leurs efforts en pillant Bangui, en 2003 comme en 2013, mais aussi Bossangoa et les missions catholiques et les églises, qui, souvent, en brousse, représentent les seuls services de soin ou sociaux à la disposition de la population.
N’avons-nous pas perçu la montée de l’humiliation et de la colère dans un pays qui s’est alors senti mis sous tutelle ? Il me semble nécessaire de nous interroger sur nos capacités de prévision et d’analyse. Nous passions pour être bien informés sur l’Afrique, au moins l’Afrique francophone. Est-ce vraiment encore le cas ? À cet égard, mes chers collègues, je vous invite à relire le rapport de notre collègue Robert del Picchia, paru en 2011, intitulé La Fonction « anticipation stratégique » : quel renforcement depuis le Livre blanc ?
J’avais évoqué ce point dans mon intervention du mois de décembre dernier : avons-nous réagi suffisamment vite, face à la situation créée à Bangui à la suite du renversement par la force du régime Bozizé ? Pourtant, les avertissements n’ont pas manqué ! Dans un message du 14 février 2013 signé par les onze évêques du pays, soit avant la prise et le pillage de Bangui, la conférence épiscopale centrafricaine appelait la communauté internationale à l’aide. J’avais quant à moi posé une question écrite dès le 28 mars 2013, en évoquant un « désastre humanitaire qui menace ». Je ne faisais que reprendre des informations largement répandues.
Voilà pourquoi nous pensons, monsieur le ministre, que si la France, et donc son gouvernement, a été plus courageuse que bien d’autres pays en portant finalement l’affaire devant l’ONU et en intervenant, cette initiative n’en a pas moins été tardive et effectuée a minima.
Intervenir dans ces conditions rend périlleuse la situation de nos troupes, et ne permet pas d’arrêter les violences, à Bangui d’abord, mais surtout en brousse, où nous ne savons pas vraiment ce qui se passe. Est-ce trop demander que de suggérer que les conditions de notre intervention, avec ses insuffisances, fassent l’objet d’une réflexion utile, au service d’une action efficace de la France en Afrique : quels objectifs, avec quels moyens ?
Il convient de rappeler que nos soldats sont surtout présents en théâtre urbain et que nous n’avons pas les moyens d’un déploiement sur un territoire immense. Rien ne serait pire que l’affirmation d’une volonté politique sans la capacité à mettre en œuvre les moyens qui la rendent efficace.
Parlons maintenant de l’avenir. La République centrafricaine est un état effondré. Celui-ci doit être reconstruit dans son intégrité territoriale. Toutefois, tout est à refaire. Bien évidemment, ce n’est pas la seule mission de la France. C’est d’abord l’affaire des Centrafricains eux-mêmes. C’est pourquoi il est indispensable de donner au gouvernement transitoire les moyens d’agir et au peuple centrafricain la possibilité de choisir ses dirigeants. À cet égard, je ne suis pas sûr que Mme Samba-Panza, la courageuse présidente intérimaire, dispose des moyens de mener une action.
Il faut aussi tenir un langage de vérité. La France et la communauté internationale n’accepteront pas longtemps de risquer la vie de leurs soldats pour un pays dont la classe politique resterait enfermée dans des querelles dérisoires. Cependant, plus que d’élections, nécessaires bien sûr pour constituer, dans des délais raisonnables, un gouvernement légitime, les Centrafricains ont d’abord besoin de sécurité, de soins, de nourriture et d’éducation.
L’ensemble du pays doit retrouver le calme. Bangui et une partie de l’Ouest centrafricain sont parcourus par nos forces et les forces africaines. L’Est, entre le Sud-Soudan et la république démocratique du Congo, est plus ou moins sécurisé par des troupes ougandaises, qui luttent contre les criminels de l’Armée de résistance du Seigneur, la terrible LRA. Toutefois, le repli des musulmans, terrifiés, vers la Vakaga, au nord-est du pays, autour de Birao, ne risque-t-il pas d’instaurer de facto une partition, dont ce malheureux pays n’a sûrement pas besoin ? Des forces internationales vont-elles se rendre aussi à Birao, monsieur le ministre ?
Les moyens rassemblés auprès des pays donateurs ne risquent-ils pas d’apparaître bien insuffisants pour réhabiliter les routes et les équipements publics ? L’AFD, l’Agence française de développement, va-t-elle reprendre son travail à Bangui ? L’armée française elle-même, avec les moyens du génie, ne peut-elle pas, au moins dans la capitale du pays, faire la démonstration très visible de sa présence au service de la population ? La meilleure façon de faire reculer la violence, c’est évidemment de montrer à la population centrafricaine, quelle que soit sa religion ou son ethnie, que la France et les autres intervenants internationaux sont là pour la population, sa protection et sa sécurisation.
Rétablissement de la sécurité et des communications vont de pair. Avec l’arrêt de l’entretien des routes et la fuite des commerçants, souvent musulmans, c’est le ravitaillement qui est en péril. La disette menace. Qu’est-il envisagé pour y faire face, monsieur le ministre ?
Il est aujourd'hui à la mode de dire que l’Afrique est l’avenir de la francophonie. Encore faut-il que le français soit enseigné, donc qu’il y ait un service éducatif qui fonctionne… J’ai connu jadis une RCA dont le territoire tout entier était maillé d’écoles, de collèges et de lycées. Avec le concours de l’Europe, des pays africains de la zone et de l’Organisation internationale de la francophonie, est-il prévu de réhabiliter le système éducatif centrafricain ?
Votre collègue, Mme Benguigui, ministre chargée de la francophonie, annonçait récemment à la commission des affaires culturelles qu’elle allait lancer une grande opération de formation de professeurs pour l’Afrique. Est-il prévu d’en faire bénéficier prioritairement la RCA ?
Les collectivités territoriales françaises se sont massivement mobilisées en faveur du Mali. La Centrafrique n’avait pas la même tradition de coopération décentralisée avec les collectivités territoriales françaises. Toutefois, est-il envisagé d’inciter à une semblable mobilisation en faveur de la RCA ?
Ne nous y trompons pas, après un tel effondrement, c’est au moins dix années qui seront nécessaires pour reconstruire ce pays. Cependant, c’est bien un tel objectif, à savoir une reconstruction exemplaire, qu’il faut proposer à tous ceux qui, avec nous, avec l’Afrique, à l’ONU, voudront s’engager dans l’action.
Ces vingt dernières années, la France est intervenue six fois en Centrafrique. Plutôt qu’une succession d’interventions ponctuelles, nous devons, avec nos partenaires, être capables d’une action de longue durée, qui s’attaque à la racine des problèmes. Ce pays a des ressources. Il peut se développer, offrir à sa population des conditions de vie convenables. Voilà le véritable objectif à atteindre.
Au Sénat, nous réfléchissons en profondeur aux rapports entre la France et l’Afrique. La semaine dernière, le colloque organisé conjointement par le groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest et l’Agence française de développement sur le thème « Éducation et formation professionnelle » a connu un beau succès. Nos collègues Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux, avec leur rapport intitulé L’Afrique est notre avenir, ont soumis à notre réflexion, et à la vôtre, monsieur le ministre, de nombreuses propositions, dont nous pouvons discuter.
Toutefois, réfléchissons bien à ce que signifie l’affirmation selon laquelle l’Afrique est une part de notre avenir. C’est reconnaître que ce qui se passe sur ce continent a nécessairement chez nous des conséquences importantes et à court terme.
Fort heureusement, de nombreux pays d’Afrique connaissent actuellement une belle croissance. Il ne faut pas les oublier. Pourtant, chaque année, 12 millions de jeunes en Afrique subsaharienne arrivent sur le marché du travail. Quel avenir pour eux ? Quelles conséquences pour nous ? Nous devons vouloir que la Centrafrique se relève, que l’Afrique gagne. C’est notre intérêt, mais aussi, bien sûr, notre honneur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, face à la spirale de l’affrontement et de la violence entre les rebelles de l’ancienne Séléka et les groupes d’auto-défense « anti-balaka », la communauté internationale se devait de réagir en Centrafrique.
C’est dans cet esprit de responsabilité que la France a lancé l’opération Sangaris, dans le cadre de la résolution 2127 du Conseil de sécurité de l’ONU. Depuis lors, les soldats français, dont je tiens à mon tour à saluer l’engagement, œuvrent avec courage et détermination aux côtés des forces africaines pour rétablir un niveau minimal de sécurité.
Cependant, près de trois mois après le début de l’opération, force est de constater que la situation sécuritaire reste particulièrement fragile à Bangui et plus encore en province, entraînant l’exode de nombreuses familles centrafricaines.
L’environnement de crise complexe rend par ailleurs la conduite de l’opération malaisée. En effet, comment identifier des ennemis infiltrés au sein même de la population ? Comment désarmer des rebelles dont les atrocités sont souvent commises à la machette ? Alors que le président Hollande avait initialement évoqué une opération « rapide » en RCA, Jean-Yves Le Drian a annoncé que celle-ci serait plus longue que prévu, en raison du « niveau de haine et de violence ».
S’agissant de l’anticipation de cette situation, je m’associe aux questions soulevées à l’instant par Jacques Legendre.
Certes, le groupe UDI-UC souscrit à cette nécessaire adaptation à la réalité du terrain et apportera très majoritairement, dans une démarche d’union nationale, son soutien à la prolongation de l’intervention. Il n’en demeure pas moins que l’engagement de nos forces armées, ainsi que la situation en RCA dans son ensemble, se heurte à certains défis, auxquels il est urgent d’apporter des réponses pour sortir durablement de la crise.
Vous l’aurez compris, à l’heure de se prononcer sur la poursuite de l’opération Sangaris, ce sont donc les interrogations qui prévalent.
Tout d’abord, la question des moyens se pose. Pour faire face à une situation sécuritaire volatile, le processus de désarmement, démobilisation, réintégration – DDR –, la réforme du secteur de sécurité et le respect de l’embargo sont prioritaires. Or il semble évident que les forces françaises et la MISCA sont sous-dimensionnées pour atteindre ces objectifs. On considère par exemple qu’un rapport d’un soldat pour soixante civils est nécessaire pour les missions de DDR. Dans le cas de Bangui, il faudrait dans l’absolu près de 20 000 hommes pour mener efficacement une campagne de désarmement. Le secrétaire général de l’ONU réclame quant à lui le déploiement rapide d’au moins 3 000 soldats supplémentaires…
Monsieur le ministre, alors que le Président de la République a décidé d’envoyer 400 soldats en renfort, portant notre contingent à 2 000 hommes, quel est votre sentiment sur ce rapport de force ? Les soldats français seront-ils en mesure de se déployer progressivement en province, notamment vers les villes de Berbérati, Bouar et Bossangoa, où la présence militaire reste encore limitée ? Sommes-nous finalement encore capables de mener ce type d’opération, qui nécessite d’importants moyens humains et logistiques, compte tenu des tensions capacitaires qui apparaissent au sein de nos armées ?
Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous réjouir de l’envoi d’une force européenne d’environ 1 000 soldats. Alors qu’Eurfor-RCA devrait contribuer à sécuriser Bangui, nous appelons désormais les États membres à faire preuve de responsabilité lors de la conférence de génération des forces, pour permettre le déploiement de l’opération au plus vite. Quid également d’un soutien européen au système judiciaire et pénitentiaire centrafricain, à travers l’envoi de gendarmes, d’experts et de professionnels ?
Au-delà de l’engagement des forces françaises et européennes, la stabilité de la RCA est avant tout un enjeu régional. Avec une superficie de plus de 600 000 kilomètres carrés et 4,6 millions d’habitants, ce pays est un carrefour de l’Afrique dont la porosité profite aux groupes armés en tous genres.
De la stabilité de la RCA dépend la stabilité du cœur de l’Afrique. Il suffit de regarder la carte pour le comprendre ; celle-ci figurait il y a quelques jours dans un grand quotidien et elle est extrêmement parlante. L’« africanisation » du conflit en RCA passe ainsi par un renforcement de la MISCA, qui devrait atteindre le seuil de 6 000 hommes sous la bannière de l’Union africaine. C’est surtout de matériel – et plus particulièrement de capacités de transport – que la MISCA a besoin pour projeter ses troupes sur l’ensemble du territoire.
Plus globalement, la crise en Centrafrique rappelle avec force que la mise en place d’une véritable architecture de paix et de sécurité africaine demeure essentielle pour que l’Afrique puisse contribuer activement à la sécurité du continent. À la suite du conflit malien, l’Union africaine a d’ailleurs annoncé la création d’une capacité africaine de réponse immédiate aux crises, à laquelle la France a apporté son soutien lors du dernier sommet de l’Élysée.
Ce dispositif, qui repose sur le volontariat, vise à améliorer la réactivité des forces africaines en situation de crise, grâce à la mobilisation d’une capacité de projection pouvant être déployée sous dix jours. Si certaines réticences subsistent, une dizaine de pays africains se sont déjà portés volontaires pour y participer.
Cette initiative, certes en devenir, mérite d’être saluée, car elle va dans le bon sens, à savoir la gestion par les Africains de leurs problèmes sécuritaires, démarche indispensable à terme et à laquelle nous devons déjà réfléchir pour les années à venir.
Néanmoins, seule l’ONU possède aujourd’hui l’intégralité des instruments de gestion de crise pour proposer une réponse globale, coordonnée et cohérente à ces conflits complexes. Aussi, à l’instar de ce qui prévaut au Mali, il convient de transformer la MISCA en une opération de maintien de la paix – nous en sommes tous d’accord, me semble-t-il – dotée d’un mandat robuste et élargi. La gravité de la situation en RCA requiert des moyens importants et de l’expertise pour accompagner la transition politique et maintenir une présence humanitaire.
Monsieur le ministre, le déploiement de Casques bleus, s’il est autorisé, pourrait-il conduire, le cas échéant et le moment venu, à une diminution des effectifs militaires français présents en RCA, au profit d’un volet civil étoffé, comme l’a évoqué de manière précise et convaincante Jacques Legendre ?
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M. Jean-Marie Bockel. Par ailleurs, parallèlement aux efforts d’interposition, il faut au plus vite enclencher un processus de réconciliation nationale. C’est un chantier considérable pour la présidente de transition Catherine Samba-Panza. Il lui appartient de créer les conditions de l’union nationale, car le facteur religieux, convoqué par les chefs de guerre, a profondément divisé les communautés, qui vivaient pourtant en harmonie dans le pays depuis des décennies. Comme l’affirme l’archevêque de Bangui, « pour avancer vers la réconciliation, chacun doit désormais prendre conscience des exactions commises par les deux camps, "anti-balaka" et "ex-Séléka". C’est pourquoi le pardon passe nécessairement par la réparation ».
Les efforts de médiation de la communauté de Sant’Egidio – celle-ci est intervenue à plusieurs reprises dans des conflits en Afrique avec une certaine efficacité, en particulier au Mozambique –, sous l’égide de laquelle a été signé à Rome en novembre dernier un « pacte républicain », pourraient faciliter la mise en place des mécanismes concrets de réconciliation, tout en établissant un dialogue politique inclusif avec les forces vives du pays.
Dans le même temps, il faut s’attaquer aux enjeux plus profonds de la gouvernance et du développement, car il ne pourra y avoir de sécurité durable sans reconstruction de l’État et sans développement. L’économie centrafricaine est au point mort ; elle a beaucoup reculé d’une année sur l’autre. Ce qu’il reste des structures économiques, mais aussi les municipalités, les ONG et les associations locales ont un rôle essentiel à jouer pour relancer la vie économique et reconstruire un vouloir-vivre ensemble. Si la situation sécuritaire le permet, pourquoi ne pas renforcer progressivement la présence de l’Agence française de développement, dont l’expertise serait déterminante pour accompagner ces projets en Centrafrique ?
Enfin, je souhaite revenir, avant de conclure, sur la dramatique crise humanitaire que traverse la RCA. Selon l’ONU, près d’un million de personnes ont été déplacées depuis le début de la crise, dont 60 % d’enfants. Des milliers de personnes ont également fui vers les pays voisins – Cameroun, Tchad, etc. Selon la secrétaire générale adjointe des Nations unies aux affaires humanitaires, plus de la moitié de la population centrafricaine requiert une assistance immédiate.
À ce jour, les bailleurs de fonds ont promis 207 millions de dollars pour financer l’aide humanitaire en Centrafrique, mais seulement 28 % de ces fonds ont été engagés. Le plan de réponse stratégique de l’ONU, d’un montant total de 551 millions de dollars, n’est financé qu’à hauteur de 15 %.
Monsieur le ministre, alors que l’aide internationale est clairement insuffisante face à l’urgence de la situation, quelles mesures la France et ses partenaires pourraient-ils mettre en œuvre pour en accélérer la distribution, notamment vers le camp de M’poko, où près de 100 000 personnes vivent dans des conditions terribles ?
Les défis, qu’ils soient sécuritaires, politiques ou humanitaires, sont nombreux en RCA, et le chemin vers la paix et la stabilité sera long et exigeant. C’est en premier lieu sur les dirigeants et le peuple centrafricain que repose la lourde responsabilité d’entamer le processus de réconciliation indispensable pour sortir le pays des massacres et du chaos.
Toutefois, c’est un poids que, seuls, sans le soutien des États africains et de la communauté internationale, ils pourront difficilement porter. La France, en raison de sa proximité historique et de sa place sur la scène internationale, se doit d’apporter sa contribution à cet effort de stabilisation. C’est notre responsabilité partagée.
Sous ces réserves, en formant le souhait que se tienne dès que possible un nouveau débat d’évaluation de la situation, le groupe UDI-UC votera, dans sa très grande majorité, pour la prolongation de l’intervention de nos forces armées en RCA. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Gouvernement, comme lui en fait obligation le troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, sollicite du Parlement, quatre mois après le début de cette intervention militaire, l’autorisation de prolonger notre opération en République centrafricaine.
Je ne puis m’empêcher de regretter, légitimement, que notre réforme constitutionnelle se soit, en la matière, arrêtée au milieu du gué et qu’il n’ait pas été prévu de demander une autorisation du Parlement en premier lieu, comme c’est le cas chez certains de nos voisins européens. On mesure dans les débats en général qu’il est beaucoup plus complexe d’accorder notre autorisation de prolongation a posteriori, celle-ci étant en quelque sorte amputée, en l’absence de tout véritable approfondissement. Je tenais à le dire.
Avant d’aborder la question qui nous est posée, je voudrais rendre hommage à Damien Dolet, jeune caporal du 8° régiment d’infanterie chars de marine, qui est mort dans l’accomplissement de sa mission. À l’heure où le Parlement doit prendre sa décision, je voudrais saluer le courage, le sang-froid et le professionnalisme dont font preuve nos soldats dans la mission qu’ils remplissent au nom de la France.
Au vu de la complexité du sujet et de l’évolution de la situation en Centrafrique, la décision est difficile à prendre. Pour y réfléchir, notre groupe a procédé à de nombreux échanges et a beaucoup consulté.
Au mois de décembre dernier, lorsque nos forces sont intervenues militairement, le basculement de la Centrafrique dans l’anarchie et la violence était en cours depuis de nombreuses années. La situation s’est particulièrement aggravée au cours de l’année 2012. Les raisons de l’effondrement de ce pays sont connues : l’extrême pauvreté et l’instabilité politique chronique résultent d’une situation économique catastrophique.
Rappelons-le, la France y avait une part de responsabilité pour avoir trop longtemps joué un rôle d’influence négatif, notamment en soutenant successivement des gouvernements peu recommandables.
C’est grâce, il faut le dire, aux alertes lancées par des organisations non gouvernementales et à la suite des réactions diplomatiques de notre pays face à l’aggravation de la situation sécuritaire et humanitaire que, enfin, une résolution de l’ONU a autorisé au mois de décembre dernier le déploiement de nos troupes en appui des forces africaines déjà sur place depuis quelques mois.
Lors d’un premier débat au mois de décembre 2013, notre groupe avait soulevé quelques interrogations et émis des réserves sur les objectifs et les conditions de cette nouvelle opération extérieure, quelques mois après l’intervention au Mali.
« Pourquoi et comment, avec qui et avec quels moyens la France veut-elle gérer cette nouvelle crise au centre de l’Afrique ? », demandions-nous alors. Nous soulignions aussi l’absence de solidarité européenne, qui nous isolait dangereusement.
Or, où en est-on aujourd’hui sur place ? Les choses sont encore plus complexes, car, depuis quelque temps, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de cette crise. Après avoir partiellement réussi à neutraliser et à repousser hors de Bangui les milices de la « Séléka », les forces françaises et africaines éprouvent de grandes difficultés à empêcher les actes de revanche des milices adverses « anti-balaka », qui se livrent aussi à des représailles contre les civils musulmans accusés de complicité avec l’ex-rébellion. Cela se traduit par de nouveaux massacres, sous prétexte de rivalités ethniques et religieuses instrumentalisées.
La gravité de ces faits est telle que le Secrétaire général de l’ONU et Amnesty international ont pu les qualifier de « nettoyage ethnique ». S’y ajoute la menace, annoncée par plusieurs ONG, d’une nouvelle catastrophe humanitaire due à la famine, à tel point que le programme alimentaire mondial a dû établir un pont aérien.
Ainsi, le résultat actuel est que Sangaris a certainement permis d’éviter un massacre peut-être pire encore, mais n’a malheureusement pas pu faire obstacle à un nettoyage ethnique d’une rapidité fulgurante.
Il faut donc à tout prix mettre un terme à l’un des principaux facteurs de déstabilisation qu’est cette guerre civile aux relents d’épuration ethnico-religieuse. En effet, si elle se poursuivait, elle laisserait des traces profondes et pourrait mener tout droit à la partition du pays.
La première urgence est donc humanitaire et sécuritaire. Le rétablissement de la situation sécuritaire est un préalable nécessaire à la mise en œuvre d’une transition politique et institutionnelle. La phase de soutien militaire est donc nécessaire, et cette séquence n’est malheureusement pas encore terminée.
Toutefois, à côté de ces motivations d’ordre purement humanitaire, en intervenant dans ce pays militairement, il faut aussi se demander sans naïveté si la France n’entend défendre que des valeurs et de grands principes.
Comme l’écrit sur son blog avec franchise et clarté – je m’exprimerai de la même façon – un analyste militaire reconnu, le colonel Michel Goya, dans cette affaire, la France cherche à « préserver une influence dans la région – une quarantaine de votes africains quasi automatiques aux Nations unies, la zone monétaire CFA et ses intérêts économiques. Il s’agit d’éviter que la Centrafrique ne se transforme définitivement en zone de non-droit, entraînant les pays voisins dans une grave instabilité, avec le risque de développement d’organisations islamistes radicales à la manière de Boko Haram dans le nord du Nigéria. »
Je disais précédemment que, avec les évolutions récentes, nous étions entrés dans une nouvelle phase de gestion de cette crise, sans connaître vraiment les objectifs, les solutions politiques et sécuritaires que vous voulez mettre en œuvre, monsieur le ministre.
En effet, l’opération Sangaris change de nature : alors qu’elle était initialement destinée à faire cesser les massacres, vous demandez maintenant à nos troupes, sur la requête de la présidente Samba-Panza, d’assurer une mission d’accompagnement jusqu’aux prochaines élections.
Ce changement suscite inévitablement des interrogations. Quel est précisément et fondamentalement l’objectif de cette mission ? Quel délai lui fixez-vous et comment pourrions-nous nous en désengager ?
Face à toutes ces difficultés et à ces incertitudes, l’urgence est d’obtenir, dans l’attente du modeste déploiement de l’Eufor-RCA, l’accélération du processus de transformation de Sangaris et de la MISCA en opération onusienne de maintien de la paix, beaucoup plus efficace et légitime pour résoudre cette crise.
Dans ce contexte, qui constitue tout à la fois un drame humanitaire et un défi concret de sécurité régionale, le processus démocratique en Centrafrique piloté par l’ONU avec des autorités politiques et étatiques légitimées par des élections offrira sans doute plus de garanties de réussite. Après le rétablissement de la sécurité, c’est la réponse indispensable pour sortir des crises chroniques et ouvrir enfin à ce pays des perspectives de réconciliation nationale et de développement. C’est le seul objectif qui doit guider notre intervention.
Il faut qu’une telle opération de maintien de la paix soit rapidement mise sur pied afin de prendre le relais de nos troupes. Toutefois, il faut également veiller à ce qu’elle ait une forte composante civile et s’accompagne des financements propres et pérennes que lui garantira le statut d’OMP, c'est-à-dire d’opération de maintien de la paix.
Dans ce pays, comme sur d’autres théâtres d’opérations, tout le monde s’accorde à reconnaître, et les militaires sans doute les premiers, que le « tout militaire » n’apporte pas la solution.
Il faut une approche globale pour agir sur plusieurs leviers, et il est heureux que vous nous ayez apporté un peu plus de précisions sur ce point, monsieur le ministre. En effet, au-delà des solutions d’urgence, il est grand temps de s’attaquer aux causes profondes qui déstabilisent ce pays depuis si longtemps.
Il faut rompre définitivement avec les politiques et les mauvaises pratiques qui ont cours depuis la décolonisation et qui ont entraîné ce continent dans le sous-développement et la misère, alors même qu’il regorge de richesses.
Nous l’avions déjà dit, avec d’autres, ici même, il faut sans tarder procéder à une véritable refonte de l’ensemble de notre politique d’aide publique au développement, afin de redéfinir ses objectifs, ses enjeux et ses moyens. Cette politique doit être enfin fondée sur de véritables partenariats, qui permettent d’entretenir des rapports débarrassés des arrière-pensées de simple préservation des intérêts stratégiques et économiques de la France.
Par exemple, en Centrafrique, de façon très concrète et significative, une fois rétablie une autorité étatique souveraine, l’une des premières mesures de transparence d’ordre économique devrait être de rendre publics tous les contrats dans le secteur minier et dans celui de l’extraction du pétrole et de l’uranium.
De ce point de vue, nous estimons que les efforts et les engagements de votre gouvernement et de sa majorité en matière d’aide publique au développement ne sont pas véritablement à la hauteur des enjeux. À cet égard, le projet de loi sur le développement et la notion d’action extérieure des collectivités territoriales qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale ne concrétise pas suffisamment les espoirs qu’il a pu susciter. En particulier, nous constatons un désengagement de l’État qui ne dit pas son nom dans le domaine des collectivités territoriales et des ONG.