M. Henri de Raincourt. Cela paraît difficile !
M. Jean-Noël Cardoux. Au demeurant, nous observerons l’évolution du débat.
Pour conclure, monsieur le ministre, puisque j’ai fait référence au pacte de compétitivité, je vous propose maintenant un pacte de responsabilité. Fort des expériences passées que j’ai citées, je vous invite à prêter une oreille attentive à nos propositions, dans le cadre d’un dialogue constructif, qui devrait toujours s’établir entre la majorité et l’opposition. Plutôt que de rejeter certaines initiatives du Sénat en les marginalisant, pourquoi ne pas établir entre nous, Gouvernement et Sénat, un pacte de responsabilité, afin de ne plus travailler dans l’urgence et de nous donner le temps de la réflexion ?
Mme Isabelle Debré. Bonne idée !
M. Jean-Noël Cardoux. Je suis tout à fait dans l’air du temps en formulant une telle proposition. Désormais, la balle est dans votre camp ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Magnifique !
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la position que je vais soutenir ne vous surprendra pas, puisque c’est celle que nous avons défendue à l’Assemblée nationale.
Je me concentrerai sur le sujet de la formation professionnelle, mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’apprêtant à traiter de manière plus approfondie les questions relatives au dialogue social.
Ce texte comporte énormément de points positifs.
Nous sommes très favorables au compte personnel de formation, qui vise à créer un droit attaché à la personne, et non au contrat de travail. Vous le savez, c’est une évolution que nous souhaiterions voir élargie à l’essentiel des droits sociaux.
Nous sommes également favorables, étant adeptes de la décentralisation, au principe de responsabilisation des régions. Nous aurions même aimé que vous alliez beaucoup plus loin dans cette logique, monsieur le ministre, en confiant une responsabilité pleine et entière aux régions, notamment pour gérer les fonds de la formation professionnelle, tandis que les partenaires sociaux auraient été simplement associés à l’élaboration et l’évaluation des plans et programmes de formation. Il s’agit d’ailleurs là d’un point de divergence fondamental, qui explique que nous soyons très réservés sur l’ensemble du texte. Jean-Louis Borloo s’est d’ailleurs beaucoup exprimé à ce propos.
Sur le fond, nous ne partageons pas le principe selon lequel la formation professionnelle relève uniquement de l’initiative des partenaires sociaux, le législateur étant lié par leur accord. Cette vision était juste dans les années soixante-dix, quand le chômage constituait un phénomène marginal. Il était alors logique de consacrer l’essentiel des moyens à l’adaptation des salariés à leurs postes de travail. Tel n’est plus le cas aujourd'hui, les enjeux contemporains de la formation professionnelle relevant fondamentalement de l’intérêt général et, donc, du législateur.
Ces enjeux, vous les connaissez. Premièrement, il s’agit de lutter contre les inégalités, comme l’a évoqué Jean Desessard. L’école ne les corrige plus et la formation professionnelle, finalement, les aggrave, celle-ci bénéficiant essentiellement aux personnes les plus qualifiées. Deuxièmement, il convient de lutter contre le déclassement et l’exclusion liés au chômage de longue durée. Troisièmement, il faut s’adapter aux secteurs d’avenir, identifiés par les investissements d’avenir.
En d’autres termes, ce que nous aurions souhaité, c’est non pas l’évolution d’un système mutualisé vers un système incitatif, mais au contraire un système où la mutualisation tiendrait une plus grande place, le législateur définissant prioritairement les orientations de la formation professionnelle. De fait, la philosophie de ce texte nous pose problème.
Une autre difficulté réside dans le fait que le projet de loi ne remédie pas complètement aux trois grandes insuffisances de la formation professionnelle.
Première insuffisance : nous dépensons beaucoup – 32 milliards d’euros – pour de maigres résultats. Le problème, ce n’est pas de dépenser beaucoup, ce n’est pas non plus que les grandes entreprises consacrent le double de leurs obligations légales à la formation professionnelle. Le vrai problème, c’est la faiblesse des résultats, notamment pour les salariés les moins qualifiés.
Ce n’est pas parce qu’on va réduire de 70 % l’obligation de financement des plans de formation et qu’on va augmenter de 0,1 point la mutualisation des fonds – en la portant de 0,8 % à 0,9 % – qu’on va améliorer la situation. Nous aurions préféré qu’on mette réellement l’accent sur la qualité des formations. Or le texte ne contient rien sur la certification des organismes de formation – ce point est régulièrement soulevé – et ne prévoit aucun accompagnement des PME pour les aider à mieux identifier leurs besoins et les organismes qui sont capables d’y répondre. Il contient très peu de mesures relatives à l’évaluation ; même si le CNEFOP, dans sa structure même, est un bon outil de concertation, il n’a a priori pas du tout vocation à faire de l’évaluation.
Deuxième insuffisance : si je m’en réfère au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les personnes sans qualification ou les moins qualifiées ainsi que les demandeurs d’emploi. Ce sont pourtant eux, nous en conviendrons tous ici, qui devraient être prioritaires. Ce public est presque totalement absent de ce texte. En réalité, le compte personnel de formation bénéficiera à ces personnes, mais de manière marginale – de manière collatérale, irai-je jusqu’à dire –, et non principalement. Si l’on avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait fallu abonder le compte personnel de formation de manière inversement proportionnelle au niveau de qualification initiale des personnes. Il aurait même fallu le surabonder pour les personnes en situation de chômage de longue durée. Pareillement, il aurait fallu quasiment doubler les crédits du congé individuel de formation, identifié dans la plupart des rapports comme un système extrêmement efficace pour les demandeurs d’emploi. Or tel n’est pas le cas. Nous vous proposerons donc plusieurs amendements directement tirés du rapport de l’IGAS.
Troisième insuffisance, notée également dans la plupart des rapports, dont celui de M. Jeannerot : nous sommes confrontés à un problème de redistribution entre les financeurs puisque ce sont les petites entreprises qui payent pour les grosses. Demain, ce sera un peu chacun pour soi. On ne voit pas vraiment quels avantages en retireront les PME, qui sont justement celles que nous devons aujourd’hui le plus aider – cela a été dit par l’ensemble des membres du Gouvernement. Alors qu’il est nécessaire de les faire grossir, ce sont précisément elles qui sont les plus insatisfaites de cet accord, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre. Cela nous pose un problème, parce qu’elles ne sont pas accompagnées dans le cadre de ce plan. D’ailleurs, certains de nos collègues de l’Assemblée nationale ont plutôt tendance à considérer que cet accord est un beau cadeau qui a été fait aux grandes entreprises.
Pour résumer notre position, nous sommes assez réservés sur ce texte, qui ne répond que de manière extrêmement marginale aux orientations politiques que défend le groupe UDI-UC. Par conséquent, nous serons très attentifs au contenu du débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi, singulièrement les articles relatifs à la formation professionnelle destinés à transposer l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, est d’une grande complexité tant les sujets sont techniques. Ce n’en est pas pour autant une question inintéressante.
En travaillant sur le sujet, j’ai pu mesurer combien parler de la formation professionnelle, c’est en réalité parler des conditions de travail des salariés. C’est aussi parler des discriminations en raison de l’âge, du genre, des classes sociales et de la taille des entreprises qui emploient les salariés, c’est parler de la transparence comme de la démocratie, trop souvent absente, c’est parler de la précarité, des conséquences néfastes des temps partiels et des contrats précaires. Enfin, sans vouloir dresser de listes exhaustives, c’est parler du partage des richesses dans l’entreprise, du rôle des travailleurs, de leur reconnaissance, de la manière dont ils sont ou non reconnus dans les entreprises, de la responsabilité sociale de ces dernières envers celles et ceux qui créent des richesses.
Vous le savez, monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen défendent, avec d’autres – des économistes et des syndicalistes, notamment –, l’idée d’un élargissement de la sécurité sociale, afin que cette dernière protège nos concitoyens contre tous les risques ; une sécurité sociale rénovée et renforcée qui répondrait aux besoins des femmes et des hommes de notre pays, de leur naissance jusqu’à leur mort, une sécurité sociale qui assurerait plus qu’aujourd’hui les risques professionnels et où la solidarité et la mise en commun auraient vocation non plus seulement à indemniser le chômage, mais bel et bien à permettre aux salariés de ne plus connaître le chômage.
Ce projet ambitieux, nous le nommons sécurité d’emploi et de formation quand d’autres l’appellent sécurité sociale professionnelle. Bien qu’il porte deux noms différents, il s’agit bel et bien d’un projet commun, celui d’agir simultanément sur deux leviers : la sécurisation de l’emploi et le renforcement du droit effectif à la formation initiale et professionnelle, de telle sorte que celle-ci protège les salariés des aléas économiques.
Force est de constater, monsieur le ministre, que, si à de nombreuses reprises nos vocabulaires se sont croisés ou se répondent, nous divergeons sur les mesures qu’il convient de prendre. Alors que, pour nous, la sécurité des parcours professionnels passe inéluctablement par l’interdiction des licenciements boursiers, par l’instauration d’une fiscalité du capital plus forte, par la modulation des cotisations sociales en fonction de la politique sociale et d’emploi des entreprises, bref, par un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises, vous faites quant à vous le pari inverse.
J’en veux pour preuve que le Gouvernement a été le premier à instaurer une taxe sur les retraites pour financer la dépendance, plutôt que de créer, comme nous le proposions, une taxe sur les revenus financiers des entreprises.
J’en veux également pour preuve la manière dont vous avez permis, à l’occasion de la loi dite de « sécurisation de l’emploi », aux dirigeants d’entreprises de licencier sans motif économique les salariés qui refuseraient d’appliquer les accords de compétitivité, imaginés hier par Nicolas Sarkozy et Mme Parisot.
J’en veux encore pour preuve la manière dont vous avez imposé un allongement de la durée de cotisations sociales pour accéder à la retraite quand, dans le même temps, vous réduisiez les cotisations patronales sur la branche famille.
La réalité, c’est qu’il ne suffit pas de déclarer vouloir sécuriser l’emploi pour le faire réellement. La proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle en est un exemple de plus. Or comment garantir la sécurité des parcours professionnels sans s’attaquer à la racine du mal, c’est-à-dire sans combattre réellement et de front les conséquences désastreuses du capital et de son appétit sur le travail et les salariés ?
Certains, au MEDEF et parfois même à gauche, hélas ! semblent n’avoir, pour relancer notre économie, qu’un seul mot, celui de la réduction des coûts. Des coûts qui, soyons clairs, sont toujours salariaux ou sociaux. Ceux-là ne s’intéressent jamais à un autre coût, bien plus préoccupant à nos yeux, celui du capital.
Voilà peu, une étude a été menée par des économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, le CLERSÉ, à la demande de la CGT et de l’Institut de recherches économiques et sociales, l’IRES. Cette étude ne manque pas d’intérêt : elle montre que ce surcoût du capital est considérable. À titre d’illustration, en 2011, il représentait en France, pour l’ensemble des sociétés non financières, 94,7 milliards d’euros. Or cette captation par les actionnaires et les dirigeants des richesses produites dans les entreprises n’est pas sans conséquence sur la question de la formation professionnelle. Ces sommes accaparées pourraient utilement être consacrées à la recherche, à la modernisation des outils productifs, à l’investissement et à la formation des salariés.
Ces sommes colossales, qui ne servent aujourd’hui qu’à enrichir une minorité et à alimenter la bulle spéculative, manquent en réalité à l’économie réelle et privent les entreprises des moyens dont elles ont besoin pour se développer et réussir les innovations de demain. Cette ponction du capital nous prive en fait des outils dont nous avons besoin pour faire en sorte que les entreprises soient demain plus compétitives. Cette compétitivité retrouvée ne passera que par l’innovation et celle-ci suppose, outre un renforcement massif des moyens dédiés à la recherche et à l’investissement, des salariés formés aux techniques de pointe et aux enjeux de demain, notamment environnementaux.
En ce sens, parler de formation professionnelle, c’est parler inéluctablement du partage des richesses. De la même manière qu’hier, pour financer la protection sociale, le législateur a imaginé une ponction sur les richesses produites, nous sommes convaincus que, pour assurer un haut niveau de formation, il faut réduire la part de ces richesses qui alimentent le capital, il faut penser une nouvelle contribution sociale, mutualisée et solidaire, pour financer la formation professionnelle, soit l’inverse de ce qui est proposé dans le projet de loi. Car, ne l’oublions pas, sous prétexte d’instaurer un taux unique de contributions patronales, vous réduisez celui-ci de 1,6 % de la masse salariale à 1 % !
Comme s’il était possible de former plus et mieux avec des ressources réduites. Nous en doutons ! D’autant que cette mesure profitera aux entreprises les plus grandes, qui, non contentes de bénéficier d’une réduction notable de leur obligation de financement, pourront désormais faire le choix de ne plus mutualiser une partie de celui-ci, au détriment bien entendu des salariés des petites entreprises. Sans doute s’agit-il ici d’une anticipation de ce que sera le « pacte de responsabilité », à savoir des cadeaux faits au patronat, sans contreparties réelles.
La création de la sécurité sociale professionnelle que nous souhaitons bâtir repose également sur un principe d’universalité totale, de telle sorte que l’ensemble de nos concitoyens, en activité ou privés d’emploi, puissent acquérir des droits individuels et entièrement transférables leur garantissant l’absence de périodes de chômage.
En la matière, je dois dire que certaines dispositions prévues à l’article 1er sont salutaires. Je pense par exemple au fait que, contrairement aux dispositions actuellement en vigueur, les droits accumulés sur le compte personnel de formation le seront tout au long de la vie professionnelle et non uniquement pour une période de deux ans.
De la même manière, nous apprécions le fait que, comme nous l’avions proposé en 2009 et lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, vous ayez supprimé la disposition qui privait les salariés licenciés pour faute de la possibilité de conserver les droits accumulés au titre de leur droit individuel à la formation.
Pour autant, cela ne suffit pas à assurer réellement la formation de tous les salariés. Les salariés à temps partiel, qui sont les plus fragilisés économiquement, qui sont les plus soumis aux risques économiques et qui, dans l’immense majorité des cas, sont des femmes, continueront demain à être soumis à la règle de la proratisation, qui veut que les salariés à temps partiel ne puissent accéder qu’à des droits partiels en matière de formation. Maintenus dans la précarité, ces salariés demeureront parmi ceux qui peineront encore demain à accéder à la formation professionnelle. Des salariés que ce projet de loi n’épargne d’ailleurs pas, en repoussant de plusieurs mois, sans doute jusqu’à l’adoption du pacte de responsabilité, la règle de l’interdiction des contrats à temps partiel inférieurs à vingt-quatre heures.
Nous demeurons également inquiets quant au champ réel que recouvre le projet de loi. En effet, dans sa rédaction actuelle, il prévoit que les salariés qui ont perdu leur emploi pourront prétendre à la portabilité des droits acquis. La notion de perte ayant un caractère involontaire, nous sommes conduits à nous interroger sur le sort qui sera réservé aux salariés qui auront démissionné ou qui auront, de leur plein gré ou de manière plus ou moins contrainte, signé une rupture conventionnelle.
De la même manière, le projet de loi prévoit que le compte personnel de formation sera ouvert aux demandeurs privés d’emploi, sans préciser si cette expression inclut ceux qui ne sont pas inscrits à Pôle emploi ou qui ne perçoivent aucune indemnisation. Ces derniers sont quasiment plus nombreux que les chômeurs inscrits et indemnisés.
Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose d’élever nos ambitions collectives et de faire confiance aux salariés. Dans cet esprit, nous refusons que les employeurs puissent avoir leur mot à dire sur le contenu des formations ; ils ne disposent d’aucune compétence en la matière. C’est aux pouvoirs publics, en lien avec les professionnels de la formation, avec les représentants des employeurs et des salariés, de définir quelles formations peuvent ou non être éligibles. La ligne doit être claire : favoriser l’accès aux formations les plus qualifiantes, de telle sorte qu’elles constituent une opportunité pour les salariés.
Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose également de lever l’ensemble des freins que rencontrent les salariés. Je pense par exemple au fait que les employeurs puissent s’opposer à ce que le salarié se forme dès lors que la formation se déroule pendant le temps de travail.
Nous le savons pourtant toutes et tous, il est bien plus difficile de se former en dehors du temps de travail, après des journées professionnellement déjà bien remplies. D’autant que se pose la question terriblement concrète, mais réelle, de la conciliation des formations en dehors du temps de travail avec la vie privée et familiale. Malheureusement, la société est telle que, là encore, ce sont les femmes qui subissent cette double peine. C’est pourquoi, au groupe CRC, nous défendons l’idée que l’utilisation du compte personnel de formation soit impérativement individualisée. Autrement dit, il appartient au salarié et à lui seul de décider de la formation qu’il entend poursuivre et des conditions de sa réalisation.
Au regard des éléments que je viens de soulever, vous devinez, monsieur le ministre, combien nous aurions souhaité que vous alliez plus loin, par exemple en supprimant la référence à un plafond d’heures cumulables sur le compte personnel de formation ou même en organisant une portabilité totale du congé individuel de formation, dont le mécanisme ne fait l’objet d’aucune mesure.
Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots de l’articulation que vous proposez entre l’État et les régions.
Comme vous et avec celles et ceux qui, dans les régions, ont la responsabilité d’animer les politiques régionales en matière de formation, nous sommes convaincus de la pertinence de cet échelon. Pour autant, il nous semble important de réaffirmer que la formation professionnelle doit rester dans un cadre national, afin que chacun puisse bénéficier d’un égal accès à la formation.
Nos craintes en la matière sont importantes, car le projet de loi confie aux régions des missions en matière de formation professionnelle qui ne sont pas les leurs aujourd’hui. Ainsi, lorsqu’il est prévu que les régions assument l’information et l’orientation en matière de formation professionnelle tout au long de la vie, faut-il comprendre que l’orientation scolaire leur sera transférée ? Qu’adviendra-t-il des centres d’information et d’orientation, les CIO ? Parties prenantes du service public national de l’orientation, ils contribuent à garantir aux jeunes une information et des formations de qualité.
Notre crainte en la matière est que, demain, les CIO soient intégrés dans une logique de guichet unique, avec le risque que, par le biais de conventions entre les régions et différents acteurs, cohabitent des structures publiques et des structures privées, sans que les rectorats et l’éducation nationale puissent s’assurer de la qualité des informations prodiguées ou des formations proposées.
Je pourrais évidemment poursuivre sur le rôle des régions en matière de formation professionnelle, mais, le temps m’étant compté, j’y reviendrai lors de l’examen des articles.
Pour conclure – trop rapidement compte tenu du peu de temps qu’il me reste –, je tiens à vous exprimer, monsieur le ministre, notre opposition aux dispositions relatives à l’inspection du travail. Il s’agit d’une opposition de forme et de fond.
En intégrant cette question dans le projet de loi, censé transcrire dans la loi un accord national interprofessionnel, vous agissez comme d’autres le faisaient hier et que nous condamnions ensemble. Vous prenez appui sur un texte qui est le fruit d’une négociation et d’un accord pour imposer une mesure qui, vous le savez, n’a pas fait l’objet d’une concertation et est loin de faire l’unanimité. À tout le moins, vous auriez dû, comme vous l’avez fait avec les élections prud’homales, séparer des sujets qui n’ont rien à voir entre eux.
M. Jean Desessard. Bien sûr ! Bravo !
Mme Laurence Cohen. Quant au fond, nous sommes sceptiques, pour ne pas dire inquiets.
Si nous ne refusons pas l’idée que les inspecteurs puissent disposer demain de plus de pouvoirs, nous sommes opposés à la réorganisation qui accompagnerait cette montée en puissance. La disparition des sections d’inspection du travail actuelles et la création d’unités de contrôle au sein desquelles la répartition des entreprises et des secteurs géographiques sera confiée à un responsable, couplée à un renforcement de l’autorité hiérarchique sur les pouvoirs de contrôle des inspecteurs et contrôleurs du travail, nous font craindre à terme la disparition de l’autonomie d’action des inspecteurs et contrôleurs qui leur permettait d’agir librement, en dehors de toute pression, et notamment sur la base des informations transmises par les salariés eux-mêmes. C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe CRC, j’ai déposé un amendement de suppression de ces dispositions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les insuffisances que nous avons constatées, nos craintes quant à certaines dispositions et notre opposition à d’autres nous conduiront, à moins qu’une part significative de nos amendements ne soit adoptée – j’ai bon espoir qu’il en soit ainsi, car il y a toujours un esprit constructif dans cet hémicycle –, à voter contre le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le niveau élevé du chômage et l’accélération des mutations économiques doivent nous conduire à considérer le développement des compétences et des qualifications comme un outil majeur de l’accès, du maintien ou du retour à l’emploi des personnes et de la compétitivité des entreprises.
Le potentiel humain est la principale richesse de nos entreprises et sa valorisation peut en faire un véritable moteur de la croissance. Pourtant, force est de constater que notre système de formation est complexe, cloisonné et opaque, en un mot : inefficace. Ce constat, nul ne peut le contester. N’oublions pas que l’architecture actuelle de notre système de formation professionnelle date de 1971 et de la loi Delors, à une époque où le chômage n’existait presque pas. Il s’agissait alors de faciliter la promotion professionnelle et sociale, de donner en quelque sorte une seconde chance à tous les salariés qui n’avaient pas bénéficié d’une solide qualification au cours de leur formation initiale. Aujourd’hui, les besoins ne sont plus les mêmes, et si de nombreuses réformes ont permis quelques adaptations, aucune réforme globale n’a jamais été entreprise.
De nombreux rapports ont pourtant mis en évidence la nécessité de faire évoluer un système qui montre ses limites, en passant d’une logique de dépense à une logique d’investissement et en répondant aux besoins de sécurité et de promotion professionnelles des salariés. La France souffre en effet d’une inadéquation structurelle entre les compétences disponibles sur le marché du travail et les besoins nécessaires à la relance de son économie. Selon une étude parue en mars 2012, cette inadéquation produirait, à l’horizon de 2020, 2,3 millions d’actifs n’ayant pas les qualifications nécessaires, alors que 2,2 millions d’emplois seront non pourvus faute de compétences disponibles, avec un risque élevé que cette pénurie n’entraîne une délocalisation des activités concernées.
Malgré un financement considérable – 32 milliards d’euros –, le système profite surtout aux salariés qui en ont le moins besoin, c’est-à-dire aux salariés les plus qualifiés et à ceux issus des grandes entreprises. Les chiffres sont à cet égard éloquents : 56,5 % des ingénieurs et des cadres, contre seulement 32,4 % des ouvriers et 53 % des salariés dans les entreprises de plus de 1 000 employés, contre 29 % dans les très petites entreprises accèdent à une formation.
Nous le voyons bien, le système ne répond pas de manière satisfaisante aux besoins des salariés les plus vulnérables et les moins qualifiés. Selon un récent rapport, particulièrement critique, de l’Inspection générale des affaires sociales, seul un chômeur sur cinq bénéficierait d’une formation. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux d’engager une négociation en vue de réformer en profondeur la formation professionnelle. L’accord national interprofessionnel du 14 décembre dernier a jeté les bases du texte que nous examinons aujourd’hui.
Monsieur le ministre, nous saluons donc votre initiative d’avoir associé les partenaires sociaux, conformément aux vœux du Président de la République, qui affirmait : « Il n’y aura pas de loi dans le domaine de la vie économique et sociale qui pourrait être votée par le Parlement sans qu’il y ait eu une phase de dialogue et de concertation. » Nous devons bien évidemment nous en réjouir.
Après les emplois d’avenir, les contrats de génération et la sécurisation de l’emploi, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est un outil supplémentaire pour lutter contre le chômage et favoriser le retour à l’emploi. Cette réforme doit permettre « de renouer avec l’esprit de la loi Delors, qui prônait la promotion sociale des individus », comme l’a rappelé le Président de la République en ouverture de la deuxième conférence sociale. Il fallait surtout une réforme globale qui place l’individu au centre du dispositif et qui permette de passer d’une obligation de payer à une obligation de former. La formation doit être considérée comme un investissement et non plus comme une dépense.
La mesure phare de ce texte réside dans la mise en place du compte personnel de formation, créé par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Le CPF constitue un outil privilégié dans la réforme de notre système de formation. Ce dispositif permettra enfin à un grand nombre de salariés et de demandeurs d’emploi de se former. Surtout, il sera attaché à la personne et non plus au contrat de travail. Par ailleurs, l’augmentation du plafond à 150 heures, qui représentent le minimum horaire pour une formation qualifiante, est une avancée significative.
Nous saluons également la mise en place d’un entretien professionnel pour l’ensemble des salariés ainsi que la création du conseil en évolution professionnelle. Le texte prévoit également un bilan tous les six ans des actions accomplies et une sanction de l’employeur qui n’aura pas rempli ses obligations.
Toutes ces innovations vont dans le sens d’une meilleure sécurisation des parcours professionnels et apportent de nouvelles garanties aux travailleurs.
Concernant la gouvernance du système, la compétence de la région est enfin réaffirmée et renforcée. Elle sera dorénavant le véritable chef de file de la formation professionnelle, et plus seulement un financeur. Elle sera aussi chargée de la formation des personnes handicapées, des détenus et des Français établis hors de France, elle organisera les actions de lutte contre l’illettrisme et les formations pour acquérir le socle minimal de connaissances. La région devient l’échelon pertinent pour l’élaboration d’un service public régional de l’orientation et de la formation professionnelles tout au long de la vie, ce qui permettra d’améliorer le service rendu aux usagers par une meilleure prise en compte des besoins des entreprises et des territoires.
En matière d’apprentissage, il faut, à mon avis, aller plus loin. Une véritable réforme de l’apprentissage exige surtout une nécessaire valorisation de cet outil, qui souffre toujours aujourd’hui d’une image négative. Encore trop souvent considéré comme une « voie de garage », l’apprentissage constitue pourtant un véritable rempart contre le chômage. En effet, 60 % des apprentis décrochent un CDI à la fin de leur contrat d’apprentissage. Si nous voulons atteindre le niveau de l’Allemagne, où 60 % des entreprises ont recours à l’apprentissage, il nous faudra redoubler d’efforts.
S’agissant du deuxième volet portant sur « la démocratie sociale », nous en partageons l’essentiel et surtout l’esprit, à savoir la volonté de clarification : clarification dans le domaine de la représentativité des organisations patronales, du financement de la démocratie sociale, avec la création d’un fonds abondé à la fois par l’État et les entreprises, et enfin des comités d’entreprise. Sur ce dernier point, les mesures proposées renforceront, j’en suis sûre, la légitimité de ces instances sur lesquelles pèse depuis trop longtemps un climat de suspicion. Il fallait en finir avec une réglementation opaque, propice à une gestion inefficace dénoncée à maintes reprises par la Cour des comptes.
Enfin, nous comprenons que la réforme de l’inspection du travail ait pu susciter quelques inquiétudes, et je m’interroge effectivement sur l’opportunité d’introduire ce volet dans un projet de loi sur la formation professionnelle. Peut-être aurait-il été préférable de se pencher sur le sujet à l’occasion de l’examen d’un texte spécifique.