Mme Christiane Demontès et M. Jean-Claude Leroy. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre. Pour ce qui concerne la réforme de l’inspection du travail, les critiques qui s’expriment s’opposent entre elles sur certains points. Pour certains, nous affaiblirions l’inspection du travail en la mettant au pas pour satisfaire les revendications patronales. D’autres, à l’inverse, craignent que nous ne renforcions les pouvoirs de contrôle des inspecteurs, au détriment des entreprises.
À nouveau, où est la vérité ? Elle est dans l’équilibre de ce texte.
Ne rien changer serait condamner l’inspection du travail à une forme de fossilisation, à rester figée dans un format qui n’a jamais changé depuis sa création. Il faut conserver l’inspecteur du travail généraliste actif dans sa section de proximité, mais y adjoindre une organisation collective plus efficace.
Quant aux pouvoirs de l’inspecteur, ils sont garantis et augmentés, dans des cadres qui existent dans d’autres corps d’inspection : la liberté de décision de donner des avertissements ou des conseils plutôt que d’intenter ou de recommander des poursuites est confortée ; le responsable hiérarchique n’aura pas plus demain qu’il ne l’a aujourd'hui le droit de dessaisir l’agent d’un dossier ou de le changer d’affectation, ni de lui donner un ordre sur le contenu d’une décision ; les agents auront toujours une liberté d’organiser et de conduire des contrôles – sur les chantiers, dans les entreprises, ce sont eux qui continueront de décider, de constater, de dresser le procès-verbal, en toute indépendance, une indépendance d’ailleurs désormais gravée dans la loi, grâce à l’adoption d’un amendement important à l’Assemblée nationale.
Mettre en place une inspection indépendante, mais sachant s’organiser de manière à lutter collectivement contre la grande délinquance ou les grands risques : telle est l’ambition de la réforme, qui y ajoute un mouvement exceptionnel de promotion professionnelle, puisque les contrôleurs sont appelés à être transformés en inspecteurs dans les dix années qui viennent.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, un texte d’une telle ampleur ne peut satisfaire chacun sur tous les points, mais il en est de même des avancées que les partenaires sociaux obtiennent grâce à des compromis et qui ne peuvent satisfaire toutes leurs revendications. C’est un texte de progrès, qui instaure de nouveaux équilibres et apporte de nouvelles réponses aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Les forces qui croient au progrès le savent au fond d'elles-mêmes : chaque progrès est une conquête, rien ne vient jamais d'un seul coup. Ce texte fait de nombreux pas en avant, que je vais maintenant détailler.
Le pas puissant d'un texte produit par et dans le dialogue : donnons un signe fort en démontrant que cette méthode est la seule qui permette de réformer notre pays, et qu'elle est au fond acceptée et souhaitée par tous !
Le pas en avant d'un texte qui réforme la formation professionnelle comme elle ne l'a pas été depuis la loi Delors de 1971 et qui, pour quarante ans peut-être, refonde le système. Nous avons ici l'occasion d’écrire une page de l’histoire économique et sociale de la France.
Le pas décidé d'un texte qui affronte les déséquilibres du système : 50 % des salariés des entreprises qui en emploient plus de 1 000 ont accès à la formation, contre 30 % des salariés des entreprises qui en emploient moins de dix et 20 % des chômeurs. Une telle situation n’est plus admissible.
Le pas léger d'un texte qui simplifie le paysage complexe de la formation en créant une contribution unique de 1 % de la masse salariale tout en ramenant le nombre d'organismes collecteurs de près de 200 à une vingtaine au niveau national et à un par région.
Le pas important d'une loi qui crée le compte personnel de formation universel, portable et attaché à la personne.
Le pas résolu d'un texte qui remplace une obligation de financer par une obligation de former, en pariant sur la responsabilité des acteurs.
Le « pas après pas » qui achève de transférer à la région les compétences en matière de formation professionnelle, constituant ainsi un bloc homogène de compétences, au plus près du tissu économique et de ses besoins en savoir-faire.
Le pas décisif d'une réforme qui prend acte que la compétition mondiale se joue désormais majoritairement sur le terrain des compétences et des connaissances. Cette réforme doit donc encourager et donner envie à chacun de progresser d'un niveau.
Le pas d'une réforme qui règle le sujet resté pendant de la représentativité patronale – une question épineuse depuis bien longtemps –, selon un mécanisme clair et pertinent, fondé sur l'adhésion et un socle de critères communs à la représentativité syndicale.
Le pas de la transparence des mécanismes de financement du dialogue social, de manière à dissiper les fantasmes et les soupçons, ainsi qu'à assumer le fait que la démocratie sociale a un coût et que la démocratie politique s'honore à le garantir.
Enfin, le pas résolu, après deux ans de dialogue, vers la réforme d'une inspection du travail confrontée au changement du monde.
Face à autant de grands et de petits pas, je me félicite d’avoir maintenant avec vous un débat qui s'annonce riche et intéressant, comme il le fut à l'Assemblée nationale. Je ne peux que vous engager à réserver un accueil favorable à ce texte, pour lui permettre d'entrer en vigueur rapidement et favoriser ainsi une mise en œuvre fluide de ces réformes d'ampleur qui supposent l'intervention non seulement de textes réglementaires, mais aussi de négociations, en particulier dans les branches et les entreprises.
J'en terminerai en adressant un mot de remerciement à vous tous qui allez contribuer à ce débat. Je salue en particulier la présidente de la commission des affaires sociales, Mme David, qui comme toujours, malgré des délais très resserrés, a œuvré pour la qualité des travaux en commission. Je salue aussi la commission des finances et son rapporteur pour avis, M. Patriat, qui connaît parfaitement tous ces sujets, notamment la formation professionnelle et l'apprentissage, ainsi que, bien entendu, M. Claude Jeannerot, dont chacun connaît ici la maîtrise des dossiers, le sens de la pédagogie et l’humeur toujours égale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, plus de quarante ans après l'examen, au mois de juin 1971, des lois Delors qui ont bâti notre régime de formation professionnelle et d'apprentissage, je pourrais faire miens les propos alors prononcés à cette même tribune par celui qui me précédait dans la fonction de rapporteur, notre ancien collègue Adolphe Chauvin. Il émettait, selon ses propres termes, une « protestation solennelle » concernant les conditions d'examen de ces quatre textes,…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Déjà à l’époque !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. … jugeant, au vu des délais imposés à l'Assemblée nationale et au Sénat, qu'il était « parfaitement déraisonnable de faire travailler le Parlement dans de pareilles conditions ». (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Si le célèbre avis reçu de son neveu Tancrède par le Guépard était qu'il fallait que tout change pour que rien ne change, on constate au contraire ici qu'il faut que rien ne change pour que tout change (Sourires.) : rien ne change, malheureusement, sur le plan de la procédure parlementaire et de l'urgence dans laquelle nous sommes contraints d'examiner les projets de loi ;…
Mme Isabelle Debré. Tout à fait d’accord !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. … en revanche, grâce à ce texte, tout change dans les principes du système de formation professionnelle français.
Comme vous l’avez bien expliqué, monsieur le ministre, il était en effet urgent que la formation professionnelle redevienne un levier de qualification de tous les actifs, et donc un facteur de compétitivité pour nos entreprises et de sécurisation des salariés dans leurs parcours professionnels.
Ce texte est fidèle à l'objectif que Jacques Chaban-Delmas avait fixé en 1971 à la réforme dont il était l'initiateur : « donner à chacun une deuxième, voire une troisième chance, au cours de son existence professionnelle ».
Ce n'est pas là l'unique volet de ce projet de loi, qui comporte également d'importantes mesures visant à accroître la légitimité des acteurs du dialogue social, au niveau national comme à celui de la branche, achevant ainsi l’œuvre engagée par la réforme de la représentativité syndicale de 2008. Il poursuit également la réforme de l'inspection du travail, qui voit ses capacités d'action renforcées.
Son élaboration, précédée de la négociation et de la signature, par la majorité des partenaires sociaux, d'un accord national interprofessionnel, traduit l'engagement du Gouvernement en faveur d'une démocratie sociale vivante et respectée dans son domaine de compétence, défini à l'article L. 1 du code du travail. La preuve est ainsi apportée de la complémentarité des démocraties sociale et parlementaire, cette dernière restant bien sûr souveraine, mais se trouvant enrichie de cet apport essentiel.
Sans revenir sur l'ensemble des dispositions du projet de loi – le ministre en a fait une présentation exhaustive –, j'aimerais insister sur plusieurs innovations majeures de ce texte, pour lesquelles j'entrevois une pérennité comparable aux mesures de 1971, celles qui visaient – rappelez-vous – à construire la « nouvelle société ».
Les limites du modèle français de formation professionnelle sont bien connues. Tous les diagnostics réalisés ces dernières années – je pense au rapport remis en 2007 au nom de la mission commune d’information sénatoriale par notre collègue Jean-Claude Carle et notre ancien collègue Bernard Seillier ou à celui d’avril 2012 de notre collègue Gérard Larcher – mentionnent de nombreuses inégalités d'accès selon le niveau de formation initiale ou encore la taille de l'entreprise et l'inefficacité d'une partie des dépenses engagées en raison de l'obligation fiscale de financement du plan de formation.
Vous l'avez sans doute observé, les recommandations des rapports que j’ai cités sont convergentes : supprimer l'obligation légale afin que la formation redevienne, pour les entreprises, un investissement à part entière et mettre en place un compte individuel de formation attaché à chaque individu, et non à son statut. Ce projet de loi, mes chers collègues, en est la traduction. La réflexion mérite d'ailleurs d'être poursuivie pour que, d'un point de vue comptable, la formation figure un jour en haut de bilan, et ne soit plus considérée comme une charge.
À l'article 1er, le compte personnel de formation marque une rupture forte avec les outils de formation tels qu'ils ont été conçus jusqu'à présent et constitue – reconnaissons-le – une avancée réelle par rapport au droit individuel à la formation institué en 2004, qui est resté, malheureusement, inabouti. Plafonné à 150 heures – contre 120 heures pour le DIF – et alimenté à hauteur de vingt-quatre heures par an, le compte personnel de formation aura une validité permanente jusqu'au départ à la retraite de son bénéficiaire.
Surtout, les droits devront être utilisés pour financer des formations qualifiantes. À cette fin, le CPF s'articulera avec des abondements complémentaires, pour permettre de suivre des formations longues.
Vous l'avez compris, contrairement au DIF, le compte personnel de formation bénéficiera d'un financement dédié versé par les entreprises et défini dans le cadre de la refonte de l'obligation légale de financement.
En effet, les partenaires sociaux se sont accordés pour transformer l'obligation de dépenser, adoptée en 1971, en une obligation de former.
En lieu et place de l'obligation de financement du plan de formation et des divers dispositifs professionnalisants, une contribution au taux unique de 1 % de la masse salariale, contre 1,6 % aujourd'hui, est instaurée par l'article 4. Elle sera entièrement mutualisée selon plusieurs usages.
J’en ai la conviction, ce pari visant à responsabiliser les entreprises sera couronné de succès : en moyenne, elles consacrent déjà plus de 2 % de leur masse salariale à leur plan de formation. Le taux réduit applicable aux très petites entreprises est maintenu et la mutualisation en leur faveur renforcée.
Contrairement à ce que certains prétendent, les PME ne sont pas les laissées pour compte de cette réforme – je le souligne avec force –, puisqu’un nouveau versement mutualisé est institué au titre de leur plan de formation . Aujourd'hui, reconnaissons que le système est tellement peu redistributif que les PME de dix à quarante-neuf salariés financent à hauteur de 50 millions d’euros par an la politique de formation des entreprises de plus grande taille.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Pour les demandeurs d'emploi, le CPF sera une clé pour bénéficier de formations longues, auxquelles ils ont difficilement accès aujourd'hui, en particulier grâce à 300 millions d'euros de ressources supplémentaires.
Dans le même temps, le projet de loi procède à une clarification bienvenue de la répartition des compétences en matière de formation et de gouvernance régionale et nationale du système. En se voyant confier l'organisation et le financement du service public régional de la formation professionnelle, la région en devient le véritable chef de file. Elle pourra mettre en œuvre, dans le respect du droit communautaire, un service d'intérêt économique général.
Au niveau national, le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – le CNEFOP – se substituera aux instances existantes. Au niveau régional, un comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – le CREFOP – rassemblera toutes les parties prenantes pour adapter les politiques de formation, notamment le CPF, aux besoins des territoires.
L'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, n'est pas oubliée : le patrimoine actuellement détenu par l'État qui est mis à sa disposition pourra, dans certaines conditions, être transféré aux régions. Sur ce point, le texte a connu des avancées à l'Assemblée nationale, mais il peut encore être amélioré. Nous nous y emploierons ensemble.
Ce texte contient de nombreuses autres mesures, toutes d’importance, sur la formation professionnelle, visant notamment à encourager le dialogue social dans l’entreprise à ce sujet. Il élargit également l’accès à la formation pour les personnes en insertion par l’activité économique. Enfin, il contribue à la modernisation de l’apprentissage en sécurisant le parcours des apprentis, en rationalisant le processus de collecte de la taxe d’apprentissage et en garantissant que son produit aille prioritairement à l’apprentissage.
Je ne développe pas ces points pour l’instant, car nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail lors de la discussion des articles et des amendements.
Venons-en maintenant au deuxième volet du projet de loi, relatif à la démocratie sociale.
L’article 16 tend à définir les règles de la représentativité patronale et vient ainsi combler un vide juridique préjudiciable à la légitimité du dialogue social.
Cette réforme résulte, d’une part, de la position commune signée le 19 juin 2013 par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF et l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, et, d’autre part, du protocole d’accord conclu le 30 janvier dernier entre ces trois organisations et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, l’Union nationale des professions libérales, l’UNAPL, et l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UDES. Le projet de loi fixe ainsi un cadre global pour établir la représentativité des organisations patronales aussi bien au niveau des branches professionnelles qu’au niveau national interprofessionnel ou multiprofessionnel.
Il prévoit que la mesure de l’audience sera fondée non sur une élection, mais sur le nombre d’entreprises adhérentes, comme l’a fort bien expliqué M. le ministre.
Il définit par ailleurs des règles spécifiques en cas d’adhésion d’une organisation de branche à plusieurs organisations qui ont vocation à devenir représentatives au niveau national et interprofessionnel. La multi-adhésion n’est pas rare au niveau des branches. Ainsi, le Conseil national des professions de l’automobile, le CNPA, adhère à la fois au MEDEF, à la CGPME et à l’UPA.
Le projet de loi maintient cette liberté, mais prévoit que l’organisation de branche devra affecter une part déterminée de ses entreprises adhérentes à chacune des organisations de niveau national et interprofessionnel. Cette part ne pourra être inférieure à un seuil fixé par décret, seuil que le projet de loi encadre dans une fourchette comprise entre 10 % et 20 %.
Le texte définit également le droit d’opposition patronale à l’extension d’une convention ou d’un accord, et instaure quatre dispositifs ambitieux pour accélérer la restructuration des branches professionnelles.
L’article 18 institue un fonds paritaire afin de rendre transparent le financement des partenaires sociaux et de mettre ainsi un terme à un climat délétère de suspicion. Leur financement sera maintenu au même niveau qu’aujourd’hui, mais les circuits seront simplifiés, rendus publics et mieux contrôlés.
Je présenterai un amendement de la commission tendant à ce que toutes les organisations qui bénéficieront de financements du fonds paritaire soient informées des projets de décision et de délibération relatifs à la répartition de ces crédits.
L’article 19 traite de la transparence des comptes des comités d’entreprise, question sur laquelle notre commission s’est penchée en octobre dernier. Le projet de loi reprend l’essentiel des dispositions du texte que nous avions alors adopté sur proposition de son rapporteur, Catherine Procaccia, et il emporte par conséquent notre pleine adhésion.
Le troisième et dernier volet a pour objet une réforme de l’inspection du travail, sans doute la plus importante et la plus ambitieuse depuis des décennies. Je veux saluer ici l’engagement du Gouvernement, tout particulièrement celui du ministre du travail, dans l’élaboration d’un projet qui est, j’en suis convaincu, porteur de progrès. Pourtant, il fédère contre lui des critiques émanant des deux bords de l’hémicycle, qui me semblent méconnaître les garanties qu’apporte ce projet de loi équilibré.
Certains dénoncent une réforme qui porterait atteinte aux principes essentiels fondant l’inspection du travail, comme l’indépendance et la liberté dans les suites données à un contrôle. Je rappellerai tout d’abord que l’Assemblée nationale a consacré ces principes dans le code du travail, répondant ainsi à une demande des agents.
En outre, les futurs responsables d’unité de contrôle seront des inspecteurs comme les autres, chargés d’assurer, notamment dans la mise en œuvre des actions collectives, l’animation et l’accompagnement des agents de contrôle placés sous leur autorité. En somme, ce lien ne sera pas plus attentatoire à la liberté des agents que ne l’est celui qui existe aujourd’hui entre les inspecteurs et les contrôleurs au sein d’une section d’inspection.
Enfin, le risque de chevauchement des compétences, lors d’un contrôle commun, entre les agents des unités de contrôle territorialisées, des unités régionales de contrôle et du groupe national de contrôle d’appui et de veille me semble essentiellement théorique. En pratique, les structures régionales et nationales agiront évidemment en concertation avec les agents de terrain ; elles se concentreront surtout sur les chantiers et les entreprises mobiles, pour lutter contre le fléau du travail illégal, tandis que chaque agent de contrôle demeurera libre de déterminer quelles suites il entend donner à ses contrôles.
D’autres, à l’inverse, soulignent les risques d’arbitraire que ferait courir la réforme à l’encontre des employeurs. Je veux rappeler que si la procédure de sanction administrative est engagée par l’agent de contrôle, c’est le directeur de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi, qui prendra la décision de sanctionner l’employeur, après l’avoir invité à présenter ses observations dans un délai d’un mois. L’agent de contrôle ne sera donc pas juge et partie ; des contre-pouvoirs existeront au sein même de la DIRECCTE et les droits de la défense seront respectés. Toute sanction pourra être contestée devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. De même, la transaction pénale sera engagée par le directeur de la DIRECCTE, mais nécessitera l’homologation préalable du procureur de la République. Quant aux plafonds des amendes administratives, ils sont cohérents avec ceux que prévoit actuellement le code du travail.
Monsieur le ministre, nous devrons ensemble faire œuvre de pédagogie pendant l’examen de ce texte au Sénat afin de dissiper les inquiétudes que suscite cette réforme. Je considère pour ma part, je l’ai dit, que le texte qui nous est proposé est équilibré : il donne de nouveaux pouvoirs à l’inspection du travail pour mieux défendre les intérêts élémentaires des travailleurs, tout en respectant les droits des employeurs et les principes de l’État de droit. Nous présenterons néanmoins un amendement visant à améliorer encore l’information des agents de contrôle lorsque la procédure de transaction pénale est engagée.
Je vois donc une grande cohérence dans ce projet de loi, qui répond tout à la fois aux besoins des salariés et à ceux des entreprises françaises. Une formation professionnelle efficace, adaptée aux besoins de l’économie et redevenue un outil de qualification et de promotion sociale, un dialogue social marqué par la légitimité de ses acteurs et la transparence de leurs financements, une inspection du travail efficace et impartiale : cela ne correspond-il pas aux exigences de notre économie et, plus largement, de notre société ?
La commission des affaires sociales n’a pas semblé le croire puisque, contre l’avis de son rapporteur, elle n’a pas adopté de texte sur ce projet de loi lors de sa réunion du mercredi 12 février dernier. Elle avait néanmoins auparavant adopté les cinquante-trois amendements que je lui avais proposés. Nos débats porteront donc sur le texte du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Patriat, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Claude Jeannerot, rapporteur sur le fond, vient de nous décrire en détail les enjeux du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. J’approuve ses conclusions, aussi irai-je pour ma part droit au but s’agissant de ce que j’estime être les principales vertus de ce texte et des raisons qui ont conduit la commission des finances a en recommander également l’adoption dans le cadre de sa saisine pour avis, sous réserve des quelques modifications, pour la plupart de forme, qu’elle a proposées.
La question de l’opportunité de la saisine pour avis de la commission des finances s’est d’emblée posée en raison de l’ampleur de la réforme proposée et des modifications profondes apportées au financement de la formation professionnelle, dont les chiffres ont été présentés, à l’organisation des organismes paritaires et à la collecte de la taxe d’apprentissage, au périmètre de compétences et de financement de la formation professionnelle par les régions et, enfin, au financement des organisations syndicales et patronales.
L’examen de ce projet de loi montre que, malgré la diversité des questions traitées, il se dégage une cohérence d’ensemble et trois objectifs majeurs, en tous cas trois qualités essentielles qu’il convient de reconnaître au texte, à savoir la simplification, la clarification et l’optimisation.
J’ai plus particulièrement considéré que les cinq articles qui justifiaient la saisine pour avis de la commission des finances répondaient à ces trois objectifs.
Ainsi, l’article 9 vise à simplifier le dispositif de collecte de la taxe d’apprentissage, à clarifier le circuit de répartition du produit de cette taxe et à en optimiser la gestion. Monsieur le ministre, pour avoir présidé une grande région française, vous êtes parfaitement au fait de ce sujet de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Pour leur part, les articles 9 bis et 9 ter, adoptés par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement pour remédier à la censure par le Conseil constitutionnel de plusieurs alinéas de l’article 60 de la loi de finances rectificative pour 2013, tendent également à répondre à ces trois objectifs en réformant la taxe d’apprentissage.
De son côté, l’article 15 prévoit la compensation par l’État des transferts de compétences aux régions prévus aux articles 6 et 11 en matière d’apprentissage et de formation professionnelle. Là encore, l’achèvement du processus de transfert aux régions de ces compétences va dans le sens de la simplification, de la clarification et de l’optimisation.
Enfin, il en va de même de l’article 18, qui vise à réformer le financement des organisations syndicales et patronales en créant un fonds paritaire dont les ressources émaneront des employeurs, des organismes paritaires et de l’État.
Il faut saluer ces avancées, qui mettent en application la plupart des recommandations que j’avais formulées l’an dernier, au nom de la commission des finances et avec votre accord, monsieur le ministre, pour une réforme de la collecte et de la répartition du produit de la taxe d’apprentissage ; j’en tire tout de même une petite fierté ! (Sourires.)
Dans ce rapport, nous avions appelé à une réforme profonde et urgente, dans le respect des trois principes de simplification, de décentralisation et de paritarisme. Je rappellerai maintenant quelles étaient nos principales préconisations.
Nous recommandions tout d'abord de simplifier, de clarifier et d’homogénéiser la collecte en rationalisant le réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage, les OCTA, en réduisant leur nombre, en créant une « tête de réseau » des organismes collecteurs et en instaurant une comptabilité analytique obligatoire, ainsi que des conventions d’objectifs et de moyens.
Nous avions ensuite proposé d’introduire un pilotage régional dans la répartition de la taxe d’apprentissage en fonction des priorités de formation définies, par exemple, au travers du contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle, le CPRDFP.
Nous avions enfin recommandé d’associer l’ensemble des acteurs en introduisant le paritarisme dans la collecte et la répartition des fonds, de fusionner la taxe d’apprentissage avec la contribution de développement de l’apprentissage, la CDA, et de recentrer la taxe d’apprentissage vers le financement de l’apprentissage en augmentant la place des régions dans la gouvernance de la répartition des fonds, notamment en leur confiant la gouvernance des fonds non affectés par les entreprises, en coordination avec l’État et les partenaires sociaux. Il s’agit bien là de paritarisme !
Il faut se féliciter que l’essentiel de ces recommandations ait été mis en œuvre par le Gouvernement, d’abord par le biais de la loi de finances pour 2014, ensuite dans la loi de finances rectificative pour 2013 et enfin au travers du présent projet de loi. C’est la raison pour laquelle la commission des finances, saisie pour avis, a émis un avis favorable à l’adoption de ce texte.
Pour autant, comme je l’ai annoncé en introduction, je présenterai, au nom de la commission des finances, quatre amendements : le premier de fond, le deuxième de précision et les deux derniers purement rédactionnels.
Je m’arrêterai quelques instants sur les deux premiers amendements, portant sur l’article 9, qui réforme profondément les modalités de collecte et de répartition de la taxe d’apprentissage et opère une rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage aux niveaux national et régional, ramenant leur nombre de 147 à une vingtaine à l’échelle nationale – les OPCA nationaux de branches professionnelles ou interprofessionnelles seront agréés pour remplir les fonctions d’OCTA – et à un par région, soit 46 au total.
À l’échelon régional, une seule chambre consulaire sera habilitée à collecter et à reverser les fonds affectés de la taxe d’apprentissage, selon des modalités définies dans le cadre d’une convention conclue avec les autres chambres consulaires de la région. Cela va dans le sens de la simplification, de la clarification et de l’optimisation que j’évoquais tout à l'heure.
De plus, l’article 9 instaure une procédure nouvelle associant la gouvernance régionale, en particulier le conseil régional, aux termes de laquelle les OCTA procèderont dorénavant à l’affectation des fonds dits « libres », non affectés par les entreprises. Vous avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre, que le principe de la liberté d’affectation des fonds était maintenu, mais qu’une partie de ces derniers serait affectée ensuite.
Nous avons estimé – il s’agit là d’un point de désaccord entre nous – que la rédaction retenue dans le projet de loi était perfectible. En effet, elle ne précise pas si les versements effectués par les organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage doivent être ou non réalisés conformément aux observations et aux propositions issues de la concertation organisée par la région. En un mot, les préconisations de la région fondées sur les besoins du territoire seront-elles respectées par les OCTA ? Cette procédure n’offre pas de lisibilité sur le point de savoir si les propositions de la région et des partenaires sociaux seront prises ou non en considération.
Notre premier amendement aura donc pour objet de clarifier les conditions de répartition des fonds du solde du quota non affectés par les entreprises en renforçant le rôle de la gouvernance régionale.
Aussi je suggère que, à l’issue d’une concertation sur la proposition des organismes de collecte, la région décide de la répartition des fonds dits « libres » qui ne sont pas affectés par les entreprises. Je sais que le Gouvernement ne sera pas nécessairement favorable à cet amendement, mais je préfère défendre ici cette position quelque peu « maximaliste », quitte à me rallier, lors de la discussion des articles, à une solution de repli permettant aux organismes de collecte de continuer à procéder à leurs propres versements, par décision motivée si les versements en question ne sont pas conformes aux recommandations émises par la région.
Un deuxième amendement aura pour objet d’étendre aux organismes de collecte de la taxe d’apprentissage l’application des dispositions introduites sur l’initiative du Sénat dans la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie et visant à instaurer la conclusion d’une convention triennale d’objectifs et de moyens entre les organismes de collecte paritaires agréés et l’État ainsi que leur évaluation et la publication triennale d’un bilan.
Pour conclure, j’aborderai très rapidement les deux autres articles faisant l’objet de notre saisine pour avis.
Les articles 9 bis et 9 ter visent à remédier aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 ayant censuré, parce qu’insuffisamment précis, plusieurs alinéas de l’article 60, portant réforme de la taxe d’apprentissage, de la loi de finances rectificative pour 2013, relatifs aux règles d’affectation du produit de la taxe d’apprentissage. En un mot, le Conseil constitutionnel a jugé que cette affectation ne pouvait relever parfois de la loi et parfois du règlement, et qu’il fallait statuer une fois pour toutes.
Il faut se souvenir que les dispositions de l’article 60 de la loi de finances rectificative pour 2013 opéraient la fusion de la taxe d’apprentissage et de la contribution au développement de l’apprentissage et posaient de nouvelles règles d’affectation du produit. Ainsi, une « première fraction », dont le montant est au moins égal à 55 % du produit de la taxe due, était affectée aux régions, tandis que les modalités d’affectation du produit de la taxe d’apprentissage d’une « deuxième fraction », dénommée « quota », attribuée aux centres de formation d’apprentis et aux sections d’apprentissage, étaient renvoyées au pouvoir réglementaire.
C’est sur ce dernier point que le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 60, estimant que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.
Aussi les deux articles 9 bis et 9 ter du présent projet de loi prévoient-ils de réintégrer les dispositions censurées en veillant à préciser dans la loi le taux – 21 % – de la fraction du quota de la taxe d’apprentissage réservée au développement de l’apprentissage et celui – 23 % – du hors quota au titre des dépenses réellement exposées en vue de favoriser les formations technologiques et professionnelles initiales.
De facto, la part régionale du produit de la taxe d’apprentissage s’établira à 56 %, et je m’en réjouis. Il était nécessaire d’introduire ces dispositions dès maintenant, afin de permettre à toute la chaîne des acteurs de l’apprentissage de préparer l’application de cette réforme pour le 1er janvier 2015.
L’article 15, quant à lui, prévoit la compensation par l’État des transferts de compétences aux régions, dont le coût est estimé entre 150 millions et 200 millions d’euros. Monsieur le ministre, il faudra que le Gouvernement soit plus précis et explicite sur la question du financement de ce transfert de compétences. Les régions doivent savoir sur quels types de recettes de compensation elles pourront compter pour 2015 et les années suivantes. Il s’agit d’un sujet rémanent, si j’en juge par les différents textes de loi que nous allons examiner d’ici à cet été !
Enfin, je terminerai par l’un des articles emblématiques de ce projet de loi, à savoir l’article 18, relatif à la réforme et à la modernisation du financement du paritarisme.
La philosophie générale du dispositif est de passer d’un système opaque et illisible de financements éclatés entre différentes sources, principalement liées à la gestion paritaire d’organismes, à un système transparent de financement du coût du dialogue social, centralisé dans un nouveau fonds paritaire. Il s’agit d’instaurer un financement mutualisé à coût constant avant et après la réforme.
Si la réforme doit normalement être neutre pour les entreprises, il faut souligner que le budget global de ce nouveau fonds paritaire devrait dépasser 140 millions d’euros, dont près de 30 millions d’euros de subventions de l’État. Là encore il conviendra, dès le projet de loi de finances pour 2015, de s’assurer que cette dotation budgétaire réponde à ces mêmes impératifs de simplification, de clarification et d’optimisation que j’ai évoqués.
Enfin, monsieur le ministre, je présenterai, à titre personnel et avec quelques-uns de mes collègues, un certain nombre d’amendements n’entrant pas dans le cadre de la saisine de notre commission.
Au bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)