M. Jean Bizet. Eh non !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vous rappelle, monsieur Bizet, que l’autorisation de mise sur le marché qui a été donnée au maïs Monsanto en 1998 valait pour dix ans. Si je calcule bien, la durée de cette autorisation est donc largement dépassée ! Nous aussi, nous pouvons faire du juridisme... (M. André Gattolin applaudit.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je rappelle également que les règles environnementales utilisées désormais par l’EFSA dans ses études préalables à l’autorisation ou à la non-autorisation des OGM ont été largement renforcées, en particulier depuis 2008.
Nous pourrions donc utiliser des arguments juridiques pour justifier la présente proposition de loi, de même que vous pouvez effectivement, monsieur le sénateur, considérer que ce texte n’est pas compatible avec le cadre européen actuel.
Je rappelle toutefois que nous devons agir vite, car les semis se font au printemps. Il faut donc bien que nous décidions maintenant si la mise en culture des OGM, en particulier de ceux qui existent aujourd'hui, peut être ou non autorisée.
Pour ce qui est du TS 1507, c’est à la Commission qu’il appartient de décider si sa mise en culture doit être autorisée.
L’objet de notre débat d’aujourd'hui et de la présente proposition de loi est de nous permettre de disposer d’un cadre à la suite de la décision du Conseil d’État et de trouver une solution pour l’immédiat, sachant que, à moyen et long terme, la France souhaite renégocier le cadre législatif à l’échelle européenne.
Nous ne disons pas simplement que nous ne voulons pas d’OGM. Nous voulons mettre en place des critères objectifs afin que chaque État puisse prendre des décisions juridiquement fondées à l’échelle européenne. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’absence de règles qui prévaut aujourd'hui, avec le recours aux clauses de sauvegarde et aux moratoires, car ils ne sécurisent pas les décisions que nous prenons !
En attendant, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de soutenir la proposition de loi présentée par M. Fauconnier, car elle nous permettra de disposer d’un cadre et d’engager des discussions afin de modifier la législation européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’initiative de notre collègue Alain Fauconnier, qui nous donne l’occasion de rouvrir le débat sur les OGM, ô combien d’actualité !, à la Haute Assemblée.
La période des semis approchant à grands pas, la présente proposition de loi examinée selon la procédure accélérée est un signal politique fort : son adoption permettrait de prendre des mesures rapides pour interdire la mise en culture de maïs OGM en France. Nous espérons que la voie législative constituera un cadre réglementaire adapté au respect de cet objectif sur notre territoire.
Ce qui s’est passé à Bruxelles à propos de l’autorisation de mise en culture de la nouvelle variété de maïs OGM TC 1507 est totalement révoltant et montre bien la nécessité de revoir les règles procédurales de l’Union européenne en matière d’autorisation des OGM.
En effet, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, malgré l’opposition de dix-neuf pays sur vingt-huit à cette nouvelle culture de maïs, l’absence de majorité qualifiée n’a pas permis de repousser la demande du groupe américain Pioneer.
Nous appelons aujourd’hui la Commission européenne à prendre en compte l’opposition qui s’est exprimée au Parlement et au Conseil européens à ce sujet. Il ne serait pas tolérable que, en dépit d’une opposition massive des citoyens européens à l’introduction d’OGM, l’autorisation soit donnée au semencier américain. Ce serait une profonde insulte à la démocratie.
En tout état de cause, l’adoption de la présente proposition de loi préserverait le territoire Français de ce maïs TC 1507.
Quant au maïs MON 810, l’autre variété concernée, la France est une opposante historique à sa mise en culture. Cependant, celle-ci est de facto autorisée depuis l’annulation par le Conseil d’État de l’arrêté ministériel d’interdiction. Si le texte qui nous est proposé aujourd’hui est adopté, le territoire français continuera à être préservé du maïs MON 810.
D’aucuns nous rétorqueront une fois encore à nous écologistes, que nous sommes opposés au progrès de la science,…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est vrai !
M. Jean Bizet. Ah ! très bien !
M. Joël Labbé. … que nous avons une vision conservatrice de l’agriculture. Nous connaissons bien la chanson ! Toutefois, ce qui conforte notre opinion et nous réconforte, c’est que nous sommes de moins en moins seuls.
Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez pas les premiers ! D’autres que vous se sont préoccupés avant de la question !
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Vous lancez des OPA sur tout !
M. Joël Labbé. J’ai apprécié la référence à l’éthique de M. le rapporteur et celle au débat démocratique de M. le ministre.
Cela dit, en termes de performance scientifique, les recherches sur le maïs relèvent de la prouesse : rendre une plante elle-même insecticide ou tolérante à tous les herbicides qui sont utilisés pour les autres plantes, ou mieux encore, obtenir les deux à la fois, quel progrès ! Cependant, science, sans conscience... Le business, lui, ne se préoccupe pas de la ruine de l’âme ! Nous sommes favorables à la science, à la recherche et à la technique, à condition qu’elles soient au service de l’humanité. La semaine dernière encore, nous en avons appelé à une recherche qui s’oriente vers de nouvelles mesures qui feront de la France le leader de l’agro-écologie. Oui, nous en avons besoin !
Tout à l’heure, M. Bizet affirmait qu’il n’y avait plus de recherche. C’est faux ! Il existe de larges perspectives pour la recherche, au service de l’humanité bien entendu.
Les risques environnementaux liés à la culture des deux sortes de maïs OGM visées sont très bien expliqués dans l’exposé des motifs : incidence sur la biodiversité et sur les insectes non cibles, notamment les abeilles, apparition d’insectes résistants aux insecticides et d’adventices tolérantes aux herbicides… La nature étant bien faite, les organismes finissent toujours par s’adapter, même aux milieux hostiles !
Lorsque j’étais étudiant, voilà bien longtemps, j’ai lu sur un mur le graffiti en anglais suivant : If you fuck the nature, one day the nature will fuck you anyway.
M. Jean Bizet. Effectivement, c’est mieux en anglais !
M. Joël Labbé. Les conséquences socio-économiques de la culture des OGM sont énormes : celle-ci met en péril les filières traditionnelles, conventionnelle ou biologique, ainsi que l’apiculture, par la dissémination incontrôlée et incontrôlable des pollens dans d’autres produits.
Quant aux conséquences sur la santé humaine, les polémiques récentes ont largement démontré le manque de consensus sur l’innocuité des biotechnologies, incitant à réaffirmer haut et fort l’application du principe de précaution.
M. Jean Bizet. Que vous n’avez pas voté !
M. Joël Labbé. La multiplicité des risques environnementaux, socio-économiques et sanitaires liés à l’introduction de cultures OGM en Europe est telle qu’une remise à plat totale du dispositif communautaire d’évaluation, d’autorisation et de contrôle des OGM est nécessaire.
Dans ce contexte, il est tout à l’honneur de notre pays de ne pas céder à la pression des lobbies OGM. Les écologistes apportent leur plein soutien au Gouvernement dans ce combat.
Je voudrais en cet instant faire un rappel. Alors que nous nous focalisons aujourd’hui sur l’interdiction de cultures OGM sur notre territoire, les importations massives d’OGM destinées à l’alimentation animale se poursuivent en Europe.
En 2011, on estimait que la France importait 4,5 millions de tonnes de soja, dont près de 80 % étaient génétiquement modifiés.
Non seulement nous sommes totalement dépendants d’un système qui nous expose à une grande volatilité des prix, confirmée ces dernières années, mais encore nous retrouvons des traces d’OGM dans nos produits de consommation courante, tels que la viande, les œufs ou les laitages, sans que nous puissions connaître réellement leurs effets à long terme sur la santé humaine.
Notre pays ne pourra cesser d’être dépendant au soja transgénique – c’est surtout cette culture qui est concernée – sans une réelle implication des pouvoirs publics afin de faciliter l’émergence d’une filière qui lui soit propre.
Alors que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt sera examiné très prochainement dans cet hémicycle, monsieur le ministre, nous attendons la mise en œuvre d’un plan de relance de la production de protéines végétales alternatif aux cultures d’organismes génétiquement modifiés, afin de garantir l’indépendance alimentaire de la France.
En outre, nous permettrons aux populations du Sud de reconquérir leur propre indépendance alimentaire. Aux productivistes liés à l’agro-business qui osent claironner qu’il faut bien nourrir la population de la planète, nous répondons : « Commençons par cesser d’appauvrir et d’affamer les populations les plus pauvres ! »
Il est fondamental de tenir compte de l’éthique dans le présent débat. Nous, écologistes, espérons que notre pays ne commettra pas la folie d’intégrer l’agriculture dans un accord de libre-échange transatlantique. Nous aurons beau réguler les OGM en France, si nous laissons les portes grandes ouvertes, une masse d’OGM se déversera sur notre pays.
Cela étant, c’est avec une grande satisfaction que les membres du groupe écologiste voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire, en préambule, à quel point je trouve regrettables, inutiles et peu respectueuses du travail parlementaire les conditions dans lesquelles la présente proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux puis est maintenant examinée.
En effet, ce texte a été déposé par son auteur le 4 février sur le bureau de notre assemblée ; après la nomination d’un rapporteur dès le lendemain, il a été examiné en commission le 12 et il nous est soumis ce jour en séance publique.
A-t-on jamais vu une telle précipitation ? Quel danger imminent pour la population justifie une telle accélération du processus de discussion parlementaire ? Pourquoi le texte initialement déposé ne traitait-il que du maïs Monsanto 810 et non de tous les maïs, des plantes génétiquement modifiées ou des biotechnologies ?
Tout cela est d’autant plus regrettable que cette mascarade est faite avec la complaisance du Gouvernement, pour ne pas dire à sa demande...
M. Roland Courteau. Mais enfin !
M. Jean Bizet. D’une part, le Gouvernement a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour qui lui est réservé, donnant ainsi le signal qu’il en partageait la teneur. D’autre part, il a engagé, ce qui est très rare au sujet d’une proposition de loi, la procédure dite « accélérée ». Ainsi, chaque assemblée ne procédera qu’à une lecture de ce texte.
Nous dénonçons la manœuvre, dont nous percevons bien la finalité : contourner les décisions adoptées à l’échelon communautaire en prenant le risque d’élaborer un dispositif juridiquement fragile. En effet, les États membres n’ont pas réuni la majorité qualifiée requise pour que soit rejetée la demande d’autorisation de mise en culture du maïs transgénique TC 1507 au niveau européen. Une telle autorisation devrait donc être prochainement délivrée.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à un moratoire sur la mise en culture de semences OGM, plus particulièrement le maïs Monsanto 810. En conséquence, il utilise tous les moyens, même des moyens juridiques moindres, comme je le démontrerai lorsque je défendrai tout à l’heure la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
J’ai la faiblesse de penser que procéder ainsi, en contraignant le travail du Parlement et en essayant de légiférer en catimini, ne grandit pas le rôle du législateur et ne permet pas d’aborder la question des OGM de façon rationnelle et sereine. Interdire de façon générale la mise en culture des maïs transgéniques, c’est nier tout le travail passé d’écoute et d’analyse, ainsi que les résultats des études scientifiques. Il s’agit vraiment, à mon avis, d’une position doctrinale.
Nous sommes là aux antipodes du travail lancé voilà quelques années avec notre collègue Jean-Marc Pastor, comme le sait M. Raoul. Dans cette assemblée, qui témoigne d’une vision d’avenir sur cette question, nous nous étions mis d’accord sur dix-sept propositions.
Je regrette que le débat n’ait pas pu continuer dans cette voie, car nous abordons maintenant cette question sous un angle purement politique et non plus économique.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé la tenue d’un débat démocratique – je m’en réjouis – au Haut Conseil des biotechnologies le 1er avril – hasard du calendrier –, mais, je l’avoue, je reste malgré tout dubitatif : comment est-il possible d’avoir un tel débat alors que nous faisons aujourd'hui mentir les agences que notre Haute Assemblée, le Parlement européen ainsi que le Conseil européen ont contribué à créer ? Je pense en particulier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments instaurée en 2002. Cela augure mal de la démocratie dans ces conditions.
En revanche, je note que vous êtes prêt à ouvrir une deuxième page de l’histoire des biotechnologies, et j’y souscris. Je travaillerai alors avec vous de manière constructive.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je suis opposé non pas à un débat parlementaire sur les OGM, mais simplement au fait d’entretenir sciemment la confusion et la défiance à l’égard des biotechnologies dans l’esprit de nos concitoyens. C’est dommage, car il s’agit d’un dossier éminemment stratégique, comme nous l’avons souvent constaté avec M. Daniel Raoul. En effet, qui possède la propriété intellectuelle des traits génétiques possède une arme alimentaire qui, malheureusement, échappe aujourd'hui aux entreprises européennes, particulièrement aux entreprises françaises. C’est bien là l’ambition à peine voilée de ce texte. Il n’est qu’à considérer l’approximation scientifique de certaines phrases de l’exposé des motifs, les imprécisions et les amalgames.
J’en donnerai deux exemples : aucune autorité scientifique n’a conclu à un risque avéré pour la biodiversité ou les insectes non cibles du maïs Monsanto 810 ; quant aux abeilles, nous sommes tous préoccupés par la baisse de leur population mais, à ce stade, il n’existe pas de lien de causalité avec les OGM. De surcroît, de l’avis de tous les scientifiques, les abeilles butinent peu le maïs, car son pollen ne représente pas, pour elles, une bonne nourriture.
M. Joël Labbé. Elles s’en abreuvent !
M. Jean Bizet. Ces scientifiques n’ont pas fréquenté la même école que vous, mon cher collègue, j’en suis désolé !
J’observe à ce sujet que les propos de notre collègue Fauconnier peuvent varier…
Enfin, l’AESA a rendu un avis sur la sûreté du pollen de maïs Monsanto 810.
Toutefois, il serait temps de revenir à la raison et à la modération et de dire que nous disposons d’un arsenal juridique d’encadrement des mises en culture des espèces OGM pleinement respectueux du principe de précaution, et élaboré après de longues réflexions.
Nous avons légiféré en 2008 pour transposer la directive 98/8/CE. Le texte adopté, dont j’étais le rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques, a permis de doter la France de dispositions législatives équilibrées et complètes. S’appuyant sur le principe de précaution et affirmant la liberté de produire ou de consommer avec ou sans OGM – comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous respectons la volonté de l’agriculteur ou du consommateur –, ce texte fondateur a instauré un régime de responsabilité sans faute à l’égard du préjudice éventuel dû à une dissémination fortuite d’OGM. Il a également mis en place une information des citoyens par le biais d’un registre national des cultures OGM. Le risque de la pollinisation croisée a été traité par l’instauration de distances appropriées entre différents types de cultures. Enfin, le législateur a pris soin de créer une instance unique, indépendante et pluridisciplinaire, le Haut Conseil des biotechnologies. Au sein de cet organisme, il a bien distingué l’avis des experts, réunis au sein du comité scientifique, de la parole de la société civile, représentée par le comité économique, éthique et social, dans le respect des points de vue de chacun.
Aujourd’hui, notre arsenal législatif est donc bien suffisant et complet. Efforçons-nous simplement de le respecter et de l’utiliser comme il convient. Nul besoin de procéder à des interdictions comme celle que prévoit la présente proposition de loi, à moins que l’on ne veuille défendre une position idéologique sur les biotechnologies et se priver d’analyses rigoureuses. Cessons de dresser en permanence des rideaux de fumée par l’adoption à répétition de clauses de sauvegarde, dont on sait pertinemment qu’elles seront annulées par le Conseil d’État, comme ce fut encore le cas le 1er août 2013, à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne.
Permettez-moi de rappeler les motifs de cette décision du Conseil d’État, quasi identique à celle qu’il avait rendue le 28 novembre 2011 à l’encontre d’un arrêté pris par le précédent gouvernement. L’argumentation du Conseil d'État repose sur quatre points extrêmement précis, que j’indique à l’intention de M. le rapporteur.
Premièrement, « le maïs génétiquement modifié MON 810 n’est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l’environnement que le maïs conventionnel ». Le Conseil d'État s’appuie sur l’avis des agences. Nous avons effectivement créé des agences. Si nous essayons de les faire mentir quand leur avis ne nous convient pas, nous n’aurons plus de repères. Je ne sais pas où va ce pays, en ce domaine comme en d’autres.
Deuxièmement, « le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation » en interdisant la culture du maïs MON 810. Au mois de novembre 2011, le Conseil d'État avait déjà émis le même avis.
Troisièmement, on ne peut pas justifier une interdiction au nom du principe de précaution « en se fondant sur une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées ».
Quatrièmement, aucune situation d’urgence ni aucun risque pour la santé et l’environnement ne justifiaient la décision du ministre.
C’est bien parce qu’il est désormais difficile pour le Gouvernement de présenter une nouvelle clause de sauvegarde que nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi qui nous est soumise, laquelle prévoit de façon expéditive une interdiction générale de la mise en culture des maïs OGM et présente de nombreux risques d’incompatibilité avec le droit communautaire ; je vous sais gré de l’avoir rappelé, monsieur le ministre. Je poursuivrai cette démonstration dans quelques instants, lorsque je défendrai, au nom du groupe UMP, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
À ce stade, je me contenterai de faire observer que l’adoption de cette proposition de loi placerait notre pays dans une situation d’illégalité par rapport au droit communautaire. Elle le placerait également dans une situation de fragilité vis-à-vis des règles du commerce international, que notre pays s’est engagé à respecter. La France est en effet soumise aux règles de l’Organisation mondiale du commerce – l’OMC –, selon lesquelles toute entrave au commerce est interdite sauf si elle est fondée sur des motifs valables, notamment de santé publique ou de protection de l’environnement.
Les OGM importés dans l’Union européenne sont soumis à des autorisations de mise sur le marché. Ces autorisations accordées par les instances de l’Union européenne sont valables sur tout son territoire. Elles ne peuvent être remises en cause que lorsque des éléments scientifiques nouveaux mettent en évidence un risque pour la santé et l’environnement. Le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a d’ailleurs récemment indiqué que la proposition d’introduire dans les clauses de sauvegarde des critères socio-économiques mettait les États membres dans une situation très fragile vis-à-vis de l’OMC. Toute disposition législative protectrice à l’égard des OGM expose l’Union européenne à des mesures de rétorsion. Ces dernières prendraient la forme de taxes à l’entrée des États-Unis sur des produits agricoles européens emblématiques, et il est évident que la France serait l’un des premiers pays ciblés.
Au-delà des aspects juridiques, il convient de prendre acte des enjeux économiques, compte tenu de la structure actuelle des échanges agricoles mondiaux. D’une part, notre pays, comme d’ailleurs l’Europe entière, est extrêmement dépendant des importations pour l’alimentation de ses animaux d’élevage. L’Europe importe 75 % de ses protéines végétales, essentiellement en provenance des États-Unis, du Brésil et de l’Argentine. De ce fait, 80 % des importations européennes de soja contiennent des OGM. Pour sa part, la France importe chaque année environ 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM sur les 5 millions de tonnes que consomme l’ensemble de son bétail. Ces quantités sont cependant en train de diminuer, car la production de biocarburants entraîne automatiquement une production de tourteaux, qui permet de corriger notre dépendance ; je vous en fais crédit, et j’en suis absolument ravi.
M. Joël Labbé. C’est un autre débat !
M. Jean Bizet. Aujourd’hui, il n’existe pas d’alternative économiquement viable au soja OGM pour l’alimentation animale ; chacun en est conscient. Il serait irréaliste d’imaginer une alimentation animale sans OGM, car, dans un contexte de hausse généralisée du prix des matières premières agricoles, cela conduirait à renchérir encore les coûts de l’industrie agroalimentaire et augmenterait le prix payé par le consommateur. Il n’est donc pas envisageable d’interdire les importations d’OGM. Dès lors, ne pas introduire de manière encadrée et responsable – j’y insiste – des cultures OGM en France reviendrait à nous priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales et à imposer à nos agriculteurs une distorsion de concurrence par rapport aux agriculteurs des autres États membres, sans bénéfice pour l’environnement.
Enfin, permettez-moi de le dire, un discours qui alimente les peurs entraîne un dernier coût économique, d’un poids colossal pour l’avenir : en entretenant la confusion, notre pays finit par décourager ses chercheurs en sciences du vivant.
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Jean Bizet. Vous le savez très bien, mes chers collègues, année après année, ils quittent notre pays. Je ne dresserai pas la longue liste des dossiers sur lesquels nous avons connu des échecs à cause des mesures de fauchage volontaire. Le fauchage avait pourtant été encadré par la loi de 2008, qui prévoyait des pénalités. Cependant, ces dispositions n’ont pas été appliquées par les gouvernements successifs.
Même les lignes budgétaires ouvertes pour la recherche en biotechnologies ne sont plus consommées.
Il ne suffit pas d’afficher un consensus en faveur de la recherche ; il faut aussi donner à cette dernière un cadre sécurisé qui lui permette de se déployer. Là encore, il y va de notre indépendance : si nous persistons dans une attitude défensive à l’égard des OGM, nous risquons de voir des multinationales étrangères monopoliser la propriété des traits génétiques. En politique, on ne doit jamais dire « jamais » ; en économie, c’est un peu plus difficile. Aujourd'hui, 80 % des traits génétiques ne sont plus la propriété d’entreprises européennes ; je me tourne vers Daniel Raoul, qui sait très bien à quoi je fais référence. Si nous en sommes arrivés là, c’est tout simplement parce que, lorsqu’on détruit des essais, on perd plusieurs années – la mise en place d’un essai dure entre trois et cinq ans –, alors que la recherche va très vite.
Pour les diverses raisons que je viens d’évoquer, le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’a pas lieu d’être. Les membres du groupe UMP ne le voteront pas. Sur le plan juridique, il est inutile et incompatible avec le droit communautaire.
Quant aux justifications scientifiques et aux arguments économiques invoqués dans l’exposé des motifs, aucun n’est sérieusement recevable ; tout comme moi, vous le savez, mes chers collègues.
Il s’agit d’une interdiction politique ; je peux le comprendre, mais il faut le dire clairement. Ce qui est profondément regrettable, c’est que l’on assiste à un détournement des faits scientifiques : on essaie de faire mentir les avis de l’AESA et on se garde bien de consulter le Haut Conseil des biotechnologies.
En conclusion, je citerai une formule de Jacques Rueff, dont vous apprécierez sans doute la cruelle pertinence, monsieur le président de la commission : « Soyez libéraux, soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet qui, à mon sens, nécessite la plus grande attention et la plus grande mesure. Il a des conséquences locales, nationales et européennes. Il touche les domaines de la santé, de l’agriculture, de la recherche, de l’économie et de l’environnement Il suscite beaucoup d’interrogations, d’incertitudes et d’incompréhension. La proposition de loi déposée par notre collègue Alain Fauconnier est plus que jamais d’actualité, mais elle porte sur un sujet très délicat qu’il convient de traiter avec une grande prudence. De grâce, ne diabolisons pas la situation !
Avant d’aborder le fond, j’évoquerai plusieurs questions qui me viennent à l’esprit.
Tout d’abord, pourquoi cette proposition de loi nous est-elle soumise maintenant ? Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi d’engager la procédure accélérée ? L’argument avancé – il s’agirait de légiférer avant la période des semis – ne me semble que peu crédible. Ce tempo est absolument étonnant, d’autant que ce texte devrait être examiné par l’Assemblée nationale en avril, mois durant lequel le Sénat discutera en séance publique du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. J’ai lu aujourd'hui dans la presse que, avant même que le débat ait lieu à l’Assemblée nationale – ce devrait être le 10 avril, si j’ai bien compris –, de nombreux semis seront effectués. Peut-être le maïs que vous comptez interdire sera-t-il concerné ; c’est en tout cas ce qui ressort de l’article que j’ai lu. Il y aura donc des situations pour le moins préoccupantes et embarrassantes sur le terrain.
J’en viens à mon incompréhension face à l’absence du thème des OGM dans le grand projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Pourquoi débattre selon la procédure accélérée d’une proposition de loi relative aux OGM plutôt que d’inclure cette thématique dans le projet de loi précité, que nous examinerons après-demain en commission, d’une manière beaucoup plus élargie ? Pourquoi avoir fait l’impasse sur ce sujet dans un projet de loi qui se veut un texte d’avenir ? Les OGM et les nouveaux modes de culture sont pleinement des sujets d’avenir, mais ils sont paradoxalement les grands absents du projet de loi, qui doit pourtant être l’occasion d’examiner des thématiques d’avenir.
Pourquoi ne pas essayer de régler une fois pour toutes les deux grandes interrogations qui se présentent à nous ?
La première d’entre elles porte sur la recherche et l’expérimentation en plein champ. La grande majorité des acteurs et des décideurs veulent préserver la recherche scientifique, d’autant que, dans différents domaines – médical, notamment, mais également agricole –, la France ne peut rester absente.
La seconde grande interrogation concerne la mesure des conséquences, en particulier en matière de dissémination dans l’environnement. C’est un débat qui mobilise les experts et les responsables économiques et politiques ; vous l’avez dit, monsieur le ministre. Il faudrait jeter une fois pour toutes les bases objectives de ce débat, au-delà des démonstrations souvent partisanes qui compliquent les décisions ou les rendent impossibles. L’objet des recherches devrait également être beaucoup mieux cerné ; cela nous permettrait de débattre plus sereinement. Vers quels objectifs, vers quels projets, vers quels produits les scientifiques doivent-ils orienter leurs recherches ? Tous ces éléments devraient donner lieu à une grande discussion lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Pour le formuler différemment, on ne pourra tout de même pas réunir dans l’urgence nos assemblées à chaque demande d’autorisation de mise en culture d’une variété d’OGM. Un cadre général est donc absolument nécessaire.
Par ailleurs, cette démarche est paradoxale sur le fond car, nous le savons, et cela vient d’être rappelé, il n’existe pas de consensus pour interdire la culture de maïs OGM dans l’Union européenne. L’actualité relative au maïs TC 1507 du semencier Pioneer le montre clairement : pas plus tard que mardi dernier, le Conseil des ministres des affaires européennes s’est prononcé en faveur de la demande d’autorisation de culture de ce maïs, la majorité qualifiée qui aurait permis de repousser cette culture n’ayant pas été atteinte.
La Commission européenne devra donc se prononcer, et l’on peut imaginer, même si ce n’est pas sûr, qu’elle prendra position en faveur de la production ce maïs.
Cet exemple montre que le contexte européen est propice à une censure de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, car il est à prévoir que la solidarité entre les États sera respectée.
Je le répète, force est de le constater, il n’y a, à l’heure actuelle, aucun consensus pour interdire la culture de ce maïs OGM en Europe. Aussi, le présent texte est problématique, même si je reconnais, à l’instar de nombre de mes collègues, la difficulté à trouver, à l’échelon européen, une position acceptable par tous les États, dès l’instant qu’une grande partie des territoires européens n’est pas du tout concernée par le débat sur la production de maïs.
Je reviens un instant sur un autre point qui me semble primordial : on ne peut pas se priver de la recherche et de l’expérimentation en la matière. Nous le répétons inlassablement, il convient d’être prudent eu égard aux incertitudes et aux risques potentiels, mais c’est justement grâce à ce travail de recherche et d’expérimentation que nous avancerons.
Or, à mon sens, la présente proposition de loi n’est pas assez orientée vers l’avenir, puisque, alors que nous aurions dû profiter de ce véhicule législatif, elle n’autorise pas explicitement la recherche et l’expérimentation. Comme je ne peux l’accepter, je défendrai tout à l’heure un amendement allant dans ce sens.
C’est d’autant plus regrettable que la France, à la pointe en matière d’évolutions technologiques, peut légitimement demander le renforcement des contrôles. Nous n’agissons donc pas sans sécurité ni garde-fou, puisque, rappelons-le, nous avons notamment le Haut Conseil des biotechnologies qui évalue, entre autres paramètres, l’incidence sur l’environnement et la santé des produits en cause.
Enfin, mes chers collègues, pardonnez-moi de faire ce parallèle, mais le sujet qui nous occupe aujourd'hui n’est pas sans évoquer celui des gaz de schiste. Là aussi, on refuse de faire progresser la recherche, qui permettrait pourtant de connaître le potentiel de notre sous-sol et les technologies les plus adaptées pour l’exploiter.