Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite de cette initiative, portée et rapportée par David Assouline, soutenue par l’ensemble de la commission.
Au-delà du soutien aux plaidoyers que vous entendrez pour ce pilier de la démocratie qu’est la presse libre et pluraliste, je veux ici formuler deux observations.
La première concerne l’Union européenne et la Commission européenne : contre les règles fiscales myopes qu’on nous avait objectées, qui favoriseraient le papier, parce son contenu est matérialisé, et plomberaient le numérique, parce que ce ne serait qu’un service, les parlements doivent utiliser toute leur légitimité et la logique de la neutralité des supports pour faire valoir, comme nous le faisons, leurs choix argumentés. Nous espérons, madame la ministre, que le Gouvernement utilisera tous les moyens pour défendre ce point de vue et convaincre nos partenaires. Vous venez d'ailleurs de nous parler de l’Allemagne.
La deuxième observation concerne le débat budgétaire. Par le biais d’amendements de sénatrices, de sénateurs, de groupes ou même de la commission de la culture, voilà plus de deux ans que l’alignement de la TVA presse est demandé au nom de la neutralité des supports.
Il y a quelques mois encore, lors du débat budgétaire, on brandissait devant nous la menace européenne pour nous débouter de notre légitime proposition. Des avis défavorables sur des amendements dont les dispositions se trouvent au cœur même du texte dont nous débattons aujourd’hui étaient prononcés sans ménagement à l’encontre de tous les membres de la commission de la culture, comme si seuls ceux de la commission des finances avaient des neurones responsables ! (Sourires.)
Aujourd’hui, au contraire, l’utilisation d’une semaine gouvernementale pour débattre de ce texte montre tout le soutien du Gouvernement au projet. Nous ne bouderons pas notre plaisir, mais davantage de considération hier pour le Parlement aurait fait gagner des moyens aux journaux, de la sécurité à la presse en ligne et du temps à tout le monde.
Mme Catherine Morin-Desailly. Eh oui !
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de commission de la culture. Cette remarque, vous l’aurez compris, madame la ministre, s’adresse davantage à votre collègue de Bercy qu’à vous-même, dont nous savons la motivation.
En outre, dans ce registre, celui de la considération du Parlement, je forme des vœux pour qu’un véritable débat préside à la rénovation des aides à la presse, plutôt que la rédaction dans les couloirs de la direction générale des médias et des industries culturelles, la DGMIC, d’un décret plus qu’important.
En effet, au-delà du sauvetage des titres, notre devoir est aussi de veiller au respect des journalistes. Je pense à ces innombrables pigistes mobilisés, puis remerciés, mobilisés de nouveau, puis encore remerciés, aux dépens de leurs congés, notamment, pour les femmes, des congés de maternité, et aux dépens peut-être de leur liberté. Je pense également aux photographes spoliés : la recommandation de bonnes pratiques ne suffit pas.
Vous le voyez, madame la ministre, nous avons beaucoup à dire sur la conditionnalité des aides à la presse. Le nombre de titres et leur santé sont des gages de démocratie ; la façon dont les entreprises traitent les journalistes est aussi un élément de démocratie.
Toutefois, je terminerai sur une note constructive : c’est à l’unanimité que le texte que nous examinons aujourd’hui a été adopté par la commission. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, harmoniser les taux de TVA applicables à la presse papier et à la presse en ligne n’est pas seulement, comme cela a déjà été dit, une nécessité pour la survie et le développement de ce secteur. C’est aussi une exigence de justice et même un impératif démocratique. Aussi, la quasi-totalité des membres du RDSE approuvera la présente proposition de loi.
Nous connaissons tous les difficultés auxquelles la presse est aujourd’hui confrontée. La situation de la presse imprimée se dégrade depuis vingt ans, avec une accélération ces dernières années, cela aussi a déjà été souligné. Cette dégradation est perceptible à différents niveaux, à commencer par la diminution du nombre de titres : plusieurs quotidiens nationaux ont déjà mis la clef sous la porte, d’autres, comme Libération, se trouvent actuellement dans la tourmente...
Le nombre d’exemplaires diffusés a considérablement diminué : nous sommes passés de sept milliards d’exemplaires par an à cinq milliards en une vingtaine d’années.
L’ensemble de la presse papier connaît des difficultés de financement, exacerbées par la chute des recettes publicitaires. Par conséquent, à l’exception de deux titres qui ont connu une faible croissance, inférieure à 1 %, en 2013, tous les grands quotidiens nationaux ont vu leur chiffre d’affaires s’effondrer l’an dernier, avec, en moyenne, une diminution de 8 % et de 4 % pour la presse quotidienne régionale.
Cette situation a bien évidemment des conséquences sociales désastreuses. Ainsi, 6 000 emplois ont été perdus en dix ans, dont 1 500 ces deux dernières années. La précarité d’une grande majorité des journalistes et des salariés de ce secteur est également de plus en plus prégnante.
Si la presse en ligne est la seule à connaître des recettes publicitaires et un chiffre d’affaires croissants, cela ne doit pas masquer l’extrême fragilité de ce secteur, aucun de ses acteurs n’étant parvenu, à ce jour, à trouver un équilibre économique.
Il convient de le souligner, la presse en ligne bénéficie d’un soutien public bien moins important que la presse imprimée, puisque, sur presque un milliard d’euros de dispositifs d’aide à la presse, seuls 20 millions d’euros vont à la presse en ligne. En outre – c’est l’objet de la présente proposition de loi –, celle-ci est assujettie au taux normal de TVA, soit 20 % depuis le 1er janvier 2014, contre 2,1 % pour la presse imprimée.
Comment justifier qu’un journal ou un article soit taxé différemment selon son support ? La même question s’est posée il a quelques années pour les livres, et nous avons très justement pris la décision de fixer un taux unique de TVA sur les livres, qu’ils soient en format numérique ou en format papier. Pourquoi pénaliser les éditeurs et les lecteurs qui choisissent le format numérique ?
La neutralité technologique du support, dont vous avez parlé, madame la ministre, d’un point de vue fiscal semble une évidence. Pourtant, elle ne l’est pas pour tous, puisque, comme M. le rapporteur l’a rappelé, la directive européenne relative à la TVA de 2006 exclut les « services fournis par voie électronique » des taux de TVA réduits dont peuvent bénéficier les biens et services culturels.
Il faudra donc maintenant convaincre Bruxelles de la nécessité d’appliquer aux biens et services culturels et à la presse le même taux de TVA – un taux réduit, bien évidemment – quel que soit leur support.
Madame la ministre, croyez-vous en un consensus rapide à l’échelon européen sur ce point ? Comment évaluez-vous le risque de contentieux qui pourrait être engagé contre la France à la suite de cette harmonisation ?
La France a déjà su convaincre l’Europe de l’importance de l’exception culturelle. Toutefois, préserver cette exception et, surtout, garantir une véritable démocratisation culturelle, cela passe aussi par des tarifs accessibles. Un taux de TVA réduit, ou super-réduit, dans le cas de la presse, est un outil indispensable pour garantir cet accès universel à la culture et à l’information.
Sans nous faire les chantres d’un monde entièrement « numérique », il nous semble qu’il faut bien mesurer la chance que celui-ci représente : nouveaux publics, nouvelles utilisations... C’est aussi un enjeu de démocratisation culturelle. L’avenir de la culture, comme celui des autres secteurs, sans dépendre exclusivement du numérique, passera nécessairement par lui. Et taxer davantage un journal en fonction de son support, c’est freiner ce développement, c’est même instaurer une distorsion de concurrence selon les choix d’exploitation des éditeurs qui n’est pas acceptable.
Si je ne souhaite pas une disparition de la presse imprimée – je n’y crois d'ailleurs pas –, je n’imagine pas pour autant un avenir de la presse sans le numérique. Nous devons donc donner aux éditeurs tous les moyens de leur développement dans l’univers numérique.
Une presse libre, diversifiée et surtout pluraliste constitue l’un des fondements de la démocratie et de la citoyenneté.
Soutenir la presse en ligne, c’est favoriser l’innovation et les nouveaux usages et garantir le développement de l’accès à l’information, qui constitue un droit fondamental.
En novembre dernier, madame la ministre, vous affirmiez : « Trop longtemps, le numérique n’a été jugé que comme une menace, il est temps de le voir comme une chance pour la culture ». Je ne peux qu’approuver vos propos et j’espère que ce texte, qui constitue indéniablement une avancée, sera voté très largement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la presse est considérée, à tort ou à raison, comme le quatrième pouvoir. En tout cas, elle constitue indéniablement en France un contre-pouvoir.
Il suffit pour s’en convaincre d’observer que la complaisance envers les pouvoirs en place, quels qu’ils soient, est bien loin d’être la règle, tant s’en faut. Une certaine forme de liberté d’expression est garantie par l’existence d’éditions diverses et pluralistes, aux sensibilités différentes, qu’il convient par conséquent de préserver.
Les pouvoirs despotiques ont en effet toujours combattu le pluralisme en muselant la presse et en n’autorisant qu’une seule presse d’État. C’est pourquoi les plus grandes révolutions démocratiques ont toujours cherché à protéger cette forme de liberté d’expression.
En 1789, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a ainsi proclamé que la libre communication des pensées et des opinions était l’un des droits les plus précieux de l’Homme.
En 1791, le premier amendement de la Constitution américaine de 1787 a disposé que le Congrès ne ferait aucune loi portant atteinte à la liberté d’expression.
En 1881, la loi sur la liberté de la presse en France a supprimé tout régime préventif, abandonné le délit d’opinion et aboli la censure.
Cependant, la presse se trouve aujourd’hui en France à un véritable tournant de son histoire. Avec le développement du numérique, l’information n’est plus devenue le seul apanage des grands titres de presse nationaux et régionaux. Tout citoyen peut désormais devenir un relais ou une source d’information au travers de la toile et des réseaux sociaux.
Cette évolution constitue un progrès démocratique indéniable, mais elle présente également une forme de danger, la rumeur fabriquée, voire manipulatrice, pouvant être relayée comme une réelle information.
Pour combattre ce danger, il est indispensable que les organes de presse reconnus et structurés occupent le terrain du numérique, afin qu’il existe des sites d’information référents, pluralistes, de qualité et sous-tendus par une véritable responsabilité éditoriale.
L’accès instantané, facile et souvent gratuit – peut-être trop souvent gratuit – à une information dématérialisée extrêmement réactive a ainsi accéléré l’effondrement de la presse papier, notamment des quotidiens, dont le coût, il faut le rappeler, résulte pour près de 60 % des frais d’impression et de distribution. Aujourd’hui, plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, seuls les quotidiens La Croix et Les Échos parviennent encore à progresser quelque peu, mais pour combien de temps encore ?
Les grands quotidiens, s’ils veulent naître, vivre ou survivre, doivent donc faire leur révolution et accomplir pleinement ce virage du numérique. Le lancement récent du quotidien L’Opinion est en ce sens symbolique, puisqu’il a été double : papier et numérique simultanément. Toutefois, il demeure plusieurs obstacles à ce virage technologique.
Le premier est d’ordre psychologique : se résoudre à la transformation du support des quotidiens et de la perte de terrain du papier est parfois difficile pour des journalistes qui ont connu les grandes heures de la presse papier et dont le mode de travail même est organisé pour cette dernière.
Ainsi, jeudi dernier, Nicolas Demorand, le directeur de la publication du quotidien Libération et coprésident du directoire, a démissionné, notamment en raison « d’une divergence stratégique profonde ». Il souhaitait en effet faire prendre à Libération le « virage numérique », alors que le journal reste « une entreprise dominée par le papier ».
Il a notamment déploré que la rédaction papier ne produise en moyenne que 0,1 article par semaine et par journaliste pour le site. La disparition des quotidiens La Tribune et France Soir a constitué un choc dans le milieu de la presse papier, France Soir, par exemple, ayant longtemps été une référence dans le paysage médiatique français, forte d’une rédaction de plus de 400 personnes au cours de son âge d’or.
Si la presse papier est peu ou prou parvenue à absorber le choc de la concurrence de l’image et de la diffusion de l’information à la télévision, il paraît moins certain qu’elle puisse résister au virage numérique. Elle doit donc l’accompagner.
Outre cet obstacle psychologique, demeure l’obstacle fiscal. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale et par la commission de la culture de la Haute Assemblée, sous votre présidence, madame Blandin, entend lever cet obstacle. Son adoption est donc nécessaire pour la survie de la diversité de la presse française, même si, bien entendu, elle n’est pas suffisante.
En effet, actuellement, il est difficile de compenser la diminution de la diffusion papier, soumise à un taux de TVA super-réduit de 2,1 %, par une hausse de la diffusion numérique, soumise à un taux de TVA dix fois supérieur.
Plus généralement, alors que la presse en ligne croît de 45 % par an, elle ne bénéficie que de 20 millions d’euros sur le milliard d’euros d’aides à la presse, comme l’a rappelé M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Robert Hue. L’harmonisation des taux de TVA, avec l’application d’un taux super-réduit à 2,1 % pour la presse numérique, est donc indispensable pour accompagner cette évolution digitale.
Il convient de souligner, comme vous l’avez déjà fait, madame la ministre, que le coût de cette mesure sera très faible, puisqu’il est évalué au plus à 5 millions d’euros, pour les quelque 650 services de presse en ligne.
Toutefois, si nous soutenons cette harmonisation, nous ne pouvons cautionner les anticipations de l’instruction fiscale décidées et appliquées unilatéralement par certains organes de presse et qui font l’objet de contentieux avec le fisc français.
Ainsi, pour ce qui concerne les sites qui se sont mis en infraction fiscale en s’auto-appliquant le taux de 2,1 % au lieu de 19,6 % avant le 1er janvier 2014, il ne convient pas, selon nous, de s’opposer aux redressements fiscaux en cours.
En effet, en cas d’annulation de ces redressements sans fondement juridique solide, nous enverrions un signal désastreux au monde économique, lui donnant à croire qu’il serait fondé à juger lui-même de la légitimité des taux de TVA ! Sur cette question, j’ai noté que les avis de M. Bloche, à l'Assemblée nationale, et de notre rapporteur étaient convergents.
En revanche, nous serions évidemment favorables à tout aménagement ou étalement de cette dette fiscale qui pourrait être décidé par l’administration fiscale et qui permettait ainsi la survie salutaire des titres en cause.
Un vote à l’unanimité de cette proposition de loi par l’ensemble des parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, constituerait un message fort adressé à Bruxelles, pour que les autorités européennes règlent rapidement la question de l’eurocompatibilité de cette mesure. Nous éviterions alors de nouveaux risques juridiques pour ces titres. Madame la ministre, nous vous remercions de votre implication sur cette question.
Rappelons que le Parlement suédois avait déjà adopté en mai 2011 une résolution préconisant l’application des mêmes taux de TVA et que l’Allemagne ne s’oppose désormais plus à cette harmonisation.
D’un point de vue juridique, la fiscalité applicable à la presse ne doit pas s’apprécier en fonction du support de diffusion, qu’il soit numérique ou imprimé.
La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt Rank de novembre 2011, a clairement et solennellement réaffirmé que le principe de la neutralité fiscale était un élément constitutif du principe de libre concurrence.
En conséquence, même si l’harmonisation des taux de TVA contredit temporairement une directive européenne dont la révision est en cours, cette harmonisation met en œuvre ce principe de neutralité et, par conséquent, celui de libre concurrence, qui est le principe fondateur de l’Union européenne. La légitimité juridique de ce principe nous semble donc supérieure et pourrait d’ailleurs servir de support à une contestation des redressements fiscaux en cours en France.
Enfin, au-delà de l’harmonisation des taux de TVA, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion plus approfondie sur notre presse, sur la baisse du lectorat, quel que soit le support, et sur la nature et la pertinence des aides apportées aux différents titres présents sur notre territoire.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP votera cette proposition de loi tendant à harmoniser les taux de la TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne, tout en émettant le regret d’avoir dû l’examiner dans une certaine précipitation et en exprimant l’espoir de voir un débat approfondi prochainement organisé sur cette question. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en renversant les modèles d’affaires existants, le numérique a ébranlé toute l’économie traditionnelle. La plupart des secteurs sont aujourd’hui soumis à ces bouleversements : les télécommunications, la banque, la grande distribution, les livres, la musique, la vidéo, mais aussi le tourisme, la défense, l’automobile demain, mais aussi, bien sûr, les médias et la presse, qui nous occupent aujourd’hui.
Désormais, au moins 73 % des ménages sont connectés à internet dans l’Union européenne. Les cinq plus grands pays européens, dont la France, comptent 104,4 millions d’utilisateurs de smartphones. Connectés partout et à toute heure, les Européens consomment de plus en plus de services en ligne, ainsi que de multiples contenus, notamment des informations.
On constate clairement qu’un phénomène de substitution est actuellement à l’œuvre. Pour les nouveaux lecteurs, la question ne se pose même plus, à l’heure où Le Journal du Dimanche est meilleur marché par voie de téléchargement que sous sa forme papier. Les écrans et les tablettes sont désormais partout, des salles de rédaction aux salons.
Cette nouvelle donne nous invite à des adaptations propres à faciliter l’émergence de nouveaux modèles économiques.
S’agissant du taux de TVA en ligne, notons que la directive européenne de 2006, qui fixe les secteurs sur lesquels peut s’appliquer le taux exceptionnel de 2,1 %, reconnaît à la presse son caractère nécessaire à la bonne santé de nos sociétés démocratiques. Nous approuvons bien entendu cette idée.
Le droit européen en la matière a rigidifié la situation telle qu’elle se présentait en 1991. Il y a vingt ans, la presse écrite, c’était pratiquement la totalité de la presse. Aussi, le caractère exceptionnel du taux réduit ne saurait être lié au seul support papier. Si l’on tient compte des mutations technologiques, on constate que cette lecture des choses est dépassée. C’est le contenu, c'est-à-dire l’information, et sa transmission qui importent.
Continuer à appliquer à la presse numérique une TVA dix fois plus élevée relève donc du non-sens.
J’ai toujours défendu le principe de la neutralité du support : je l’avais fait d’emblée pour le livre. De manière logique, depuis trois ans lors des discussions budgétaires, je propose en conséquence, au nom de mon groupe, l’adoption d’un amendement permettant d’étendre le champ d’application de ce taux de TVA. Curieusement, monsieur le rapporteur, votre majorité, qui défend aujourd’hui cette même disposition, n’a jamais voté notre amendement…
Le groupe UDI-UC, lui, sera cohérent avec lui-même et votera cette proposition de loi, qui est conforme à ses travaux et qui reprend l’une des trente préconisations de mon rapport « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? », rendu il y a bientôt un an au nom de la commission des affaires européennes.
Je souhaiterais néanmoins, madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous alerter sur le caractère limité d’un tel dispositif, qui n’offre pas de vue d’ensemble sur la question du numérique. Aligner la fiscalité de la presse numérique sur la presse écrite est une mesure de bon sens, mais dans un cadre aussi limité et strictement national, cela restera un expédient.
Il en va de même pour l’accord dit « Google-presse », qui est malheureusement relativement symptomatique de la façon dont le Gouvernement a abordé la question des mutations que connaît le secteur. Il faut bien le reconnaître, on s’est contenté et félicité d’une obole de 60 millions d’euros pour la presse, sans que la réalité des problèmes posés soit traitée et surtout sans que la somme dégagée par le géant américain ait été répartie entre les éditeurs de presse de manière claire et transparente.
Envoyer un signal européen est une chose. Néanmoins, compte tenu du droit européen actuel, il ne faudra pas manquer de prendre une position claire et déterminée vis-à-vis de nos partenaires européens.
En effet, seule l’Union européenne a aujourd'hui la masse critique pour peser dans le cyberespace et appréhender les nombreux défis que la mutation numérique pose aujourd'hui : défis culturel, économique et industriel, fiscal et juridique, avec la question de la maîtrise des données, nouvel « or noir » du numérique.
Au cœur de la problématique, il y a un nouvel écosystème, qui s’est construit et se développe très rapidement, à l’insu des acteurs traditionnels. Les nouveaux entrants dans la chaîne de valeurs développent des services qui deviennent de plus en plus incontournables. En ligne de mire, on trouve évidemment Google, qui diffuse par exemple sur son site une sélection considérable d’articles de presse sans s’acquitter d’aucun impôt – ou presque – et sans rien reverser aux éditeurs de presse.
Certes, nous avons été le fer de lance sur la question de l’exception culturelle, mais il faut aller beaucoup plus loin.
Face à ce qui se joue, nous devons trouver des alliés pour peser efficacement sur la Commission européenne et maintenir la pression afin que, au nom de la diversité culturelle, elle propose d’appliquer au livre et à la presse en ligne un taux de TVA au moins aussi bas que celui qui est appliqué aux biens culturels « physiques ». Plus largement, il faut que la Commission européenne prévoie d’inclure l’objectif de diversité culturelle dans la réglementation des services puisque, à l’ère du numérique, les biens culturels prennent la forme de service en ligne.
Le Syndicat de la presse quotidienne nationale confirme qu’il s’agit d’une problématique européenne, partagée avec les éditeurs de presse allemands, belges, italiens, portugais, réunis dans plusieurs associations européennes : l’ENPA, European newspaper publishers association, pour la presse quotidienne et l’EMNA, European magazine media association, pour la presse magazine.
De la même manière, il faut exiger le respect absolu par tous les États membres du calendrier européen en matière de changement de lieu d’imposition de la TVA pour les services en ligne afin de « reterritorialiser » la perception de la TVA sur le lieu de consommation de ces services.
Par ailleurs, en application du code de conduite que les États membres se sont fixé, il faut exercer une pression conjointe des grands États membres victimes de l’optimisation fiscale des multinationales du numérique sur les États membres complices de cette situation.
Enfin, il faut peser pour faire avancer la révision internationale du modèle OCDE de convention fiscale qui permettra d’imposer les multinationales de l’économie numérique à proportion de leur activité sur le territoire où résident leurs utilisateurs.
Au-delà de l’aspect fiscal, il faudrait également imposer des obligations d’équité et de non-discrimination à certains acteurs de l’internet – je pense une fois encore à Google –, devenus des « facilités essentielles », parce qu’ils ont acquis une position dominante et durable et que nombre d’activités économiques deviennent impraticables sans eux.
Un sujet de préoccupation mérite aussi la plus grande vigilance de notre part et de celle des autorités européennes de la concurrence : la neutralité des terminaux. Le phénomène d’intermédiation obligatoire, conjugué à la concentration inhérente à l’économie numérique, est extrêmement préoccupant au regard de la diversité culturelle et du pluralisme de la presse.
Ainsi, on le voit, le présent texte répond à une situation spécifique, mais ne va pas au-delà. Il faut assurément replacer cette question de l’accès à l’information dans une réflexion d’envergure sur la fiscalité applicable au territoire de l’Union européenne et, surtout, débattre de notre stratégie globale face aux enjeux multiples engendrés par cette mutation d’ampleur.
Il me reste enfin à dire notre regret de constater que la présente proposition est déconnectée d’une démarche plus globale et plus approfondie en faveur de la presse. Nous souhaiterions, à cet égard, connaître l’avancée de la fameuse réforme des aides à la presse que le Gouvernement annonce depuis des mois.
Madame la ministre, alors que le Gouvernement a considérablement baissé les crédits, la question du portage est aussi devenue un sujet de préoccupation depuis quelque temps, régulièrement mis en avant par notre presse quotidienne régionale.
Pourquoi ne pas nous avoir proposé un texte complet dans lequel la présente proposition de loi aurait été inscrite et qui, du coup, aurait traduit une véritable réflexion de fond sur une industrie que nous jugeons essentielle et qui connaît les difficultés que chacun sait ?
Nous ne pouvons, hélas, que déplorer le retard pris ces deux dernières années, alors que, il faut bien le reconnaître, l’économie de la création est menacée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à faire passer le taux de TVA de la presse en ligne de 20 % à 2,1 %, pour l’aligner sur le taux de TVA super-réduit appliqué à la presse papier.
Nous approuvons cette mesure absolument nécessaire, en regrettant toutefois le caractère tardif de la décision. Ce retard a d’ailleurs permis l’engagement d’une procédure de redressement fiscal particulièrement inopportune à l’encontre de plusieurs titres de presse en ligne et de Mediapart, qui – c’était chose connue – s’est de lui-même appliqué le taux de TVA réduit depuis plusieurs années. Ces titres pourront compter sur notre soutien.
En effet, nous avions déjà demandé à maintes reprises l’application du taux de TVA réduit à toute la presse. En tant que rapporteur pour avis sur les crédits presse de la loi de finances pour 2014, j’ai également défendu cette proposition d’extension du taux de TVA super-réduit à la presse numérique.
Le taux réduit de TVA protège un contenu, une fonction – l’information –, son indépendance et son pluralisme, et non un support : le journal papier.
Le Gouvernement avait objecté la non-conformité de cette disposition aux règles européennes et le risque que des contentieux ne soient engagés à l’encontre de la France. Il avait alors affirmé sa volonté de faire avancer la réflexion européenne en matière de TVA, comme il tente de le faire depuis 2012, avant toute modification législative.
La directive relative au système commun de TVA de 2006 encadre en effet strictement les exceptions au taux de TVA normal. Elle limite aujourd’hui le taux de TVA réduit entre 5 % et 15 % aux livres, aux radios, aux droits d’auteur dus aux écrivains, compositeurs et interprètes et aux services fournis par eux, à l’exception des services culturels en ligne. Elle restreint le taux de TVA super-réduit aux applications antérieures à 1991, quand elles sont justifiées par des raisons d’intérêt social ; c’est le cas de la presse papier en France.
Cependant, cette directive ignore superbement l’enjeu démocratique essentiel qui est au cœur de cette affaire. L’information est un droit, une liberté fondamentale, et non une simple marchandise.
Alors que le secteur de la presse traverse une crise très grave, entre érosion des ventes papier et impossible équilibre économique de la presse numérique, menaçant jusqu’à son existence – en tout cas celle de nombreux titres –, il était urgent de rétablir la neutralité fiscale et technologique de la TVA pour accompagner la transition, encore en gestation, des modèles économiques de la presse.
Étant donné l’absence d’avancées concrètes au niveau européen, je me réjouis que le Gouvernement ait décidé, sans plus attendre, d’uniformiser le taux de TVA applicable à la presse.
Je ne peux pourtant limiter mon propos à cette disposition. Aussi positive soit-elle, elle n’est qu’un premier pas, qui ne doit pas nous faire oublier combien la crise de la presse est structurelle, grave et profonde.
Les fortes tensions que connaît actuellement le journal Libération nous rappellent, s’il le fallait, l’ampleur de cette crise, qui a déjà mené à la fermeture des éditions papier des journaux La Tribune et France-Soir.
Cette actualité pose la question du soutien et de l’accompagnement de la presse d’information générale ainsi que celle de la survie des journaux papier, de leurs transformations nécessaires et de leurs « multimutations » vers le « multisupport ».
Il est vrai que Libération est dans une situation financière compliquée. Ce journal a sans doute, comme d’autres, à régler des problèmes d’orientation stratégique et éditoriale, mais le projet développé par ses actionnaires ne constitue aucunement une avancée souhaitable pour la presse en général. Bien au contraire ! Loin de sauver l’information, il la rend accessoire, fait de ce journal une marque, un produit d’appel, dissout tout ce qui fait le cœur de la presse, d’un quotidien, se contentant d’analyser son bilan économique comme celui d’une entreprise « comme les autres ».
Que la presse évolue pour trouver de nouvelles formes d’existence, de nouveaux modèles économiques combinant offre papier et développement de l’offre numérique, soit ! Mais chose, mais transformer un des grands quotidiens nationaux en un espace marchand et en un réseau social à seul but lucratif, rendant l’information accessoire, ne peut être ouvrir la voie à la sortie de la crise que traverse la presse. En l’occurrence, pour « sauver » Libération, on tue le journal ! C’est donc à juste titre que les salariés et journalistes de ce titre s’inquiètent de son devenir et que nous les soutenons dans leur opposition à la mise en œuvre du projet proposé la semaine dernière par les actionnaires.
Si les difficultés de Libération se déploient avec une ampleur particulière, elles sont emblématiques de celles que rencontre l’ensemble de la presse quotidienne d’information.
La révolution numérique entraîne de nouveaux usages et de nouveaux modes de « consommation » de l’information, qui, combinés à la crise économique, placent la presse dans une période de profonde déstabilisation. Surtout, cette révolution est mise à profit par d’autres groupes, notamment les géants du web et, en particulier, Google, pour piller les revenus publicitaires par la mise en ligne et le référencement de contenus journalistiques sur internet, récupérés au mépris du droit des auteurs et des rédactions. Cette stratégie a à la fois pour effet de concurrencer la presse traditionnelle et de faire diminuer la rentabilité des offres légales et numériques des journaux.
D'ailleurs, les fameux accords passés entre Google et les éditeurs de presse, auxquels le Gouvernement a poussé plutôt que d’encourager une longue négociation avec les géants de l’internet dans un cadre européen, n’ont fait qu’entériner cette pratique, moyennant une somme purement symbolique. Il aurait mieux valu réfléchir à la participation pérenne de ces grandes entreprises au financement de la presse, en contrepartie de la récupération de valeur qu’elles opèrent, souvent illégalement !
Par conséquent, si la TVA à 2,1 % va dans le bon sens, elle devrait prendre place dans un dispositif d’ensemble, pour assurer la survie et l’avenir de la presse d’information dans cette période de transition, pour aller vers le déploiement de nouveaux modèles viables et modernisés pour l’ensemble de la presse, qui devraient combiner, et non opposer, dans une concurrence mortifère pour l’information, le papier et le numérique.
La survie de la presse d’information est un enjeu démocratique : celui de l’existence du pluralisme d’opinion et d’analyse.
Cet édifice démocratique est en danger et, pour le repenser, une seule mesure ne suffit pas. Nous avons besoin de nombreuses mesures pour lutter contre la concentration, pour repenser un réseau de distribution mutualisé dans une perspective de modernisation, avec un soutien accru et rénové de l’État et le renforcement de la solidarité entre les acteurs. Il faut que les aides à la presse soient maintenues, et non diminuées – comme l’a fait la dernière loi de finances –, pour favoriser la mutualisation de la distribution, la modernisation des supports et la protection du pluralisme.
À nos yeux, ce dispositif d’ensemble manque encore et, si la baisse de la TVA sur la presse numérique s’inscrit dans la bonne direction, raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi, elle devrait être accompagnée au plus vite d’autres mesures qui prennent pleinement la mesure de la crise.
Je le répète, nous souhaitons que la baisse de la TVA fasse partie d’un ensemble plus cohérent, à même de lui donner son plein effet et de doter la presse des moyens de la révolution nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)