M. Éric Doligé. Mais oui ! Nous allons vous l’expliquer !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous allez me l’expliquer, mais avec des éléments tangibles !
M. Éric Doligé. Bien sûr !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet, objectivement, l’exercice est facile. Le fait que nous n’ayons pas dissimulé les choses, que nous ayons eu le courage de faire face, que nous ayons mis en place un comité de suivi – je salue vraiment avec une grande insistance le courage de l’Assemblée des départements de France, des sept présidents de conseils généraux qui participent au comité de suivi, le volontarisme dont font preuve, sur le terrain, les nombreux présidents de conseils généraux qui accueillent ces enfants – donne de la visibilité à ces mineurs isolés étrangers. Mais le fait de rappeler que ces mineurs ne représentent que 4 % de l’ensemble des mineurs pris en charge permet de prendre la mesure des choses.
M. Jean Arthuis. Ce sont de faux mineurs !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’y a pas lieu de contester les difficultés auxquelles sont confrontés les départements. Cependant, permettez-moi de rappeler les débats – je m’y suis replongée – de la loi du 5 mars 2007.
Cette loi, qui a été adoptée à l’unanimité, confie aux conseils généraux la responsabilité de ces mineurs.
M. Philippe Bas. Pas du tout !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À l’époque, ce fut Valérie Pécresse, alors députée, qui était rapporteur de ce texte. C’était avant le changement de…
Mme Muguette Dini. Avant le changement !
M. Éric Doligé. C’était avant !
M. Philippe Bas. Avant la rupture !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La rupture interne ! Mais je ne me mêle pas des affaires d’autrui…
M. Jean Arthuis. L’alternance, alors !
Mme Muguette Dini. Avant le changement de Président !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mme Pécresse avait repris les termes mêmes, j’y insiste, de l’article L. 112–3 du code de l’action sociale et des familles, à savoir que la protection de l’enfance doit prévenir les difficultés que peuvent rencontrer des mineurs…
M. Jean Arthuis. Ils ne sont pas mineurs !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … qui sont temporairement ou définitivement séparés de leur famille, ne peuvent pas bénéficier de leur protection et doivent donc être pris en charge.
Mme Patricia Adam avait précisé qu’un mineur étranger et seul ne disposant pas d’un représentant légal devait être considéré comme un enfant en danger, et cette déclaration n’avait pas fait l’objet de contestations. Je le redis, le texte a été adopté à l’unanimité !
Le Défenseur des droits a d’ailleurs repris cette formulation dans son avis de décembre 2012 : un mineur étranger sans référent légal est considéré comme un enfant en danger.
Voilà la réalité ! Et cette réalité est, je crois, partagée par les présidents de conseils généraux,…
M. Jean Arthuis. Non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … y compris ceux qui ont adopté des arrêtés de suspension de l’accueil de mineurs étrangers. Sur les quatorze présidents de conseils généraux ayant adopté un tel arrêté, j’observe qu’une dizaine d’entre eux l’ont annulé eux-mêmes ; un seul arrêté – vous savez dans quel département, mesdames, messieurs les sénateurs ?... Peu importe ! – a fait l’objet d’une décision administrative d’annulation. C’est la preuve, je crois, qu’ils partagent cette conviction.
M. Éric Doligé. Non !
M. Éric Doligé. Cela n’a rien à voir !
M. Éric Doligé. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais la réalité, c’est la mobilisation de l’Assemblée des départements de France au sein du comité de suivi. Et l’exercice est facile de considérer que ce sont les 4 % des mineurs pris en charge qui mettent en tension insupportable tous les dispositifs (M. René-Paul Savary s’exclame.), alors que les difficultés existent depuis pratiquement une vingtaine d’années. C’est la réalité !
En tout état de cause, j’observe, je le répète, monsieur Arthuis, que vous ne modifiez pas l’article L. 112–3 du code de l’action sociale et des familles ; vous introduisez un dispositif dérogatoire. Or ce dispositif soulève un certain nombre de questions, dont la compatibilité avec un certain nombre de dispositions constitutionnelles, des dispositions de notre loi fondamentale, ainsi qu’avec des engagements internationaux de la France.
Je pense évidemment à l’article 1er de la Constitution, qui postule l’égalité devant la loi.
Je pense aussi à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui appartient à notre bloc de constitutionnalité et aux termes duquel la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.
Je pense également à l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – que nous appelons couramment la Convention européenne des droits de l’homme –, qui interdit toute discrimination fondée sur l’origine nationale.
Je pense encore à l’article 22 de la Convention internationale des droits de l’enfant (M. Jean Arthuis s’exclame.), notamment à la dernière phrase que M. le rapporteur a citée à la tribune il y a quelques instants.
En tout état de cause, il nous faut faire face aux difficultés que rencontrent les conseils généraux. Néanmoins, il nous faut admettre que seuls 4 % des jeunes sont concernés : c’est très peu par rapport à l’ensemble (M. René-Paul Savary s’exclame.) et c’est beaucoup, à plusieurs points de vue. En effet, cela nous demande de nous mobiliser, de nous organiser, d’apporter des solutions et des réponses. C’est également beaucoup lorsqu’on considère les situations. Car je ne crois personne ici indifférent aux situations individuelles : il s’agit d’enfants.
J’ai entendu ce que vous avez dit, monsieur Arthuis – d’ailleurs, plusieurs présidents de conseils généraux l’ont aussi relevé –, certains enfants arrivent quelquefois avec un petit papier, une référence, dans leur poche. Vous avez raison de l’avoir souligné, ils racontent parfois une histoire totalement formatée.
M. Jean Arthuis. C’est toujours la même !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout cela est indiscutable, et personne ici n’est dans le déni !
Cependant, s’il est indiscutable que nous avons affaire à des enfants qui n’ont pas de référent majeur, qui sont livrés à eux-mêmes et sont donc isolés, nous savons aussi que des réseaux de traite se trouvent derrière certains d’entre eux.
Dès lors, le Gouvernement, comme il est mobilisé pour que le dispositif de prise en charge de ces mineurs soit efficace, est mobilisé dans la lutte contre les réseaux de traite. À ce titre, vous n’ignorez pas, monsieur le sénateur, vous qui êtes attentif, j’en suis sûre, à l’actualité comme au fond des dossiers, que 200 réseaux mafieux ont été démantelés en 2013.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Eh oui !
M. Éric Doligé. Dont un seul réseau de traite de mineurs !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous savez aussi que le Gouvernement a renforcé sa lutte contre les réseaux de traite. Il a mis en place un plan interministériel de lutte contre la traite des êtres humains, y compris les mineurs, qui a donné lieu à une réunion le 23 janvier dernier.
La lutte contre les réseaux de traite, vous le voyez, est impitoyable. Il y a moins d’un an, j’étais déjà devant votre assemblée, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour l’examen de la transposition de plusieurs directives européennes, dont celle qui concerne le renforcement de la lutte contre les réseaux de traite d’êtres humains.
Mais, en plus de ce combat, et conformément à son droit comme à ses engagements internationaux, la France prend en charge les mineurs isolés.
M. René-Paul Savary. Quatre mille !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai bien entendu, monsieur Arthuis, que la dispersion de ces mineurs dans d’autres départements pouvait être, pour eux, un traumatisme, même si vous n’avez pas employé ce mot. Vous avez même dit que les voir partir dans un taxi fendait le cœur.
M. Jean Arthuis. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Personnellement, les voir dormir dehors, livrés à tous les dangers et à toutes les tentations, me fend encore plus le cœur ! Au lieu de me livrer à ces considérations philosophiques, je préfère m’incliner devant l’esprit de solidarité des départements qui accueillent ces jeunes. Ne soyons pas aveugles : sans ces actes de solidarité, ces mineurs dormiraient dans le métro, sous des portes cochères, dans des lieux abritant des distributeurs automatiques de billets, là où ils peuvent. Voilà la réalité !
Cette réalité, nous l’affrontons. L’État, en effet, a cherché à y apporter des solutions durables ; il est désireux de perfectionner le système. Des personnes de très grande qualité siègent au comité de suivi et dans la cellule nationale d’orientation. Le ministère de la justice, le ministère des affaires sociales, le ministère de l’intérieur, ainsi que l’Assemblée des départements de France – partenaire extrêmement précieux ! – font partie du dispositif.
L’État s’est engagé – cela n’avait jamais été fait de façon aussi claire et durable – à la prise en charge des cinq premiers jours d’accueil de ces mineurs à raison de 250 euros par jour et par enfant. Il a également cherché à accélérer les procédures. Vous connaissez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’inertie des circuits qu’emprunte la comptabilité publique. Que la mise en œuvre d’un dispositif nécessite un travail précis et méticuleux, car compliqué, est une sécurité pour nos finances publiques. Néanmoins, l’État a pris des dispositions pour que le versement soit fait aux départements le plus tôt possible.
Il a fallu quelques mois pour élaborer le dispositif. Celui-ci a donné naissance au protocole relatif à la protection des mineurs isolés étrangers, qui a lui-même abouti à une circulaire, prise le 31 mai 2013. Le dispositif est entré en vigueur le 1er juin 2013. Les départements ont reçu les premiers versements en octobre 2013. L’État leur a déjà versé une somme supérieure à 1,7 million d’euros, pour la prise en charge des cinq premiers jours d’hébergement.
L’État va même au-delà. La circulaire, vous le savez, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, mobilise les parquets pour les ordonnances qu’ils prononcent sur ces mineurs. L’État, en outre, fournit les personnels pour la cellule nationale d’orientation. Enfin, via les ministères, il livre les éléments d’information permettant au comité de suivi de faire son travail.
Quelles que soient les difficultés du sujet, la complexité du problème et les insatisfactions que peuvent soulever les réponses que nous y avons apportées, nous devons saluer le travail de très grande qualité fourni par les personnalités siégeant au comité de suivi, parmi lesquelles figurent sept présidents de conseil général, une sénatrice, Mme Debré,…
M. Philippe Bas. Non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … une députée, Mme Dagoma, ainsi que des représentants d’associations et des magistrats.
En comptant la séance d’installation, qui fut aussi une séance de travail, cette instance s’est déjà réunie trois fois. Grâce aux remontées du terrain, nous nous sommes rendu compte que le phénomène était plus important qu’estimé, estimation qui, je le rappelle, avait été réalisée de manière consensuelle. Le comité a donc proposé de procéder à une évaluation immédiate du dispositif, alors que nous avions initialement envisagé que celle-ci serait réalisée après un an de fonctionnement.
Nous avons accédé à cette demande. L’évaluation du dispositif a donc débuté le 6 janvier dernier, et s’achèvera le 15 avril prochain avec la remise d’un rapport. Elle sera menée par l’Inspection générale des services judiciaires, par l’Inspection générale des affaires sociales et par l’Inspection générale de l’administration, soutenues par deux groupes de travail internes.
Aucun sujet ne sera évacué. Je tiens à le souligner, car c’est aussi le mérite de ce comité de suivi !
En effet, il est prévu que soient abordées, notamment, les questions du financement, mais aussi de l’évaluation de la minorité du jeune étranger, point sur lequel la lumière doit être faite. Veuillez m’excuser, mais il est relativement aisé de prétendre que certains jeunes dont nous parlons ne sont pas mineurs.
M. René-Paul Savary. Non, ce n’est pas aisé !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans son intervention, M. le rapporteur nous a pourtant donné quelques chiffres qui permettent d’affirmer qu’entre un mineur de douze ans et un majeur, cas qui se présente le plus souvent, le doute n’est guère possible, à moins qu’il soit spécieux ! La question de l’évaluation de la minorité mérite donc d’être analysée au scanner.
Il est également prévu que la question des flux migratoires soit examinée, ainsi que – nous osons le faire ! – celle de la situation administrative des majeurs isolés étrangers.
Le rapport de Jean-Pierre Michel, qui m’a été remis récemment, est une mine d’informations ; il nous aidera à éclairer tous ces travaux.
Ce sujet, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, est extrêmement grave et préoccupant. Pendant de nombreuses années, les conseils généraux ont dû y faire face seuls ; ils ont été obligés de répondre présent. Certes, l’État, parfois, a fait un geste, mais celui-ci a toujours été limité dans son ampleur comme dans sa durée. Pour la première fois, un dispositif durable est mis en place, qui organise la solidarité sur le territoire.
Par ailleurs, M. le rapporteur l’a rappelé, nous discutons actuellement de la troisième étape de la décentralisation. Le sujet qui nous intéresse reviendra donc par ce biais.
Je dois néanmoins reconnaître que la présente proposition de loi a le mérite de provoquer le débat, monsieur Arthuis. Il est bon que, devant la représentation nationale, et singulièrement devant la chambre des collectivités, nous puissions aller au fond de ce sujet. Nous entendrons des choses peut-être superficielles, inexactes ou approximatives, mais vos propos, monsieur le sénateur, ainsi que ceux de M. le rapporteur, d’un sérieux incontestable, circonscrivent d’ores et déjà l’ampleur et le poids du problème.
Le Gouvernement a démontré qu’il était au rendez-vous, aux côtés des conseils généraux. Il ne demande qu’à améliorer le dispositif mis en place. Je n’en doute pas, ce qui surgira de ce débat, une fois que nous aurons éliminé les quelques éléments relevant plus de l’approche subjective que de l’analyse objective, contribuera à améliorer ce système, qui est, je crois, la réponse adéquate. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, malgré l’absence de statistiques précises, on dénombre dans notre pays environ 8 000 mineurs isolés étrangers, concentrés massivement dans quelques départements, pour la plupart à Paris, dans le Nord et le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis, sans oublier Mayotte et la Guyane.
Il s’agit de jeunes qui fuient la pauvreté, la guerre et tentent leur chance en France pour acquérir une éducation, ou bien encore d’enfants que des parents entrés clandestinement abandonnent sur le territoire, croyant leur offrir une vie meilleure.
Le jeune âge et l’isolement de ces mineurs les placent dans une situation de grande vulnérabilité. À ce titre, ils sont considérés comme des enfants en danger et se voient appliquer, en plus de la législation sur les étrangers, les normes françaises et internationales de protection de l’enfance.
Sous l’effet de l’augmentation du nombre de ces mineurs et de leur concentration dans une poignée de départements, des élus ont dénoncé la saturation des structures d’accueil, et le poids considérable que leur prise en charge fait peser sur le budget consacré à l’enfance.
Sensible à cette situation, l’actuel gouvernement, par l’entremise de Mme la garde des sceaux, a publié, le 31 mai dernier, une circulaire instaurant deux mesures pour lisser l’accueil entre des départements inégalement concernés par cette question et décharger partiellement les conseils généraux de la charge financière que les mineurs concernés représentent pour eux.
Ainsi, l’État s’est engagé à financer les cinq premiers jours d’accueil de ces mineurs et à créer une cellule chargée de les répartir en fonction de la population mineure des départements.
Cette circulaire, fruit d’une négociation avec l’Assemblée des départements de France, démontre la volonté de l’État de s’impliquer pour sortir de cette situation. Elle consacre pour la première fois la coresponsabilité de l’État et des conseils généraux sur ce sujet, ainsi que le principe d’une péréquation, tant attendue par les élus locaux.
Depuis cet été pourtant, plusieurs présidents de conseil général ont pris des arrêtés demandant à leurs services de suspendre l’accueil de ces mineurs. Vous étiez, cher collègue Jean Arthuis, à la tête de ce mouvement contestataire.
M. Jean Arthuis. Oui, et j’assume !
M. Thani Mohamed Soilihi. Néanmoins, et malgré votre détermination, vous avez été contraint de lever cette décision, qui vous plaçait, me semble-t-il, dans l’illégalité. (M. Jean Arthuis s’exclame.)
C’est la raison pour laquelle vous avez déposé la présente proposition de loi dont, à mon sens, le principal mérite est de contribuer au débat sur les moyens d’améliorer la prise en charge des mineurs isolés étrangers.
En revanche, je trouve fort dommage de ne pas attendre les résultats de l’évaluation du dispositif par le comité de suivi mis en place par le protocole, ainsi que les conclusions du rapport demandé à l’Inspection générale des services judiciaires, à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’administration, qui devrait être remis au Gouvernement avant le 15 avril prochain, ce que Mme la garde des sceaux vient de confirmer.
Enfin, je déplore sincèrement que cette proposition de loi, pas plus que la circulaire d’ailleurs, ne traite de la question ultramarine, et principalement de celle de deux départements, l’un que vous connaissez bien, madame la garde des sceaux, puisqu’il s’agit de la Guyane, et l’autre, cher à mon cœur, Mayotte.
La Guyane et Mayotte sont confrontées à une immigration clandestine intense et difficilement maîtrisable, compte tenu de la longueur des frontières communes avec le Suriname et le Brésil dans un cas, et de l’ouverture de l’ensemble de ses frontières sur la mer dans l’autre cas.
Dans ces deux départements, la problématique des mineurs étrangers isolés dépasse largement la politique d’aide sociale à l’enfance relevant des conseils généraux ; elle s’inscrit totalement dans la politique d’immigration de l’État, à qui il revient, dans ce cas précis, d’assumer la prise en charge de ces enfants, au moins temporairement.
Cette proposition est justifiée par ce contexte géographique, qui rend irréalisable une quelconque péréquation. Elle a par ailleurs été reprise, en ce qui concerne mon département, par les membres de la mission sénatoriale conduite par Jean-Pierre Sueur, qui s’est rendue sur place en mars 2012, et par le Défenseur des droits.
De plus, comme à Mayotte, il n’existe pas en Guyane de réelle prise en charge de ces enfants. L’extrême fragilité financière des collectivités ne permet pas d’assumer correctement cette compétence.
Mayotte compte, à elle seule, environ 3 000 mineurs isolés, si l’on se réfère à la fourchette basse, dont 500 en grande fragilité car absolument livrés à eux-mêmes. Selon les estimations, 87 % d’entre eux viennent des Comores, et ont été abandonnés sur le territoire après que leurs parents ont été reconduits à la frontière.
Malgré les incroyables retards qu’elle subit, notre île, aux yeux des clandestins, demeure attractive.
Il faut dire que le produit intérieur brut par habitant y est huit fois supérieur à celui des Comores ! Malgré cela, la vie qui attend ces jeunes est le plus souvent faite d’errance, de misère, de délinquance ou de prostitution.
La problématique des mineurs isolés étrangers se déploie dans de nombreux champs relevant de la compétence de l’État, dans lesquels nous accusons des retards considérables et des manquements indignes de notre République.
C’est le cas de la scolarisation. Certains maires refusent d’inscrire ces enfants. Nous ne disposons déjà pas des moyens d’accueillir et de scolariser nos propres enfants dans des conditions décentes. Les solutions que nous inventons pour remédier à cette difficulté, comme le système de rotation ou les redoublements injustifiés, sont tout bonnement intolérables.
C’est également le cas de la santé. L’aide médicale de l’État, qui permet aux étrangers irréguliers de se faire soigner, n’existe pas à Mayotte. Cette charge sanitaire engendrée par l’immigration clandestine est lourde financièrement pour les infrastructures médicales déjà fragiles et dont la capacité d’accueil est insuffisante au regard des besoins de la population.
C’est le cas de la prévention de la délinquance. Mayotte connaît depuis quelque temps une forte hausse des cambriolages avec agressions qui sont attribués à ces jeunes.
C’est enfin le cas de la justice. Il n’existe pas à Mayotte d’établissements de placement éducatif d’urgence de type foyer de l’enfance ou maison d’enfants à caractère social permettant une mise à l’abri des mineurs pour les situations les plus extrêmes, ni de possibilité de placement au long court pour les mineurs abandonnés depuis plusieurs mois en dehors des familles d’accueil déjà surchargées du conseil général.
Je vous laisse donc imaginer le ressenti des Mahorais devant les initiatives, souvent louables, qui sont prises en faveur des étrangers. Leur colère est légitime et donne parfois lieu à des dérives, que nous ne pouvons pour autant laisser perdurer.
Si je salue la décision du conseil général de créer enfin un observatoire départemental de la petite enfance, force est de constater que la politique d’aide sociale à l’enfance, ou ASE, mise en œuvre par le département est réduite à sa portion congrue. L’ASE ne dispose que de trois assistantes sociales. Les soixante-dix-huit familles d’accueil hébergent parfois jusqu’à six enfants. Et le seul foyer de l’île, qui ne compte que sept places, est dédié non pas à la protection de l’enfance, mais à l’enfance délinquante.
L’accession de l’île au statut de région ultrapériphérique devrait permettre de présenter des projets concrets dans le domaine de la protection de l’enfance.
L’association Tama présentera, dans le cadre des crédits européens notamment, un projet global de protection de l’enfance et des mineurs isolés sur le territoire mahorais allant de la prise en charge d’urgence et au long court pour tous les mineurs en situation de danger de l’île au regroupement familial dans le pays d’origine pour les mineurs étrangers isolés lorsque cela est possible.
Pour conclure, notre gouvernement ne saurait se contenter de compter sur l’esprit civique des citoyens pour recueillir ces jeunes ou de s’en remettre exclusivement aux structures associatives, dont les moyens, vous en conviendrez, sont limités.
Un observatoire des mineurs isolés de Mayotte a été mis en place en 2010. On ne compte plus les rapports d’excellente qualité, toutes sensibilités politiques confondues, rendus sur ce sujet. Ils qualifient tous la situation de ces jeunes de « catastrophe sociale, économique et humanitaire considérable » et alertent sur la « véritable bombe à retardement » qu’ils représentent.
À Mayotte, la mèche a été allumée. L’heure est non plus à l’observation, mais à l’action.
C’est la raison pour laquelle je vous demande instamment de trouver une solution pérenne à ce problème majeur, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Hélène Lipietz et MM. Pierre-Yves Collombat et Yves Détraigne applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les mineurs isolés étrangers en France, peu à peu, sont montrés du doigt : de mineurs isolés dignes de la protection de la France, ils deviennent mineurs étrangers, des jeunes émigrés. Leur extranéité étant leur premier défaut, leur minorité, quand elle est avérée, passe sous le boisseau.
Pourtant, la France a tout fait pour que la convention relative aux droits de l’enfant soit ratifiée avant 1989, afin d’être, encore une fois, perçue comme une précurseuse en matière des droits de l’homme, surtout si cet humain est mineur...
Mais la réalité mondiale a frappé à notre porte, et les mineurs isolés étrangers en France sont devenus « le » coût de leur prise en charge. Pourtant, ils ne représentent que 3 % à 4 % des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Un « protocole d’accord » dont les leçons sont encore à tirer a permis de répartir la charge sur le territoire national.
Ce phénomène d’immigration des plus jeunes est d’abord et avant tout un phénomène culturel et sociétal, lié à la mondialisation du transport.
De tout temps, les mineurs ont été amenés à bouger, à sortir de leur famille. Souvent, celui qui « bénéficiait » de cet honneur ou de cette charge ne savait pas pourquoi c’était lui qui partait, mandaté par sa famille pour en accomplir les rêves.
Aujourd’hui, c’est la télévision qui pousse les préadolescents ou les adolescents, parfois en dehors de toute volonté parentale, à partir pour gagner leur vie, celle de leur famille sur le mirage de nos sociétés d’opulence.
Parfois, c’est la situation politique de leur pays qui est la cause de cet exode. Je pense à certains de mes « petits clients », anciens soldats martyrs, drogués, violeurs…
Ces enfants viennent frapper à nos portes. Ils ont parfois été acheminés par des réseaux, mais qui ne sont pas toujours mafieux, car ils peuvent être ethniques ou familiaux.
Ces enfants arrivent en France avec un parcours qui les rend si différents et si proches de nos enfants nés en France. Ils ont le même sourire, la même inquiétude de leur avenir. À la maltraitance des parents d’ici fait écho la maltraitance de leur société là-bas ; à l’abandon des parents ici répond l’abandon de leurs parents là-bas.
La proposition de loi que nous examinons, proposition de loi dite « relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers », aborde ce sujet par le prisme du poids économique immédiat. Les départements n’ont plus d’argent, et l’État en a peut-être encore un peu.