M. Félix Desplan, rapporteur pour avis de la commission des lois. L’intention était certes louable, puisqu’il s’agissait de préserver du foncier pour permettre le maintien d’activités industrielles, mais les moyens prévus étaient manifestement inadaptés.
S’agissant des articles relatifs aux offres publiques d’acquisition, sur lesquelles notre collègue Jean-Marc Todeschini a beaucoup travaillé au nom de la commission des finances, la commission des lois a examiné plus attentivement les articles 5, 7 et 8, qui relèvent du droit des sociétés.
Je mentirais en prétendant que ces dispositions nous convenaient pleinement. Disons que leur utilité réelle nous laissait perplexes, au regard de leurs éventuels effets négatifs et de la large réprobation qu’elles suscitent chez les acteurs concernés.
Il en est ainsi de l’article 5, relatif à l’application automatique du droit de vote double dans les assemblées générales des sociétés cotées pour les actions détenues au nominatif depuis deux ans. Il en est également ainsi de l’article 8, relatif aux compétences des dirigeants des sociétés faisant l’objet d’une offre publique d’acquisition : il nous semblait, sur le fond, qu’il fallait contenir les risques de conflit d’intérêts.
Toutefois, à l’instar de la commission des finances, la commission des affaires sociales a considéré que ces dispositions présentaient un intérêt et qu’il convenait de les conserver. À cet égard, je relève que nos préoccupations d’amélioration du texte ont été prises en compte ou satisfaites par la commission des affaires sociales.
J’en viens par conséquent à l’article 1er du présent texte, le seul pour lequel la commission des lois présentera aujourd’hui des amendements.
Dans la continuité de débats antérieurs déjà évoqués à cette tribune, cet article impose de rechercher un repreneur à toute entreprise d’au moins mille salariés qui envisage une fermeture d’établissement susceptible d’entraîner un licenciement collectif. Le but est d’éviter que des emplois ne disparaissent au motif que, dans certains cas, une entreprise n’aura pas fait tous les efforts pour sauvegarder un site en cherchant un repreneur. Nous approuvons cet objectif d’intérêt général, qui justifie selon nous le tempérament apporté par le texte à la liberté d’entreprendre.
Nous faisons évidemment confiance à la commission des affaires sociales pour l’examen au fond des nouvelles dispositions introduites à cette fin dans le code du travail. Ainsi, nous nous sommes concentrés sur l’examen approfondi de la procédure de contrôle de cette nouvelle obligation de rechercher un repreneur, telle qu’elle est prévue par le texte devant le tribunal de commerce, et sur les sujets qui s’y rattachent directement.
Les amendements que je vous présenterai dans la suite de nos débats visent à garantir la sécurité juridique de la procédure de contrôle judiciaire de cette nouvelle obligation, sans en dénaturer l’économie générale.
Mes chers collègues, plusieurs préoccupations nous ont guidés en abordant ce texte.
Premièrement, il faut veiller au respect des droits de la défense. Cette exigence constitutionnelle suppose que les représentants de l’entreprise puissent être entendus aux différentes étapes, au nom du principe du contradictoire.
Deuxièmement, il convient de renforcer le rôle du ministère public, gardien de l’ordre public. Sa mission est d’autant plus importante si l’on met en place un mécanisme de sanction.
Troisièmement, il est nécessaire de clarifier et de rendre plus lisible, cohérente et efficace la procédure applicable : si nous ne sommes pas dans le cadre des procédures collectives – ce que tendent à conforter les amendements que je vous soumettrai –, le régime procédural institué par le présent texte s’en inspire beaucoup. Par conséquent, nous en faisons de même, par cohérence. Dans le respect des règles de répartition des contentieux entre les tribunaux, nous proposons de distinguer deux procédures : d’une part, une procédure de vérification du respect par l’entreprise de ses obligations, ouverte sur l’initiative du comité d’entreprise, suivie, d’autre part, le cas échéant, d’une procédure de sanction, ouverte sur l’initiative du comité d’entreprise également mais aussi du ministère public.
Quatrièmement, il faut donner au tribunal la capacité d’apprécier les efforts engagés par l’entreprise pour trouver un repreneur et d’analyser le caractère sérieux des offres de reprise éventuelles, ce dans des délais très brefs.
Cinquièmement et enfin, il convient, bien sûr, de prévenir les risques constitutionnels. Se pose notamment la question de la proportionnalité de la sanction au regard du principe de légalité des délits et des peines et du droit de propriété. Nous proposons d’écarter toute ambiguïté d’interprétation sur la saisine d’office du tribunal, ce que le Conseil constitutionnel a censuré par une décision de décembre 2012. Je l’ai déjà indiqué, nous avons également veillé aux différents principes constitutionnels qui s’imposent devant les tribunaux, en accordant une attention particulière aux droits de la défense.
J’aurai l’occasion de préciser davantage ces points au fil de la discussion des articles. Aussi, je conclus mon propos, en indiquant au Sénat que la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des dispositions dont elle s’est saisie pour avis, sous réserve de l’adoption de ses amendements, et non sans remercier Mme la rapporteur de l’écoute qu’elle a accordée aux préoccupations de notre commission, en particulier durant ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, en commission des affaires sociales, nous avons longuement débattu de l’intitulé de cette proposition de loi.
Mme Catherine Procaccia. Longuement… Un peu !
M. Jean Desessard. « Reconquérir l’économie réelle ». Certains se demandaient ce que cela signifiait.
Mme Catherine Procaccia. C’est toujours le cas ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. C’est pourtant simple, chère collègue ! L’économie réelle, c’est ce qui est produit, c’est le concret.
M. Gérard Longuet. Produire ce que personne n’achète, c’est inutile !
M. Jean Desessard. C’est le fruit d’un échange entre les personnes. Ce sont des lieux et des productions. Ce sont des usines, des personnes qui travaillent et qui créent. Voilà l’économie réelle !
M. Jacky Le Menn. Bravo !
M. Gérard Longuet. Non !
M. Jean Desessard. A contrario, l’économie non réelle, c’est la spéculation, l’argent rapide et facile, déconnecté du monde existant et enrichissant seulement une poignée d’individus.
M. Jacky Le Menn. C’est ça !
Mme Éliane Assassi. Bref, ce qui se passe aujourd’hui !
M. Jean Desessard. Ces deux univers s’opposent. Ils présentent des méthodes et des finalités divergentes.
Souvent – trop souvent – les logiques financières de court terme l’emportent sur l’économie réelle. Aussi, reconquérir l’économie réelle signifie opposer des garde-fous aux intérêts financiers court-termistes, pour garantir l’avenir de nos sites industriels et de leurs employés. Chers collègues de l’opposition, si vos doutes persistent…
Mme Catherine Procaccia. Je suis comme saint Thomas…
M. Jean Desessard … quant à l’économie réelle, je pourrai vous parler de la souffrance réelle des salariés, lorsqu’on ferme des sites de production. Je pourrai vous parler du chômage, du déclassement, des projets d’avenir perdus. Il faut défendre l’économie réelle !
C’est pour faire face à des situations inacceptables que les socialistes, les écologistes et les radicaux de gauche ont déposé cette proposition de loi. (M. Jean-Claude Requier acquiesce.) Il est urgent d’intervenir et de poser des bornes, pour combattre les abus et limiter les effets désastreux d’une logique spéculative, tout en respectant l’esprit d’entreprise.
Le cas de l’usine de Florange, dont la situation a inspiré la rédaction du présent texte, est particulièrement révélateur. Ce site était rentable, comme l’a prouvé le rapport remis à Arnaud Montebourg par Pascal Faure, alors vice-président du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le 27 juillet 2012. Pourtant, le groupe ArcelorMittal a fait le choix de fermer les hauts-fourneaux,…
M. Gérard Longuet. Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas suivi ce rapport ?
M. Jean Desessard. … afin d’ajuster la production d’acier à la demande pour maintenir des prix élevés, tout en donnant la priorité à d’autres usines du groupe, encore plus rentables.
Le présent texte établit des règles, propose des procédures et précise des sanctions pour que les salariés ne soient pas les éternels sacrifiés de l’argent facile.
La première disposition phare est l’obligation de recherche d’un repreneur. Ainsi, une entreprise désireuse de se séparer de l’un de ses établissements doit impérativement rechercher un successeur potentiel, tout en informant les salariés, l’autorité administrative et les collectivités territoriales de sa démarche.
À nos yeux, ce volet d’information des salariés est essentiel. Via le comité d’entreprise, les employés prendront désormais connaissance des possibilités de reprise de leur établissement. Dans ce processus, l’économie sociale et solidaire a un rôle important à jouer : à cet égard, nous défendrons un amendement tendant à valoriser les sociétés coopératives et participatives, les SCOP, modèle juridique et solidaire qu’il convient particulièrement de mettre en avant.
Les précédents orateurs l’ont déjà souligné, le présent texte ne saurait se limiter à une simple déclaration de principe. C’est pourquoi il fixe des sanctions, qui pourront être prises à l’encontre des employeurs ne respectant pas la procédure de recherche d’un repreneur.
Par ailleurs, cette proposition de loi limite la prise de contrôle des sociétés par des groupes prédateurs, qui, bien souvent, font peu de cas des salariés travaillant au sein des entreprises rachetées. Les OPA devront déboucher sur un contrôle d’au moins 50 % du capital de la société cible, sous peine d’invalidation.
Dans la même perspective, le droit de vote double pour les actions détenues depuis deux ans sera généralisé. Cette mesure phare favorise l’actionnariat de long terme par rapport aux intérêts purement spéculatifs. En outre, comme l’a souligné M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, ce principe permettra également à l’État actionnaire de conserver son contrôle sur diverses sociétés, tout en y diminuant sa participation.
Enfin, la possibilité d’attribuer jusqu’à 30 % des actions, de manière gratuite, à tous les salariés parachève le dispositif de protection face aux prises de contrôle hostiles. Nous défendrons un amendement tendant à assurer une distribution équitable de ces parts entre tous les employés.
Ainsi, cette proposition de loi présente un éventail d’outils efficace et cohérent pour faire face, concrètement, à la fermeture injustifiée de sites industriels. Ces mesures permettront de sauver des emplois et d’empêcher la destruction des outils de travail des ouvriers à des fins spéculatives. Les sénateurs du groupe écologiste voteront donc, sans surprise, en faveur de ce texte.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Très bien !
M. Jean Desessard. Cela étant, au-delà de la simple défense de l’industrie française, il faut songer au développement de cette dernière. À ce titre, il convient de s’interroger sur le devenir de notre industrie et de nos moyens de production dans leur ensemble, alors que les ressources de la planète s’amenuisent. Cet avenir industriel, nous en sommes convaincus, repose sur la qualité, la proximité et le respect de l’environnement.
Je souhaite insister sur la qualité. Certains affirment qu'il faut baisser le coût du travail pour être compétitifs…
Mme Catherine Procaccia. C’est le Président de la République qui dit cela !
M. Jean Desessard. … face à l’ensemble des pays de la planète. Quel est pourtant le pays au monde dont la qualité de la production jouit de la meilleure image de marque ? La France ! Les produits français évoquent le luxe, la qualité, le must !
Et vous voudriez nous faire croire que c’est en vendant des produits bas de gamme à l’étranger que nous serons crédibles ! Notre image de marque est formidable, et nous avons intérêt à la conforter en favorisant les produits de qualité. Voilà bien la stratégie que nous devons adopter, plutôt que de nous diriger vers des produits de faible qualité à moindre coût. Conservons cette image de qualité dont notre pays est porteur, nous n’avons pas à nous forcer pour la valoriser à l’étranger.
Je vais manquer de temps, mes chers collègues !
M. Jacky Le Menn. Vous reviendrez en deuxième semaine !
M. Jean Desessard. La proximité doit être encouragée, également.
Amorcer la transition vers les productions vertes, défendre et promouvoir l’image de marque de la qualité française, redynamiser, grâce à par l’implantation de productions à haute valeur technologique ajoutée, les zones industrielles désertées, telles sont les pistes à privilégier afin de mettre un terme au déclin industriel.
Cette proposition de loi nous invite à nous orienter résolument vers l’avenir, c’est pourquoi les sénatrices et les sénateurs écologistes la voteront avec enthousiasme. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par là où a terminé mon excellent collègue Jean Desessard, en lui apportant cependant une précision. Oui, la France a intérêt à jouer la qualité. Toutefois, en matière industrielle comme en matière de services, pour assurer la qualité, il ne suffit pas de la décréter, il faut également la financer. Il faut donc des capitaux, et c'est exactement ce dont nous serons privés si votre proposition de loi est adoptée.
Il n’y a pas de qualité sans capitaux. Or votre proposition de loi aura un effet immédiat : elle dissuadera l’investissement dans l’industrie française, parce qu’elle inquiète sans pour autant apporter de solutions. Elle est profondément contre performante.
Ouvrons le débat sémantique. Il s’agit donc de « l’économie réelle ». Qu’est-ce que la valeur d’un bien ? Cher collègue Jean Desessard, en économie, la valeur d’un bien est la valeur qu’un client est prêt à lui consacrer. Quelle est la valeur d’un bien de production, comme d’un bien de consommation ? C’est en effet une demande solvable. Le travail réel existe, res, rei, c'est-à-dire la chose. Personne ne conteste qu’il puisse exister une économie réelle. Toutefois, si vous fabriquez des voitures qui ne sont pas achetées, ou en dessous de leur prix de revient, si vous fabriquez des produits qui sont en excédent ou qui ne sont plus adaptés à la clientèle, vos biens ne valent rien.
Il s’agit d’une réalité économique : la valeur, c’est la rencontre d’une offre et d’une demande, et ce n’est pas la décision de bâtir une offre qui imposera une demande. Nous sommes dans une économie ouverte et nous le resterons durablement.
D’ailleurs, ce texte parce que c’est une proposition de loi exprime bien, sinon le désarroi du Gouvernement, au moins sa malice. Celle-ci trouve son origine dans un événement que nous connaissons – Jean-Marc Todeschini l’a évoqué et Mme Gisèle Printz le connaît tout autant, en qualité de sénateur mosellan – : Florange. Le destin de ce site industriel est à l’origine de la proposition n° 35 du candidat François Hollande.
Cette proposition n’a pas été mise en œuvre jusqu’à maintenant par le Gouvernement. Le Président Hollande est revenu sur place en février 2012 pour affirmer qu’il ferait quelque chose. Nous avons eu, en septembre 2012, l’annonce, par votre collègue M. Montebourg, d’un projet de loi – qui ne s’est jamais concrétisé – puis, dans le cadre de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, en janvier dernier, des dispositions sur la reprise d’entreprises.
Et, assez rapidement, il y a eu un chevauchement singulier, comme si le Gouvernement avait peur de sa majorité. Par la loi du 13 juin 2013, il a étendu l’ANI, brûlant en quelque sorte la politesse à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, comme s’il était urgent pour le Gouvernement de faire en sorte que le groupe parlementaire socialiste, qui est pour l’essentiel à l’origine de cette proposition, ne se trouve pas sur un terrain dégagé et que, d’une certaine manière, il soit encadré.
Les rapporteurs ont mené des travaux excellents, passionnants, riches – et j’ajouterai, moi qui ai des convictions libérales : des travaux parfaitement mesurés, qui nourrissent le débat. C’est donc en me tournant vers eux que je relève la situation très insolite dans laquelle nous nous trouvons : le Président de la République semble avoir cheminé vers Bad-Godesberg, le 14 janvier dernier, et le groupe socialiste s’accroche à la proposition n° 35, qui, de ce fait, n’est plus d’actualité.
La bataille sémantique n’est pas complètement négligeable. Ce qui est plus important, c’est le désarroi de cette majorité…
M. Jean-Marc Todeschini. Mais non, rassurez-vous, mon cher collègue !
M. Gérard Longuet. … au regard d’une économie dont elle découvre – et M. Moscovici nous l’a dit, d’ailleurs, en rendant hommage à la compétitivité, à la productivité, à la concurrence – les lois les plus élémentaires : la France n’est pas seule au monde et le Gouvernement n’est pas en mesure de déterminer seul ce qui est bon pour l’économie française.
Pour revenir sur le dispositif en débat, il comporte deux dispositions majeures. Premièrement, concernant l’obligation de rechercher un repreneur, je partage naturellement votre préoccupation.
Depuis trop longtemps, du fait des crises économiques qui ont frappé notre pays depuis les premiers chocs pétroliers, de l’adaptation rapide de secteurs industriels anciens, de l’exigence d’évolution à des cadences plus soutenues, nous avons tous, sur le terrain, été confrontés à des entreprises en difficulté et nous avons essayé, avec les moyens, souvent dérisoires, dont nous disposons, de contribuer à trouver des solutions. C’est la raison pour laquelle l’idée même d’obliger une entreprise, pour un site rentable, à trouver un repreneur apparaît comme une idée plutôt sympathique et séduisante.
Elle se heurte cependant à un premier problème : qu’est-ce que la responsabilité d’entreprendre, sinon celle de localiser les investissements là où ils peuvent être les plus pertinents à l’échelle d’un groupe ? Si nous combattions, en France, cette liberté de l’entrepreneur, nous constaterions que la plupart des entreprises françaises du CAC 40 qui réalisent une partie significative de leur chiffre d’affaires et de leurs bénéfices à l’étranger pourraient être un jour condamnées à ne jamais investir en France parce que les pays dans lesquels elles réalisent des bénéfices leur demanderaient impérativement de réinvestir sur place.
Le principe même de refuser à un entrepreneur le droit d’affecter ses ressources aux secteurs les plus profitables revient à prendre le risque de décourager totalement les entreprises françaises ou étrangères de dimension internationale de choisir la France comme site de production.
Deuxième observation : qu’est-ce qu’un site rentable ? Bonjour la jurisprudence ! Bonjour les évaluations conflictuelles ! Bonjour les espérances déçues ! Car un site peut être rentable à l’intérieur d’un groupe ou, au contraire, être écrasé parce qu’il appartient à un groupe. Les deux cas de figure sont possibles. (Mme Nathalie Goulet opine.)
J’ai vu dans ma propre circonscription, par exemple, une entreprise produisant un produit mûr d’un très grand groupe devenir rentable en cessant de lui appartenir et de participer à des charges communes élevées. Inversement, j’ai vu d’autres entreprises disparaître parce que, cessant d’appartenir à un groupe, elles ne bénéficiaient plus de l’approvisionnement et des débouchés sécurisés par l’appartenance à ce groupe.
Vous demandez à un tribunal de porter un jugement définitif sur ce genre de situations ? Vous lui conférez une responsabilité qu’il ne sera pas en mesure d’exercer et, par conséquent, les sanctions que vous préconisez auront, dans le meilleur des cas, la force d’un sabre de bois ou, dans le pire, un effet dissuasif en ce qui concerne le choix de notre pays comme lieu d’activité.
Je me réjouis, par ailleurs, que nous soyons en train de remettre en question le sujet des friches industrielles. En effet, pourquoi obliger une entreprise à conserver la même localisation alors qu’il s’agit, parfois, du seul actif qui permettrait, en étant cédé dans des conditions raisonnables et acceptables, de faire redémarrer l’activité sur un autre site, en général plus adapté à l’activité industrielle.
En revanche, dans ce premier volet relatif à la reprise d’entreprises, vous ne vous attaquez pas à deux problèmes de fond qui pénalisent la reprise des activités industrielles : le passif social et le passif environnemental. Certes, je ne prétends pas que cela soit aisé. Notons simplement que ce qui s’oppose à la reprise de nombreuses activités, ou qui cesse de les rendre rentables, c’est le poids que fait peser sur le repreneur la totalité d’un passif dont il n’est absolument pas responsable de la constitution, mais dont il hérite en décidant de poursuivre l’activité. Ce passif, pour l’essentiel, est social et environnemental.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous ne manquez pas d’air !
M. Gérard Longuet. Avec cette première disposition, vous allez inquiéter plus que vous n’allez régler de problèmes.
Concernant le deuxième volet, dans le cadre des dix minutes qui me sont imparties et parce la discussion des articles nous permettra d’aller davantage dans le détail, je serai plus bref. Je voudrais vous dire que votre régulation des offres publiques d’acquisition, qui présente d’ailleurs des aspects assez cocasses, n’est pas illégitime.
Ainsi, elle n’est illégitime en ce qui concerne la caducité des OPA n’atteignant pas les 50 %. En effet, il existe dans de tels cas, et l’exemple de Volkswagen le prouve, des risques de détournement de l’OPA. La règle que vous proposez, sous réserve d’un examen plus approfondi, paraît pertinente.
S’agissant de la mise en place du double vote pour les actions détenues depuis de deux ans, notre collègue Martial Bourquin a évoqué l’effet positif attendu sur la responsabilité de l’État en termes de stratégie. C’est naturellement vrai pour l’État, comme pour les autres actionnaires privés, avec le risque, qu’il convenait d’éviter, d’une renationalisation de fait de certaines activités.
J’indique à notre collègue Bourquin que, passé un certain point, la dilution finit par poser problème. En effet, si vous accordez des droits de vote doubles et que vous considérez que cela double la valeur de votre actif, puisque vous pouvez avoir le même pouvoir avec deux fois moins de capitaux, pourquoi alors ne pas instaurer des droits de vote quadruplés ?
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Pourquoi pas, en effet ? Faisons-le ! C’est une bonne idée ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Je souhaitais juste attirer son attention sur le fait que l’État ne sera pas gagnant à proportion du doublement.
En revanche, vous commettez une erreur fondamentale en croyant que la régulation de la direction des entreprises par les investisseurs est dangereuse. C’est exactement le contraire ! Pourquoi les entreprises européennes, notamment françaises, et les entreprises américaines se sont-elles réveillées ces trente dernières années ? Parce qu’il y a une concurrence sur le capital !
Lorsque le capital est entièrement bloqué, que les administrateurs se tiennent par la barbichette, que les participations croisées parviennent à faire en sorte que l’industrie devienne une sorte d’écheveau inextricable, alors des managers en viennent à s’identifier à l’entreprise et, sans rendre compte à aucun actionnaire, décident de tout, alors même qu’ils n’engagent aucun capital personnel.
La régulation de l’économie par l’acquisition du capital, parce que l’entreprise pourrait être mieux gérée, est un devoir absolu pour assurer la vitalité des entreprises. Là encore, vous allez inquiéter plus que vous n’allez régler de problèmes.
En vérité, et je conclus par là où j’ai commencé, il n’y a pas d’économie sans capitaux, il n’y a pas de capitaux sans capitalisme…
Mme Éliane Assassi. Cela, nous le savons !
M. Gérard Longuet. … et il n’y a pas de capitalisme sans respect de la propriété ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il n’y a pas d’usines sans ouvriers !
M. Jean Desessard. Il n’y a pas de société sans socialisme, et pas de communauté sans communistes ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.