M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
À compter de la promulgation de la loi n° … du … tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, et jusqu’à ce qu’une offre de santé au moins équivalente, pratiquant le tiers payant et les tarifs opposables soit garantie à la population concernée, plus aucun établissement public de santé ne peut être fermé ou se voir retirer son autorisation, sans l’avis favorable du conseil de surveillance de l’établissement et de la conférence de santé du territoire.
La commission médicale d’établissement et le Comité Technique d’Établissement sont également consultés. Leur avis est joint à ceux prononcés par le conseil de surveillance de l’établissement et la conférence de santé du territoire et adressé au directeur de l’Agence Régionale Santé qui en tire toutes conséquences utiles.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, sur l'article.
M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais me faire l’écho d’un exemple concret, celui de l’hôpital de Fontainebleau, en Seine-et-Marne, car il illustre bien les raisons qui nous poussent, aujourd'hui, à demander ce moratoire.
Certes, le projet de nouvel hôpital public-privé a, heureusement, été abandonné tant il affaiblissait le secteur public. Ce n’est malheureusement pas le cas à Jossigny, où le nouvel hôpital est inauguré demain et où l’excellent service public de radiothérapie va disparaître. Et ce n’est pas le cas non plus pour le futur hôpital de Melun, au sujet duquel nous nourrissons quelques inquiétudes.
Mais, à Fontainebleau, l’affaiblissement de l’offre de soins s’est traduit, dans un premier temps, par la fermeture de quinze lits de chirurgie à la fin de 2011, occasionnant des difficultés incessantes de prise en charge des patients accueillis aux urgences. Des secteurs d’activité sont encore fragilisés ou sont menacés de disparition par le non-remplacement des praticiens, comme en ophtalmologie, en pédiatrie ou en oto-rhino-laryngologie
Aucun effort n’a été observé par les personnels pour recruter des chirurgiens urologues malgré l’importance du nombre des patients relevant de cette spécialité qui consultent à l’hôpital, en général en garde, dans le service des urgences.
Les services de chirurgie voient, chaque jour, se réduire leurs possibilités de répondre à la demande de prise en charge.
En 2013, au centre hospitalier de Fontainebleau, le budget pour les emplois précaires n’a jamais été aussi élevé, alors qu’il faudrait recruter et titulariser pour bénéficier d’équipes stables.
Cette politique à court terme, purement comptable, dégrade la qualité et réduit l’offre de soins. Où se situe le changement de politique ? Apparemment, à Fontainebleau, on le cherche encore…
La situation est grave et, comme dans bon nombre d’hôpitaux, un divorce profond s’installe entre les personnels et l’autorité, qui agit et décide contre eux et contre leur mission de soins.
C’est notamment pourquoi, exaspérés, de nombreux petits praticiens de cet hôpital soutiennent, comme beaucoup d’autres en Seine-et-Marne, d'ailleurs, notre proposition de moratoire, non pour figer la situation, qui est intenable, mais pour avoir le temps de ramener de la sérénité et de redéfinir un véritable projet de service public pour cet hôpital, avec les moyens financiers et humains nécessaires à sa mise en œuvre.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, avant d’en venir à l’article 1er de cette proposition de loi, évoquer certains événements qui se sont déroulés le weekend dernier.
Comme beaucoup de parlementaires et, j’ai envie de dire, comme bon nombre de nos concitoyens et de nos concitoyennes, j’ai été particulièrement choquée par la manifestation organisée dimanche dernier par des militants des mouvements pro-vie, c’est-à-dire, très concrètement, des femmes et des hommes qui veulent refuser aux femmes le droit fondamental de pouvoir décider d’être enceintes ou non, en d’autres termes, le droit de disposer de leur corps, ni plus ni moins !
Cette manifestation fait naturellement écho au débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, mais aussi à ce qui se passe aujourd’hui en Espagne.
En effet, le gouvernement espagnol entend limiter la faculté de recourir aux interruptions volontaires de grossesse aux seuls cas où la femme enceinte fait la démonstration que la grossesse peut mettre en danger sa santé ou sa vie. La loi prévoit également que les jeunes filles mineures ne pourront avorter qu’avec le consentement de leurs parents.
Ces deux mesures, symboliques tout autant que scandaleuses, attestent la conception rétrograde que certains ont des femmes et de leur corps.
En privant les femmes du droit de décider en conscience et en faisant dépendre l’interruption volontaire de grossesse des mineurs du choix de leurs parents, le gouvernement espagnol retire aux femmes la capacité à décider, comme si, après tout, elles n’étaient plus maîtres de leur corps.
Si, en France, nous en sommes loin, les manifestations publiques récentes et les actions « coup de poing », scandaleuses et illégales, menées par des collectifs fanatisés nous rappellent combien il faut être vigilant. Vous avez raison, madame la ministre, de rappeler que la France doit défendre « haut et fort, le droit des femmes à décider ».
Au-delà des déclarations, c’est par les actes que cela doit passer, et il y a urgence à développer les mesures concrètes nécessaires pour rendre effectif le droit des femmes, de toutes les femmes, à accéder à l’IVG. Incontestablement, la mesure adoptée à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 est positive, bien qu’elle ne règle pas toutes les difficultés. En effet, des goulets d’étranglement persistent dans certaines zones de fortes demandes à certaines périodes de l’année, notamment lors des congés, qui rendent plus difficile et parfois même impossible l’accès des femmes aux IVG.
Avec mes collègues Laurence Cohen et Brigitte Gonthier-Maurin, j’y vois plusieurs explications.
Tout d’abord, l’acte médical d’interruption volontaire de grossesse reste peu gratifiant pour les équipes médicales. C’est également un acte peu rémunérateur puisque, en dépit de plusieurs revalorisations successives, la tarification de l’IVG instrumentale ne prend en charge qu’une partie du coût réel des interruptions volontaires de grossesse, ce qui décourage, nous le savons, les établissements.
Cela est d’autant plus vrai que, malheureusement, de nombreux centres IVG ont fermé. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a remis, en novembre 2013, un rapport dans lequel il relève que « l’accès à une IVG est parfois problématique ». Est en cause notamment la diminution de l’offre, avec la fermeture, sur les dix dernières années, de plus de 130 établissements de santé pratiquant l’avortement, ainsi que le manque de moyens et de personnels. Le Haut Conseil note aussi l’existence « d’importantes disparités d’accès entre les territoires ».
De fait, pour l’accès à l’IVG, dans notre pays, le désert médical s’étend !
Ce rapport, madame la ministre, contient des pistes intéressantes et souligne l’impérieuse nécessité de « développer une offre de soins permettant aux femmes un accès égal, rapide et de proximité à l’IVG », ce qui, vous en conviendrez, n’est pas tout à fait étranger au contenu de cette proposition de loi. Car seul le service public peut être garant de l’accès de toutes à l’IVG, sans distinction quant au lieu d’habitation ou au statut social.
C’est pourquoi, au nom du droit des femmes à pouvoir conserver la faculté de bénéficier, sur tout le territoire national, d’un droit effectif à l’avortement, je voterai, avec l’ensemble de mes collègues, cet article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis une élue séquano-dyonisienne. Or la Seine-Saint-Denis est l’un des départements les plus pauvres de France, alors que le taux de natalité y est l’un des plus élevés de notre pays. C’est dire si les besoins en matière de santé sont grands, notamment pour ce qui est des tarifs opposables avec application du tiers payant.
Oui, nous sommes de celles et de ceux qui veulent des actes et il y a des défis à relever en matière de santé !
Aujourd'hui comme hier, la Seine-Saint-Denis n’est pas épargnée par les politiques comptables et financières mises en œuvre par les agences régionales de santé. Certains établissements publics sont durement frappés – je pense particulièrement à l’hôpital Avicenne –, mais des établissements privés le sont tout autant, par exemple l’hôpital européen de La Roseraie, sur lequel je vais revenir dans un instant.
Je voudrais d’abord avoir une pensée pour la maternité des Lilas, déjà évoquée, dont le collectif de défense se mobilisera le 24 janvier prochain afin d’en empêcher la fermeture. Vous le savez, madame la ministre, vous connaissez le dossier, le déficit de cet établissement n’est pas structurel, il est la conséquence – comme l’a justement rappelé mon collègue Dominique Watrin – des consignes données et exécutées par l’ARS.
Mais je pense aussi à l’hôpital européen de La Roseraie, à Aubervilliers, qui vient tout juste de déposer le bilan. Madame la ministre, cette annonce a suscité une véritable émotion parmi le personnel et les patients, bien évidemment, mais, plus largement, parmi la population albertivillarienne et, au-delà, dans la population séquano-dyonisienne.
Au-delà de la dimension sociale, puisque l’établissement salarie quelque 600 personnes, se pose bien évidemment la question sanitaire, à laquelle, madame la ministre, vous devez répondre.
Si la situation est préoccupante en Seine Saint-Denis, elle l’est tout autant dans d’autres départements, comme celui des Hauts-de-Seine. Ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, qui ne peut pas être des nôtres aujourd’hui, m’a indiqué que la fusion des hôpitaux de Beaujon et de Bichat, déjà plus qu’avancée, pourrait, selon toute vraisemblance, entraîner la disparition de 400 à 600 lits.
Cela marquerait un net recul dans l’accès aux soins des populations, d’autant que le schéma qui semble se profiler aujourd’hui, pour parvenir à une telle fusion, passerait par la fermeture pure et simple de l’hôpital Beaujon.
On devine aisément le projet que mûrit la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à savoir – au nom de la fameuse réduction des dépenses – le regroupement au sein de seulement douze structures des trente-sept hôpitaux publics que compte actuellement l’AP-HP.
Nous considérons que cela revient, de fait, à organiser une réduction de l’offre publique de soins de proximité, avec les risques sanitaires que cela peut engendrer.
Madame la ministre, j’illustrerai mes propos par un exemple. Le 4 décembre dernier, un article du Parisien révélait que, à la suite des mesures prises à l’encontre des urgences de l’Hôtel-Dieu, les urgences de Tenon, Saint-Louis, Lariboisière, Bichat, La Pitié-Salpêtrière et Pompidou dépassaient toutes un taux d’occupation de plus de 120 %. Ce taux était de 150 % à Saint-Louis, de 170 % à la Pitié-Salpêtrière, de 185 % à Lariboisière et même de 210 % à Tenon !
Dans ces conditions, c’est bien la qualité des soins et la sécurité sanitaire qui sont remises en cause. C’est pourquoi, dans l’intérêt des populations et des agents publics de l’AP-HP, je voterai en faveur de cet article et de la proposition de loi.
J’ajouterai qu’un moratoire ne se décrète pas. Il ne se décrète pas plus aujourd’hui qu’il ne se décrétait hier. En ce sens, je suppose que, Mme la ministre étant une femme de convictions, son communiqué de 2011 était fondé sur des réalités de fermetures de services hospitaliers et n’avait pas pour objet de faire plaisir à la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
Figurez-vous que nous avons, nous aussi, des convictions, que nous défendons d’ailleurs assez bien ! Or il y a encore aujourd’hui des fermetures de services de santé, voire d’établissements : c'est la raison pour laquelle nous avons déposé cette proposition de loi.
Certains orateurs ont parlé de l’adaptabilité, qui serait nécessaire. En disant cela, ils laissent penser, comme Mme la rapporteur l’a d’ailleurs fait remarquer, qu’il y aurait, à droite de l’hémicycle, des parlementaires modernes, et, de l’autre côté, des sénateurs moins modernes, voire ringards…
Comme sénatrice, comme sénatrice communiste et comme présidente du groupe communiste, républicain et citoyen, je refuse ce genre de propos. Il n’y a pas, d’un côté, les modernes et, de l’autre, les ringards, figés dans leurs dogmes. Revenez sur terre ! Nous sommes au XXIe siècle, Staline est mort depuis longtemps, avant même ma naissance !
Cette vieille rengaine est trop souvent reprise dans cet hémicycle. Cela étant, si elle me met parfois en colère, elle me fait rire, aussi, car elle prouve que ceux qui l’utilisent sont vraiment à court d’arguments.
Alors, non, nous ne sommes pas des ringards. Ce que nous refusons, avec d’autres, c’est la réduction de l’offre de soins, une question qui est – j’en suis désolée, madame la ministre ! – toujours d’actualité.
Si nous demandons un moratoire, c’est tout simplement pour que l’offre de soins de qualité soit effective sur tout le territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans ce débat parce que j’estime que la pédagogie est aussi affaire de répétition.
Les meilleures intentions ne produisent pas toujours les meilleurs résultats. Nous souscrivons pour l’essentiel aux constats dressés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. De même, nous nous accordons sur les enjeux de la question hospitalière que représentent à la fois l’excellence en matière de soins et l’accès de tous à la santé sur l’ensemble du territoire.
En 2012, les soins hospitaliers ont représenté 46 % de la consommation de soins et biens médicaux, soit le premier poste de dépenses, bien que les séjours hospitaliers ne concernent chaque année qu’environ un dixième de la population.
Nous partageons le constat qui est fait sur la situation des hôpitaux telle que nous l’avons trouvée en mai 2012 : dotations réduites, investissements et endettements incontrôlés, mise en œuvre aveugle de la tarification à l’activité et de la convergence intersectorielle privé-public, « caporalisation » des structures de direction et mise à l’écart des professionnels de santé, découpage du service public hospitalier en missions réparties au gré à gré... Il était urgent d’agir !
C’est ce qu’a fait immédiatement l’actuel gouvernement, qui a décidé, dès novembre 2012, la suppression de ce processus comptable de convergence tarifaire, lequel ignore les différences de cahiers des charges entre établissements publics et privés, qu’il s’agisse des caractéristiques des patients ou de la composition des séjours, mais aussi des actes innovants. Cette décision est qualifiée de « salutaire » dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi.
Dans cette perspective d’accès aux soins, encore faut-il, au-delà, à la fois « réparer » le démantèlement du service public programmé par le précédent gouvernement et répondre aux besoins d’adaptation du système face aux progrès techniques et scientifiques, à l’augmentation des maladies chroniques et au vieillissement de la population.
Ce double défi – consolider le service public hospitalier et l’intégrer dans l’ensemble de notre système de santé – requiert une appréhension globale, décloisonnée et de long terme.
C’est à cette double ambition que répond l’élaboration d’une stratégie nationale de santé, construite sur la solidarité et inscrite dans la durée.
Nul ne le conteste, c'est un vaste chantier, pour le moins complexe, qui prive d’effet toute approche partielle ou univoque. Le Gouvernement a choisi d’agir en même temps sur tous les leviers pour rétablir à la fois le dialogue et la confiance, les équilibres financiers et la notion même de service public hospitalier.
Cela se traduit tout autant par des actions menées sur les coûts, avec le plan « hôpital numérique », la politique du médicament sur les génériques ou le programme PHARE d’achats responsables ; sur les budgets, avec un accès facilité au crédit ou la mise en place d’une stratégie d’investissements encadrée de contreparties de retour à l’équilibre, ou encore sur l’offre territoriale de santé.
Pas plus que le reste, cette dernière ne souffre la simplification : on ne peut se contenter ni d’une défense pied à pied ni d’un objectif de rentabilité de court terme, car tous deux favorisent le recul de l’offre publique au profit de l’offre privée. Les besoins de modernisation et de rationalisation doivent être pesés, territoire par territoire, en concertation avec toutes les parties prenantes. Aucun modèle de rationalité ne s’impose a priori, sinon les exigences de sécurité et de proximité.
Une instruction de la direction générale de l’offre de soins aux directeurs des ARS était annoncée en ce sens concernant les hôpitaux locaux et leur importance dans le champ sanitaire, à la satisfaction – il faut le souligner – de l’Association nationale des médecins généralistes des hôpitaux locaux. Celle-ci estime que cette démarche concertée relève d’« un mouvement plutôt positif ».
Je n’insisterai ni sur la rédaction hasardeuse de l’article 1er de la proposition de loi, qu’il s’agisse tant du champ d’application du moratoire réclamé que de la notion « d’offre de santé au moins équivalente », ni sur son caractère éventuellement inopportun face à certaines situations locales, dont il n’est pas tenu compte.
La notion même de moratoire ne fait pas sens, parce qu’il fallait immédiatement agir et parce qu’un projet de long terme est aujourd’hui construit et à l’œuvre.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je ne peux, avec l’ensemble de mon groupe, que vous appeler à rejeter cette proposition de loi et donc à ne pas voter l’article 1er. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l'article.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir au nom de mon collègue Pierre Laurent, sénateur de Paris, malheureusement retenu par d’autres obligations, qui avait prévu d’attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de l’hôpital Sainte-Périne, dans le XVIe arrondissement.
Cet hôpital a été à plusieurs reprises le théâtre d’événements dramatiques. Ainsi, en octobre dernier, le corps sans vie d’une patiente a été retrouvé au pied du lit où elle était censée dormir : la septuagénaire avait été étranglée par la ceinture de contention qui devait la maintenir.
Déjà au début de l’année 2013, une patiente de quatre-vingt-douze ans avait été retrouvée morte de froid dans le parc de l’hôpital. La veille, un autre patient atteint de la maladie d’Alzheimer s’était enfui de l’établissement par des portes restées ouvertes. Il avait été retrouvé dans la soirée, dans la rue, à moitié nu.
Les personnels alertent depuis des années sur le manque d’effectifs et les économies qui se font au détriment de la sécurité dans cet établissement.
Madame la ministre, Pierre Laurent vous avait interpellée à plusieurs reprises à ce sujet. Le Conseil de Paris et d’autres élus étaient également intervenus en ce sens. Ainsi Nicole Borvo Cohen-Seat avait, en 2011, interpellé le ministre de la santé de l’époque sur la situation indigne qui prévalait dans cet hôpital gériatrique et que subissaient les personnels et les patients, lesquels pouvaient payaient chaque mois jusqu’à 3 500 euros !
Le fait que cette situation perdure est insupportable. Cela met en lumière de manière crue les conséquences désastreuses des suppressions massives de postes et des restructurations nombreuses que l’AP-HP subit depuis de nombreuses années, entraînant une baisse de la qualité des soins, faute des moyens nécessaires.
Certes, à la suite des événements intervenus à l’hôpital Sainte-Périne, et après les signalements adressés à l’agence régionale de santé d’Île-de- France par les usagers et leurs familles, une mission d’inspection a été mise en place au sein de l’établissement afin de recueillir les éléments qui permettront d’apprécier les conditions de prise en charge des patients et de s’assurer de la sécurité des personnes âgées dépendantes au sein de cet établissement.
Sans préjuger des enquêtes et des procédures en cours, il est toutefois nécessaire que soit décidé un moratoire sur les suppressions de postes et les restructurations à l’AP-HP, la plus emblématique étant celle de l’Hôtel-Dieu. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
La situation de plus en plus inquiétante qui prévaut à l’AP-HP en général, dont l’hôpital Sainte-Périne est l’un des exemples les plus préoccupants, l’exige. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, sur l'article.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un certain nombre d’arguments avancés contre cette proposition de loi ne nous paraissent pas fondés.
Certains estiment que le texte ne traduit pas de vision globale de la nécessaire réforme du système de santé. Certes, mais il me semble que ce n’est pas le rôle des parlementaires que de proposer une politique générale relative à un secteur entier de l’action publique ; les propositions de loi ont, bien au contraire, vocation à traiter de points précis.
D’autres avancent l’idée que la santé publique est une question tellement complexe qu’un simple moratoire ne peut régler le problème. Nous sommes bien d’accord ! Néanmoins, là aussi, ce n’est pas ce qu’il faut attendre d’une proposition de loi ni d’un parlementaire.
Par ailleurs, le moratoire est souvent présenté comme un dispositif qui engendrera forcément de l’immobilisme et un gel des positions durant des années, sans possibilité d’agir de quelque manière que ce soit. Mais ce n’est pas du tout notre vision des choses !
J’ai entendu la réponse très encourageante de Mme la ministre. Si j’ai bien compris, elle est sensible à l’idée qu’il est nécessaire de développer la démocratie sanitaire, une question qui devrait assez largement être abordée lors du débat sur la future loi de santé publique.
Le groupe écologiste n’aurait pas voté l’exposé des motifs de cette proposition de loi parce que nous ne nous retrouvons pas dans l’analyse qui y est faite. En revanche, nous voterons le dispositif proposé, avec l’idée qu’il pourrait être amendé à l’Assemblée nationale, au moins pour en limiter la durée, afin de ne pas geler les positions.
Pour nous, ce dispositif est un appel à la démocratie dans une période d’inquiétudes, à un moment où les territoires ont besoin que des stratégies sanitaires soient élaborées de façon démocratique.
Madame la ministre, mon collègue Claude Dilain vous a interpellée mardi matin à propos de la fermeture envisagée d’un service de l’hôpital Avicenne, à Bobigny. J’estime que les élus locaux et les usagers doivent être associés à ces décisions. J’ai cité les conférences de territoires, qui aujourd’hui malheureusement ne sont pas très actives. Je ne sais pas si ces conférences sont la bonne formule, mais nous avons en tout cas besoin d’espaces de discussion.
Le groupe écologiste votera donc cette proposition de loi, dans laquelle il voit un appel au développement d’une stratégie de démocratie sanitaire, avec l’idée que le texte pourrait être ensuite amendé par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Laurence Cohen, rapporteur. Je veux remercier Aline Archimbaud qui semble être l’une des rares, avec les membres du groupe écologiste, à avoir compris l’objectif de notre proposition de loi !
Effectivement, celle-ci aurait pu faire l’objet d’amendements. Cela n’a pas été le choix des différents groupes parlementaires, et nous en prenons acte. Mais n’oublions pas la navette, qui sera peut-être l’occasion pour l’Assemblée nationale d’enrichir notre texte. C’est ce qui est arrivé tout récemment à une proposition de loi de notre collègue député Bruno Le Roux, qui a été améliorée par le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat.
Mes chers collègues, vous pourriez tout à fait voter notre texte puisqu’il pourra faire l’objet de modifications !
Je fais miens les propos de mon collègue Yves Daudigny sur les valeurs qui fondent un grand service public hospitalier. Néanmoins, les affirmations ne suffisent pas ; arrive un moment où il faut passer aux actes !
Malheureusement, malgré les prises de position du Gouvernement, nous assistons aujourd’hui à la poursuite de la convergence tarifaire, avec d’ailleurs une baisse des tarifs plus importante dans les hôpitaux que dans les cliniques privées. Disons les choses, il s’agit, en réalité, d’une convergence tarifaire « larvée ».
Que faire pour interdire ce genre de pratiques, qui pénalisent l’hôpital public ?
Permettez-moi une dernière remarque. J’entends à nouveau beaucoup parler de la future loi de santé publique. Comme nous sommes encore en janvier, je forme le vœu que ce texte réponde à toutes les questions que nous nous posons dans cet hémicycle. L’ensemble des membres de mon groupe le souhaitent également de tout cœur, et je pense qu’il en va de même pour les personnels, les usagers et les élus.
Cependant, je constate que, pour l’heure, on nous demande en fait de signer un chèque en blanc : on nous invite à ne pas voter la présente proposition de loi en nous promettant que la future loi de santé réglera tous les problèmes, alors même que l’instauration d’un moratoire sur les fermetures ou les regroupements d’établissements de santé constituerait déjà une étape, un outil. Cette attitude me semble quelque peu cavalière !
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article 1er.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, je veux réagir aux propos de Mme la ministre, qui nous a tendu la perche, et à juste raison, d’ailleurs.
Madame la ministre, vu que votre majorité est particulièrement divisée sur cette proposition de loi, comme elle l’a déjà été régulièrement par le passé, elle le sera probablement sur d’autres textes.
Il me semble que l’expérience des débats sénatoriaux devrait vous inciter à être attentive aux propositions venant d’autres rangs que les vôtres, ce qui permettrait peut-être d’examiner un certain nombre de textes de manière différente et de prendre en compte des arguments par ailleurs tout à fait intéressants.
En revanche, il serait inopportun de détricoter l’ouvrage sans attendre d’avoir dressé le bilan des dispositions votées par le passé.
En ce qui concerne la tarification à l’activité, la T2A, il faudra lui consacrer le temps qu’elle mérite et étudier l’ensemble des différentes propositions avant d’arrêter les décisions.
S’agissant des innovations, je rappelle que nous vous avions déjà soumis des propositions lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment en ce qui concerne la domomédecine et la télémédecine du travail. S’agissant de cette dernière, des avancées significatives peuvent être réalisées à bon compte, ce qui permettrait d’améliorer le service rendu aux salariés au titre de cette médecine du travail dont on sait que le nombre de praticiens est particulièrement insuffisant.
Permettez-moi de revenir une nouvelle fois sur le sujet du numerus clausus : il faudra, là aussi, arbitrer entre les propositions existantes.
Pour ce qui concerne l’articulation entre le sanitaire et le médico-social, on voit bien la limite de l’exercice, notamment dans les structures périphériques, avec davantage de lits en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, ou en soins de suite qu’en soins actifs et avec la coexistence de financements complémentaires, de tarifications, de conventions tripartites…
La situation devient tellement compliquée qu’elle nous conduit à avoir des discussions de chiffonniers pour savoir qui paie quoi, au risque, parfois, de faire reculer la pensée, et le service rendu à l’usager !
Répondre aux besoins de l’usager : voilà ce qui importe. L’usager ne devrait pas se préoccuper de la question des responsabilités, laquelle est de notre ressort. Nous devons être attentifs à ces questions et réfléchir tant qu’il le faudra à la suite à leur donner.
Concernant le parcours de santé, nous attendons, madame la ministre, vos propositions.
Pour en revenir au moratoire, malgré la conviction avec laquelle Mme la rapporteur a défendu son texte, dont je comprends bien l’esprit, un certain nombre de préoccupations demeurent. Prenant acte de la division de la majorité, nous maintiendrons, quant à nous, notre vote négatif, parce que nous nous inscrivons dans une stratégie de responsabilité, en espérant que nos arguments seront davantage pris en compte qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent.