M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Alain Richard. … et de plus en plus soumis à des situations de surenchère au sein de leur propre organisation politique.
Mme Françoise Laborde. C’est sûr !
M. Alain Richard. Je veux insister sur l’appauvrissement du travail législatif et du travail de contrôle qui risque fortement d’en résulter, au moment où se développe un réexamen critique de notre législation, à la lumière de l’impératif de simplification et des comparaisons internationales, pour apprécier si notre production normative répond aux exigences de la société française et de son orientation vers l’avenir. Ma conviction est que, en privant le débat parlementaire de l’apport de personnes qui sont devenues des professionnels de la gestion publique au travers de leur expérience de terrain, nous allons accentuer les difficultés.
Pour terminer, je veux répondre à l’argument selon lequel la fin du cumul permettrait de réduire l’absentéisme parlementaire.
Mes chers collègues, nous qui avons tous quelque connaissance de la vie politique, nous savons que c’est une complète illusion ! Puisque notre Parlement restera territorial, les candidats aux mandats parlementaires devront se faire reconnaître localement, être identifiés… L’exigence de la survie politique obligera les députés et les sénateurs non détenteurs de mandats exécutifs locaux à travailler deux fois plus localement pour obtenir la reconnaissance…
Mme Françoise Laborde. C’est sûr !
M. Alain Richard. … et l’adhésion du public, par l’exercice de la parole et non plus par l’action.
Dès lors, les députés et les sénateurs se rabattront sur une expression politique de plus en plus tribunicienne, de plus en plus tournée vers le verbalisme. (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.) Je ne pense pas que les parlementaires dépourvus de mandat local consacreront une minute de plus au travail méthodique de législateur, que ce soit en séance publique ou en commission. Nous pourrons le vérifier dans quelques années !
Peut-être les parlementaires seront-ils un peu plus présents à Paris : chacun s’attachera à développer sa notoriété, pour sortir de l’anonymat parmi les 925 numéros que nous sommes… Dans ces conditions, la multiplication des éclats, pas toujours subtils et uniquement destinés à sortir de l’ombre, deviendra de plus en plus le fond du paysage de la vie politique.
Il n’y aura pas non plus de gain sur l'exercice des mandats locaux : c'est une autre illusion ! Si l’on prend en compte les mairies d'une certaine importance, les vice-présidences et les présidences des conseils généraux et des conseils régionaux, cela représente entre 4 000 et 5 000 fonctions. Or, il ne s'en trouve pas plus de 15 % qui sont exercées par les parlementaires. Ceux qui exercent ces fonctions sans être parlementaires sont-ils plus disponibles, plus présents ? Non, dans la mesure où, nous le savons par expérience, ils mènent de front leur mandat exécutif local et une activité professionnelle. Dès lors, sauf à ce que les mandats exécutifs locaux ne soient détenus que par des rentiers et des retraités, nous retrouverons les mêmes problèmes de disponibilité.
La conception du mandat exécutif local en France est celle d'une fonction à temps partiel. Ce n’est que par exception – les statistiques de l'écrêtement le montrent – que l'on rencontre des élus locaux à temps plein. La grande majorité d'entre eux ont en même temps une activité professionnelle. Il ne faut donc pas se bercer d'illusions en pensant que la fin de la possibilité du cumul avec un mandat parlementaire rendra les élus locaux plus disponibles. Je ne souhaite d’ailleurs pas que l'on bascule vers une professionnalisation totale.
Sur ce dossier, le Président de la République et le Gouvernement ont constaté que la société exerçait une pression, que le slogan faisait recette. Connaissant aussi bien que nous ce qui se cache derrière les slogans – l'antiparlementarisme et le rejet du personnel politique –, ils ont malgré tout choisi de suivre le vent… Étant en profond accord avec ce gouvernement, je le regrette, car je crois que, avec cette réforme, nous poursuivrons l'affaiblissement de notre Parlement,…
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Alain Richard. … en accentuant ses côtés versatiles et en l’orientant encore plus vers la politique spectacle. Nous verrons, dans quelques années, quel sera le résultat : le discrédit dont souffrent nos assemblées ne refluera pas.
Je préfère m'abstenir devant ce choix non satisfaisant et exprimer l'espoir que nous agirons à l’avenir de façon plus réfléchie et plus constructive pour restaurer l'autorité du Parlement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Virginie Klès applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai jamais manifesté aucun mépris envers le Sénat, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire tout à l'heure. C'est un reproche que je n’accepte pas : le temps que j’ai passé ici à travailler avec vous sur des textes tels que les projets de loi relatifs à la lutte contre le terrorisme ou au séjour des étrangers, mon attitude sont la démonstration qu’il est infondé.
Je n’ai jamais non plus cherché à entretenir une confusion entre cumul des mandats et cumul des indemnités. J’en connais le fond démagogique. À cet égard, les propositions qui ont été faites vont dans le bon sens.
Il s’agit en effet de tenir un engagement du Président de la République, pris après un long débat au sein de notre formation politique. Je rappelle d'ailleurs que Nicolas Sarkozy s'était lui-même un temps interrogé sur ce sujet, peut-être par souci de l’opinion.
Je m'étonne des critiques portant sur le rôle des organisations politiques, surtout quand elles émanent de membres de l'un des plus vieux partis de ce pays…
Alain Richard a posé une vraie question : à quoi tient le discrédit actuel de la vie politique ? Les raisons de ce discrédit sont certainement multiples, mais, sur le fond, au-delà du sentiment de l’opinion, la question de l’interdiction du cumul des mandats est posée depuis longtemps, et il fallait y apporter une réponse. Le Parlement en débat depuis maintenant six mois. De ce point de vue, le Sénat, comme l’Assemblée nationale, n’a pas été maltraité.
Les réflexions menées sur le rôle des élus et du Parlement dans un monde qui a beaucoup changé avec la globalisation économique, l’accroissement du rôle de l'Union européenne, la décentralisation, sont passionnantes.
L'on peut être ou non d'accord avec les mesures que nous avons fait voter, mais j’ai la conviction que le changement du mode de scrutin départemental, avec notamment l'obligation de la parité et des modifications importantes en termes d'équilibre démographique dues aux règles fixées par le Conseil constitutionnel, la désignation au suffrage direct des responsables des intercommunalités, le non-cumul des mandats changeront les pratiques en profondeur. À cela s’ajoutent encore les engagements que vient de prendre le Président de la République concernant l'avenir de la décentralisation.
Alain Richard a raison, dresser un bilan s'imposera dans quelques années, mais les parcours politiques, locaux ou nationaux, et donc le rôle des collectivités territoriales et du Parlement, vont évoluer. Ce changement, il ne faut pas en avoir peur. D'autres pays l’avaient entrepris avant nous, et c'est maintenant au tour de nos assemblées : elles seront beaucoup plus paritaires, et il n’y aura plus de cumul.
La démocratie s'en portera-t-elle plus mal ? Je ne le crois pas. Les pays du nord de l'Europe se sont engagés avant nous dans cette voie. Bien sûr, je sais les particularismes de la France, son histoire, ses pratiques politiques, son césarisme, mais ne condamnons pas ce que nous sommes en train de faire avant de l’avoir mis en pratique, même si, encore une fois, le renouvellement de la vie politique et la réponse à la crise de confiance envers la classe politique qu’évoquait à l'instant Yannick Vaugrenard, faisant référence à l’étude du CEVIPOF, ne relèvent pas uniquement de l’interdiction du cumul des mandats.
Ma conviction profonde est que l’on ne reviendra pas sur le choix du non-cumul des mandats. Cela ne signifie pas que des interrogations ne subsistent pas sur le rôle de l’Assemblée nationale et du Sénat, sur leurs pratiques, sur leur ordre du jour, sur la session unique…
M. Philippe Bas a estimé que l’Assemblée nationale ne peut avoir le dernier mot, car ce texte est relatif au Sénat. C'est un débat que nous avons déjà eu. Le Gouvernement a choisi d'appliquer, dans le respect de la Constitution, un même régime d'incompatibilité aux députés et aux sénateurs. Le Conseil constitutionnel tranchera, car il y aura bien une saisine…
M. Jean-Jacques Hyest. Il n’en est pas besoin !
M. Manuel Valls, ministre. Pour la loi organique, il n’en sera, en effet, même pas besoin : nous sommes d'accord.
Cela étant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant les lois organiques relatives au Sénat conforte notre position. Je vous renvoie notamment à la décision du 12 avril 2011, dont le commentaire énonce qu’une loi relative au Sénat est une loi qui lui est propre. Tel n’est pas le cas d'une loi dont les dispositions concernent de façon identique les deux assemblées.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne suis pas d'accord !
M. Manuel Valls, ministre. Sur ce point, nous ne sommes d'accord ni avec M. Mézard, ni avec M. Hyest, ni avec M. Bas. Je regrette de n’avoir pas su les convaincre du bien-fondé de cette réforme indispensable, mais, quoi qu’il en soit, les députés pourront se prononcer définitivement sur ce texte dès la semaine prochaine.
Certes, le Sénat représente les collectivités territoriales, y compris par son mode d'élection. Pour autant, l’article 24 de la Constitution implique non pas que les sénateurs soient des élus locaux, mais qu’ils soient élus par un collège essentiellement – mais non exclusivement – constitué d'élus locaux. Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, près d'un quart d'entre vous ne détiennent pas de mandat local. Ceux-là sont-ils moins sénateurs que les autres ? Non !
De ce point de vue, nous verrons sans doute, dans les années à venir, des maires ou des présidents de conseil général décider, sans avoir été sanctionnés par le suffrage universel, de renoncer à ces fonctions pour faire bénéficier le Parlement de leur expérience à la tête d'une collectivité territoriale.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la conviction à la fois ferme et sereine qui est la mienne. Oui, monsieur Mézard, c'est là une révolution qui nous oppose de manière très républicaine, sans cynisme, sans mépris. Nous sommes en train de changer les pratiques, et c'est l'honneur du Gouvernement, de ceux qui le soutiennent et de ceux qui le combattent de faire avancer chaque jour un peu plus notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements ou articles additionnels remettant en cause les articles adoptés conformes ou sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
Article 1er
I. – (Non modifié) Après l’article L.O. 141 du code électoral, il est inséré un article L.O. 141-1 ainsi rédigé :
« Art. L.O. 141-1. – Le mandat de député est incompatible avec :
« 1° Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;
« 2° Les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;
« 4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;
« 4° bis Les fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ;
« 5° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;
« 6° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;
« 7° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;
« 9° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 10° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 11° Les fonctions de président et de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 12° (Supprimé)
« 13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du Bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire.
« Tant qu’il n’est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l’article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire. »
II. – L’article L.O. 297 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 297. – Sauf exceptions prévues au présent chapitre, les dispositions régissant les incompatibilités des députés sont applicables aux sénateurs.
« Le mandat de sénateur est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats ou fonctions énumérés ci-après :
« 1° Maire, maire d’arrondissement, maire délégué ou adjoint au maire ;
« 2° Président ou vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Président ou vice-président de conseil départemental ;
« 4° Président ou vice-président de conseil régional ;
« 5° Président ou vice-président d’un syndicat mixte ;
« 6° Président, membre du conseil exécutif de Corse ou président de l’Assemblée de Corse ;
« 7° Président ou vice-président de l’Assemblée de Guyane ou de l’Assemblée de Martinique ; président ou membre du conseil exécutif de Martinique ;
« 8° Président, vice-président ou membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; président ou vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; président ou vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 9° Président, vice-président ou membre du gouvernement de la Polynésie française ; président ou vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;
« 10° Président ou vice-président de l’Assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 11° Président ou vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 12° Président ou vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 13° Président ou vice-président de société d’économie mixte ;
« 14° Président de l’Assemblée des Français de l’étranger, membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger ou vice-président de conseil consulaire. »
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Interdire le cumul d’un mandat national avec une fonction exécutive locale, c’est, nous dit-on, aller dans le sens de l’histoire, celui de la démocratie radieuse, par la mobilisation des parlementaires sur leur tâche de législateur. C’est, en un mot, « vivifier la vie politique »… Ça, c’est la version pour enfants !
D’abord, si l’activité réelle des parlementaires était une préoccupation pour le Gouvernement, pourquoi, lors de la discussion de la loi sur la transparence de la vie publique, celui-ci s’est-il opposé à la publication régulière de cette activité par leurs assemblées, alors que la publication du patrimoine des parlementaires a été instaurée ? Ce qu’ils font est-il moins important que ce qu’ils possèdent ?
Ajoutons que ni les études connues ni l’observation ne permettent d’établir une corrélation entre l’activité d’un parlementaire et l’exercice de mandats locaux dès lors que leur nombre est limité.
Après la version pour enfants, voici celle pour adultes, nettement moins édifiante.
Outre une opération de communication laissant croire qu’on lave plus blanc, sans rien laver, ce texte vise d’abord à substituer des « parachutistes » aux « cumulards », en remplaçant des parlementaires élus grâce à leur assise locale personnelle par des parlementaires entièrement dépendants des partis auxquels ils appartiennent, dépendants de « firmes », pour reprendre une expression employée par certains, dont le caractère non démocratique du fonctionnement est un secret de polichinelle. Ne doutons pas que les rejoindront demain les mandataires de l’oligarchie de l’argent et des médias, comme l’Italie de Berlusconi nous en a donné l’avant-goût.
Il y a plus d’un siècle, Robert Michels, dans un texte célèbre, diagnostiquait déjà « la maladie oligarchique des partis démocratiques », avant de succomber lui-même à l’appel du chef. Sous la Ve République finissante, ces partis sont organisés en oligarchies tempérées par la lutte des clans qui les composent. L’élaboration de ce projet de loi est selon moi un épisode de cette lutte des clans pour le pouvoir.
Si l’on voulait vraiment soigner la maladie de langueur dont souffre notre système politique, on s’attacherait à rapprocher les citoyens de ceux qui les représentent plutôt que de les en éloigner. L’exemple des élections européennes, où les cumulards sont nettement moins nombreux parmi les candidats labélisés que les recalés du suffrage universel, est particulièrement édifiant, et nous n’avons encore pas tout vu. Est-ce donc le modèle pour demain ?
Si l’on voulait vraiment soigner la maladie de langueur dont souffre notre démocratie, on s’occuperait plutôt d’établir une véritable séparation des pouvoirs. Plutôt que d’augmenter la dépendance des parlementaires à l’égard de tous autres que leurs électeurs, on s’emploierait à la réduire.
La pratique constante des institutions, l’inversion du calendrier électoral voulue par Jacques Chirac et Lionel Jospin ont progressivement transformé notre « parlementarisme rationalisé » en un régime où Gouvernement et Parlement sont devenus de simples exécutants des volontés de l’Élysée, où se concentre le pouvoir. Dès lors, toute résistance aux vœux de l’exécutif est une atteinte au sens de l’histoire, sens de l’histoire dont le Président de le République désigne désormais la ligne d’horizon.
Les parlementaires consacreront plus de temps à faire la loi, nous dit-on. Mais que signifie aujourd’hui « faire la loi » ? À quelques exceptions près – et c’est précisément ces exceptions que l’on entend faire cesser –, il s’agit, pour la majorité, d’enregistrer, et, pour l’opposition, de faire passer de temps à autre un sous-amendement que le Gouvernement consent à accepter après trois heures de discussion, quand par extraordinaire il n’a pas été déclaré irrecevable !
Et parce que c’est au Sénat que les manifestations d’indépendance sont les plus nombreuses, c’est lui qui pâtira le plus de cette nouvelle « modernisation ».
Il y a bicamérisme parce qu’une des chambres, le Sénat, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Aux termes du projet de loi, seront exclus du pouvoir de représentation des collectivités celles et ceux qui en connaissent le mieux les problèmes et le fonctionnement ! Toutes les arguties juridiques que l’on voudra avancer ne changeront rien à ce fait.
Le Sénat y perdra une part essentielle de son rôle, que l’on confiera – car le projet n’a été que temporairement abandonné – à un Haut Conseil des territoires consultatif, nettement plus conciliant. Plutôt que d’exécuter proprement le Sénat par voie référendaire, comme ce fut tenté dans le passé, on le videra donc de sa spécificité et de sa substance ; s’agissant des collectivités territoriales en particulier, il sera relégué au rôle de chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs, par un Haut Conseil des territoires disposant d’un pouvoir d’initiative.
À cela, à l’évidence, le prochain article est une réponse. C’est pourquoi nous le voterons ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Lipietz, M. Placé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa et Blandin, MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé et Mme Bouchoux, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
tout autre fonction ou mandat électifs, à l’exception du mandat de conseiller municipal. Il est incompatible avec
II. – Alinéas 5 à 14
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Ai-je été désignée par une firme, moi qui sillonne la Seine-et-Marne depuis plus de vingt ans ? Je suis sans doute aussi présente sur le terrain que la majorité d’entre vous et j’ai participé à de nombreuses campagnes électorales. J’ai été désignée par les membres d’un parti qui m’ont fait l’honneur de considérer que j’étais la candidate la plus légitime, compte tenu du travail que j’ai effectué durant plus de vingt ans.
Le présent amendement vise à interdire le cumul du mandat de député ou de sénateur avec celui de conseiller départemental ou de conseiller régional. Lorsque j’étais conseillère régionale, je passais presque autant de temps hors de mon foyer, à parcourir la région, pour siéger au conseil d’administration d’un lycée, à celui d’une base de loisirs, au conseil départemental de l’accès au droit, que depuis que je suis sénatrice… J’ai expérimenté la difficulté de cumuler le mandat de conseillère régionale avec une autre fonction. Il en va de même pour les conseillers départementaux, qui représenteront un vaste territoire.
Nous vous invitons, mes chers collègues, à aller un peu plus loin en matière de non-cumul des mandats.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Cet amendement vise à instaurer une incompatibilité entre le mandat parlementaire et les autres mandats électoraux ou fonctions électives, à l’exclusion du simple mandat de conseiller municipal. Il s’agit en fait de se rapprocher du mandat unique.
Comme vous le savez, madame Lipietz, la commission a émis à une très large majorité un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 9 rectifié est présenté par Mme Lipietz, M. Placé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 18 à 34
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Manuel Valls, ministre. Par cet amendement, le Gouvernement souhaite rétablir les mêmes incompatibilités, à savoir l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale, pour les députés et les sénateurs. Vous comprendrez que le Gouvernement défende le cœur même de son texte !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.
Mme Hélène Lipietz. Le cumul des mandats pose non seulement un problème de temps, mais aussi un problème de mélange des genres.
Lorsque l’on exerce des fonctions exécutives locales, on élabore des normes applicables à l’échelle de sa collectivité. Lorsque l’on est parlementaire, on élabore « la » norme. Si l’on cumule un mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale, cela peut mener à une confusion et à des incompréhensions au sein même du Parlement. Ainsi, nous avons examiné récemment le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles : qui doit décider du devenir des collectivités territoriales, de leur éventuelle fusion ou transformation en métropole ? Les élus des collectivités concernées, au risque de faire passer l’intérêt local avant l’intérêt général ?
Par ailleurs, les électeurs doivent savoir pour qui ils votent. On nous dit que ce sont les électeurs qui choisissent de voter pour des candidats cumulant les fonctions, mais leur a-t-on réellement donné un choix ? Leur a-t-on donné la possibilité de voter pour un candidat qui ne cumule pas ?
M. Jean-Jacques Hyest. C’est le scrutin de liste, que vous affectionnez !
Mme Hélène Lipietz. Même avec le scrutin de liste, les grands électeurs ont-ils réellement la possibilité de choisir ?
Pour une fois, je soutiens un amendement de M. le ministre de l’intérieur !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Simon Sutour, rapporteur. Ces amendements identiques présentés par le Gouvernement et par Mme Lipietz visent à rétablir la rédaction de l’article 1er du projet de loi organique dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Concrètement, ils tendent à supprimer le régime d’incompatibilité propre aux sénateurs, et ainsi à rétablir l’identité des régimes d’incompatibilité entre députés et sénateurs.
Comme vous le savez, à titre personnel, je souscris à la position défendue par les auteurs de ces deux amendements, car il me semble nécessaire de maintenir l’identité du régime instauré en 1958, qui rend compte de la vocation de chacune des chambres à traiter de l’ensemble des questions.
Cependant, ces amendements contredisent la position de la commission des lois en revenant sur la spécificité sénatoriale, qui a été défendue par la majorité de nos collègues. Aussi la commission a-t-elle émis un avis défavorable.