M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, comme nombre d’orateurs ici, je souhaiterais vous entretenir de l’Afrique, plus précisément de ses pays pauvres, plus précisément encore de l’aide au développement, ce que ni mon collègue Christian Cambon ni moi-même n’avons pu faire en raison de l’interruption prématurée de la discussion budgétaire.
Plutôt que de regarder l’évolution de telle ou telle mission d’une année sur l’autre, je me pose la question suivante : tout cet argent, pour quoi faire ? Tel est le fond du problème.
Ma première remarque sera pour dire que, malgré tous les satisfecit que nous avons pu donner aux évolutions positives depuis deux ans – nous ne les renions pas –, je regrette, comme d’autres ici, que la nouvelle politique définie en 2013 ne tienne en quelque sorte aucun compte de ce qui s’est passé au Mali et continue la mise en œuvre routinière – je parle de l’aide publique au développement et non des interventions militaires qui appellent d’autres financements –, comme si de rien n’était.
La France ne peut se contenter d’être l’intervenant militaire, le gendarme, sans être aussi l’un des acteurs de ce qui peut lui éviter d’être obligée de relancer une opération militaire de grande ampleur. C’est notre intérêt, comme celui de l’Afrique, et nous sommes ceux qui ont l’expertise la plus complète sur le Sahel. Le Sénat, en particulier, a beaucoup travaillé sur cette question.
Je pense aux deux rapports de Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher qui contiennent de nombreuses propositions très positives. Je fais également référence aux experts. Vos services et vous-même, monsieur le ministre, avez sûrement lu les ouvrages de Serge Michailof, dont l’audition et les travaux m’ont convaincu. Que dit-il ?
Selon lui, et nous le savons en partie, la situation du Sahel présente, malgré d’évidentes différences culturelles et géographiques, des analogies inquiétantes avec celle de l’Afghanistan voilà une dizaine d’années, à savoir, d’une part, une crise environnementale liée à la pression démographique dans un contexte de stagnation de l’investissement public, notamment dans l’agriculture, et, d’autre part, un grave sous-équipement sur le plan économique – les routes, la santé, l’éduction, etc. – conduisant certaines populations au dénuement le plus complet, auquel s’ajoutent de fortes tensions interethniques, voire religieuses, aiguisées par cette crise environnementale.
Le Mali mais aussi nombre de pays du Sahel sont également affectés d’une sous-administration des zones rurales périphériques et d’un effritement, voire d’une absence totale des appareils d’État au niveau local : gendarmerie, justice, administration territoriale.
Ajoutons qu’une population très jeune frappée par un chômage de masse provoque d’importantes migrations régionales, d’autant que la présence de groupes armés très mobiles – tout cela est parfaitement connu – financés par des trafics divers dont la drogue s’appuie sur un fondamentalisme religieux et offre une idéologie séduisante, des perspectives de revenus et d’ascension sociale exceptionnelles pour de jeunes désœuvrés.
Enfin, il existe des zones de repli – nous les connaissons – pour ces groupes armés comme pour les Talibans en 2002.
Au total, nous découvrons à travers la crise malienne l’ampleur gigantesque de la crise qui couve et se développe au Sahel, voire au-delà – la Centrafrique est là pour nous le rappeler –, crise multiforme, économique, humanitaire, politique, et sécuritaire. En effet, ce que nous disons de cette crise exacerbée au Mali est en germe dans bien d’autres régions du Sahel et en particulier au nord du Burkina Faso, dans le centre du Tchad et peut-être surtout au Niger.
Dans ces conditions, il est regrettable que ce problème, qui a récemment mobilisé notre armée au Mali, ne se soit traduit par aucune inflexion significative dans notre loi de finances pour 2014.
Cette situation est imputable au fait que notre outil de coopération ne dispose plus des ressources d’aide bilatérale nécessaires. Son aide bilatérale est, pour l’essentiel, consentie sous forme de prêts de l’Agence française de développement qui sont mal adaptés aux besoins de reconstruction du Mali, ou à des actions liées à des annulations de dettes selon le mécanisme dit du « C2D » – contrat de désendettement et développement –, dont les pays sahéliens ne bénéficient que très marginalement. On sait bien que, pour ces pays-là, c’est l’aide directe qui est nécessaire. Or les montants destinés à financer sous forme de subvention des actions bilatérales dans les pays pauvres sont dérisoires, et répartis entre une vingtaine de pays ; nous le disons depuis des années, notamment mon collègue Cambon. Les montants du fonds de solidarité prioritaire permettant de travailler sur les questions institutionnelles sont dérisoires. (M. Christian Cambon opine.)
À partir de là, on peut souhaiter deux inflexions significatives. La première se décompose en trois parties.
Premièrement, il conviendrait de doubler l’aide bilatérale projet en subvention gérée par l’AFD et de la porter à 400 millions d’euros, ou au minimum à 300 millions (Mme Nathalie Goulet s’exclame.), et d’affecter 100 millions d’euros à un « fonds fiduciaire multibailleurs Mali » permettant à la France de participer activement au pilotage de la gestion des ressources multilatérales. Donc, il faudrait amorcer la pompe avec 100 millions d’euros et compléter les financements par des fonds partenaires, et surtout agir afin de s’imposer comme l’expert principal de cette mise en œuvre – nous en avons les titres et les moyens.
Deuxièmement, il faudrait doubler les montants du fonds de solidarité prioritaire en les portant à environ 100 millions d’euros, et les affecter prioritairement à l’appui institutionnel aux pays sahéliens. « Où trouver l’argent ? », pourriez-vous répliquer, monsieur le ministre. À cela, je répondrai en deux mots : économies et redéploiement.
Troisièmement, afin de dégager pour ce faire des ressources sur le budget de l’aide publique au développement, il conviendrait de procéder à un rabotage des ressources excessives affectées au fonds SIDA.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je sais que dire cela n’est pas très politiquement correct. Je sais que cet argent nous vaut une reconnaissance internationale. Je sais également que le Président de la République a annoncé une augmentation de cette aide en allant en Afrique du Sud. Mais je sais aussi qu’il existe des urgences locales, notamment si l’on ne veut pas que l’histoire se répète au Mali.
Par conséquent, cette contribution très lourde pourrait être ramenée à 150 millions d’euros, ce qui représenterait une économie possible de 200 millions d’euros.
De plus, il serait souhaitable de procéder, tout d’abord, à un rabotage des multiples contributions à la cinquantaine de fonds des Nations unies que nous abondons et dont l’efficacité a été discutée,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. … ce qui représenterait une économie possible de 25 millions d’euros. Il serait également souhaitable de procéder à une réduction des dotations budgétaires accompagnant les concours du FMI, soit, là encore, une économie possible de 25 millions d’euros. Il serait aussi souhaitable de procéder à une réduction des frais de personnel des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, – on parle des ambassades – faisant doublon avec le personnel de l’AFD. (Mme Nathalie Goulet opine.) Enfin, il conviendrait de se livrer à une recherche forcenée d’économies sur tous les autres postes non prioritaires. Je sais que vous vous y employez, monsieur le ministre.
Parce que je sais l’existence, au sommet de l’État, d’une réelle volonté politique, je suis persuadé qu’il doit être possible de réorienter 150 millions à 250 millions d’euros de subventions projet pour le Mali, sur un budget global de 4,2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement.
Pour terminer, je voudrais aborder deux questions d’actualité préoccupantes qui ont déjà été évoquées.
Je commencerai par le Mali du Nord.
Pouvez-vous préciser la position de la France par rapport au Mouvement national de libération de l’Azawad, le MNLA ? En particulier, à la lecture de la presse française et internationale, j’ai l’impression que la situation dans la région de Kidal est en train de ruiner le crédit de la France et le bénéfice politique qu’elle avait tiré de l’opération Serval. Les critiques à Bamako sont très fortes à cet égard. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ?
Quant à la Centrafrique, l’inquiétude est grande. La présence française devra-t-elle se compter en mois ou en années ? Je sais que vous ne pouvez pas me répondre de façon précise. La force multinationale africaine est-elle réellement en mesure de prendre le relais de l’intervention française ? Sur ce point, je sais aussi que vous ne pouvez pas me répondre de façon précise, pour des raisons diplomatiques. Mais au moins pouvez-vous apporter des précisions sur la position de la France par rapport aux Nations unies. Le désastre humain qui se prépare semble avoir convaincu l’ONU de la nécessité d’envoyer un contingent de casques bleus. Le Tchad, si j’ai bien lu les informations parues dans la presse, a fait savoir qu’il y était hostile, ce qui n’est pas pour me rassurer.
Monsieur le ministre, dans l’hypothèse où la possibilité d’une intervention des casques bleus sous mandat de l’ONU se préciserait, quelle serait la position de la France ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
M. Christian Cambon. Ah !
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je vais aborder le problème de l’Iran.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Je commencerai en disant que cet accord intermédiaire adopté à Genève en novembre dernier est reconnu comme étant un bon accord. Saluons la pression opportune de la France, et votre rôle, monsieur le ministre !
Nous avons obtenu de l’Iran, selon les propos d’un ancien ambassadeur dans ce pays, toutes les concessions qu’il était envisageable d’emporter.
Certains, plus exigeants, diront que cet accord ne traite pas de la militarisation. Il n’envisage pas non plus la fermeture de l’usine souterraine d’enrichissement de Fordo. Mais aller plus loin, c’était sûrement courir le risque d’un échec. Vous ne l’avez pas pris, monsieur le ministre.
Cet accord arrête ou limite seulement les capacités de l’Iran dans son élan vers le nucléaire si tel était son choix. L’Iran a pris des engagements sur deux filières : l’enrichissement de l’uranium à Natanz et Fordo ; la production et l’extraction de plutonium impliquant le réacteur d’Arak.
Certains, les pessimistes, diront que, en quelques semaines, l’Iran peut encore acquérir assez d’uranium enrichi pour fabriquer la bombe !
D’autres pourront répondre qu’en quelques minutes toutes les installations nucléaires de l’Iran peuvent être détruites. Nous pensons à Israël…
Concernant les sanctions, cet accord est accompagné d’allégement des sanctions imposées à l’Iran.
Notons que cette situation favorise les modérés, à commencer par le Président Rohani – tant mieux !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Il avait promis durant sa campagne d’obtenir la levée de ces sanctions. C’est un premier résultat.
Surtout, l’Iran a la garantie de pouvoir vendre près de 1 million de barils de pétrole par jour, soit la moitié de ce qu’il vendait avant les sanctions. Avec 1 million de barils à 100 dollars, il peut recevoir des recettes équivalant à celles dont il disposait voilà dix ans.
Souhaitons que les négociations aboutissent à un accord complet qui garantisse la maîtrise du programme nucléaire iranien.
Si ces négociations échouaient, on imagine la suite.
S’agissant des sanctions, on s’interrogeait sur leur effet. Pour ma part, je m’interrogeais souvent sur leur effet. Elles pesaient sur le régime et beaucoup sur la population. Ont-elles joué un rôle ? Sûrement, à la longue.
Au demeurant, notons que, si elles ont freiné le programme nucléaire, elles ne l’ont pas arrêté.
En 2006, Téhéran disposait d’environ 360 centrifugeuses, sept ans après il en a 19 000. Bien sûr, il projetait d’en mettre en service 50 000. Mais en même temps, il lançait la construction d’un réacteur au plutonium : le réacteur d’Arak.
Alors qu’avions-nous espéré ? Faire plier l’Iran ? Vous vous posez encore la question, semble-t-il. Démanteler le programme d’enrichissement ? Faire partir à l’étranger tout ou partie du stock d’uranium enrichi ? La réalité est autre, force est de le constater.
Quel enseignement faut-il en tirer ? Que l’on n’arrive pas forcément à tout, sinon à rien, par la seule pression des sanctions, par des rafales de résolutions du Conseil de sécurité, ou par la menace d’une option militaire, et on pense encore à Israël.
L’opportunité des négociations a été saisie. La politique reprend ses droits ; c’est important.
Maintenant, il faut que cet accord soit conclu définitivement. Il conviendra de le faire vivre avec vigilance et exigence. Nous avons l’obligation d’avoir confiance.
Une fois cet accord devenu définitif, peut-il changer la donne au Moyen-Orient, monsieur le ministre ?
Israël a qualifié cet accord d’erreur historique, qui rend le monde plus dangereux, selon les termes du Premier ministre Netanyahou.
Cet accord transitoire isole-t-il encore plus Israël, qui campe sur une ligne dure ? Cette position est partagée par l’Arabie saoudite et une grande partie du Congrès américain.
La crainte d’Israël de voir le système des contraintes se défaufiler est-elle légitime ? Israël peut-il maintenir sa menace militaire ? Il n’est pas lié par cet accord et affirme toujours avoir le droit et le devoir de se défendre. Mais nous défendons aussi son existence et sa sécurité sans réserve.
Au demeurant, Israël n’est lié, de fait, par aucun accord : il n’a pas signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, alors qu’il est une puissance nucléaire, même si le propos reste toujours très ambigu ; il n’a pas non plus ratifié, on le sait un peu moins, la convention sur l’interdiction des armes chimiques…
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
Mme Josette Durrieu. Cent quatre-vingt-neuf pays ont signé cette convention, cinq seulement s’y refusant : l’Angola, l’Égypte, le Sud-Soudan, la Corée du Nord et Israël.
En fait, la menace nucléaire iranienne est une réalité, mais il ne faudrait pas qu’elle serve de prétexte à Israël pour occulter la question palestinienne.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Le statu quo, l’occupation, la colonisation de la Cisjordanie et l’annexion de Jérusalem-Est sont intenables. L’existence d’Israël ne peut être garantie que par son insertion dans la région.
En conclusion, monsieur le ministre, si la crise nucléaire se dénoue, nous souhaitons que ce dénouement crée une dynamique plus ou moins vertueuse pour chercher des réponses aux autres problèmes clés de la région. L’Iran aurait peut-être maintenant quelques obligations à respecter, de même qu’Israël. Est-il illusoire – Kalliopi Ango Ela a posé la même question – de prévoir un apaisement sécuritaire, sans la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive dont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont déjà rappelé la nécessité ? (Applaudissements.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence de la crise économique et financière en Europe a porté un coup sévère aux ambitions de l’Union européenne sur la scène internationale. Divisés entre partisans de démarches multilatérales et partisans de démarches bilatérales, les États européens n’arrivent pas à lancer une politique européenne ambitieuse de sécurité et de défense commune.
Les forces françaises se déploient actuellement à Bangui en l’absence d’effort européen concerté. Londres s’est en effet opposé au déploiement des « groupements tactiques » européens en Centrafrique. Pourtant, l’Europe a su, par le passé, se mettre d’accord pour mener des actions extérieures communes, puisque l’on compte une trentaine de missions déployées sous l’égide européenne depuis dix ans.
Comprendre les raisons de cette désaffection européenne était tout l’enjeu de la réunion des chefs d’État européens des 19 et 20 décembre dernier à Bruxelles. C’était la première fois, depuis la signature du traité de Lisbonne, que la politique de sécurité et de défense commune était inscrite à l’agenda du Conseil européen !
Il est incontestable que la donne internationale a changé depuis 2008. La crise des dettes souveraines continue d’affecter les budgets de défense nationaux en Europe, ces derniers accusant une baisse de 10 %, de telle sorte qu’ils ne représentent plus que 1,7 % du PIB de l’Union européenne, contre 4,4 % aux États-Unis. Aucun programme d’armement commun n’est engagé, au moment où sont livrés les premiers transporteurs A 400M. On estime désormais que les dépenses militaires en Asie sont supérieures à celles qui sont consenties en l’Europe. Ces évolutions stratégiques mondiales font germer l’idée que, bientôt, aucun pays de l’Union ne pourra plus mobiliser la panoplie complète des moyens militaires.
Les Américains basculent leur politique étrangère vers l’Asie et l’océan Pacifique, en rendant plus qu’incertain le recours à la garantie de sécurité américaine pour la zone européenne.
Les discussions de ces derniers mois ont porté sur les outils qui handicapent l’Union dans ce domaine : ravitaillement en vol, transport stratégique, action aéronavale, communication par satellite, auxquels s’ajoutent la cyberdéfense, le drone stratégique commun et la question du renforcement du tissu industriel, sous l’égide de la Commission européenne.
Il est évidemment plus facile de se mettre d’accord sur le développement de moyens communs lorsqu’on partage une vision commune de leur emploi. Or force est de constater que les pays membres de l’Union européenne ne partagent pas la même vision stratégique du contexte international et des risques qui s’y présentent. Les trois puissances qui assurent 75 % de l’effort européen de défense, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, sont dans une position de neutralisation réciproque. Alors que Londres s’oppose à toute duplication de moyens avec l’OTAN et milite pour une « approche globale » de l’Union européenne, Paris affirme, de son côté, avoir une « responsabilité » à promouvoir l’Europe de la défense et se place dans une position plus interventionniste, quand Berlin, tout en développant une industrie de défense fortement exportatrice, ne souhaite pas s’engager sur les terrains d’opération. Par ailleurs, la coopération européenne doit faire face aux concurrences des industries nationales, aux décalages des agendas politiques internes et, par-dessus tout, à la réticence croissante des Européens à engager la force.
La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, avec ses trois mille collaborateurs, a proposé d’élaborer une feuille de route stratégique pour la politique de sécurité et de défense. Malheureusement, le Conseil européen des 19 et 20 décembre n’a pas permis de grandes avancées en matière de financement de missions telles que celle que la France mène en Centrafrique. Il faut noter cependant que le Président de la République a obtenu des résultats significatifs : quatre programmes de coopération devraient être lancés dans l’industrie de l’armement, concernant les drones, les avions ravitailleurs, la technologie satellitaire et la cyberdéfense.
L’Union s’est aussi engagée, et c’est important, sur sa stratégie maritime, destinée notamment à protéger le commerce européen qui passe par la mer à 90 %. Par ailleurs, Catherine Ashton est chargée d’un rapport sur une question clé pour les Français : le financement des interventions de l’Union à l’extérieur. Ce sujet devrait être réexaminé au cours du premier semestre de 2014.
Force est de constater que les Européens ne parviennent pas à dessiner une véritable stratégie européenne et font le choix étonnant du renoncement à une vraie souveraineté militaire, alors que le monde entier se réarme, Chine et Russie en tête. Pourtant, une politique efficace et cohérente de sécurité et de défense n’est pas un luxe, mais une nécessité, pour protéger nos valeurs dans notre voisinage et au-delà. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce 8 janvier, jour anniversaire du décès de François Mitterrand, je voudrais vous parler de l’Afrique, continent qui lui était cher, et plus particulièrement de la République centrafricaine.
Puisque l’Union africaine juge elle-même prématuré « un relais ONU » en Centrafrique, du fait de la réticence tchadienne à limiter sur le terrain sa latitude d’action au sein de la mission internationale de soutien à la Centrafrique, la MISCA – dont l’unité se trouve donc mise à mal –, du fait de l’opposition américaine et du fait de l’impossibilité à mettre en place une opération de maintien de la paix, le sommet panafricain prévu à la fin du mois ne risque-t-il pas de tourner en rond ?
La France, qui a eu raison d’intervenir en Centrafrique, et dont l’action revêt le caractère d’« un enjeu mondial » – pour reprendre le titre d’un éditorial du Monde –, endosse avec courage la responsabilité de la lutte contre Al-Qaïda et ses avatars africains. Il est manifeste que la communauté internationale doit la relayer : d’abord, parce qu’il s’agit des valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance religieuse que nous défendons ; ensuite, parce que les volumes financiers engagés ne peuvent, à terme, être supportés par la France uniquement ; enfin, parce que l’Europe doit comprendre qu’une partie de son avenir est en Afrique. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux travaux récents de notre commission, sur le plan stratégique, et à ceux de Bercy, réalisés sous l’égide d’Hubert Védrine, sur le plan économique.
En attendant donc que l’Union africaine soutienne l’idée d’une implication majeure de l’ONU et que Bruxelles mette à jour sa réflexion stratégique, la France fait face.
Elle fait face, d’abord, en redéployant son dispositif militaire le long du Sahel. Le Gouvernement, à cet égard, a raison de l’adapter, en coopérant avec les armées africaines, c’est-à-dire en donnant « un sens africain à notre présence ». Il a raison de l’assouplir, d’est en ouest, en la centrant autour des zones grises du sud libyen, réceptacle des terroristes rescapés de Tripoli et de l’Adrar des Ifoghas. Il a raison de maintenir nos pôles pré-positionnés à Dakar, N’Djamena, Libreville et Djibouti, même en jouant sur leur volumétrie respective. Il a raison d’élargir les voies d’entrée maritimes avec Douala, et Abidjan demain. Il a raison de modifier ses points d’appui autour des couloirs de circulation du massif du Tibesti, du plateau de Manguéni ou de la passe de Salvador. Tous ces jalons sécuritaires composent une trame réactive – Zouar, Faya Largeau, Abéché, N’Djamena au Tchad ; Niamey au Niger ; Ouagadougou au Burkina Faso ; Gao et Tessalit au Mali ; Atar en Mauritanie –, tressant ainsi une couronne défensive et offensive.
La France fait face, ensuite, avec l’opération Sangaris, à Bossangoa et à Bangui, où nos 1 600 soldats, dans un contexte difficile et volatile, remplissent la délicate mission d’interposition et de maintien de l’ordre dans les différents quartiers de la capitale – M’Poko, Meskine, Boy-Rabé, Boeing, la colline des Panthères ou le camp de Roux, qui accueille la présidence – où Séléka à majorité musulmane et milices « anti-balaka » chrétiennes s’entretuent. Notre armée tient, avec sang-froid, le rôle délicat de « gendarme sans ennemi » pour préparer le terrain à la solution politique.
Les semaines qui viennent seront rudes militairement, car le déploiement de l’opération Sangaris sur le territoire de la République centrafricaine se heurte à une géographie et à une géopolitique compliquées, et politiquement, car les élites politiques centrafricaines reproduisent souvent les clivages et intérêts anciens, territoriaux, ethniques et religieux, étouffant le surgissement de personnalités nouvelles, avec lesquelles, monsieur le ministre, vous essayez de bâtir l’avenir. En effet, le plus difficile, malgré le courage des hiérarques religieux – je pense à Mgr Nzapalainga et à l’imam Kobine Layama, président de la conférence islamique de Centrafrique –, est de rompre le cycle infernal de la peur, de la haine et de la violence, et de reconstruire les bases d’un dialogue national. Pour ce faire, la clé reste à Paris aujourd’hui, à Addis-Abeba dans quelques jours, à Bruxelles et à New York demain.
Ne pourrait-on pas, comme le suggérait l’analyste François Heisbourg, travailler à une deuxième étape, c’est-à-dire à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et à un accord de l’Europe pour une participation financière et militaire à l’intervention, dans la perspective d’élargir les termes du mandat que le Conseil de sécurité précisera le 5 juin 2014 ? Est-ce vraiment impossible ? Notre diplomatie a déjà montré les ressources parfois insoupçonnées de son talent, à l’image de son ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Kalliopi Ango Ela applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Besson.
M. Jean Besson. Monsieur le ministre, vous comprendrez que la dernière intervention du groupe socialiste soit consacrée à la Chine.
Je souhaiterais en effet, en ce début de l’année 2014, attirer l’attention de notre Haute Assemblée sur le cinquantenaire de l’établissement de relations diplomatiques entre notre pays et la République populaire de Chine, ainsi que sur la prochaine venue en France du Président de la République Xi Jinping.
Le groupe d’amitié interparlementaire du Sénat France- Chine, qui compte plus de 100 sénatrices et sénateurs,…
Mme Nathalie Goulet. Les meilleurs !
M. Jean Besson. … le premier par le nombre, sera, bien sûr, présent lors de la célébration de cet anniversaire.
En outre, de nombreux sénateurs recevront au printemps dans leur circonscription des députés chinois invités par nos collègues de l’Assemblée nationale.
L’arrivée au pouvoir en Chine l’an passé, pour la décennie à venir, d’une nouvelle équipe dirigeante, avec Xi Jinping, Président de la République ainsi que Li Kegiang, Premier ministre, s’avère très prometteuse.
La rencontre du Président François Hollande et de vous-même, monsieur le ministre, avec les nouveaux dirigeants chinois s’est parfaitement bien passée en avril 2013. Il en fut de même le mois dernier avec l’importante délégation dont j’ai eu l’honneur de faire partie, emmenée par notre Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. J’ai pu mesurer l’excellence de la relation franco-chinoise aujourd’hui.
J’ai écrit au nouvel ambassadeur de la République populaire de Chine en France, M. Zhai, qui vient d’être installé, dont vous avez déjà fait la connaissance, monsieur le ministre, pour l’inviter à une rencontre au Sénat.
Comme vous le savez, nous appartenons, Chinois et Français, à des civilisations multimillénaires qui, au cours de leur histoire, se sont, en réalité, peu rencontrées, ce qui rend aujourd’hui notre dialogue si fertile, si séduisant et si passionnant.
Rappelons-nous que la France a été le premier pays en Occident à étudier, au Collège de France et à l’École des langues orientales, « les choses de Chine ». L’aventure coloniale et ses mauvais souvenirs, le séjour dans l’Hexagone d’étudiants ouvriers chinois, futurs dirigeants du parti communiste chinois, comme Deng Xiaoping, l’œuvre de Malraux, l’attention réciproque d’intellectuels des deux pays ont contribué à une meilleure connaissance.
Les fondamentaux sur lesquels repose la relation entre la Chine et la France sont solides. Le peuple français a confiance dans le peuple chinois. Il admire son courage et son intelligence. Il sait que l’amitié profonde et sincère entre la Chine et la France est nécessaire à l’édification d’un monde multipolaire qu’ensemble nous voulons créer.
Les mois qui viennent vont être passionnants pour la relation franco-chinoise et pour nos deux pays qui ont, chacun de leur côté, leurs propres défis à affronter. Vous le savez d’autant plus, monsieur le ministre, que vous exercez cette responsabilité, nous avons besoin de la puissance économique et financière de la Chine, mais la Chine a aussi besoin – et ses dirigeants nous l’ont exprimé – d’une France forte dans une Europe unie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des affaires étrangères ainsi que MM. Michel Le Scouarnec et Jean-Pierre Chevènement applaudissent également.)