M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. … même si pour l’heure on n’y parvient guère, faute d’accord entre les politiques, et des inégalités en termes de disponibilité de la matière grise. Les secondes sont peut-être encore plus importantes que les premières aujourd'hui, à l’ère de l’économie de la connaissance.
La principale difficulté, pour les collectivités des territoires ruraux, est de trouver des cadres de très bon niveau pour mettre en œuvre les politiques publiques. L’État lui-même n’affecte plus ses fonctionnaires comme il le faisait il y a cinquante ou cent ans. Quand une région ne peut pas s’appuyer sur une métropole – fût-elle située hors de son territoire, un peu comme Bordeaux ou Nantes pour Poitou-Charentes –, elle se trouve très gravement handicapée. En raison de l’insuffisance des structures d’enseignement et de recherche, les entreprises qui y sont historiquement installées peinent à garder leurs cadres et celles qui n’y sont pas présentes n’y viendront jamais !
Telle est la réalité que nous vivons et qui fonde la grande inégalité entre les territoires. Nous devons essayer de trouver des réponses à cette problématique, car aujourd'hui les écarts ne se réduisent plus, ils se creusent.
L’État peut créer les conditions de l’égalité, en instaurant des péréquations et en affectant des moyens humains. À cet égard, les préfets ne suffisent pas, quelles que soient leurs qualités – celui de mon département est excellent ! –, car c’est d’équipes de cadres dont nous avons besoin, en particulier dans des domaines tels que ceux des nouvelles technologies ou du numérique, qui requièrent une ingénierie de très haut niveau. Ces équipes pourraient mener leur action au sein des pôles interrégionaux que j’ai évoqués. Un spécialiste isolé ne pourra assurer le développement des services numériques dans un territoire ; c’est impossible !
J’ai rédigé en 2009 un rapport intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale ». Dans les faits, nous en sommes loin ! Après avoir donné les moyens d’une certaine égalité matérielle et humaine, on veut contrôler tout ce que font les territoires et on tue ainsi l’innovation territoriale. Sur ce point, je suis en profonde rupture avec certains propos que j’ai pu entendre. La confiance doit aller jusqu’à autoriser les territoires à innover. Pour moi, la loi doit fixer les objectifs à atteindre en termes d’égalité, l’État doit donner les moyens de l’égalité, mais il appartient ensuite aux territoires d’inventer le chemin pour la réaliser. En effet, tracer ce chemin depuis Paris ne peut que mener à l’échec !
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Tant que l’on ne fera pas confiance aux territoires, on restera enlisé dans la situation actuelle.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Je fais mien, bien entendu, le credo en nos communes que l’on a pu entendre sur toutes les travées. Pour ma part, je voudrais évoquer la situation des territoires ruraux, des petites communes, dont j’ai pu observer toute l’évolution jusqu’à aujourd'hui, étant désormais président d’une intercommunalité après avoir été élu maire pour la première fois voilà quarante-neuf ans.
Conformément à la loi, les petites communes ont déjà délégué à l’échelon intercommunal les compétences en matière d’économie, d’environnement, en particulier tout ce qui concerne la gestion des déchets et les services publics d’assainissement non collectif. Les écoles de musique, les voies vertes, cyclables ou de randonnée relèvent également de l’intercommunalité. Il en ira bientôt de même pour l’entretien des cours d’eau, tandis que les préfets nous incitent à supprimer les syndicats intercommunaux à vocation sociale pour confier aux communautés de communes les compétences en matière scolaire, de crèches, de centres de loisirs sans hébergement ou de gestion des établissements accueillant des personnes âgées. Dans le même esprit, l’agence de l’eau a indiqué que, d’ici à deux ans, l’assainissement devrait relever de l’intercommunalité pour les petites communes, et la loi Duflot organise l’urbanisme à ce même échelon.
Je souscris pleinement à cette évolution, mais aujourd'hui, à la veille des élections municipales, les maires se demandent ce qu’il va leur rester à faire. Cela étant, ils ne critiquent pas l’intercommunalité ; ils savent qu’elle est indispensable et acceptent les transferts de compétences, quand ils ne les demandent pas eux-mêmes. Comment ces petites communes de 50, de 100 ou de 200 habitants, qui se refusent cependant à fusionner, pourraient-elles s’intégrer insensiblement au sein de l’intercommunalité, au fil de son approfondissement ? L’idée est assez nouvelle, mais ce n’est pas par le biais d’une décision du Gouvernement, quel qu’il soit, que l’on réussira à diminuer le nombre de communes en supprimant les plus petites d’entre elles. Imposer les fusions ne marchera pas non plus : comment pourrait-on inciter les petites communes à s’associer dans l’intercommunalité pour créer la commune de demain ? Cela est-il possible ?
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. C’est une très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Rappelez-vous les débats que nous avons eus dans cet hémicycle, par exemple lorsque l’on a essayé de rendre obligatoire le plan local d’urbanisme pour les intercommunalités ou d’organiser la prévention des inondations à l’échelon intercommunal. Une peur s’est alors exprimée : que va-t-il rester à la commune ?
Les communes qui ont des ressources vivront avec leur intercommunalité, laquelle permet à chacun d’accéder à des services qu’il n’aurait peut-être pas été possible de créer autrement, s’agissant par exemple de la petite enfance. Cela étant, je reste persuadée que c’est l’intercommunalité qui peut sauver les communes n’offrant plus aucun service à leur population, faute de moyens, et où seul le coût extrêmement faible du foncier est susceptible d’attirer de nouveaux habitants. Certaines très petites communes sont exsangues et ont du mal à se donner des élus : faut-il leur imposer de fusionner ? Pour ma part, je reste sur la position que j’ai toujours défendue : je leur fais confiance pour décider de fusionner si cela est nécessaire. Pour des raisons historiques et culturelles, dans un pays comme la France, la loi ne saurait, à mon sens, les y contraindre.
En revanche, je pense qu’il convient de favoriser les fusions de communes. Je ne sais pas encore comment, car à l’heure où les dotations de l’État diminuent, il est difficilement envisageable de surdoter les communes qui fusionneront. Nous devrons cependant y réfléchir au cours de cette année. Nous sommes en train d’essayer de prendre en compte, dans la dotation globale de fonctionnement, ce que j’appelle les « mètres carrés précieux », à savoir les terres agricoles, les zones humides, les zones de protection des captages, le zonage NDs, le zonage Natura 2000, etc. Il y aura un peu plus de ressources, mais il faut étudier comment aider les communes à s’associer au sein d’entités viables. De ce point de vue, la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale que la précédente majorité a eu le courage de promouvoir a déjà constitué un grand pas dans la bonne direction.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne puis en dire davantage aujourd’hui, mais je cherche les moyens d’encourager les fusions ; je n’ai pas mandat pour aller au-delà.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. M. Bailly met le doigt sur ce qui constituera le problème majeur des prochaines années. J’ai tenu dix-sept réunions dans mon département, portant sur les contrats que le conseil général est en passe de signer avec les communautés de communes. Les petites communes connaissent un vrai stress.
M. Gérard Bailly. Oui !
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. C’est la première fois que je le constate avec autant d’acuité. Les transferts de compétences aux intercommunalités sont de plus en plus importants, y compris dans le domaine scolaire, qui est pourtant au cœur de la vie communale : comme me le disent les maires, si l’on transfère la compétence scolaire, à quoi bon conserver la commune ?
De plus, ces transferts de compétences s’accompagnent de transferts financiers, par le biais de dotations de compensation au profit de la communauté de communes. Les petites communes de mon département qui n’ont pas de ressources forestières n’ont plus de budget ! Il y a là un vrai problème. Comme Gérard Bailly, je pense que certaines seraient prêtes à se fondre dans une entité plus globale, sans être pour autant forcément disposées à fusionner avec la commune pauvre d’à côté ni même avec celle qui a la chance d’être plus riche parce que son territoire compte 800 hectares de bois, ce qui constitue une forme d’injustice, la rendant peu sympathique aux yeux de ses voisines…
M. Gérard Bailly. En effet !
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Gérard Bailly a donc mis le doigt sur une question à laquelle nous devrons très rapidement apporter une réponse.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Je souhaite saluer le travail de nos collègues Raffarin et Krattinger, qui forment un excellent binôme, même s’il n’est pas paritaire…
La grande qualité de leur rapport tient à deux raisons.
En premier lieu, ils ont su écarter deux poncifs rebattus à gauche comme à droite depuis tant d’années, sans qu’aucune preuve ne vienne jamais les fonder : l’organisation territoriale de la France serait un millefeuilles – on retrouve pourtant trois niveaux de collectivités dans les sept autres plus grand pays européens – et les collectivités territoriales gaspilleraient l’argent public, alors que la part de leurs dépenses dans le PIB s’élève à 9 % ou à 10 %, pour une moyenne européenne s’établissant à 10 % ou à 11 %. La France se situe donc dans la norme.
En second lieu, nos collègues ont bien perçu la nouvelle géographie économique et démographique française. Christophe Guilluy propose d’excellentes analyses de cette nouvelle « fracture française », qui n’est pas seulement géographique, mais aussi politique. Il montre l’existence d’une France de la périphérie souvent abandonnée, qui ne profite pas de la mondialisation, contrairement aux grandes métropoles.
Je souscris complètement aux préconisations du rapport, qui souligne bien l’importance de la diversité. On ne peut pas faire la décentralisation en suivant les règles de la géométrie euclidienne : l’uniformité, le jardin à la française, cela ne marche pas ! Il faut donc faire vivre la diversité. Je suis évidemment favorable à la constitution de grandes régions, aux départements, tout en m’interrogeant sur la nécessité de maintenir un département sur le territoire des grandes métropoles.
Il faut également promouvoir la proximité, parce que c’est le creuset du lien social. La démocratie nationale n’est qu’une projection de la démocratie locale.
En matière de péréquation, la situation est très difficile. Instaurer la règle suivante, peut-être en l’inscrivant dans la Constitution, permettrait de l’améliorer fortement : celui qui décide doit payer. Songeons à ce qui se passe en ce moment avec la réforme des rythmes scolaires…
Madame la ministre, en présentant ses vœux pour la nouvelle année, le Président de la République a prononcé la phrase suivante, qui m’a interpellé et dont je voudrais que vous fassiez l’exégèse : « Une nouvelle loi de décentralisation accordera plus de responsabilités aux élus et elle simplifiera l’organisation territoriale de notre pays, qui est devenue illisible et coûteuse. » Est-ce là l’annonce d’un autre texte que les projets de loi déjà prévus ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Retailleau, il n’est pas toujours possible d’appliquer le principe « celui qui décide paie ». Prenons le cas des communautés de communes rurales qui demandent des subventions pour mettre en œuvre une délibération : il faut intégrer le critère de la rentabilité. Pour autant, je sais que ce n’est pas à cela que vous pensiez.
Ce matin, le Président de la République a très clairement indiqué que nous avons décidé de rétablir la clause de compétence générale, tout en évitant les doublons. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) Il y a deux façons d’y parvenir : par le biais de la conférence territoriale de l’action publique, la CTAP, ou par la mise en place de compétences exclusives dans quelques domaines stratégiques pour le redressement de la France.
Tels sont les termes du débat. Comme je l’ai souligné tout à l’heure, le Président de la République laisse la porte ouverte à l’adoption d’amendements parlementaires sur le texte dont vous serez prochainement saisis. Cela étant, le Gouvernement est lui-même tout à fait conscient de la très forte montée d’une crainte que le rétablissement de la clause de compétence générale n’entraîne l’apparition de nouveaux doublons.
À mon sens, il convient de réduire le nombre de schémas : leur empilement actuel est inutile. En revanche, il en faut un à l’échelon régional,…
M. Jean-Jacques Hyest. Il y en a un pour l’Île-de-France !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … tel un schéma régional d’aménagement du territoire qui serait à terme opposable aux SCOT et aux PLU et prendrait en compte les CHU, les universités, les gares, les aéroports, les principaux nœuds intermodaux.
Il n’est pas souhaitable de multiplier les schémas. Par conséquent, sur la demande du Président de la République, je vous proposerai une simplification, en instaurant un schéma prescriptif, qui devra respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Nous allons examiner cette question de près, mais il y a peut-être là une réponse de nature à apaiser les craintes quant à l’apparition de doublons.
Par ailleurs, il me semble dommage que les expérimentations soient limitées à cinq ans dans tous les cas. C’est pourquoi nous avons choisi de recourir à la délégation de compétence. Cela justifierait peut-être une légère révision constitutionnelle, mais le Président de la République souhaite que l’on trouve d’autres solutions. Je vais donc m’allier à vous pour les définir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je voudrais évoquer deux questions : le rôle du préfet et celui des parlementaires.
Le rôle du préfet, lorsque la décentralisation a été mise en place, a été clairement défini, notamment par Gaston Defferre : le préfet est le seul représentant de l’État dans le département. Toutefois, c’est de moins en moins vrai, et cela est regrettable, car la décentralisation ne s’est jamais opposée à l’État déconcentré.
Les préfets, qui n’ont jamais eu, et c’est logique, le contrôle de la magistrature, ni celui de l’éducation, ont perdu complètement celui du secteur de la santé, à la suite de la création des agences régionales de santé, les ARS. Si l’on ajoute à cela les missions dévolues au gouverneur de la Banque de France, au directeur des services fiscaux, etc., on constate que, en réalité, les préfets ont de moins en moins de pouvoirs et de moyens. Il faut donc leur confier un rôle nouveau de coordination, d’animation, de médiation. C’est dans cette direction qu’il convient d’aller.
Quant au rôle des parlementaires, MM. Raffarin et Krattinger et Mme Meunier ont formulé des suggestions. Pour ma part, j’ai rédigé une proposition de loi sur ce sujet, issue d’un vote unanime de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Les parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, sont les élus d’un territoire. S’ils n’ont plus aucune attache avec ce dernier, ce qui se produira inévitablement, si l’on ne fait rien, lorsque l’interdiction du cumul des mandats sera instaurée, plus rien ne s’opposera à ce qu’ils soient un jour désignés par le biais d’un scrutin à la proportionnelle sur liste nationale. Avec la fin du cumul des mandats et la disparition des délégations, les parlementaires seront en apesanteur totale : leur action territoriale se bornera à l’inauguration des chrysanthèmes !
Il faut rapidement trouver une solution, sauf à connaître de très gros déboires. Les parlementaires risquent de perdre leur compétence, leur technicité, leur connaissance des réalités du terrain. Leur lien avec le territoire tiendra à la seule élection, or ce lien est extrêmement fugace.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le parlementaire étant par essence un législateur, il ne peut détenir un pouvoir exécutif. Je suis d’ailleurs de ceux et celles qui se posent la question de la séparation de l’exécutif et du délibératif dans les régions.
M. Jean-Jacques Hyest. Comme en Corse !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Un parlementaire ne saurait exécuter au nom de l’État une mission, quelle qu’elle soit. En revanche, il nous faut réfléchir à partir de la fonction des parlementaires telle qu’elle existe, c’est-à-dire, en particulier, le contrôle de l’action gouvernementale, qui inclut celui de l’exécution des décisions par les préfets, puisque ces derniers sont les représentants de l’État, donc du Premier ministre, dans les départements. En outre, depuis que les budgets opérationnels de programme leur ont été confiés, les préfets remplissent une mission supplémentaire, dont l’exécution doit elle aussi être contrôlée.
Le rôle de médiation auquel vous faites référence, monsieur le sénateur, peut recouvrir le contrôle de l’action du préfet, mais il n’y a pas de codécision possible.
Cela étant, un département compte plusieurs parlementaires, sénateurs et députés. Nous allons devoir bien réfléchir à la question que vous avez soulevée : pour l’heure, je n’ai pas de réponse en droit. Une solution n’est pas hors d’atteinte, à condition de respecter la séparation des pouvoirs, conformément aux enseignements de Montesquieu.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Quel excellent rapport ! J’avais déjà apprécié le précédent rapport d’information sur l’intelligence territoriale et les tentatives de Jean-Pierre Raffarin pour élaborer une loi qui définisse mieux la répartition des compétences entre les diverses collectivités.
M. Jean-Jacques Hyest. Cependant, les limites de cet exercice étaient apparues assez rapidement.
Pour certains, comme la commune, le département, c’est dépassé ! Quant aux territoires ruraux, avec le nouveau découpage cantonal, ils seront sous-représentés dans les assemblées territoriales, alors qu’ils étaient auparavant surreprésentés. En tout cas, c’est ce que ressentent les élus locaux des zones rurales.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais je pourrais vous montrer ce qu’il en est pour le département de Seine-et-Marne : on assiste à l’écrasement total des territoires ruraux !
En ce qui concerne les départements, monsieur Krattinger, qu’est-ce qui a fait leur force à partir de l’entrée en vigueur des lois de 1982 et de 1983 ? Ils avaient des moyens permettant d’aménager les territoires ruraux, par le biais d’une péréquation au profit des collectivités les moins riches. Toutes les politiques très intelligentes et peu onéreuses menées par les départements ont donné un coup de fouet formidable aux territoires ruraux. Si les départements n’ont plus ces moyens, que vont-ils devenir ? Aujourd’hui, avec l’augmentation des dépenses sociales, non compensées complètement, les nouvelles charges d’entretien de la voirie qui leur incombent, quelle capacité d’initiative les départements conserveront-ils ? Je me le demande… Alors que les régions et les intercommunalités ont encore de la marge, la situation des départements est beaucoup plus délicate.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Hyest, le découpage cantonal ne peut déroger au principe suivant : en France, c’est la population, et non la géographie, qui détermine la représentation.
M. Jean-Jacques Hyest. Pas pour le Sénat !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. La répartition entre parlementaires représentant les zones urbaines et parlementaires ruraux reflète ce principe, parce que les circonscriptions sont délimitées en fonction du chiffre de la population, et non du territoire. Par exemple, pour l’élection des députés, les circonscriptions peuvent compter de 20 à 206 communes.
Tant que le système de représentation sera fondé sur le principe « un homme, une voix », nous n’échapperons pas à la difficulté que vous avez relevée. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé ces dernières années. Par conséquent, je ne puis aller au-delà sur cette question.
En revanche, concernant la solidarité, nous nous sommes demandé, lors de nos débats sur le texte à venir, s’il était possible de concevoir, pour les communautés de communes rurales qui ont le moins de moyens, des formes d’exercice mutualisé des compétences avec les départements, au travers, par exemple, de sociétés publiques locales ou d’agences d’urbanisme travaillant au côté du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, le CAUE, afin de constituer des pôles d’ingénierie.
En effet, M. Krattinger a parfaitement raison de souligner que ce qui manque parfois à un territoire pour faire émerger des projets, ce sont des cadres de catégorie A.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je me souviens d’ailleurs d’une expérimentation qui avait été menée au travers de contrats infrarégionaux : le montant de l’enveloppe d’ingénierie attribuée était inversement proportionnel à l’effectif de cadres A de la collectivité considérée.
Nous devons parvenir à instituer de telles mutualisations. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre certains propos selon lesquels le nombre de fonctionnaires serait excessif : nous avons besoin de cadres A pour mener nos politiques dans nos départements et nos intercommunalités.
Une critique récurrente, qui finit par être lassante, veut que les intercommunalités, et plus encore les régions, se soient montrées laxistes en matière de recrutement et qu’il y ait eu gabegie. Or, la Cour des comptes a mis en lumière une évolution modérée en termes de créations de postes, et même un tassement à l’heure actuelle. L’attribution de nouvelles compétences ou la croissance de la population ont amené certaines collectivités à recruter, mais il n’y a pas eu d’inflation des effectifs.
Par ailleurs, le niveau des dépenses par habitant de certaines régions de France a été parfois aussi été dénoncé. Or, s’il dépasse 250 euros pour le Limousin, contre environ 50 euros pour les Pays de la Loire, c’est parce que cette région doit pallier le manque de cadres A au sein des autres collectivités territoriales en renforçant sa propre capacité d’ingénierie.
La solidarité est donc une question essentielle. La création de pôles interrégionaux peut constituer une réponse, mais d’autres solutions doivent être envisagées, d’ici à quelques semaines, pour remédier à cette flagrante inégalité territoriale en matière d’ingénierie.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.
La parole est à M. le président de la mission commune d’information.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Je souhaite remercier l’ensemble des intervenants pour la qualité de ce débat et saluer l’implication du rapporteur de la mission, Yves Krattinger, qui nous a fait profiter de sa grande expérience.
Madame la ministre, au Sénat, on sait respecter les règles du jeu, ce qui permet d’avoir un débat apaisé. J’aurais pu vous faire part du mécontentement que m’inspire le découpage cantonal de mon département, la Vienne, mais j’attendrai pour cela une autre occasion, car il s’agit aujourd’hui de réfléchir à l’avenir de notre pays et aux moyens d’améliorer l’efficacité de l’action publique. Comme mes collègues, je suis capable de faire abstraction de mes griefs quand l’importance du sujet abordé le commande.
Sur de tels thèmes, le Sénat dispose d’une expérience qu’il est prêt à partager avec le Gouvernement. Vous continuerez à trouver en nous des opposants parfois vifs sur bien des points, mais aussi des partenaires loyaux pour réfléchir à l’avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je tiens à saluer à mon tour la grande qualité du rapport et du débat. Toute contribution est très bonne à prendre !
Monsieur Raffarin, je suis moi aussi marrie du nouveau découpage de mon département. Il n’est pas si simple de changer les habitudes et de se plier à la règle de la représentation fondée sur la population.
Je m’engage, comme me l’a demandé le Premier ministre et conformément aux propos tenus ce matin par le Président de la République, à prendre en compte les conclusions de ce rapport et les échanges que nous avons eus dans l’élaboration des prochains projets de loi, à faire preuve d’ouverture aux amendements parlementaires et même à présenter au nom du Gouvernement, le cas échéant, des amendements qui auront été inspirés par vos travaux.
Je souhaite que nous réussissions à écrire ensemble, d’ici à quelques semaines, une nouvelle page de la décentralisation, de manière que le Gouvernement puisse continuer à travailler sur la déconcentration dans les meilleures conditions.