Mme Catherine Troendlé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 17 avril dernier, a été créée, au Sénat, la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, à la demande du président du groupe UMP, Jean-Claude Gaudin. Cette initiative intervenait après l’adoption, à l’unanimité au Sénat, de la proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales.
En tant que membre de cette mission, je profite du temps que m’est imparti pour saluer l’excellent travail réalisé par nos collègues Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information, et Yves Krattinger, rapporteur, qui ont su dresser sereinement un inventaire structuré des dysfonctionnements de nos modes institutionnels et, par là même, mettre en évidence un certain nombre de difficultés concernant l’organisation décentralisée de la République.
Néanmoins, en matière de décentralisation, d’importantes questions restent à trancher.
En effet, si chacun reconnaît aujourd’hui qu’il est indispensable de réformer notre organisation territoriale, il est nécessaire d’admettre également que la prochaine réforme devra passer par le règlement d’un certain nombre de questions.
La répartition des compétences est la première d’entre elles. En effet, cette question connaît des aléas importants depuis le changement de majorité. Le rétablissement de la clause générale de compétence et la création de chefs de filat ont pour objet de créer de véritables confusions, sans apporter de réponses pertinentes à l’éclatement croissant des compétences.
Afin de régler la question de la répartition des compétences, la mission commune d’information propose tout à la fois d’inverser notre réflexion pour déterminer les missions d’une collectivité avant de lui attribuer des compétences particulières et d’instaurer une « instruction unique » pour la mise en œuvre des politiques publiques.
La deuxième question concerne la cohabitation entre les régions et les départements.
En effet, le gouvernement de M. Ayrault s’est empressé de revenir sur la réforme des conseillers territoriaux, que le précédent gouvernement avait entreprise en 2010, sans prévoir une nouvelle articulation de ces deux niveaux de collectivités territoriales.
Nombreux sont pourtant les élus, de toutes sensibilités, qui reconnaissent aujourd’hui les avantages que le conseiller territorial aurait pu comporter ; charnière entre les politiques départementales et régionales, il aurait amélioré la lisibilité de notre organisation territoriale pour les élus locaux et sa transparence pour nos concitoyens.
Tout le monde admet que les départements ne jouent pas le même rôle partout en France ; en particulier, leur rôle est différent là où existent des pôles urbains très denses.
Quant aux régions, il est temps de débrider les dernières réticences pour leur offrir une assise et un rôle plus étendus, afin de pouvoir enfin entrer dans une concurrence positive avec nos voisins européens.
La troisième question porte sur le développement d’une intercommunalité qui préserverait la commune.
Dans ce domaine, d’énormes efforts ont été accomplis par tous les élus pour parachever la couverture du territoire. Cette rationalisation permet à nos concitoyens de bénéficier d’équipements et de services auxquels, dans certaines zones rurales, ils n’avaient plus accès.
Reste que la commune est l’échelon de base de notre démocratie locale ; il convient de ne pas le perdre de vue.
J’ajoute que la décentralisation ne doit pas aboutir à une opposition entre les pouvoirs publics locaux et nationaux. Elle ne peut pas se traduire par un désengagement progressif de l’État au niveau local. Aussi est-il important que les moyens nécessaires, humains et financiers, soient prévus et mis à la disposition des collectivités territoriales lorsqu’une compétence leur est transférée par l’État ; en disant cela, je pense tout particulièrement à la réforme des rythmes scolaires.
En outre, l’État doit pouvoir s’associer aux collectivités territoriales qui rencontrent les plus grandes difficultés en leur fournissant un appui technique et juridique susceptible de rendre leur autonomie effective.
En conclusion, puisque décentralisation et déconcentration vont de pair, le groupe UMP du Sénat propose, afin d’accroître les chances de bonne gestion et de diminuer les risques de contentieux, et sur le fondement des travaux de la mission commune d’information présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, de renforcer la place des parlementaires dans la décentralisation et de garantir la présence de l’État selon des modalités renouvelées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à féliciter à mon tour le président de la mission commune d’information, Jean-Pierre Raffarin, et son rapporteur, Yves Krattinger, pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et pour les conclusions qu’ils ont présentées ; de fait, ils sont parvenus à formuler des propositions qui peuvent faire consensus.
Comme le Président de la République l’a rappelé, une République « est forte par son État, mais aussi par ses territoires ».
Cependant, les mutations économiques, le chômage, la précarité et la suppression de nombreux services publics ont profondément modifié les territoires et creusé les inégalités. Dans les territoires ruraux comme dans les quartiers relevant de la politique de la ville, le sentiment de décrochage menace les fondements de notre pacte républicain.
Dans ce contexte, un approfondissement de la décentralisation est nécessaire. Pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, il nous faut encourager la créativité et la vitalité des acteurs locaux : entreprises, citoyens et collectivités. Aussi bien, nous avons aujourd’hui besoin, selon moi, non pas d’une nouvelle répartition mécanique et uniforme des compétences, mais d’un renforcement des responsabilités de chacun des acteurs et d’une dynamique de coopération.
L’unité de la République n’est pas renforcée par l’uniformité, bien au contraire. Il importe de tenir compte des spécificités des territoires, de favoriser l’innovation et de s’appuyer sur l’intelligence collective. L’enjeu est de construire un modèle de développement plus équilibré, respectueux de la diversité des territoires et porteur d’une plus grande solidarité.
En particulier, la nouvelle gouvernance territoriale doit reconnaître le fait urbain, autour duquel se structurent aujourd’hui de larges pans de notre économie, en donnant aux métropoles et aux agglomérations les moyens de se développer ; dans le même temps, il convient d’éviter que ce mouvement n’accentue les clivages entre des espaces urbains toujours plus riches et des zones périphériques ou rurales en voie de relégation.
Comme la mission commune d’information le signale dans son rapport, la République décentralisée souffre aujourd’hui de deux maux : le manque d’efficacité réelle de l’action publique et la confusion des rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales.
Le Président de la République a parlé, à juste titre, de la nécessité d’un « choc de simplification ». Les élus et les citoyens attendent de la décentralisation une plus grande efficacité, alors que les entreprises sont souvent asphyxiées par les normes.
Par ailleurs, la mission commune d’information a clairement identifié certaines difficultés ; je pense en particulier au « doublonnage » entre les services de l’État et des collectivités territoriales et à la multiplication des guichets, des subventions et des aides fiscales. Certaines entreprises finissent par renoncer, du fait de la complexité des dispositifs !
En définitive, le millefeuille tant décrié correspond moins à l’empilement des circonscriptions qu’à celui des décisions. Encore faudrait-il donc, avant de s’attacher aux conséquences de la décentralisation - le transfert de compétences -, d’en définir d’abord les principes - la répartition des missions.
Les élus veulent une différenciation accrue de l’organisation territoriale, pour que les spécificités de chaque territoire soient prises en compte. Il n’existe plus, pour l’ensemble du territoire, un modèle de décentralisation uniforme. En effet, la situation des territoires au sein de l’ensemble national étant très différente, elle appelle une diversité de réponses.
On ne peut pas considérer de la même façon l’Île-de-France et les zones rurales. Le cœur de l’agglomération parisienne a besoin d’un statut particulier, compte tenu de son caractère exceptionnel, mais il faut se garder de multiplier les statuts ad hominem, afin de ne pas remettre en cause le socle républicain.
L’amélioration de l’efficacité de l’action publique suppose en corollaire un approfondissement de la décentralisation, qui doit être considéré non pas simplement comme un facteur de liberté, mais comme un principe de responsabilisation des territoires.
Parce qu’une décentralisation renforcée doit permettre de répondre aux besoins des citoyens et des entreprises par des politiques pragmatiques et appropriées, il est nécessaire de renforcer les régions en clarifiant leurs compétences et en recentrant leurs missions sur la stratégie.
Aujourd’hui, les régions ont tendance à assurer des compétences de proximité qui devraient relever d’autres niveaux de collectivités, comme les communes ou les intercommunalités. Les régions doivent s’en dégager pour mieux asseoir leurs missions stratégiques de long terme. Il faut à tout prix éviter toute « cantonalisation » des régions, ce qui suppose de leur donner plus de cohérence et de force en matière économique, en en faisant l’échelon essentiel d’exercice de certaines compétences.
Quant aux départements, la mission commune d’information a souligné, dans ses conclusions, qu’ils jouent un rôle indispensable en milieu rural. Fort de son atout de proximité, le département doit en effet renforcer la lutte contre les difficultés engendrées par la crise économique actuelle ; dans les zones rurales, dont certaines sont menacées d’exclusion, il est bien souvent la seule structure capable de mener cette action.
En revanche, la pertinence du département n’est pas aussi grande dans les zones urbaines denses. Pour ma part, je suis favorable, comme M. Dallier, à la suppression des départements de la petite couronne parisienne ; l’ensemble de leurs compétences pourraient être transférées à la gouvernance de la métropole du Grand Paris, à l’instar de ce qui est prévu pour la métropole de Lyon.
Mais le temps s’écoule et, mes chers collègues, je me rends compte à cet instant de mon propos que je vais être obligé de conclure, sans quoi je me ferai rappeler à l’ordre par M. le président…
Aussi, m’excusant encore du côté abrupt de ma conclusion, je me contenterai de souligner que, à mon avis, un consensus est possible sur la suppression des départements de la petite couronne francilienne ; en supprimant un échelon, on rendrait l’action métropolitaine plus efficace, tandis que la région d’Île-de-France continuerait de jouer un rôle très important pour le développement économique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer également le travail de notre mission commune d’information et l’excellent état d’esprit dans lequel elle a œuvré.
Le mérite en revient aussi bien à son président, Jean-Pierre Raffarin, qui est, avec le groupe UMP, à l’initiative de sa création, qu’à son rapporteur, Yves Krattinger ; tous deux ont su dépasser les clivages politiques pour tenter d’éclairer la voie d’une nouvelle étape de la décentralisation.
Dans cette perspective, il y a, et c’est heureux, des sujets qui nous rassemblent.
Tout d’abord, chacun reconnaît qu’il ne peut plus y avoir un modèle unique d’organisation de nos territoires ; leur diversité justifie des modèles différents. Du reste, nous avons déjà inscrit ce principe dans la loi, notamment avec le premier des trois projets de loi sur la modernisation de l’action publique territoriale, qui traitait essentiellement des métropoles.
Vouloir organiser l’Île-de-France comme le Limousin ou la Champagne-Ardenne n’avait décidément plus de sens. L’organisation uniforme de la petite et de la grande couronnes parisiennes n’en avait pas davantage.
Nous sommes enfin sortis de cette logique. C’est assurément la voie à suivre, et je ne peux que me réjouir que le rapport ait intégré, pour une prochaine étape, ma proposition d’absorption des quatre départements de Paris et de la petite couronne par la métropole du Grand Paris.
Madame la ministre, j’ai été heureux de vous entendre nous annoncer que vous aviez mis des moyens à disposition pour évaluer cette solution, qui pourrait être l’acte II de cette révolution métropolitaine à Paris.
Notre rapporteur, cependant, a émis des réserves sur la diversification des modèles ; je le comprends, car on peut craindre que ce mouvement n’accentue les écarts entre les territoires.
C’est pourquoi cette évolution doit être accompagnée d’une solidarité, et pas seulement financière, solidarité dont l’État doit être le garant et qui, à mon sens, doit être pensée par le haut, c’est-à-dire par l’échelon régional.
Les vingt-deux régions actuelles sont trop petites, donc trop nombreuses. Je ne rappellerai pas les mauvaises raisons qui expliquent cette situation, chacun les connaît. Le fait est que cette carte, largement inadaptée aux défis du temps, doit être redessinée ; à cet égard, l’objectif, retenu par le rapport, d’une petite dizaine de régions me semble tout à fait pertinent.
Une fois les nouvelles régions définies, c’est à l’intérieur de chacune d’elles que la répartition des rôles et des moyens devra être opérée, en fonction de la nature du territoire.
La question du rôle des départements se présente immédiatement à l’esprit, mais encore faut-il la poser de la bonne manière. Prôner leur suppression pure et simple ou défendre leur maintien systématique, ce ne sont pas, me semble-t-il, de bonnes façons d’aborder le sujet – un sujet sensible, surtout au Sénat.
L’approche alsacienne, même si elle a connu un sort funeste, ce que je regrette, démontre à l’évidence que la collectivité territoriale unique peut également être une réponse. En revanche, dans les territoires peu denses en population, l’échelon départemental peut rester tout à fait pertinent.
Sur ce problème délicat, notre rapporteur ne s’est pas aventuré très loin, et je le comprends. Il faudra bien pourtant trancher ce débat si longtemps repoussé ; à cet égard, je déplore que l’on ait fait marche arrière en supprimant le conseiller territorial, dont je persiste à penser qu’il correspondait à une bonne approche.
Pour redéfinir le rôle des régions et des départements, il faudra se reposer la question du financement des politiques sociales : revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap. De fait, cette question est au cœur du sujet.
Je pense depuis longtemps que nous avons probablement commis une erreur en écrivant l’acte II de la décentralisation. Avoir transféré aux départements le soin de financer ces allocations dont le montant est fixé par l’État ne pouvait que nous conduire là où nous sommes aujourd’hui, cherchant à inventer, année après année, de nouveaux mécanismes de péréquation, qui ne sont, au bout du compte, que cataplasmes sur une jambe de bois !
Que certains départements soient conduits à s’endetter, à augmenter la pression fiscale, ou les deux, et à réduire leurs investissements pour financer ce qui relève de la solidarité nationale, cela n’est pas conforme au principe de l’égalité républicaine et contribue à creuser la fracture territoriale. (M. René-Paul Savary applaudit.)
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Philippe Dallier. Si l’État doit assurément rester le garant de la solidarité nationale, cette question du financement des politiques sociales doit alors être reposée, tout comme nous devons sérieusement réfléchir avant d’amorcer un mouvement qui conduirait à transférer tout ou partie du pouvoir réglementaire aux territoires.
Le rapport évoque cette question, sans entrer véritablement dans le détail des choses et en prenant de multiples précautions – et c’est heureux ! Malgré tout, je suis plus que réservé sur le sujet, car je crains que les effets négatifs ne soient bien supérieurs aux bénéfices attendus.
Notre République est certes décentralisée et il faut aller au bout de cette logique, mais elle doit rester une et indivisible. La France, ni par son histoire ni par sa géographie, n’a vocation à devenir un État fédéral ; alors, méfions-nous des fausses bonnes idées.
Notre objectif premier est bien de repenser le rôle de l’État et des collectivités territoriales, en recherchant une plus grande lisibilité pour nos concitoyens, une meilleure efficacité de la dépense publique et une plus forte équité entre nos territoires. Tenons-nous-en à cela, ce sera déjà beaucoup !
C’est d’autant plus urgent que les économies budgétaires que l’État doit trouver, dans les années à venir, ne seront supportables que dans le cadre d’une forte optimisation des moyens qui, là aussi, peut se faire, doit se faire de manière différenciée, en fonction de la nature des territoires. C’est ce que le rapport appelle un « choc de subsidiarité », propos auquel je souscris pleinement.
Le rapport pointe aussi la complexité et la faiblesse de nos mécanismes de péréquation financière, fruit de l’empilement de dispositifs aux critères différents et aux effets parfois contradictoires.
Jugeant la DGF, la dotation globale de fonctionnement, trop difficile à réformer, nous avons fait preuve d’une imagination débordante : DSU, dotation de solidarité urbaine, DSR, dotation de solidarité rurale, FSRIF, Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, FPIC, Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales, mécanismes de péréquation assis sur les droits de mutation, et j’en passe, il ne s’est pas écoulé une année sans que nous cherchions à revenir sur les erreurs commises l’année précédente !
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Vous avez raison !
M. Philippe Dallier. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les collectivités territoriales ont besoin de lisibilité pour planifier leurs investissements. C’est tout le contraire qui se produit en ce moment et je crains, madame la ministre, mes chers collègues, que ce ne soit d’abord l’investissement qui en pâtisse. Or, si les collectivités locales investissent moins, les conséquences sur l’économie seront très lourdes.
Mais mon temps de parole s’écoule et il me faut accélérer ! (Sourires.)
Je veux profiter de l’occasion, madame la ministre, pour attirer votre attention sur le fait que de nombreux maires sont en train de découvrir l’ampleur de la baisse de la dotation globale de fonctionnement pour 2014, qui préfigure celle de 2015.
Nous avons choisi de proportionner cette baisse de la DGF aux recettes réelles de fonctionnement des collectivités locales en 2012. Clairement, ce sont les villes moyennes et grandes qui supportent le choc : pour ma ville de 22 000 habitants, la baisse sera de 5,7 % en 2014, et davantage encore en 2015. Cela représente 750 000 euros en deux ans, soit 10 % du produit de la taxe d’habitation. C’est autant que la totalité de la péréquation financière qui va m’être demandée.
M. Marc Daunis. Qu’est-ce que cela aurait donné sinon !
M. Philippe Dallier. Je pense, madame la ministre, qu’il va falloir retravailler le sujet, car les conséquences sur l’autofinancement des collectivités locales seront très importantes.
Je termine, en rappelant qu’en 2009 la commission dite « Balladur » avait choisi d’intituler son rapport Il est temps de décider. C’était il y a bientôt cinq ans… Alors, oui, mes chers collègues, il est plus que temps de décider. Ce rapport est une nouvelle pierre utile à notre réflexion. Il faut maintenant aller de l’avant, résolument.
M. Philippe Dallier. Le Gouvernement a la main, madame la ministre. Je sais bien que c’est compliqué, que les critiques seront nombreuses et le consensus quasiment impossible, mais je vous invite à faire preuve d’audace, car le pays et nos collectivités locales ont besoin d’audace. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et rapporteur de la mission commune d’information, chers collègues, comme le président Bel a pu le dire lui-même à plusieurs reprises, le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, est au cœur du dialogue entre l’État et les collectivités locales et, dans ce cadre, il doit jouer pleinement son rôle.
C’est cette volonté qui nous a conduits à organiser les états généraux de la démocratie territoriale en 2012, pour associer l’ensemble des élus et des territoires aux réflexions en cours sur l’avenir de la décentralisation.
C’est cette même volonté qui nous a guidés lors des récents débats sur la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Notre assemblée a eu le souci de la clarté et de la cohérence, malgré les débats et les positions parfois différentes entre certains de ses membres.
C’est cette volonté, encore et toujours, qui a conduit au lancement de cette mission commune et, à mon tour, je salue le bon climat et l’état d’esprit qui ont présidé à des travaux de grande qualité, menés sous l’égide du président Raffarin et du rapporteur Krattinger.
Il s’agissait de construire des réponses précises pour les collectivités, leurs compétences, leurs missions, leur fonctionnement, leurs moyens ou encore leurs rapports avec l’État. Nous entendions, au-delà des exigences calendaires et de toute préoccupation électorale ou partisane, être force de proposition sur le long terme.
Il s’agissait également de tenir compte des évolutions en cours et d’accompagner la construction d’un nouvel élan pour la décentralisation et la mise en œuvre de nouveaux leviers d’action pour les élus.
À ce titre, j’aimerais revenir sur les travaux de la mission portant sur notre place et notre rôle dans la décentralisation en tant que parlementaires. Cette question du rôle et du statut de l’élu, local comme national, n’est pas nouvelle. Elle suscite intérêt et débat depuis de nombreuses années, mais il est important de réfléchir à de tels sujets en démocratie.
La question du non-cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice d’un exécutif local est plus que jamais d’actualité. Cela deviendra, cela a été dit, une réalité à la fin de ce mois, après le vote de notre assemblée et de l’Assemblée nationale. C’est un projet de loi que, pour ma part, je soutiens. Cette réforme, très attendue, s’inscrit dans le sens d’une rénovation profonde de la vie politique et de la modernisation de notre démocratie. Tout le monde profitera de cette avancée majeure qui permettra la parité, le renouvellement et une plus grande diversité des profils des élus, locaux et nationaux.
Mais une telle avancée ne suffira pas à elle seule. Elle doit nous amener à repenser la place des parlementaires sur les territoires et à préciser leurs relations avec les collectivités locales et avec l’État ainsi que ses représentants locaux.
Il s’agirait tout d’abord de les associer aux actions décidées par les différents niveaux de collectivités afin de jouer un rôle de facilitateurs, associant leur connaissance des spécificités du territoire sur lequel ils sont élus à leur légitimité nationale. Cette médiation, rendue nécessaire notamment face au développement des financements croisés, garantirait une meilleure cohérence et une plus grande fluidité de l’action locale.
Il s’agirait ensuite de les associer plus étroitement aux services de l’État, en département et en région, dans le cadre de la distribution des crédits d’État, comme la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux.
Il s’agirait enfin d’avancer vers la création d’un pôle parlementaire d’expertise, indépendant de l’administration centrale, nécessaire à la réalisation de ces nouvelles missions de médiation et de conseil. Ce pôle d’expertise pourrait notamment être constitué par des accords passés avec des universités et des centres de recherche spécialisés.
Bien sûr, avec ces quelques pistes, je ne prétends pas être exhaustive. Elles n’ont pas, non plus, vocation à être délivrées « clé en main ». Il faudra poursuivre la réflexion et les échanges sur ces sujets avec deux exigences différentes, mais complémentaires : retisser les liens et la confiance entre les élus et les citoyens et donner aux parlementaires les moyens et les leviers leur permettant de mener à bien leurs missions.
C’est à ce prix que nous pourrons jouer tout le rôle pour lequel nous avons été élus, du local au national, ancrés dans nos territoires et utiles au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé.
M. Edmond Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà une mission, un rapport, un débat qui se situent dans l’excellence de la continuité des états généraux de la démocratie territoriale.
Permettez-moi trois observations.
Premièrement, l’unité de la République et la diversité sont un couple légitime et nécessaire, mais il faut que nous donnions l’exemple : combien de lois votons-nous ? Et regardons aussi le caractère impératif de ces lois que nous votons ! Vous avez suggéré de recourir à des lois-cadres. J’y suis favorable, car je suis favorable à des lois de confiance. Cessons de rédiger ces lois qui ne sont que des chapelets d’amendements !
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Edmond Hervé. Quant au pouvoir réglementaire des régions, il est important d’éviter les faux débats : le pouvoir réglementaire des régions existe,…
M. Edmond Hervé. … même s’il nous faut lui donner une certaine consistance.
Deuxièmement, vous avez repris à juste titre le thème de la mutation des territoires et de la société, inscrivant la notion de mobilité. Il faut que vous y ajoutiez la notion de temps - mais vous l’avez fait au travers du concept de proximité -, dans le sens du temps nécessaire pour accéder à un service, car le temps est l’un des plus grands facteurs d’inégalité qui puisse exister, non seulement entre les territoires, mais aussi entre les citoyens.
M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Et c’est bien pour cela que j’en ai parlé.
M. Edmond Hervé. La mutation n’est pas un état, c’est un processus dynamique. Il n’y a pas de territoire fonctionnel unique, défini une fois pour toutes. C’est la raison pour laquelle je crois profondément, par expérience et par philosophie, aux notions de projet, de contrat, de rencontre.
Je ne suis pas un fanatique de cette nouvelle carte régionale qui fait l’objet de l’une de vos propositions. Le plus sûr moyen d’échouer est d’imposer cette carte régionale nouvelle par la loi.
M. Edmond Hervé. Vous avez cité les dix ; il est des chiffres bibliques. Dix est effectivement le chiffre, vous le savez bien, qui a été cité dans Pour une République moderne de Pierre Mendès France : dix régions avec une ville millionnaire.
Je pense pour ma part que, lorsque l’on parle de coopération entre les régions, il est essentiel d’entrer dans un champ pratique de coopération, que ce soit en matière de formation professionnelle, de culture, de transports ou autres. Pour cela, il n’est pas besoin de modifier de manière substantielle les frontières et je ne suis pas sûr, monsieur Raffarin, que, comme vous disiez, à l’horizon 2020-2025, vous ayez reconsidéré cette carte régionale.
Puis, à propos de la coopération intercommunale, cher Yves Krattinger, je reprendrai vos excellentes formules. Vous parlez d’une vraie révolution ; vous dites que « ce n’est pas la loi qui a créé l’intercommunalité, c’est le besoin. » et vous précisez que « l’intercommunalité est la grande révolution de ces dernières décennies. » J’en conviens, mais il manque aujourd’hui la transversalité entre les différentes autorités pour parvenir à un accord. À ce point du débat, je pense, madame la ministre, que, dans cette démarche de transversalité, le préfet a toute sa place.
M. Edmond Hervé. Les lois de décentralisation de 1982-1983 n’ont nullement consacré la destitution du préfet. Je suis favorable à ce que les préfets ne soient pas cantonnés dans un simple rôle d’autorités de police. Les préfets ont à l’évidence un rôle de développement, d’animation à jouer. Nous avons la chance, en France, d’avoir un corps préfectoral d’une exceptionnelle qualité. (M. Jacky Le Menn approuve.)
Concernant les départements, je suis d’accord avec tout ce que vous écrivez. J’ajouterai toutefois un point : un département ou une région sans grande métropole sont un département ou une région condamnés.
Dans son excellente étude, M. Davezies, que vous avez auditionné, s’est penché sur six métropoles – Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Rennes – et constate, chiffres à l’appui, qu’elles reversent bien plus à la Nation qu’elles ne consomment. C’est cela, la solidarité, et c’est aussi cela, le changement !
Quant aux redondances, si j’apprécie les structures qui ont été mises en place au niveau national, tout particulièrement quand un ancien collègue les préside (Sourires.), j’estime aussi que l’on devrait faire appel aux maires : en pourrait en réunir dix par région pour analyser le processus d’un permis de construire d’un poulailler ou d’un garage, par exemple, afin de voir comment l’alléger, le simplifier. Mais je pourrais prendre d’autres exemples.
Enfin, troisièmement, on peut lire dans votre rapport, cher Yves Krattinger, la chose suivante : la « mission reconnaît qu’une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d’avenir, notamment pour les territoires les plus pauvres ».
Je m’étonne, monsieur le président de la mission commune d’information, que vous ayez laissé courir cette plume, car j’ai souvenance que vous aviez participé, en 2000, à la rédaction d’un excellent rapport sénatorial en deux tomes, le rapport Mercier, dans lequel vous évoquiez, pour illustrer la notion d’autonomie fiscale, la situation du président de la région Poitou-Charentes, c'est-à-dire la vôtre.
Vous référant au passé, quand vous disposiez de ressources propres à hauteur de 60 % et de dotations, pour 40 %, vous regrettiez alors d’en être réduit à 40 % de ressources propres. Mais voyez comment les choses ont évolué, monsieur Raffarin : aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les ressources propres de votre région représentent plus de 10 % de son budget.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Ce n’est plus ce que c’était ! (Sourires.)