M. Robert Tropeano. Il importe que ce dispositif puisse se mettre en place dans des conditions de simplicité maximale et de sécurité juridique, tant pour les salariés que pour les entreprises.
Quoi qu’il en soit, la création du compte personnel de prévention de la pénibilité constitue une grande avancée sociale pour tous ceux qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles.
D’autres améliorations ont été apportées au texte par l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons que nous en réjouir, d’autant que certaines résultent d’initiatives du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Je pense, bien sûr, au rôle confié à la Mutualité sociale agricole dans la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Par ailleurs, le projet de loi précise désormais que les assurés n’auront pas l’obligation de liquider leur pension de retraite pour pouvoir continuer leur activité dans le cadre du cumul emploi-retraite dit « déplafonné ». C’est une très bonne chose.
Je me félicite également que les députés, faisant écho à des amendements déposés par notre collègue Gilbert Barbier, aient rappelé que la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales doit assurer la cohésion et la coordination des systèmes d’information et qu’ils aient sensiblement assoupli les conditions de nomination de son directeur.
J’évoquerai enfin le report de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre. En première lecture, le RDSE et plusieurs autres groupes avaient choisi de supprimer l’article 4. Il s’agissait avant tout de préserver les petites pensions, d’épargner les retraités les plus modestes, ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté. Notre devoir est de venir en aide aux plus défavorisés, d’améliorer la situation des retraités les plus vulnérables.
Depuis, le Premier ministre a pris des engagements.
Tout d’abord, l’allocation de solidarité aux personnes âgées sera revalorisée à deux reprises l’année prochaine, le 1er avril et le 1er octobre.
Ensuite, alors que certains pensionnés ne se soignent plus comme il faut, par manque de moyens financiers, le Gouvernement a augmenté de 10 % l’aide à la complémentaire santé, pour la porter à 550 euros.
Notre groupe se félicite que le Gouvernement ait été sensible aux préoccupations que nous avons exprimées à maintes reprises s’agissant des retraités les plus modestes. Pour autant, la mise en œuvre du dispositif de l’article 4 va pénaliser les retraités qui ne bénéficient pas de l’allocation de solidarité aux personnes âgées mais qui, pourtant, vivent dans la précarité.
Bien entendu, madame la ministre, comme en première lecture, nous présenterons quelques amendements pour améliorer ce texte, toujours dans le souci d’une plus grande justice sociale et d’un plus grand respect des principes de responsabilité et d’équité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, à l’occasion de la première lecture, nous avons battu un triste record : aucune voix pour ce projet de loi,…
Mme Isabelle Debré. Incroyable !
M. Jacky Le Menn. Pour des raisons diverses !
M. Jean Desessard. … unanimité contre.
M. Michel Vergoz. C’est grotesque !
M. Jean Desessard. Je suis d’accord, c’est grotesque, mon cher collègue !
M. Michel Vergoz. C’est ce que vous venez de dire qui est grotesque !
M. le président. M. Desessard seul a la parole !
M. Jean Desessard. Cela illustre bien la difficulté de la concertation et du travail en amont sur les textes ! Quand nous dénonçons cette situation, on nous promet de nous associer la prochaine fois à l’élaboration du texte. Que le gouvernement soit de droite ou de gauche, on nous dit la même chose ! Et je suis sûr qu’il en irait de même si le centre était au pouvoir…
Mme Muguette Dini. Ce n’est pas vrai, ce ne serait pas la même chose !
M. Jean Desessard. Peut-être, nous vous laisserons le bénéfice du doute ! Cela vaut aussi pour nous écologistes !
Mme Muguette Dini. Il faudrait essayer !
M. Jean Desessard. En tout état de cause, les écologistes ont toujours dit qu’ils étaient opposés à l’allongement de la durée de cotisation : c’est pour nous un élément de base ! Par conséquent, ne vous étonnez pas ensuite que nous ayons voté contre votre texte.
Dans ces conditions, soit vous vous alliez avec d’autres forces politiques pour obtenir un vote positif du Sénat, soit vous décidez de sauter dans le vide, en espérant qu’un parachute se déploiera !
Vous pouvez juger grotesque notre opposition à l’allongement de la durée de cotisation, mon cher collègue, mais cela fait partie de nos positions fondamentales ! Ou peut-être était-il grotesque que nous fassions une alliance gouvernementale ?
M. Jacky Le Menn. Ce n’est pas nous qui l’avons sollicitée !
M. Jean Desessard. Quand vous nouez un partenariat avec une force politique, considérez qu’elle défend quelques idées essentielles et tenez-en compte lorsque vous élaborez un texte ! Sinon, travaillez avec d’autres ! Pour nous écologistes, le partage du travail et l’absence d’allongement de la durée de cotisation sont des options fondamentales !
En effet, comment expliquer aujourd’hui à un jeune qu’il va devoir travailler jusqu’à 67 ans, alors que ses aînés pouvaient se retirer du marché du travail à 62 ans et que la productivité des entreprises progresse ? Comment peut-on prétendre que les seniors, qui ne trouvent plus de travail à 55 ou à 60 ans, pourront en trouver à 62 ans ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Comment les jeunes, déjà confrontés à un fort taux de chômage, trouveront-ils du travail si les anciens partent plus tard à la retraite ? Comment allez-vous expliquer tout cela à la société ? Du reste, le problème, c’est non pas l’augmentation de l’espérance de vie, mais, principalement, les effets du « papy boom ».
En ce qui concerne l’article 4, nous saluons les déclarations du Premier ministre, qui a donné des signes de bonne volonté en annonçant une double revalorisation de l’ASPA en 2014 et une majoration de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé pour compenser les mesures contenues dans cet article.
Cependant, sur le fond, notre opposition à l’instauration d’un décalage de six mois pour la revalorisation des pensions de retraite hors minimum vieillesse reste inchangée. Nous sommes conscients que ce report devrait rapporter près de 1 milliard d’euros par an jusqu’en 2020. Certes, madame la ministre, cet effort sera demandé à tous, mais malheureusement la mesure pèsera davantage sur les plus modestes que sur les retraités disposant de davantage de moyens. Nous ne pensons pas qu’une personne retraitée qui touche 787,26 euros par mois puisse être considérée comme suffisamment aisée pour supporter un décalage de six mois de la revalorisation de sa pension, en dépit des mesures avancées par le Premier ministre. Nous proposerons donc, encore une fois, de supprimer cet article.
Évidemment, le projet de loi comporte tout de même quelques articles intéressants, en particulier les articles 5 et 6, qui permettent de réellement prendre en compte la pénibilité.
Viennent ensuite les différentes mesures en faveur des personnes ayant effectué des carrières heurtées, l’extension de la retraite progressive et la possibilité ouverte de valider un trimestre avec des cotisations versées sur 150 heures, au lieu de 200 heures aujourd’hui.
Nous nous félicitons enfin que le Gouvernement ait inscrit la prise en compte des trimestres d’apprentissage au titre la retraite dans son projet de loi et que soient prévus une simplification du système de versement des pensions et un renforcement du droit à l’information : cela apporte un peu de clarté dans notre système de retraites si complexe.
J’ignore quelle sera l’issue de nos débats, mais les élus écologistes du Sénat, opposés à l’augmentation de la durée de cotisation, ne pourront voter ce texte en l’état.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais m’engouffrer dans la porte ouverte par M. Desessard… (M. Jean Desessard s’exclame.)
M. Michel Vergoz. Vous voyez, monsieur Desessard !
M. Jean-Noël Cardoux. Cette seconde lecture pourrait s’intituler : « comment faire oublier un vote inédit dans l’histoire de la Haute Assemblée – 346 à 0 – malgré une tentative de passage en force par le biais d’un vote bloqué sur le texte issu de l’Assemblée nationale ».
La démarche comporte deux étapes.
La première étape consiste en quelques tentatives de replâtrage auxquelles nous commençons à nous habituer. Je les énumérerai très sommairement : rôle de la MSA dans la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité, périodicité de cinq ans du rapport du Gouvernement sur la pénibilité, débat annuel sur les retraites de la fonction publique au sein du Conseil de la fonction publique, suppression de la limite de temps pour la nomination du directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales, non-application du report de la revalorisation aux bénéficiaires du minimum vieillesse, assouplissement du dispositif de cumul emploi-retraite. Voilà les modifications proposées par rapport au texte initial : c’est tout, et c’est bien peu !
La seconde étape est assez inédite. L’ordre du jour de la commission des affaires sociales a été inversé en n’en avertissant les commissaires qu’au dernier moment. (Mme la rapporteur proteste.) De ce fait, le rapport a été adopté un peu à la hussarde, avec un minimum de voix, alors que tous les sénateurs n’étaient pas présents. Cette manœuvre de procédure a permis d’afficher que la commission avait adopté le rapport, alors que, en fait, il n’y avait pas de majorité réelle au sein de celle-ci pour ce faire.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Jean-Noël Cardoux. Ces subterfuges ne changent rien au fond : cette réforme est en fait une non-réforme, une tentative de colmatage qui ne résout pas les problèmes financiers des régimes de retraite. La gauche n’a jamais entrepris une seule véritable réforme des retraites ; le présent texte le confirme.
J’exposerai maintenant un certain nombre de critiques de fond.
Tout d’abord, la courageuse loi de 2010 du gouvernement Fillon, qui prévoyait une réforme systémique en 2013, n’a pas été respectée. Elle permettait pourtant d’économiser 4,4 milliards d’euros entre 2012 et 2016.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C’est faux !
M. Jean-Noël Cardoux. On observe ensuite une fuite en avant financière, puisque le déficit des régimes de base devrait atteindre 13 milliards d’euros en 2020 tandis que les mesures proposées dégageront – au mieux, car ce chiffre repose sur une hypothèse de croissance de 1,6 % par an, qui relève à mon sens du vœu pieux – 7 milliards d’euros.
En réalité, le Gouvernement ne fait que repousser à plus tard la prise en compte des vrais enjeux, dans l’espoir d’un miraculeux redressement économique que la politique qu’il met en œuvre ne favorise nullement.
Par ailleurs, le Gouvernement ne présente aucune mesure allant dans le sens de la convergence du public et du privé en matière de retraites, ne fait preuve d’aucune volonté de réfléchir à un système de capitalisation dont on sait bien que, tôt ou tard, il verra le jour. Il ne propose pas de réforme ni de mutualisation des méthodes de gestion, dont le coût, qui atteint 6 milliards d’euros, est deux fois plus élevé que dans les autres pays européens, tels que l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. Le potentiel d’économies sur la gestion des caisses de retraite serait de l’ordre de 2,5 milliards à 3 milliards d’euros. Au contraire, on crée une énième structure : un comité de suivi des retraites composé de membres nommés par décret – il ne s’agit pas de consulter les partenaires sociaux ! – et venant se superposer au COR.
Le Gouvernement affirme qu’il n’y a pas de report de l’âge de départ à la retraite, mais un allongement de la durée de cotisation : c’est là une hypocrisie manifeste !
En effet, dans le document retraçant la stratégie de politique économique de la France adressé le 1er octobre à Bruxelles, le Président de la République reconnaît que l’âge de départ à la retraite – effectif, mais pas légal – va faire un bond à la suite de l’allongement à quarante-trois annuités de la durée de cotisation en 2035.
Cela veut dire qu’un assuré ayant commencé sa carrière à 23 ans – c’est la moyenne en France – ne pourra partir à la retraite en bénéficiant du taux plein qu’à partir de 66 ans. Il s’agit donc d’une augmentation déguisée de l’âge de départ à la retraite. En fait, même si celui-ci est maintenu à 62 ans, mécaniquement, afin de pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, les assurés devront travailler jusqu’à 66 ans.
Dans le même temps, au Royaume-Uni, qui arrive en tête des pays occidentaux en termes de performances économiques, avec un net recul du chômage – 400 000 emplois ont été créés – et un rebond significatif de la croissance – son taux est de 1,4 % cette année –, le Gouvernement envisage de repousser l’âge de départ à la retraite à 68 ans, puis à 69 ans à l’horizon 2040.
Un autre problème réside dans la tentative du Gouvernement de mettre la main sur les réserves des caisses des professions libérales par le biais de la nomination par l’État d’un directeur, au prétexte qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dénonce une gestion hasardeuse. Sachant que ces caisses dégagent un excédent de 15 milliards d’euros, j’aimerais que toutes les gestions soient aussi hasardeuses que celle-ci… Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ! J’observe que le rapport de l’IGAS a même mis en cause l’opportunité de certains placements de ces caisses de retraite. Or, jusqu’à présent, on constate des excédents.
Soulignons, enfin, un refus catégorique d'envisager la mise en place d’une retraite par points pour le régime de base – alors que les partenaires sociaux, patronaux et même syndicaux, pour certains, s'y sont montrés favorables –, afin d’ouvrir une perspective pour résoudre ce fameux problème de la prise en compte de la pénibilité.
Cette énumération incomplète le confirme : cette réforme n’est qu’un simple ajustement financier qui, pour le Gouvernement, consiste ici comme ailleurs à taxer davantage. Depuis plusieurs mois, on ne fait que cela : créer des impôts et des charges nouvelles, ce qui freine la compétitivité des entreprises et réduit le pouvoir d'achat.
Dressons maintenant la liste des conséquences de cet ajustement financier.
La première a déjà été soulignée : une augmentation de 0,3 % des cotisations des actifs en 2013, pour financer le retour à la retraite à 60 ans.
En outre, la fiscalisation des bonus accordés aux personnes ayant élevé trois enfants risque d’entraîner l’assujettissement à l’impôt sur le revenu d’un nombre important de retraités. Comme toujours, ce sont les classes moyennes qui, indirectement, seront pénalisées par ces ajustements financiers.
Par ailleurs, le déplafonnement des cotisations d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants, qui induira une hausse de celles-ci de 100 millions d’euros, viendra se superposer au déplafonnement des cotisations d’assurance maladie décidé l'année dernière pour cette même catégorie.
Mentionnons encore le financement de la majoration des retraites des exploitants agricoles par les agriculteurs eux-mêmes – et non par la solidarité nationale, alors que c'était une promesse de campagne du Président de la République – et le report de six mois de la révision des pensions de retraite, mesure qui, une fois de plus, touchera de plein fouet les classes moyennes.
Dans le même temps, le Gouvernement rejette l’amendement d’Isabelle Debré relatif au complément de revenu pour les bénéficiaires du minimum vieillesse, prétendant intervenir dans ce domaine par voie réglementaire, au mépris du travail et de la légitimité du Parlement…
J’ajoute que cette dernière mesure, qui avait été adoptée quasiment à l'unanimité par le Sénat, aurait pu profiter à des milliers de personnes ayant des revenus faibles si elle avait été mise en œuvre en temps utile, c'est-à-dire en janvier de cette année. Alors que tout était prêt pour leur donner satisfaction, on les laisse au bord de la route…
Enfin et surtout, je citerai la mise en place de l’usine à gaz du compte personnel de prévention de la pénibilité, dont le coût est estimé à 2,5 milliards d’euros en 2040 alors qu’elle n’est financée qu’à hauteur de 800 millions d’euros. On sait bien que la mise en œuvre de ce dispositif conduira les salariés concernés à privilégier un départ anticipé à la retraite, au détriment de la formation et de la prévention. Tous nos échanges avec les organisations d'employeurs nous indiquent qu’il en ira ainsi, les salariés ne faisant aucun cas des possibilités de formation et de prévention…
Le coût de la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité va rapidement se révéler insupportable pour les très petites entreprises, déjà prises à la gorge, et je crains que, au cours de l'année à venir, au rebours des propos lénifiants qui nous sont assénés à longueur de journée, nous n’assistions à une multitude de dépôts de bilan. En tout état de cause, les frais administratifs, sous forme d'honoraires de conseils en matière de gestion, entraveront davantage encore la compétitivité des entreprises.
Telles sont les principales critiques que notre groupe formule à l’égard de cette réformette, de ce simple ajustement financier, et dont découle la quinzaine d'amendements que nous avons redéposés.
Comment ne pas faire le parallèle entre ce texte d'ajustement financier et les grandes envolées d'un Premier ministre annonçant voilà peu une remise à plat de la fiscalité dont personne ne sait où elle commence ni, surtout, quand elle s'achèvera, sachant qu’il a lui-même déclaré qu'une telle réforme prendra au moins deux quinquennats ? (Mme Isabelle Debré s'esclaffe.)
Ce matin encore, j'ai entendu un membre éminent du Gouvernement dire que cette réforme n’est pas si urgente et que l’essentiel est de prendre de réelles mesures d’économies. Je ne puis qu’applaudir des deux mains à une telle déclaration, à condition qu’il s’agisse bien de tailler dans les dépenses, et non pas seulement de ralentir leur rythme de progression, comme c'est actuellement le cas : nous assistons pour l’heure à une mystification, et je ne pense pas que la remise à plat fiscale évoquée par le Premier ministre aille vraiment dans le sens d’une véritable diminution des dépenses…
En revanche, concernant les retraites, toutes les clés d’une réforme systémique étaient connues, entre les multiples rapports et études, les avis du Conseil d'orientation des retraites ou des partenaires sociaux, les travaux réalisés par la précédente majorité : il suffisait de puiser dans ce corpus pour élaborer une réforme de fond, qui réponde réellement aux besoins de notre pays en matière de retraites et soit de nature à rétablir un équilibre financier. Mais cela aurait été trop simple, et le Gouvernement ne l'a pas fait : il ne s'agit plus, en effet, d'affichage, mais de courage politique…
Pour conclure, cette méthode de gouvernement n’est pas la nôtre. Pour la seconde fois, nous voterons contre ce projet de loi, dont je doute qu’il soit adopté par la Haute Assemblée. Si les groupes politiques n’ont pas toujours les mêmes motivations de fond, ils se rejoignent au moins sur la forme : comme l'a dit notre collègue Jean Desessard tout à l'heure, ce n’est pas une façon de traiter le Sénat que de procéder ainsi. (Mme Isabelle Debré applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’étaient les quelques modifications marginales apportées par l’Assemblée nationale, le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis est identique à celui qui a été rejeté à l'unanimité par le Sénat le 5 novembre dernier, sans que le Gouvernement n’en tire aucune conclusion. Pourtant, un tel vote n’est pas anodin : l'unanimité contre un projet de loi, je n’avais jamais vu cela au Sénat !
Ce vote signifie que la présente réforme nous apparaît mal ficelée. Elle répond, certes, à un relatif consensus syndical, mais ce consensus ne se retrouve aucunement au sein de la représentation nationale, ici au Sénat. De cette réalité, vous faites fi ! Je trouve que c'est un grave manquement à la démocratie parlementaire…
M. Jacky Le Menn. Ben voyons !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Dans ces conditions, cette nouvelle lecture ne peut qu’apparaître comme un pur artifice. Pourtant, un autre scénario, me semble-t-il, était possible. Vous auriez pu écouter les propositions que nous vous avons faites et qui ne remettent aucunement en cause notre modèle social. Il n’y a pas eu, ici, d’opposition idéologique : nous avons voulu être constructifs.
Selon nous, vous le savez, la logique des réformes paramétriques assorties de clauses de revoyure a atteint ses limites. Seule une réforme systémique peut vraiment garantir l’avenir et la justice du système de retraites. D'ailleurs, contrairement à ce que vous venez de dire, madame la rapporteur, c'était votre position en 2010, comme en témoigne le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale que vous avez cosigné.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. C'est faux !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Une réforme systémique garantirait l’avenir du système de retraites parce que le remplacement de l’annuité par le point permettrait de faire converger tous les régimes vers un régime unique, ce qui rendrait le système enfin lisible et transparent et en faciliterait considérablement le pilotage.
Une réforme systémique garantirait aussi la justice, notre système de retraites étant aujourd’hui parfaitement inéquitable : ainsi, deux assurés peuvent avoir des carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, uniquement parce qu’ils n’ont pas le même statut !
La multiplicité de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et engendre des injustices qui ne sont plus acceptées. Seule une remise à plat transparente du système permettrait de différencier les situations des assurés sur la base de critères objectifs, par exemple pour uniformiser les avantages familiaux ou, surtout, pour prendre en compte la pénibilité. Il faut se souvenir que c’était au départ la raison d'être des régimes spéciaux, mais, depuis leur création, la pénibilité a considérablement évolué ; le système doit donc évoluer en conséquence, et mieux protéger ceux qui sont exposés à de réels facteurs de pénibilité. C’est ce que permettrait un régime unique.
Comment la transition pourrait-elle s'effectuer ? De la même manière que dans les pays où elle a déjà eu lieu, comme la Suède, l’Italie ou la Pologne. Elle serait bien sûr progressive, et prendrait au moins dix ans. Dans son septième rapport, en date du 27 janvier 2010, le COR a très bien étudié les scénarios de mise en œuvre d’une telle réforme. Elle devrait être précédée d’un véritable débat national. L’amendement que nous avons fait adopter lors de la première lecture et que nous représenterons aujourd’hui prévoit tout cela.
Une telle réforme systémique correspond aux attentes de nos concitoyens, qui, sondés en septembre dernier par l’institut Louis Harris, se déclarent à 73 % en faveur de cette convergence des régimes du secteur public, du secteur privé et des régimes spéciaux pour les fondre en un régime unique.
Cette idée fait son chemin puisque la majorité des syndicats y sont favorables, tout comme, dans cet hémicycle, des collègues du RDSE ou de l'UMP, et jusqu’à vous-même, madame la rapporteur, ainsi que je l'ai rappelé.
Mais le Gouvernement est hermétique à cette idée, de même qu’au débat public qui, en vertu de la réforme de 2010, devait être organisé au premier semestre de 2013. Il ne s’est jamais tenu, et le Gouvernement a même prétendu que le rapport Moreau en faisait office ! De qui se moque-t-on ? Nous ne pouvons que déplorer cette attitude de fermeture.
La présente réforme est totalement verrouillée : en témoigne ce qui s'est passé depuis le début de la navette à propos de l’article 4 du texte, qui prévoit de décaler de six mois la date de la revalorisation des pensions de retraite. À chacune des lectures devant l’une ou l’autre des assemblées, cet article a été supprimé ; à chacune des lectures devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement l’a rétabli, par le biais d’une seconde délibération assortie d’un vote bloqué !
C’est encore ce qui s’est produit à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, alors même que les députés de la majorité gouvernementale avaient déposé des amendements de compromis visant à exonérer de la mesure les pensions inférieures à 1 028 euros par mois… Le Gouvernement a tout refusé, au motif principal que l'ASPA – l'ancien minimum vieillesse – serait doublement revalorisée en 2014, alors que ses bénéficiaires ne sont pas concernés par l’article 4 ! Encore une fois, de qui se moque-t-on ?
En conclusion, puisque rien ne doit changer, notre vote ne changera pas non plus.
Mme Isabelle Debré. Le nôtre non plus !
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, donner à entendre, comme l’ont fait MM. Vanlerenberghe et Desessard, que ce texte est si mauvais que les socialistes eux-mêmes l’ont rejeté en première lecture, c’est grotesque.
M. Jean Desessard. Vous allez expliquer pourquoi, alors !
M. Michel Vergoz. Cela relève d’une mauvaise foi qui confine à la désinformation !
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas le genre de M. Desessard !
M. Jacky Le Menn. C’est de la désinformation !
M. Michel Vergoz. Si j’ai voté contre ce texte en première lecture, monsieur Desessard, c’est parce que vous l’aviez totalement dénaturé ! Il importait de replacer ce vote dans son contexte.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Michel Vergoz. Après une deuxième lecture constructive à l’Assemblée nationale, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites revient aujourd’hui devant le Sénat.
Je tiens à commencer mon propos en affirmant l’ambition qui doit tous nous animer aujourd’hui : celle de dépasser les postures, pour réellement faire évoluer notre système de retraites dans le bon sens.
Les riches débats qui se sont tenus dans les deux assemblées en première lecture ont montré l’intérêt que tous les parlementaires, dans leur diversité, ont porté à ce sujet. Cependant, il est temps, en cette deuxième lecture, que le Sénat soutienne clairement ce projet de loi et le gouvernement courageux qui le défend. En effet, ce dernier a su prendre en compte nos inquiétudes quant au niveau de vie des retraités les plus modestes, puisque Mme la ministre a présenté des propositions fortes à cet égard, qui ont été largement saluées.
À mon tour, je tiens à souligner les signaux positifs que représentent l’augmentation de 50 euros de l’aide à la complémentaire santé pour les bénéficiaires de plus de 60 ans et la double revalorisation du minimum vieillesse en 2014, ainsi qu’à encourager mes collègues à suivre les avancées engagées par divers groupes politiques à l’Assemblée nationale.
Le soutien du groupe socialiste, déjà acquis en première lecture, sera aujourd’hui réaffirmé, eu égard à l’urgence d’agir. Notre système actuel est à bout de souffle et de financements. Le manque d’efficacité de la réforme de 2010, censée assurer un équilibre de long terme, nous impose de légiférer à nouveau afin de ne pas faire porter à nos enfants et à nos petits-enfants le poids de l’indécision du passé.
C’est donc bien une réforme ambitieuse que nous soutenons aujourd’hui dans cet hémicycle, puisque, sans les efforts demandés à tous, le déficit structurel de notre système de retraites atteindrait 20 milliards d’euros en 2020.
Devant l’augmentation continuelle de l’espérance de vie, conjuguée aux effets du « papy boom », et dans un contexte de crise, le Gouvernement a établi un projet équilibré, qui requiert la participation de tous, actifs comme retraités, salariés comme entreprises, secteur privé comme secteur public.
Nous choisissons aujourd’hui de refuser l’immobilisme, en prenant des mesures d’urgence et en dessinant des solutions de long terme articulées notamment autour du pilotage, lesquelles permettront de sauver notre système fondé sur la solidarité.
Pour autant, tout comme Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, nous avons envie d’aller plus loin, en améliorant la situation de nos concitoyens les plus vulnérables. C’est en ce sens que ce projet de loi s’adresse aux femmes, aux handicapés et à leurs aidants familiaux, aux actifs aux carrières heurtées, au monde agricole, en leur accordant les droits dont ils étaient jusque-là privés. Il est de notre devoir de mettre fin à des situations d’injustice créées par notre modèle et de faire évoluer notre système selon les réalités sociales actuelles.
Ce nouveau souffle de justice s’illustre parfaitement par la reconnaissance et l’accompagnement de la pénibilité que permet ce texte et que refusaient de mettre en œuvre les précédents gouvernements. Le projet de loi démontre ainsi qu’il n’est pas impossible d’harmoniser prévention et réparation.
Ainsi, comme l’atteste ce dernier exemple, l’ambition de ce projet de loi est non pas d’opposer, mais bien de réactiver et de réaffirmer la solidarité entre tous, pour faire triompher notre modèle et assurer sa pérennité.
Réformer le système de retraites ne doit pas forcément se faire dans la douleur, comme ce fut le cas en 2010. Les sénateurs socialistes abordent donc cette nouvelle lecture avec l’espoir que le dialogue permettra au soutien apporté à ce texte de grandir, pour parvenir à garantir l’avenir et la justice de notre système de retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)