M. Pierre Hérisson. Bon voyage !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois vous dire que, à la lecture de la présente proposition de loi, ma première réaction a été la colère : colère de voir les principes fondateurs de notre République bafoués au nom d'un certain électoralisme.
J’en veux pour preuve le fait que M. Hérisson, considéré comme un expert sur la problématique des gens du voyage,…
M. Pierre Hérisson. Ça n’a pas changé !
M. Jean-Claude Carle. Il l'est toujours !
Mme Esther Benbassa. … avait remis en 2011 un rapport intitulé : « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », où il appelait à une « amélioration de la gouvernance de la politique publique en faveur des gens du voyage ».
M. Pierre Hérisson. Maintenant, nous sommes en décembre 2013 !
Mme Esther Benbassa. La proposition de loi qu’il vient de déposer, à la veille des élections municipales, porte un titre à la tonalité bien différente puisqu’il s’agit cette fois de « renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage ».
Comment expliquer ce revirement en l’espace de deux ans ? Comment le justifier, surtout, en ces temps où la lutte contre le racisme et la xénophobie est plus que jamais nécessaire, et alors que nos concitoyens gens du voyage sont encore et toujours stigmatisés, discriminés ? Que vient faire aujourd’hui cette proposition de loi, qui n’est pas pour arranger les choses ? C'est que, sans doute, les élections ont leurs raisons, que la raison ne connaît pas !
Le titre de cette proposition de loi pourrait certes suggérer que, en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage, toutes les parties prenantes, maires et gens du voyage, verraient leurs responsabilités renforcées. Mais ce serait une erreur : il est en effet seulement question ici de sanctions à l’encontre des gens du voyage.
M. Jean-Claude Carle. Mais non !
Mme Esther Benbassa. Sur les maires qui ne respectent pas leurs obligations, pas une ligne !
Pourtant, dans son rapport de 2011 (MM. Pierre Hérisson et Jean-Claude Carle s’exclament.), à la page 39, M. Hérisson préconisait de « poursuivre rapidement la création [d’emplacements] sur le territoire des EPCI pour atteindre l’objectif de 40 000 places » et de « faire appel aux fonds européens ».
Permettez-moi de vous rappeler que, depuis le vote de la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », les procédures d’expulsion des gens du voyage ont été considérablement facilitées et les sanctions prévues, alourdies à plusieurs reprises.
M. Jean-Claude Carle. Ça, c'est vous qui le dites !
Mme Esther Benbassa. L’arsenal juridique existe, les maires et représentants de l’État disposent de nombreuses prérogatives pour mettre fin aux occupations illicites. Mais la loi Besson prévoit, en contrepartie de ces prérogatives, l’obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de disposer d’une aire d’accueil, obligation qui est loin d’être remplie puisque la Cour des comptes, dans un rapport publié en octobre 2012, constate que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était, à la fin de 2010, que de 52 %.
Je défendrai de nombreux amendements, et d’abord un amendement visant à abroger la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, loi obsolète et indigne, source de stigmatisation et de discrimination à l’encontre de nos concitoyens gens du voyage.
C’est, du reste, ce que préconisait M. Hérisson lui-même, à la page 38 de son rapport de 2011, décidément mieux inspiré que la liste des sanctions figurant dans cette proposition de loi.
Croit-on qu’en période électorale il faudrait donner la priorité aux sanctions que les Français, pense-t-on, réclameraient à cor et à cri ? Ne nous étonnons pas de voir, à force d’instrumentalisation et de stigmatisation des minorités, une parole raciste et xénophobe se déployer sans complexe ! Ni de voir certains de nos concitoyens préférer aux partis démocratiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, un Front national finalement perçu comme à la fois plus actif et plus cohérent sur ce terrain du racisme et de la xénophobie.
D’autres amendements vous seront donc soumis, ayant pour objet d’inciter les communes à remplir leurs obligations en matière d’accueil des gens du voyage. Il me semble que, en ce domaine comme en tant d’autres, la réciprocité des obligations est une condition nécessaire au respect, par tous, du pacte républicain. Comment accepter que l’installation illicite soit punie de lourdes peines d’emprisonnement et d’amende, alors que l’on trouve encore aux abords de certaines communes des panneaux indiquant : « Interdit aux forains et aux gens du voyage » ?
Cette proposition de loi accentue la tendance à faire des gens du voyage, qui sont pourtant nos concitoyens, des étrangers sur leur propre sol. L’exclusion territoriale n’est que l’un des aspects de l’exclusion en général dont souffrent les « gens du voyage », une belle dénomination qui ne fait pas oublier que ces Français sont encore et toujours des Français de seconde zone. La France n’a même pas reconnu l'internement des gens du voyage dans des camps par le gouvernement de Vichy après la défaite ! N’oublions pas que 95 % des 6 000 personnes ainsi internées ont péri.
Notre République égalitaire peut-elle continuer à tolérer impunément l’existence en son sein de sous-citoyens ? Comme l'a rappelé Mme la ministre, et je l'en remercie, j’avais déposé, au nom du groupe écologiste, le 12 juin 2012, une proposition de loi qui répondait aux attentes des gens du voyage. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe écologiste ne saurait évidemment voter cette proposition de loi en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite commencer mon propos, non pas par un rappel au règlement, mais pour évoquer devant vous ce que je considère comme un dévoiement de la tradition sénatoriale.
En effet, nous nous retrouvons cet après-midi pour discuter de deux initiatives parlementaires proposées par le groupe UMP dans son espace réservé. Or, sur ces deux textes inscrits à l’ordre du jour, le Sénat ne débattra, dans les faits, d’aucun des deux.
S’agissant de la première initiative, dont je suis à l’origine conjointement avec mon collègue Pierre Hérisson, les délibérations de la commission des lois, la semaine dernière, ont modifié le fond et la forme du texte initial et ont abouti à la version qui nous est aujourd’hui soumise.
Comme le précisait le précédent président du Sénat le 24 mars 2009, lors d’une conférence des présidents, « à la lumière des nouvelles dispositions constitutionnelles, il nous faut revoir nos méthodes d’examen des propositions, afin de respecter effectivement la priorité constitutionnelle reconnue aux groupes bénéficiaires de cette journée réservée. » Il ajoutait : « En effet, on peut estimer que, même dans le cas où la commission est défavorable à une proposition de loi inscrite à cette journée mensuelle, cette proposition devrait être discutée par le Sénat en séance publique, article par article, quitte à être rejetée in fine ». Ces propos avaient alors fait l’objet, selon le compte rendu, d’un « assentiment » général.
Rappelons que la révision constitutionnelle a permis de consacrer les droits de l’opposition, comme le soulignait d’ailleurs notre ancienne collègue Nicole Borvo lors de la conférence des présidents du 19 mai 2010 : elle avait en effet critiqué l'adoption par la commission de la culture d'une motion de renvoi en commission d'une proposition de loi déposée par le groupe CRC au motif que « ce renvoi ne répond[ait] pas à une nécessité absolue et ne respect[ait] pas les droits de l’opposition ».
Je me permets ce rappel, car le président Sueur avait déjà alerté la Haute Assemblée de ce risque de dérive lors de la conférence des présidents du 16 novembre 2011, à l’occasion de laquelle il avait judicieusement rappelé le gentlemen’s agreement qui prévaut dans notre assemblée.
J’avoue donc que la posture de la commission que le président Sueur préside aujourd’hui me surprend, puisqu’il ne s'est pas opposé à la réécriture complète du texte que nous proposions de mettre en discussion devant le Sénat; ce qui contrevient, selon moi, aux dispositions de l’article 48 de la Constitution.
Je dirai, enfin, un mot du second texte que nous avions inscrit aujourd’hui dans notre espace réservé et qui est proposé par notre collègue M. Del Picchia. Alors que le rapporteur, Antoine Lefèvre, proposait de discuter du texte déposé, la commission des lois a adopté le principe d’une motion de renvoi en commission.
Je n’en dirai pas plus, mais, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je dénonce aujourd’hui, avec l’ensemble de mon groupe, l’attitude de la majorité consistant à bafouer les droits de l’opposition.
M. Antoine Lefèvre. Tout à fait !
M. Jean-Claude Carle. Je remercie d'ailleurs le président Bel d’avoir clairement rappelé hier en conférence des présidents qu’une telle attitude n’était pas acceptable.
Je le dis d’autant plus sereinement que vous avez déposé sur ce texte pas moins de 77 amendements, dont 27 avant l'article 1er, qui ont pour objet d’abroger un à un les articles de la loi de 1969.
C’est une méthode d’obstruction bien connue pour faire en sorte qu’un texte ne soit pas adopté. C'est de bonne guerre, mais je laisse nos compatriotes et les élus en juger !
M. Claude Dilain. Il suffira de voter le premier amendement !
M. Jean-Claude Carle. J’en viens au texte de notre proposition de loi.
Les gens du voyage ont choisi un mode de vie différent de la grande majorité de nos concitoyens. C’est leur droit, et nous devons le respecter. Toutefois, si la République leur reconnaît ce droit, elle est en droit, elle, de leur demander de respecter nos lois et, le cas échéant, de faire en sorte qu’ils les respectent.
Malheureusement, de récents faits montrent que certains d’entre eux ne les respectent pas, et nombreuses sont les situations qui constituent des troubles à l’ordre public : atteintes à l’hygiène, violations de propriété ou, plus grave, atteintes aux personnes et aux biens.
À ce propos, nombre d’élus, de petites communes notamment, nous ont fait part du sentiment d’abandon qu’ils éprouvent face à certaines communautés très bien organisées, qui connaissent parfaitement les limites de la loi et les moyens de les dépasser : elles savent pertinemment que, si elles envahissent illégalement un terrain, rien ne permet de les expulser avant une semaine. C’est ce qui s’est récemment produit dans les communes de Frangy, en Haute-Savoie, et de Verdun, dans la Meuse, où des élus ont été agressés dans l’exercice de leur mission. Ce n’est pas acceptable.
De tels faits nous interpellent. C’est pourquoi il devient urgent de compléter et de modifier le cadre juridique qui fixe les règles applicables en la matière.
Nous ne souhaitons en rien remettre en cause les dispositions relatives aux droits des gens du voyage. Je tiens à rappeler, comme l’a fait en particulier Pierre Hérisson, que la loi Besson du 31 mai 1990 a obligé les villes de plus de 5 000 habitants à prévoir des emplacements spécifiques pour les gens du voyage. Cette loi a été suivie par la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui a institué un schéma départemental visant à organiser l’implantation d’aires d’accueil sur les communes et les communautés d’agglomération.
Vous l’aurez compris, ce que nous proposons ne remet nullement en question ce dispositif. Nous rappelons même aux élus la nécessité de le mettre en œuvre s’ils veulent être en mesure de contester légitimement une installation illégale.
Si les lois que je viens d’évoquer ont permis d’instaurer des droits légitimes pour les gens du voyage, eu égard à leur mode de vie, nous devons néanmoins réfléchir aujourd’hui collectivement aux moyens de faire en sorte que la loi soit respectée au mieux et au plus vite, afin que les situations que j’ai décrites n’entravent pas l’action des élus locaux sur leur territoire.
Nous avons procédé de manière pragmatique, avec mon collègue Pierre Hérisson et tous les collègues qui l’ont souhaité, à la rédaction de ce texte, sans stigmatiser quiconque, sans discriminer personne. Nous avons surtout veillé à éviter les amalgames entre la question des gens du voyage, qui est du ressort de la loi de janvier 1969, et la question des Roms, qui est du ressort des politiques publiques nationales et internationales relatives à l’immigration. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point, qui est à mon sens fondamental pour éveiller l’esprit de nos concitoyens.
J’en profite pour saluer le travail accompli par Pierre Hérisson comme président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, qui mène depuis dix ans une action déterminée sur ces questions.
Avant d’entrer dans les détails, je souhaite préciser notre approche. Elle consiste à nous saisir très concrètement du problème lié à l’implantation illégale des gens du voyage sur des terrains privés ou publics qui n’ont pas cette vocation, en prévoyant deux types de dispositions : des dispositions de responsabilisation et des dispositions de sanction.
Je commencerai par les dispositions de responsabilisation. Si les élus doivent assumer leurs responsabilités, ce qu’ils font avec courage, il en va de même de l’État, madame la ministre. Il nous semble que ce dernier doit participer davantage à l’organisation des grands déplacements et accompagner les collectivités dans l’accueil des gens du voyage. Cela passe par une modification de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales afin que le représentant de l’État ait la charge du bon ordre des grands passages et des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels des gens du voyage.
Nous aimerions également que les communes soient mieux informées de l’arrivée de gens du voyage. Après tout, convenons-en, lorsqu’il s’agit d’occuper le territoire d’une collectivité publique, il paraît normal que l’installation se fasse dans un délai permettant à la collectivité d’organiser cette installation et de bénéficier d’un droit d’information sur les modalités d’occupation de son domaine. C’est dans l’intérêt de la commune et de ses habitants, qui connaîtront en toute transparence les conditions de résidence des nouveaux arrivants, mais aussi, il faut le dire, dans l’intérêt des gens du voyage, puisque les conséquences pratiques de leur installation auront été anticipées. Ce sont finalement les conditions de vie de tous qui seront ainsi améliorées.
Cette formalité est également de nature à favoriser la prise de conscience d’une responsabilité commune : elle permettra d’identifier les différents interlocuteurs, et ceux-ci pourront s’engager à faire en sorte que la cohabitation entre le groupe rassemblé sur un terrain dédié et la population de la commune se déroule dans les meilleures conditions. L’objectif est, bien sûr, d’impliquer tous les acteurs pour que la cohésion générale en sorte renforcée.
Je conclus ce point relatif à la responsabilisation en évoquant celle des gens du voyage, qui doivent naturellement respecter la loi sans qu’il soit toujours besoin de la leur rappeler. Comme j’aime à le faire remarquer, la liberté de circuler s’arrête où commence celle de nos concitoyens, qu’il s’agisse du respect du droit de propriété ou du respect des règles de salubrité et d’ordre public. Dans cet esprit, j’ai déposé un amendement tendant à ce que la personne responsable du rassemblement puisse répondre de tout acte de délinquance commis par un membre du rassemblement installé en infraction à la loi.
Pour autant, nul n’a le droit de se faire justice lui-même. C’est pourquoi il est nécessaire que nous fixions de justes sanctions aux atteintes à la loi : des sanctions applicables, donc appliquées, donc dissuasives.
Je pense avant tout aux sanctions pénales. Sur ce point, nous entendions modifier le code pénal afin de doubler les peines applicables en cas d’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à autrui en vue d’y établir une habitation.
J’ai pris note des arguments du rapporteur de la commission des lois, qui excipait de l’inapplication des textes actuels pour justifier la suppression de l’article 1er de la proposition de loi. Cependant, je ne crois pas qu’il faille répondre à un abandon par un abandon encore plus marqué. Je pense au contraire que, avec une attitude plus ferme, nous pourrions envoyer un message fort à ceux qui ne respectent pas les lois.
Nous persévérons donc dans notre logique consistant à doubler les sanctions prévues par le code pénal en cas d’installation illicite sur un terrain. C’est pourquoi notre groupe a déposé un amendement de réécriture de l’article 1er, que la commission a supprimé.
Je souhaiterais souligner mes convergences de vue avec le ministre de l’intérieur, qui a proclamé sa volonté de procéder plus systématiquement aux expulsions imposées par la loi. En Haute-Savoie, par exemple, on compte vingt expulsions depuis le début de l’année ; c’est plus que sur l’ensemble de la dernière décennie ! Je salue l’action responsable du préfet à cet égard. Malheureusement, ce résultat démontre également que la situation s’est aggravée et qu’il est nécessaire d’agir avec toujours plus de détermination.
Au-delà des sanctions pénales, qui consistent en une réparation de la situation illégale, il apparaît nécessaire de prendre un certain nombre de dispositions visant à rendre effectives les expulsions faisant suite à une mise en demeure. Dans cette optique, notre droit administratif ne doit pas favoriser ceux qui « jouent la montre » ou pratiquent la politique de la terre brulée. Dès lors, il semble indispensable de réformer le dispositif de mise en demeure, pour obliger les gens du voyage à quitter le terrain qu’ils occupent illégalement afin de faire respecter le droit de propriété, qui constitue, point n’est besoin de le rappeler, un droit garanti par la Constitution. Pour beaucoup de nos concitoyens, ce droit représente l’investissement d’une vie ; pour l’État, il délimite un espace qui ne saurait être occupé illégalement.
Toujours dans le but de compléter notre droit pour éviter qu’il ne soit détourné au profit de ceux qui souhaitent prolonger leur situation illégale, il nous paraît important de modifier les délais relatifs à la mise en demeure ou au recours contre cette mise en demeure. Convenons-en, le délai de bonne administration ne doit pas être un délai d’impunité, que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à percevoir comme le signe de l’impuissance publique:
Concernant l’application de la mise en demeure, nous proposons que le délai soit raccourci à six heures en cas de réitération d’une occupation illégale d’un terrain dans la même commune ou dans une commune du même département. Concernant la contestation de la mise en demeure, je suis persuadé que l’on peut agir vite et que l’on sera d’autant plus efficace que l’on agira plus vite. C’est pourquoi nous avions prévu, dans le texte initial, de raccourcir le délai de soixante-douze à vingt-quatre heures. Néanmoins, nous pourrions trouver un consensus sur le délai de quarante-huit heures proposé par la commission des lois.
Mes chers collègues, tous nos concitoyens sont égaux, quel que soit le mode de vie qu’ils adoptent. Chacun doit être traité avec une égale considération par la République. C’est vrai s’agissant des droits ; cela doit l’être aussi s’agissant des devoirs.
Il est trop facile de faire des leçons de morale, d’accueil et de tolérance à la tribune pour ensuite demander au ministre voire au préfet de se montrer ferme sur le terrain quand on est contraint d’agir face à des comportements particulièrement inadmissibles qui contreviennent à nos lois et heurtent nos concitoyens.
Notre collègue Jacques Mézard l’a excellemment rappelé en commission : « La loi de la République doit être respectée par tous, communes et gens du voyage. Quand ceux-ci s’installent n’importe où, sauf sur l’aire aménagée à cet effet, et que le représentant de l’État ne bouge pas, que faire ? Le personnel communal » – quand ce ne sont pas les élus eux-mêmes – « est souvent injurié, parfois agressé, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Tout le monde doit respecter la loi de la République. Sans envoyer un message négatif aux gens du voyage, il convient de le leur en faire prendre conscience. »
Cette proposition de loi assume son objectif : assurer avec équilibre la concorde et la fraternité, pas seulement par des mots ou des discours moralisateurs, mais par des actes. C’est pourquoi, mes chers collègues, il est important qu’elle soit adoptée et qu’elle reste, sur le fond, conforme à l’esprit qui était le nôtre au moment de son dépôt sur le bureau du Sénat.
Il est vrai, madame la ministre, que cette proposition de loi n’est pas parfaite ; nous en sommes pleinement conscients. Cependant, elle répond à la situation actuelle, qui n’est plus celle de 1990 : les flux sont beaucoup plus importants.
Le Savoyard que je suis pense qu’il est préférable, pour avancer, de mettre un pied devant l’autre plutôt que de rester dans l’immobilisme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit cet après-midi constitue indiscutablement une préoccupation pour nombre d’élus locaux. Le Sénat étant l’assemblée des territoires, il est normal que nous en débattions.
J’ai bien écouté les propos du rapporteur, du rapporteur pour avis, de Mme la ministre et des différents intervenants. Je ne dirai pas, contrairement à Mme la ministre, que la loi Besson est en grande partie restée lettre morte, mais je suis tout à fait prêt à admettre que cette loi n’a pas réglé le problème. Du reste, l’eût-elle réglé que nous ne serions pas réunis aujourd'hui pour l’évoquer !
Je partage l’idée selon laquelle nous devons rédiger un texte équilibré, et il est sans doute vrai que la proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson ne parvient pas à trouver l’équilibre entre, d'un côté, les droits et devoirs des gens du voyage et, de l’autre, les droits et devoirs des collectivités locales et des élus locaux, que nous représentons dans cet hémicycle.
Si beaucoup d’élus locaux sont confrontés au problème, il n’en demeure pas moins que ceux des communes très urbanisées ont bien moins de soucis à cet égard que ceux des communes peu urbanisées. Il faut tenir compte de cette différence.
S’agissant d'abord des devoirs des collectivités locales, le premier d’entre eux est de respecter la loi en aménageant des aires d’accueil. Aujourd'hui, environ deux tiers des aires d’accueil et un tiers des aires de grand passage prévues par les schémas départementaux ont été réalisées. Le pouvoir de substitution accordé au préfet par la loi n’a presque jamais été utilisé ; c’est un problème.
La commune dont je suis maire, Massy, dans l’Essonne, a atteint les objectifs de son schéma départemental. Elle les a même dépassés : je devais aménager une aire de moyen passage de 50 places et j’ai installé, en plus, une quarantaine d’emplacements familiaux. Je considérais en effet qu’il me fallait résoudre l’ensemble des problèmes qui se posaient dans ma commune. Or l’aménagement d’une aire de moyen passage n’aurait pas suffi à répondre aux sollicitations que je recevais quasiment chaque semaine.
Les subventions ont couvert à 80 % les coûts d’investissement pour cette aire d’accueil. En revanche, les coûts de fonctionnement – beaucoup plus élevés – restent entièrement à la charge de la commune.
J’aurais aimé que l’initiative qui a été prise à Massy le soit aussi dans beaucoup d’autres communes, notamment d’Île-de-France. Deux de mes voisins sont aujourd’hui membres Gouvernement : l’ancien maire d’Évry, Manuel Valls, est ministre de l’intérieur, et l’ancien maire de Palaiseau, François Lamy, est ministre de la ville. Or je constate que, au sein des communautés d’agglomération qu’ils ont présidées, le taux de réalisation d’aires d’accueil des gens du voyage n’est que de 25 % et que, dans les villes dont ils étaient maires, ce taux tombe à 0 % !
Je souhaiterais qu’en la matière tous les élus soient mobilisés pour appliquer la loi et, donc, réaliser ces aires d’accueil. Cela faciliterait la tâche de beaucoup de nos collègues, partout en France.
J’en viens aux droits et devoirs des gens du voyage.
Vous avez évoqué la question de l’éducation, madame la ministre. Je précise qu’à Massy nous avons toujours accueilli les enfants des gens du voyage dans les écoles de la ville, sans aucun souci. Mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.
L’objet de cette discussion est de faire en sorte que, d’abord, les gens du voyage s’installent, en priorité, sur les aires d’accueil prévues à cet effet – ce n’est pas toujours le cas – et que, ensuite, ils respectent ces aires d’accueil. En effet, les dégradations sont très importantes. Le coût annuel, en dépenses de fonctionnement pour l’aire d’accueil de Massy est de 200 000 à 250 000 euros. Pour une ville comme la mienne, ce n’est pas une dépense mineure ! Cette somme englobe notamment les dépenses effectuées pour remédier aux dégradations et conserver, comme je le souhaite, une aire d’accueil en bon état. Elle tient également compte des impayés de loyer qui, malgré un loyer que nous avons fixé à un niveau particulièrement bas, sont très importants.
Le groupe UDI-UC est plutôt favorable à un renforcement des sanctions à l’encontre des gens du voyage qui ne respecteraient pas les aires de stationnement, même si nous préférerions un texte plus équilibré.
Cependant, nous estimons que ce texte est nécessaire pour montrer aux gens du voyage qu’ils doivent aussi respecter la loi.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Vincent Delahaye. J’ai cherché dans vos propos, madame le ministre, la stratégie du Gouvernement. Je ne l’ai pas nettement perçue, je vous l’avoue.
La proposition de loi déposée par le député Dominique Raimbourg a été évoquée. Je n’en ai pas eu connaissance. Toutefois, il me paraît préférable que le Gouvernement ne s’appuie pas uniquement sur une proposition de loi. Certes, je ne suis sénateur que depuis deux ans, mais je dois dire que, en deux ans, je n’ai pas vu beaucoup de propositions de loi aboutir. Des propositions sont débattues, mais elles n’apparaissent pas comme le moyen le plus efficace pour avancer sur telle ou telle question.
M. Yvon Collin. Ce n’est pas la voie royale !
M. Vincent Delahaye. C’est pourquoi un projet de loi sur le sujet dont il est aujourd'hui question m’aurait paru largement préférable.
Ainsi, madame la ministre, le Gouvernement serait-il prêt à déposer un projet de loi équilibré tendant à compléter la loi Besson, de manière à résoudre de façon plus efficace la question des stationnements illicites de gens du voyage qui perturbent la vie de nombreuses collectivités ?
Le Gouvernement montrerait ainsi sa volonté de se pencher véritablement sur ce problème. Compte tenu des contraintes de calendrier, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je crains qu’une proposition de loi ne puisse pas aboutir avant longtemps.
Je souhaite donc que le Gouvernement s’engage dès aujourd'hui à déposer un projet de loi – et sans qu’il y applique la procédure accélérée, comme c’est trop souvent le cas –, en indiquant des dates précises de dépôt : nous pourrions ainsi répondre de manière efficace aux nombreux élus locaux auxquels ce problème cause de graves soucis. (MM. Yvon Collin et François Fortassin applaudissent.)
(M. Jean-Claude Carle remplace M. Jean-Pierre Raffarin au fauteuil de la présidence.)