M. Jean-Claude Frécon, rapporteur. C'est pourquoi les auteurs de la présente proposition de loi notent que « les communautés de communes peuvent être amenées à rechercher des participations financières de leurs communes membres, destinataires des aménagements, afin de ne pas faire peser tout l’effort financier des travaux sur l’ensemble des usagers du territoire intercommunal ».
Tel est le sens de leur démarche. J’ai le regret de dire qu’elle se heurte cependant à deux obstacles juridiques.
Tout d’abord, en application du principe d’exclusivité des EPCI – vous avez, monsieur Dubois, repris ce terme d’exclusivité que j’avais utilisé en commission des finances –, une commune qui a transféré une compétence à un EPCI – et toutes les communes sur le territoire intercommunal doivent transférer en même temps cette compétence – ne peut plus intervenir dans le cadre de cette compétence qu’elle n’a plus. En conséquence, son budget ne peut plus comporter ni dépenses ni recettes relatives à l’exercice de la compétence transférée.
Si, d’aventure, cela s’est fait – et on sait que le cas s’est produit dans plusieurs communes –, le service du contrôle de légalité de la préfecture ou de la sous-préfecture renvoie la délibération en disant : « Cela n’est pas possible, vous ne pouvez pas délibérer sur ce sujet puisque vous n’en avez plus la compétence ».
Par ailleurs, second obstacle juridique, les budgets des SPIC doivent être équilibrés en recettes et en dépenses, comme tous nos budgets, mais ils doivent être financés par les usagers et non par les contribuables, ce qui s’oppose à ce que le budget général d’une commune vienne abonder le budget annexe d’un SPIC.
Tels sont les deux principes juridiques essentiels qui s’appliquent, mais le droit actuel prévoit tout de même quelques exceptions. L’auteur de la proposition de loi a, sur ce point, développé des arguments auxquels je regrette de ne pouvoir souscrire.
Une première exception concerne le versement de fonds de concours entre communes et EPCI, qui a été rendu possible en 1999, dès la première loi sur la coopération intercommunale, et assoupli en 2004. Le versement de fonds de concours est ainsi autorisé lorsqu’il s’agit « de financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement », après accord concordant des instances concernées. La seule limitation est que le fonds de concours ne peut financer au maximum que 50 % du montant du projet à réaliser, hors subventions.
Une deuxième exception concerne la possibilité de subventionner un service d’assainissement. Ouverte en 1988, avant même la création des communautés de communes, cette possibilité a été assouplie en 2005. Ainsi, il est notamment possible de subventionner un service si la réalisation de l’investissement projeté provoquait une « hausse excessive des tarifs ».
Cette dérogation s’applique à toutes les communes sans limitation de taille, mais elle visait en particulier les petites communes. En effet, une petite commune non pourvue en service d’assainissement ou dont le service de distribution d’eau potable est insuffisant serait obligée, pour équilibrer son budget, de fixer, pour l’assainissement ou pour l’eau potable, des tarifs très élevés afin de financer la réalisation d’équipements de cette importance.
De même, troisième dérogation, les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI ne comportant aucune commune de plus de 3 000 habitants peuvent prendre en charge, dans leur budget général, des dépenses de service de distribution d’eau et d’assainissement, pour la raison que je viens de citer. Dans les communes rurales, notamment, où le nombre d’usagers est faible, il faudrait augmenter les participations dans des proportions très importantes pour équilibrer les budgets.
Cette dérogation a été acceptée en 2005 mais, j’y insiste, elle a été adoptée pour les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI ne comportant aucune commune de plus de 3 000 habitants.
Monsieur Dubois, vous le voyez, le législateur s’est bien soucié des territoires ruraux !
Mais pourquoi avoir retenu le seuil de 3 000 habitants ? Si vous reprenez les débats de l’époque – en séance publique, mais aussi en commission –, vous constaterez que la décision a été prise après quelques hésitations. Entre les seuils, habituels, de 3 500 et de 2 500 habitants, le législateur s’est finalement décidé pour le seuil intermédiaire de 3 000 habitants.
Comme vous l’avez fort bien remarqué, les communes de plus de 3 000 habitants ne sont pas majoritaires dans notre pays – ce n’est pas seulement le cas dans le département de la Somme – puisque, sur 36 700 communes, plus de 33 000 comptent moins de 3 000 habitants, ce qui représente 90 % des communes – la proportion est peut-être plus importante dans votre département, puisque vous avez fait état de 97 %.
À tout le moins, puisque 90 % des communes sont concernées, on ne peut pas dire que le législateur n’a pas pris en compte le problème de la ruralité.
La proposition de loi qui nous est soumise – je m’en tiens pour l’instant au texte initial, nous aborderons plus tard l’amendement déposé par M. Dubois –, prévoit d’aller plus loin dans cette démarche en prévoyant une dérogation générale.
Dès lors qu’il s’agira d’un service public de l’assainissement, les communes pourraient verser à un EPCI, et vice-versa, des fonds de concours, sans être tenues ni par la taille des communes, ni par les effets sur les tarifs, ni par un délai courant à la date de création de l’EPCI. C’est la fin de toutes les dérogations prévues dans les textes de 1988, 1999, 2004 et 2005. On raye tout et on institue une dérogation générale !
Naturellement, les règles régissant ces fonds de concours seraient également assouplies puisqu’il serait possible de couvrir à la fois des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement liées à un équipement – c’est le texte initial et nous verrons que l’amendement proposé prévoit une modification –, mais également, le cas échéant, les déséquilibres structurels des services, et ce en opposition complète avec les règles régissant les SPIC selon lesquelles ceux-ci doivent être financés par la participation des usagers et non par la fiscalité.
La commission des finances a donc considéré que cette dérogation générale était excessive et que les exceptions actuelles étaient suffisantes.
Le dernier point que nous avons noté, car nous avons tenté de cerner tous les problèmes susceptibles de se poser, mes chers collègues, concerne l’intercommunalité en général.
Que font des communes avant de se regrouper en intercommunalités ? Que font-elles avant de prendre une compétence supplémentaire par rapport à celles qu’elles assumaient auparavant ? Elles en discutent, et chacun pèse les avantages et les inconvénients des différentes possibilités, tant il est vrai qu’aucune solution n’est parfaite. L’important est de ne pas découvrir ces inconvénients a posteriori.
Au moment de faire le choix de l’intercommunalité, on y réfléchit, on en mesure les conséquences et on ne le valide que si les conséquences positives l’emportent sur les conséquences négatives. C’est ce que nous avons tous fait dans nos intercommunalités.
N’allons pas encourager, par une dérogation générale, des transferts de compétences qui n’auraient pas été précédés de cette nécessaire évaluation des conséquences.
Notre collègue Daniel Dubois m’a signalé un cas particulier que je n’avais pas envisagé. Il est possible que, ces trois dernières années, quelques exceptions se soient produites lors de la définition des nouveaux schémas de coopération intercommunale.
Certaines communautés ont pu, en vertu de la législation applicable alors, être fortement incitées à se regrouper au sein d’une plus grande intercommunalité. Vous avez indiqué, mon cher collègue, que, dans le département de la Somme, l’autorité préfectorale avait encouragé les communautés de communes à prendre la compétence « assainissement ». Je vous laisse la responsabilité de vos propos. Pour ma part, j’estime qu’il ne faut pas pour autant modifier la loi et instituer une dérogation générale qui mettrait à mal le principe essentiel de l’intercommunalité.
Car qu’est-ce que l’intercommunalité, sinon le fait de s’associer pour exercer mieux ensemble une compétence, et non faire marche arrière quand bon vous semble ?
Et faut-il rappeler que les services sont financés par un tarif, le reste par la fiscalité ?
La commission a donc considéré que les difficultés dont il a été fait état devaient être traitées dans le cadre de l’intercommunalité, quoi qu’il ait pu se produire depuis trois ans. Prévoir une dérogation générale pour permettre à une commune de financer les dépenses d’assainissement sur son territoire, alors même que cette compétence a été transférée à l’EPCI, revient à nier l’existence même de l’intercommunalité.
C’est pourquoi la commission vous invite, mes chers collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation, qui, comme vous avez pu le constater, a été tenue de quitter cet hémicycle pour rejoindre celui de l’Assemblée nationale afin de représenter le Gouvernement pour l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
En inscrivant la présente proposition de loi à l’ordre du jour qui leur est réservé, les sénateurs du groupe UDI-UC ont choisi d’aborder la question des difficultés réelles rencontrées par certaines collectivités territoriales ou groupements de collectivités pour financer le service public d’assainissement.
Conscient de l’importance de cette problématique, le Gouvernement fait sien le constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’évaluation globale de la politique de l’eau qu’il a menée en 2013, laquelle a abouti à l’organisation de la Conférence environnementale.
Conformément à la feuille de route issue de ces travaux, le Gouvernement réfléchit à des modalités de financement qui garantiraient la durabilité de la politique de l’eau, et, plus globalement, à la rationalisation des 35 000 services publics d’eau et d’assainissement en France, dont la taille devrait être suffisante pour tenir une gestion financière pérenne et supporter, sans avoir recours aux mécanismes des fonds de concours, de telles dépenses de fonctionnement et d’investissement sur des bassins de vie.
Les structures chargées de la gestion d’un service public d’eau et d’assainissement doivent assumer d’importants investissements pour la mise en conformité de leurs ouvrages aux textes européens, tout en assurant le renouvellement conjoncturel des réseaux.
Les collectivités doivent aujourd’hui faire face à une conjonction de plusieurs facteurs qui soulèvent la question de la soutenabilité financière des services d’assainissement.
En premier lieu, je rappellerai la mise en œuvre de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, qui a mis en exergue la problématique de la différence de niveaux d’équipement entre les membres d’une même structure.
Avec plus de 31 000 services publics d’eau et d’assainissement, la gestion de cette compétence reste particulièrement morcelée et hétérogène. Cette organisation enchevêtrée de services communaux, intercommunaux et de syndicats techniques, parfois très anciens, ne coïncide souvent ni avec les bassins de vie ni avec les bassins et sous-bassins versants.
L’achèvement de la carte intercommunale a certes conduit à la diminution relative du nombre de structures exerçant les compétences en matière d’eau et d’assainissement, mais a également révélé les fortes disparités au sein d’une même structure. Les usagers des communes sous-équipées sont alors en droit de demander l’homogénéisation du niveau d’équipement, ce qui est souvent source de tensions. Comme les habitants des communes ou structures équipées ont déjà consenti un effort financier se traduisant par une augmentation de la redevance, ils sont rarement enclins à concourir à l’amélioration du service dans les autres communes. Cette participation revêt pourtant un caractère essentiel au maintien d’une dynamique intercommunale.
En second lieu, les collectivités sont tenues de mettre en œuvre de nouvelles normes sanitaires et environnementales sur les réseaux, ce qui renchérit le coût du service public. Je pense notamment à la maîtrise des impacts des rejets urbains pour atteindre l’objectif de bon état des eaux, comme l’exige la directive-cadre sur l’eau.
À cela vient s’ajouter une baisse tendancielle de la consommation en eau qui induit une diminution corrélative des recettes, les redevances d’eau et d’assainissement, distinctes, étant calculées sur la base du volume d’eau réellement consommé.
Comme on le souligne dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les petites communes en zone rurale, disposant de capacités financières limitées, sont souvent dans une situation bien plus délicate que les autres, du fait, notamment, d’une faible densité de population qui accroît le coût moyen par habitant du service public d’assainissement.
Il est alors surprenant que la proposition de loi tende à la création d’un dispositif qui, loin d’être réservé aux seules communes rurales, serait applicable à l’ensemble des collectivités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous examinez aujourd’hui tend à déroger très largement aux principes qui encadrent le financement du service public de l’assainissement.
Concernant le fonctionnement de l’intercommunalité, le principe d’exclusivité interdit à toute commune membre d’un établissement public intercommunal d’intervenir dans le cadre d’une compétence transférée à cet EPCI en vertu de la loi ou de la décision des communes membres, conformément à l’arrêt Commune de Saint-Vallier, rendu en 1970 par le Conseil d’État. Par conséquent, le budget des communes membres ne peut plus comporter de dépenses ou de recettes relatives à l’exercice de compétences transférées.
Aux termes de l’article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales, le financement du service public d’assainissement se fait en application du principe selon lequel « l’eau paie l’eau », c’est-à-dire celui de l’équilibre budgétaire des services publics industriels et commerciaux, sur lequel repose l’ensemble de la politique française de l’eau.
En d’autres termes, l’assainissement ne peut être financé que par la redevance des usagers, et non par l’impôt des contribuables.
Le strict respect de ces deux principes interdit qu’une commune membre finance un service public industriel et commercial relevant d’une compétence transférée à l’échelon intercommunal.
En ce qui concerne le versement de fonds de concours entre communes et EPCI, l’article 186 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales l’autorise sous certaines conditions, liées notamment à la part du financement assuré par le bénéficiaire, pour financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement.
Jugées trop restrictives, les notions « d’équipement d’intérêt commun », puis « d’équipements dont l’utilité dépasse manifestement l’intérêt communal », respectivement introduites par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale puis par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, ont été supprimées, garantissant ainsi une large application de la dérogation codifiée au sein du CGCT dans les dispositions applicables aux communautés urbaines, aux communautés d’agglomération et aux communautés de communes.
Afin de garantir le développement et la viabilité de certains services publics, le législateur a également écarté l’interdiction faite aux communes de prendre en charge dans leurs budgets propres des dépenses au titre des SPIC, et ce dans de nombreux cas.
Cette interdiction est notamment écartée si les exigences du service public conduisent la collectivité à imposer des contraintes particulières de fonctionnement, si le fonctionnement du service public exige la réalisation d’investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d’usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs, et, enfin, si la suppression de toute prise en charge par le budget de la commune risque d’avoir pour conséquence une hausse excessive des tarifs.
Surtout, cette interdiction est purement et simplement écartée dans plusieurs cas, pour les services de distribution d’eau et d’assainissement dans les communes de moins de 3 000 habitants et dans les établissements publics de coopération intercommunale dont aucune commune membre n’a plus de 3 000 habitants. Cette exception concerne à elle seule – j’espère que nous n’allons pas nous lancer dans un débat statistique ! – 89 % des services d’eau et 19 % de la population française alimentée.
L’interdiction est également écartée pour les services publics d’assainissement non collectif, lors de leur création et pour une durée limitée au maximum aux cinq premiers exercices, ainsi que pour les services publics d’élimination des déchets ménagers et assimilés, lors de l’institution de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères et pour une durée limitée au maximum aux quatre premiers exercices.
Ces nombreuses dérogations semblent largement suffisantes puisqu’elles permettent à la fois de tenir compte de la spécificité des collectivités rurales, d’assurer la création des nouveaux services publics que constituent les services publics d’assainissement non collectif, les SPANC, pendant une durée de cinq ans et de tenir compte du financement d’équipements d’envergure.
Dans ces conditions, monsieur Dubois, même si je ne remets pas en cause la réalité des situations que vous avez évoquées, j’estime que le droit positif donne les outils nécessaires aux collectivités sans qu’il faille risquer de porter atteinte aux principes encadrant l’intercommunalité et le financement des SPIC, contrairement aux dispositions du texte que vous nous proposez aujourd’hui.
De surcroît, des mécanismes d’aides permettent déjà d’apporter un soutien aux collectivités afin d’assurer le financement du service public d’eau et d’assainissement. Il s’agit notamment des mécanismes de financements dérogatoires, comme le vote en excédent de la partie « investissement » du budget, et des prêts sur fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations – 20 milliards d’euros sur cinq ans sont ainsi prévus à cet effet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi vise à élargir les possibilités de versement de fonds de concours afin de financer « les dépenses au titre du service public de l’assainissement », ce qui comprend à la fois la réalisation et le fonctionnement d’un équipement, mais aussi les déséquilibres structurels de service.
Cette nouvelle notion, à portée générale, permettrait aux communes et EPCI de verser des fonds de concours pour financer le service public d’assainissement sans condition. Je parle ici du texte dans sa rédaction initiale, mais nous débattrons en son heure de l’amendement qui a été déposé.
Une telle remise en cause des principes de spécialité et d’exclusivité des EPCI revient, en permettant à une commune de financer sur son territoire une compétence pourtant transférée à l’intercommunalité, à remettre en cause la dynamique intercommunale à laquelle le Gouvernement reste profondément attaché.
C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, comme l’avait déjà fait la commission des finances, à rejeter cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’assainissement fait partie des services publics essentiels (M. Yvon Collin approuve.) puisqu’il répond à des enjeux majeurs de santé publique et de préservation des milieux naturels. Il a la particularité d’être un service public local, avec pour conséquence une possible mise en jeu de la responsabilité des collectivités locales.
Avec l’enlèvement des ordures ménagères ou la distribution de l’eau potable, les communes et leurs groupements ont pu prendre en charge, notamment dès la fin du XIXe siècle, certaines activités à vocation économique dans un but d’intérêt général, grâce aux entorses progressivement autorisées à la liberté du commerce et de l’industrie.
Il aura fallu environ un siècle pour doter notre pays de réseaux d’assainissement.
Aujourd'hui, face aux enjeux qualitatifs croissants de la ressource en eau, une mise aux normes s’impose pour parvenir au respect de la directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000, qui prévoit que les États membres devront atteindre l’objectif d’un bon état général des deux tiers de leurs masses d’eau en 2015.
Pour atteindre cet objectif, des efforts dans l’amélioration de la qualité de l’eau à la source doivent être entrepris, car la mise aux normes des stations d’épuration, le renouvellement des réseaux d’assainissement et la mise en œuvre des réseaux séparatifs sont coûteux.
La France accuse un retard en la matière, alors que les dépenses liées à l’eau potable et à l’assainissement atteignaient 26 milliards d’euros en 2010, soit une augmentation de 25 % depuis 2000, d’après une étude du Centre d’analyse stratégique publiée en avril dernier.
Pour les communes rurales, cet effort sera d’autant plus insoutenable que l’habitat est dispersé et que 5 millions d’habitations disposent de systèmes d’assainissement non collectifs – les fosses septiques –, pour lesquels les contrôles ne sont pas toujours effectués et, surtout, dont la mise aux normes représente parfois pour les propriétaires des coûts insupportables – de l’ordre de 5 000 ou 6 000 euros jusqu’à, parfois, 10 000 euros !
Cette situation crée une rupture d’égalité des usagers devant le prix de l’eau, alors que le prix par mètre cube demeure plus élevé pour les communes rurales.
L’intercommunalité est une chance pour ces collectivités, car elle facilite la gestion des services, leur maîtrise technique et la réalisation d’économies d’échelle. Elle est le reflet d’une solidarité que les communes ont exprimée par le partage d’un certain nombre de compétences. Elle est avant tout bienvenue dans le domaine de l’eau, qui souffre d’une gouvernance excessivement complexe.
Cela étant, certaines communes, qui n’avaient pas pu investir suffisamment dans leur réseau d’assainissement avant le transfert de compétences à l’intercommunalité, peuvent se heurter au principe d’exclusivité, en vertu duquel elles ne peuvent plus intervenir dans les domaines transférés.
Afin de lever cet obstacle, nos collègues de l’UDI-UC souhaitent autoriser le versement de fonds de concours entre communes membres et EPCI pour financer les dépenses liées au service public de l’assainissement. Un amendement de précision de l’auteur de la proposition de loi – l’unique amendement déposé sur le texte – tend à limiter cette mesure aux seules dépenses d’investissement.
Pourtant, le code général des collectivités territoriales prévoit déjà que des fonds de concours peuvent être versés afin de financer la réalisation – et donc l’investissement – ou le fonctionnement d’un équipement, ce qui devrait réduire la nécessité de légiférer.
En vertu des dispositions du CGCT, le montant des fonds de concours pouvant être versés est plafonné à la moitié du financement requis. Ce garde-fou nous semble nécessaire pour préserver les principes mêmes de l’intercommunalité.
Un autre garde-fou, encadrant l’intervention économique des collectivités territoriales, réside dans le principe de l’autonomie financière des services publics industriels et commerciaux, ce qui suppose un financement au moyen de redevances payées par les usagers. Le service de l’assainissement relevant de la catégorie juridique des SPIC par détermination de la loi, son budget doit être équilibré en dépenses et en recettes ; les maires ici présents le savent bien.
Comme l’a souligné Jean-Claude Frécon, ce principe connaît des exceptions, qui suffisent pour tenir compte de la situation en zone rurale. En effet, il ne s’applique pas aux communes de moins de 3 000 habitants ou aux EPCI dont aucune commune membre ne compte plus de 3 000 habitants. Surtout, une dérogation est prévue pour toutes les communes et tous les EPCI lorsque le fonctionnement du service public exige la réalisation d’investissements qui auraient pour conséquence une augmentation excessive des tarifs, comme la réalisation d’une station d’épuration.
Dans ces conditions, je le répète, nous nous interrogeons sur la pertinence qu’il y a aujourd’hui à légiférer dans le sens proposé par les auteurs de la proposition de loi.
En dépit des aspirations légitimes exprimées par ces derniers, il convient, autant que possible, de préserver toute la portée du principe de bonne gestion que je viens d’évoquer, lequel constitue un gage de transparence.
Peut-être les dérogations prévues ne couvrent-elles pas toutes les situations possibles. Il aurait alors été certainement utile d’identifier le nombre de communes éventuellement concernées.
Au demeurant, nous considérons que les blocages trouvent leur source moins dans la situation décrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi que dans le manque de financements de la politique de l’eau pour des investissements lourds et de longue durée. Autrement dit, le blocage n’est pas tant juridique que financier : avec le recul des recettes, les redevances ne suffiront pas pour satisfaire aux objectifs de qualité de la ressource.
Convaincu qu’il est indispensable d’adopter une approche plus globale de la politique de l’eau et très réservé sur le bien-fondé du présent texte, notre groupe ne pourra, en l’état, lui apporter son soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’assainissement représente un enjeu pour les collectivités territoriales comme pour l’environnement.
À cet égard, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a affirmé sa volonté d’améliorer le service public de l’eau et de l’assainissement en France. Notre souci constant de la protection de l’environnement nous amène bien évidemment à nous associer à cette démarche.
L’assainissement répond à des problématiques écologiques de taille, telles que la dépollution des eaux usées, la protection des nappes phréatiques, particulièrement dans des régions très urbanisées, comme l’agglomération parisienne.
C’est également un enjeu de santé publique.
Par ailleurs, les agences de l’eau, trop souvent négligées, sont des acteurs clés du processus d’assainissement, qui soutiennent les communes par leurs subventions. Nous regrettons qu’elles n’aient souvent pas les moyens de leurs actions et que leurs subventions aux services publics d’assainissement soient en baisse. En effet, le service public d’assainissement et les services publics en général permettent de définir un avenir collectif, au cœur des collectivités locales, avec pour objectif la réduction de la fracture territoriale et sociale.
La proposition de loi qui est soumise à notre examen vise à autoriser certaines communes bénéficiaires de projets d’assainissement à cofinancer ces aménagements par voie de fonds de concours à destination de l’intercommunalité, y compris dans les cas où cette compétence a été transférée à l’EPCI. De fait, les écologistes considèrent qu’elle met à mal le principe de la solidarité entre les territoires, du moins en partie.
Cependant, ce texte soulève des problématiques intéressantes, qu’il convient de traiter, même si nous n’y apportons pas nécessairement les mêmes réponses que les auteurs de la proposition de loi.
Ainsi, les difficultés de certaines communes, notamment rurales, à financer les projets d’assainissement sont une réalité.
Toutefois, comme l’a rappelé notre excellent rapporteur, la loi permet déjà de répondre à ces problèmes. Il existe déjà quelques dérogations, autorisant, par exemple, les communes de moins de 3 000 habitants ou celles qui connaissent des hausses excessives des tarifs de redevance à cofinancer des projets d’assainissement par voie de fonds de concours, à destination des intercommunalités. Il ne nous semble pas justifié d’aller au-delà des exceptions existantes, qui sont pertinentes.
Par ailleurs, la conception écologiste de la décentralisation explique la réserve de mon groupe face à la proposition de loi de notre éminent collègue Daniel Dubois : nous sommes tout particulièrement attachés aux principes d’autonomie, de coopération et de solidarité entre les territoires. Comme vous le savez, nous défendons une République très décentralisée. Notre conception des institutions repose sur trois piliers : l’Union européenne, les régions et les intercommunalités, ces dernières ayant vocation à devenir des collectivités de plein exercice dont les représentants sont élus au suffrage universel direct.
Selon nous, l’objectif de cohérence territoriale ne peut être atteint sans solidarité entre les territoires. À cet égard, les EPCI ont un rôle clé à jouer : ils constituent l’échelon le plus pertinent pour conduire les politiques d’aménagement du territoire, car ils permettent de prendre en considération les spécificités socio-économiques, culturelles et écologiques des bassins de vie. En outre, ils reposent sur une concertation et sur une étroite collaboration entre les élus de l’intercommunalité, et la mise en œuvre de projets d’aménagement de qualité, répondant aux attentes des citoyens, est rendue possible par la mutualisation des compétences et des ressources à l’échelle des groupements de communes.
Autoriser certaines communes à financer leurs aménagements de leur côté reviendrait de facto à mettre à mal le fondement de la solidarité territoriale et l’existence même de l’intercommunalité.
Au reste, sans décision concertée associant toutes les communes à l’échelle de l’intercommunalité, je crains que des projets « hors norme » ne voient le jour plus facilement, menant, par exemple, à l’étalement urbain. (M. Jean-François Husson proteste.) Il est aussi parfois plus pertinent de favoriser le contrôle de l’assainissement non collectif existant que de construire de nouvelles stations d’épuration ou d’étendre le réseau de canalisations.
Je le répète, bien que cette proposition de loi puisse avoir des objectifs particulièrement louables, nous considérons qu’elle affaiblirait le principe de solidarité entre les communes membres d’un EPCI. En outre, c’est parce que les services publics servent l’intérêt général que leur financement est réparti entre tous les usagers, notamment par le biais de la redevance « assainissement ».
Les écologistes ne sont donc pas favorables au principe d’« intercommunalités à la carte ». Au contraire, il me semble qu’au sein d’une intercommunalité les communes peuvent faire ensemble ce qu’elles ne pourraient faire seules. La mutualisation des compétences et des ressources entre les communes riches et les communes pauvres tire tout le monde vers le haut. Nous ne pouvons pas envisager l’intercommunalité comme un ensemble de « perdants » ou de « gagnants ».
L’exemple d’EPCI des Côtes-d’Armor dans lesquels les communes rurales côtoient les communes littorales nous montre bien comment la mutualisation des ressources permet de répondre aux besoins très différents de ces communes, dans l’intérêt de tous.
Les gagnants de la solidarité territoriale sont donc les communes elles-mêmes et, ipso facto, les citoyens.
C’est parce que nous souhaitons plutôt poursuivre dans cette voie de l’intercommunalité que nous nous opposerons à cette proposition de loi. Nous saluons néanmoins son sérieux et le volontarisme qui la sous-tend ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.