M. le président. L'amendement n° I-52 rectifié est retiré.
L'amendement n° I-497, présenté par MM. Mézard, Collin, C. Bourquin, Fortassin, Barbier, Bertrand, Collombat, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 81 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux dont le revenu brut annuel n’excède pas 62 340 €. »
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Afin de rétablir plus de justice dans notre système fiscal, le Gouvernement a lancé un chantier de suppression de certaines niches fiscales inefficaces. C’est notamment l’objet de l’article 17 de ce projet de loi de finances.
Monsieur le ministre, il s'agit d’une avancée importante, qui mérite d’être saluée. Les niches fiscales et sociales ont en effet rendu notre fiscalité illisible, incompréhensible pour nos concitoyens et parfois injuste. À quelques exceptions près, elles n’atteignent pas les divers objectifs qui sont censés justifier leur existence et profitent principalement aux plus privilégiés, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises.
Toujours pour renforcer l’équité de notre système, mais aussi pour partager véritablement l’effort de redressement de nos finances publiques, le présent amendement vise à réserver le bénéfice de l’une de ces niches aux personnes qui ont des revenus peu élevés.
La niche en question est l’abattement prévu à l’article 81 du code général des impôts, en vertu duquel les rémunérations des journalistes sont affranchies de l’impôt à concurrence de 7 650 euros. Nous proposons non pas, comme nous avons pu le faire par le passé, de supprimer entièrement cette disposition, mais de la réserver aux journalistes et autres professionnels dont la rémunération n’excède pas 4 000 euros nets par mois.
Puisque nous abordons la question des aides à la presse, je rappelle que, à la demande de notre commission des finances, la Cour des comptes a dressé un bilan des aides à la presse écrite. Il s’agissait d’apprécier l’efficience des dispositifs de soutien, notamment au regard de l’objectif de pluralisme. Ces aides publiques représentent en effet 7,5 % du chiffre d’affaires du secteur et, en 2013, elles affectaient notre budget à hauteur de 982 millions d'euros.
Au cours de ces dernières années, en particulier à la suite des États généraux de la presse écrite, les aides n’ont fait qu’augmenter. Dans le cadre du plan triennal 2009-2011, ce sont 160 millions d’euros supplémentaires qui ont été injectés.
Notre collègue Claude Belot, rapporteur spécial, a émis des observations qui s’inspirent des conclusions de l’enquête de la Cour des comptes, mais aussi de nombreux autres travaux ; nous avons eu l’occasion d’en débattre en commission. Le constat est sans appel : le secteur rencontre toujours autant de difficultés et l’absence de conditionnalité ne facilite pas la traçabilité ni, par conséquent, la connaissance de l’usage – bon ou mauvais – de ces aides, qui sont souvent utilisées dans une totale opacité.
En juillet dernier, le Gouvernement a annoncé qu’il envisageait de réformer la politique publique de soutien à la presse ; j’aimerais avoir l’éclairage de M. le ministre sur ce point.
La commission des finances sera, j’en suis certain, particulièrement attentive aux propositions qui seront formulées. Il faudrait notamment évaluer l’efficacité de la politique d’aide à la presse au regard du principe de pluralisme, qui était au fondement du soutien public, mais qui ne l’est plus tout à fait aujourd'hui. Un nouveau pilotage des aides devra donc être mis en œuvre pour soutenir les quotidiens qui en ont véritablement besoin, dans la perspective du maintien d’une expression diversifiée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. En vertu de l’article 81 du code général des impôts, les journalistes bénéficient d’une exonération d’impôt sur leurs rémunérations dans la limite de 7 650 euros. Ces rémunérations sont en effet considérées comme des frais professionnels non couverts par l’employeur. Sont concernés les journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux.
Cet amendement vise à limiter le bénéfice de cette disposition aux seuls journalistes dont le revenu est inférieur à 4 000 euros nets par mois. Les membres de la commission des finances voient d’un assez bon œil une disposition qui permettrait de récupérer 10 millions d'euros sur les 60 millions d'euros que coûte actuellement la niche fiscale. Le seul problème tient aux fameux effets de seuil, qui risqueraient d’être assez forts.
Cependant, je le répète, les membres de la commission des finances, dans l’ensemble, voient d’un bon œil cet amendement. C'est pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous proposez de réserver l’exonération de 7 650 euros dont bénéficient les journalistes à ceux dont le revenu brut annuel n’excède pas 62 340 euros. Cette exonération particulière a été instaurée par l’article 22 de la loi de finances rectificative pour 1998, en contrepartie de la suppression de la déduction forfaitaire supplémentaire de 30 % pour frais professionnels, dont les journalistes bénéficiaient depuis 1934.
L’exonération vise à prendre en compte de manière forfaitaire les spécificités de l’activité des journalistes, qui ne leur permettent pas aisément de faire état de leurs frais professionnels réels justifiés.
Cette difficulté à justifier de la nature et du montant des frais engagés est indépendante du niveau de revenu. Conditionner l’exonération à un seuil de revenu introduirait une rupture d’égalité devant les charges publiques et créerait un effet de seuil injustifié. Pour le Gouvernement, l’exonération est donc justifiée pour tous les journalistes ou ne l’est pour aucun.
Au bénéfice de ces précisions, monsieur le sénateur, je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.
M. le président. Monsieur Collin, l'amendement n° I-497 est-il maintenu ?
M. Yvon Collin. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. Nous voterons cet amendement. Dans la période difficile que nous vivons, en effet, toutes les catégories doivent participer à l’effort qui est demandé à des millions de Français.
Je saisis cette occasion pour souligner un problème qui concerne directement l’aide à la presse. Cette dernière répond à un principe constitutionnel : il s’agit d’organiser et de soutenir le pluralisme ; nous sommes d'accord sur ce point. Cependant, au moins une douzaine de supports de programmes de télévision bénéficient d’aides publiques. En tout, cela représente des dizaines et des dizaines de millions d'euros. Pour ne citer qu’un seul exemple, Télé Poche – je ne sais pas si vous connaissez cette publication, mes chers collègues – reçoit deux à trois millions d'euros par an !
Monsieur le ministre, je pense qu’il faudrait mettre à jour la liste des bénéficiaires. Il est anormal que les suppléments télévisuels, qui sont souvent des appendices de grands groupes, bénéficient d’une aide non négligeable au nom du pluralisme. Il y aurait là matière à réaliser l’une de ces économies que cherche avec beaucoup d’obstination M. le rapporteur général. S’il n’est pas possible de prendre une telle mesure dès cette année, vous pourriez y réfléchir en vue du prochain projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. La presse va vraiment très mal. Les plans sociaux s’enchaînent. Je suis tout à fait d'accord avec les orateurs précédents quant à la nécessité de réformer les aides à la presse. Cela fait des années que l’on nous promet une telle réforme. Nous l’attendions pour cette année, mais il n’y a toujours rien. La réforme est pourtant urgente. Il faut, notamment, redéfinir les critères de ce soutien.
Je vous signale que, en sa qualité de rapporteur pour avis de la commission de la culture, Pierre Laurent a rendu un avis négatif sur les crédits des aides à la presse. Les sénateurs écologistes ont suivi cet avis. Ce n’est que parce que le rapport de Pierre Laurent ne concerne qu’une petite partie de la mission « Médias, livre et industries culturelles » que notre vote négatif n’a pas pu s’exprimer comme tel. Ces crédits ne nous satisfont vraiment pas du tout.
En outre, le budget de La Poste vient de se faire amputer de sommes considérables, qui correspondent aux sommes dites « du moratoire sur l’aide au portage de la presse ». Ces sommes étaient versées par l’État à La Poste afin de lui permettre de facturer à petit prix le portage des journaux, en particulier des journaux d’information générale. Il s'agissait donc d’une aide à la presse collatérale, si je puis dire. Or l’État a décidé d’y mettre brutalement un terme à partir du 1er janvier prochain. La Poste va donc se retourner contre les titres de presse, en augmentant ses tarifs. Monsieur le ministre, vous allez fragiliser encore davantage les journaux !
J’en viens à l’amendement d’Yvon Collin, qui vise à limiter à certains journalistes le bénéfice d’une niche fiscale. Ce serait une bonne idée si on savait ce que veut dire le mot « journaliste ». Toutefois, aujourd'hui, celui-ci recouvre une grande diversité de situations !
D’un côté, il y a le photoreporter, de plus en plus souvent payé à la pige parce que les titres veulent de moins en moins de salariés, qui part dans des zones de conflit sans carte de presse et franchit les check points au péril de sa vie.
De l’autre, il y a des minettes qui essaient des rouges à lèvres dans des bureaux du seizième arrondissement de Paris pour de beaux journaux en papier glacé, ou des minets qui testent les blousons en cuir des dernières marques à la mode. (Sourires.) Ceux-là aussi ont la carte de presse ; ils sont journalistes.
Monsieur Collin, si vous arriviez à cibler votre amendement sur cette dernière catégorie de journalistes, nous applaudirions des deux mains ! Cependant, dans sa rédaction actuelle, votre amendement vise également des journalistes qui souffrent tous les jours et connaissent la précarité. C'est pourquoi nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
M. Vincent Delahaye. Il est vrai que les aides à la presse nous interpellent. Pour ma part, je m’interroge à leur sujet depuis que je suis membre de la commission des finances. Aujourd’hui, elles atteignent presque un milliard d'euros. C’est énorme. Je me suis toujours demandé si les journalistes ne devaient pas rentrer dans le droit commun. Si j’avais déposé un amendement, je serais sans doute allé plus loin que ce qui est proposé ici.
Le seuil de 4 000 euros nets par mois me semble convenable. Il permettra en tout cas aux journalistes précaires dont il vient d’être question de continuer à bénéficier de l’exonération.
Je voterai donc cet amendement ; je le répète, nous aurions même pu aller plus loin.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je souscris largement aux propos de Marie-Christine Blandin. Il n’y a pas si longtemps, la commission des finances a organisé une audition sur le thème des aides à la presse. Nous avons ainsi pu mesurer la diversité de ces dernières.
Nous nous sommes demandé dans quelle mesure on pouvait considérer que certains journaux participaient réellement au pluralisme. En effet, on peut s’interroger sur la nécessité d’accompagner certains titres, dont la démarche ne vise pas, tant s’en faut, à faire en sorte que des opinions diverses puissent s’exprimer. Il serait souhaitable que nous fassions le ménage parmi les bénéficiaires de l’accompagnement public.
S'agissant de l’aide au portage, le débat que nous avons eu lors de l’audition que je viens d’évoquer a montré que sa suppression mettrait les plus fragiles en grande difficulté. Mes chers collègues, je vous alerte à mon tour sur ce danger.
Quant aux journalistes, je m’interroge moi aussi, dans la mesure où ce métier s’est complètement transformé. Outre les catégories évoquées par Marie-Christine Blandin, il faut mentionner ces gens qui s’appellent journalistes, mais qui ne sont que des animateurs de journaux ; leur activité n’a pas les mêmes spécificités que celle des « vrais » journalistes. Il me semble donc nécessaire d’identifier ceux qui effectuent un véritable travail de journaliste.
Je ne pense pas que la suppression de l’exonération de 7 650 euros soit le moyen de répondre correctement aux problèmes de la profession. Il serait plus positif de mener un travail pour déterminer qui devrait, ou non, bénéficier de cette exonération.
C'est pourquoi nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Puisque Mme Beaufils a bien voulu évoquer l’audition que nous avons tenue récemment pour faire suite à l’enquête de la Cour des comptes réalisée à notre demande au titre de l’article 58-2° de la LOLF, je voudrais rappeler, pour l’information du Sénat, les principales préconisations issues de nos travaux et de ceux de la Cour des comptes.
Tout d’abord, en comparant la France avec ses principaux voisins, nous avons constaté que nous consacrions beaucoup plus d’argent à ce domaine, pour une presse dont la diffusion diminue, et cela plus que dans les pays de référence. On peut donc se poser la question de l’adéquation de ce système.
Permettez-moi de citer la Cour des comptes : « Une réforme profonde de la politique d’aide à la presse reste plus que jamais une nécessité compte tenu de son coût et de sa faible efficacité. Elle passe d’abord par la poursuite des actions conduites depuis 2012 par le ministère [de la culture et de la communication] pour améliorer l’efficacité de la gouvernance et du pilotage de cette politique. Si les orientations définies vont dans la bonne direction, les mesures conduites en matière de contractualisation, de transparence et de renforcement des moyens de contrôle et d’évaluation doivent encore trouver une traduction effective. » Mes chers collègues, notez qu’il s’agit de l’un des soucis exprimés par M. Collin !
Je poursuis : « Le retour au niveau des dépenses antérieures au plan 2009-2011 s’impose également dans un contexte marqué par les contraintes de maîtrise des dépenses publiques. » M. le ministre ne nous dira pas le contraire !
Selon la Cour des comptes, « l’évolution budgétaire suivie depuis 2012, et prévue jusqu’en 2015, témoigne à la fois d’une volonté de réduire le niveau des dépenses et de faire disparaître les rigidités qui empêchent de revenir au niveau de dépenses constaté avant la mise en œuvre du plan triennal. Plus regrettable encore, la baisse des crédits prévue par la programmation budgétaire triennale 2013-2015 ne repose pas sur une approche plus sélective de la politique d’aide, qui permettrait de dégager des marges de manœuvre nouvelles, sans remettre en cause les priorités de l’État. »
Je ne m’étends pas sur les différentes propositions plus techniques formulées, mais je tenais à rappeler cette préoccupation. Aussi, monsieur le ministre, je vous saurais gré de bien vouloir informer le Sénat, le moment venu, en liaison avec votre collègue chargée de la culture et de la communication, de ce qu’il sera possible de faire dans ce cadre.
À cet égard, il me semble que l’amendement défendu par Yvon Collin doit être considéré en quelque sorte comme un amendement d’appel nous permettant d’évoquer ce sujet, qui porte sur plus d’un milliard d’euros, toutes aides confondues, ce qui constitue naturellement une somme substantielle.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Tout le monde est d’accord pour que des aides à la presse soient distribuées, d’autant que ce secteur traverse une véritable crise technique avec le passage du papier à l’Internet.
À mon sens, nous ne sommes pas actuellement en mesure de prendre une décision sérieuse sur ce sujet. Pour ma part, je m’abstiendrai sur cet amendement.