Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Président et rapporteur, quel cumul, me direz-vous… (Sourires.) Rassurez-vous, il ne durera pas ! (Nouveaux sourires.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire marque toujours, pour notre politique de défense et pour notre pays, un moment important. C’est aussi un moment propice au rassemblement républicain autour de nos forces armées, et d’ambition partagée au service de la grandeur de notre pays.
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, avec d’autres, et dans la continuité de ce qu’avait entamé Josselin de Rohan, associer à l’examen de ce texte le plus grand nombre de nos collègues de toutes les sensibilités politiques au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, et notamment les rapporteurs du budget de la défense. Je tiens à les remercier ici chaleureusement de leur importante contribution, ainsi que le président Jean-Pierre Sueur et le rapporteur spécial Yves Krattinger, pour leurs apports très significatifs.
Ce projet de loi fait suite à une large réflexion menée durant plusieurs mois dans le cadre de la commission du Livre blanc, au sein de laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat étaient représentés non plus par deux, mais par trois députés et trois sénateurs. Nos collègues Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même y représentions la Haute Assemblée. Toujours cette obsession de l’équilibre politique…
Avant même le début de ces travaux, notre commission avait constitué des groupes de réflexion, coprésidés par des sénateurs de la majorité et de l’opposition, qui ont donné lieu à dix rapports d’information : sur l’avenir des forces nucléaires, cher Xavier Pintat, sur les capacités industrielles critiques, sur la maritimisation, chers Jeanny Lorgeoux et André Trillard, sur le format des armées ou encore sur la cyberdéfense. Autant le dire, nous nous sommes préparés à ce débat !
Fondée sur les conclusions du nouveau Livre blanc, cette douzième loi de programmation militaire porte deux ambitions : adapter notre outil de défense aux évolutions du contexte stratégique et préserver notre effort de défense afin de maintenir notre autonomie d’action.
Malgré un contexte économique et budgétaire très difficile, le Président de la République, dont je veux saluer l’arbitrage, a décidé de sanctuariser les moyens financiers dont disposera la défense nationale.
À cet égard, mes chers collègues, les chiffres sont clairs : le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 maintient les ressources du ministère de la défense à leur niveau actuel jusqu’en 2016, soit 31,4 milliards d’euros par an, et prévoit qu’elles augmenteront ensuite pour atteindre 32,5 milliards d’euros en 2019 ; au total, donc, elles se monteront à 190 milliards d’euros sur l’ensemble de la période.
Ainsi, le projet de loi de programmation militaire maintient les ambitions de défense de la France, tout en tenant compte de l’objectif de redressement des finances publiques, dont la dégradation est elle-même devenue un enjeu de souveraineté : mes chers collègues, j’attire amicalement votre attention sur le fait que, si la défense est aujourd’hui le troisième poste de dépenses de l’État, elle vient après l’éducation et après la charge de la dette, qui est le premier budget de la Nation !
Dans un contexte où l’ensemble des démocraties occidentales, en Europe mais aussi outre-Atlantique, procèdent à des coupes drastiques dans leur budget de défense, la décision de préserver notre effort mérite, à mes yeux, d’être saluée et soutenue.
Grâce à cette loi de programmation militaire, la France sera en effet l’un des rares pays européens dans la situation de pouvoir protéger, de manière autonome, son territoire et sa population, au moyen d’une dissuasion maintenue dans ses deux composantes, et d’intervenir militairement hors de son territoire pour préserver ses intérêts, protéger ses ressortissants et tenir son rang sur la scène internationale.
Afin de dégager les marges de manœuvre nécessaires à la poursuite de ces ambitions, le projet de loi de programmation militaire prolonge, mais de façon plus modérée, la réduction du format de nos armées prévue par la précédente loi de programmation militaire.
Moins nombreuses mais mieux armées, nos forces vont bénéficier de l’arrivée d’équipements nouveaux, qui accroîtront leur efficacité opérationnelle, n’est-ce pas, monsieur le ministre. Je pense en particulier aux drones MALE, aux avions de transport tactique A400M et aux ravitailleurs en vol MRTT, dont l’absence s’est fait sentir lors des derniers engagements de nos forces, tant en Libye qu’au Mali.
Plus généralement, le projet de loi de programmation militaire prévoit la poursuite de tous les programmes d’équipements, sans compter, comme M. le ministre l’a réaffirmé il y a quelques instants, le lancement d’une vingtaine de programmes nouveaux.
Entre autres équipements, nos forces armées recevront le premier sous-marin d’attaque nucléaire de la classe Barracuda et six frégates de premier rang FREMM. En outre, la livraison des avions de combat Rafale sera poursuivie, de même que la modernisation des moyens de transport et de combat terrestres grâce au lancement du programme Scorpion.
En définitive, les efforts budgétaires prévus et les orientations tracées, en particulier la priorité donnée aux équipements, au renseignement et à la cyberdéfense, permettront à la France de disposer d’un outil de défense moderne et adapté.
Le projet de loi de programmation militaire comporte aussi un important volet normatif, touchant notamment au renseignement et au traitement pénal des affaires militaires.
Comme l’ont montré certaines affaires récentes, une forte demande se manifeste dans l’opinion publique pour un contrôle démocratique plus poussé des services de renseignement ; à mes yeux, il est important d’y répondre. N’a-t-on pas vu, lors des affaires en question, le précédent Président de la République fragilisé par l’absence d’un tel contrôle parlementaire, qui constitue une garantie donnée au peuple de meilleure utilisation de ces services ?
Mes chers collègues, j’ai la conviction que le présent projet de loi de programmation militaire nous permettra de franchir une nouvelle étape dans le contrôle parlementaire sur les services de renseignement, sans voyeurisme ni chicanerie, tout en prévenant le risque d’une judiciarisation ou d’une médiatisation excessive, tant en ce qui concerne les agents des services que les militaires dans leur ensemble. En effet, à notre sens, le métier des armes n’est pas un métier comme les autres.
La trajectoire financière de la loi de programmation militaire préserve donc l’essentiel. Notre industrie de défense, à laquelle vous savez, monsieur le ministre, que nous sommes très attachés, sera sauvegardée, et la recherche en matière de défense bénéficiera de la sanctuarisation de ses crédits à un niveau élevé, voire de leur accroissement.
La programmation qui nous est soumise est d’une grande cohérence, mais, pour cette raison même, elle est relativement fragile : tout se tient, de sorte que l’absence de l’un des éléments de l’équilibre peut mettre en péril l’ensemble…
Pour ma part, je distingue principalement trois défis qui réclament une grande vigilance.
S’agissant, en premier lieu, des conditions d’entrée dans la programmation militaire, je constate que le projet de loi de finances pour 2014, que notre assemblée va examiner prochainement et qui correspond au premier jalon dans la période 2014-2019, est conforme, à l’euro près. L’engagement de maintenir le budget de la défense, porté par le Président de la République, chef des armées, et par le ministre de la défense, est par conséquent respecté.
Toutefois, monsieur le ministre, j’ai certaines inquiétudes en ce qui concerne la fin de gestion de l’année 2013 : elles portent sur les surcoûts liés aux OPEX, qui représentent 1,2 milliard d’euros, dont plus de la moitié résulte de l’opération Serval, au Mali ; elles portent aussi sur la levée des crédits mis en réserve, pour un montant de 1,54 milliard d’euros, et, enfin, sur le coût lié aux dysfonctionnements du système LOUVOIS, pour « Logiciel unique à vocation interarmées de la solde », évalué à 100 millions d’euros.
Il faut absolument éviter, dès l’entrée dans la période de programmation, un report de charges qui pourrait atteindre, au total, 3 milliards d’euros – n’est-ce pas, monsieur Gautier ?
M. Jacques Gautier. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. En effet, un tel report pèserait lourdement sur le budget de la défense.
Il est donc impératif d’obtenir du ministère du budget la levée intégrale de la réserve, ainsi qu’un abondement de crédits sur un financement interministériel, pour couvrir la totalité du surcoût des OPEX.
M. André Dulait. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Du reste, c’est en ayant à l’esprit ce risque de report de charges, mais aussi d’autres facteurs d’incertitude, comme la réalisation des contrats d’exportation du Rafale, que nous présenterons des amendements visant à prendre en compte ces éléments lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire, qui doit intervenir avant la fin de l’année 2015 – monsieur le ministre, nous vous remercions pour cela.
Le deuxième défi que je désire signaler concerne les recettes exceptionnelles provenant notamment de la vente de fréquences et de cessions immobilières.
À ce propos, monsieur le ministre, je tiens à vous remercier sincèrement, ainsi que tout le Gouvernement, pour votre effort visant à sanctuariser ces recettes et à éviter tout retard et toute impasse. Néanmoins, il faudra s’assurer - l’expérience est un peu notre apanage, monsieur le ministre - que ces recettes seront bien au rendez-vous, au moment et pour le montant prévus.
C’est la raison pour laquelle notre commission a adopté à l’unanimité – j’insiste sur cette précision – un amendement visant à introduire, dans la partie normative du projet de loi de programmation militaire, un principe de compensation intégrale de ces recettes exceptionnelles, en cas de non-réalisation, par d’autres recettes ou par des crédits budgétaires issus d’un financement interministériel.
En ma qualité de président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et parlant au nom de ses collègues, je peux dire que je suis favorable à cette mesure de sécurisation. Du reste, monsieur le ministre, le Gouvernement ne saurait s’y opposer : en effet, si tout le monde est de bonne foi, cette garantie ne sera pas mise en œuvre, parce qu’elle sera inutile.
Seulement, il est souvent arrivé, et sous tous les gouvernements, que ces crédits ne soient pas versés au moment prévu, voire pas versés du tout. Dans ces conditions, monsieur le ministre, si nous espérons que cette précaution ne servira pas, je vous avertis, avec beaucoup de courtoisie, que nous la prendrons quand même, parce que nous y sommes vraiment attachés ! (M. Jacques Gautier applaudit.)
Enfin, le troisième défi que je veux mettre en évidence a trait à la réussite de la déflation des effectifs et à la maîtrise de la masse salariale, ainsi que des dépenses de fonctionnement et de soutien.
Monsieur le ministre, rassurez-vous : loin de nous l’idée démagogique de réclamer un abandon des baisses d’effectifs et une augmentation de la masse salariale.
Reste que, comme nos collègues André Dulait et Gilbert Roger l’ont souligné dès l’an dernier dans leur rapport sur les bases de défense, et comme nous avons pu le constater la semaine dernière encore, lors d’une visite sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, l’empilement des réformes, la diminution des effectifs et la baisse des crédits de fonctionnement, auxquels s’ajoutent certains dysfonctionnements du système LOUVOIS, ont mis nos bases sous tension ; vous savez, monsieur le ministre, que cette situation pèse sur le moral de nos militaires.
Vous avez lancé une réforme de l’organisation et de la gouvernance du ministère de la défense, ainsi qu’une réflexion sur une restructuration des implantations sur notre territoire. Nous vous soutenons, car de telles réformes sont indispensables à la maîtrise des coûts de fonctionnement ; mais, comme vous l’avez excellemment signalé il y a quelques instants, il faudra veiller à l’accompagnement économique et social des restructurations pour nos territoires, et à l’évolution de la condition militaire.
Compte tenu de ces défis, la bonne exécution de la loi de programmation militaire sera déterminante. C’est la raison pour laquelle notre commission a introduit dans le texte du projet de loi un ensemble de dispositions visant à renforcer le contrôle du Parlement sur cette exécution.
Monsieur le ministre, n’y voyez là en aucune façon la marque d’une absence de confiance : il s’agit au contraire pour nous de vous appuyer forts d’une certitude, pour mieux être à vos côtés, pour vous aider et pour que l’exécution de la loi de programmation militaire soit absolument préservée. À cet égard, vous pouvez compter sur nous pour exercer un suivi particulièrement vigilant, exigeant et permanent tout au long de l’exécution de la loi de programmation.
Certes, la trajectoire financière prévue est, dans le contexte actuel, la moins mauvaise possible ; elle ne répond cependant pas à toutes nos espérances.
J’aime vraiment les mathématiques, et il m’est même arrivé d’essayer de les faire comprendre. Or je vous rappelle que, lors des ultimes arbitrages budgétaires sur la trajectoire financière, le Sénat s’est prononcé, à une large majorité des différents groupes politiques, pour le maintien du budget de la défense à un seuil minimal de 1,5 % du PIB.
Sans doute, la trajectoire financière de la programmation prévoit la sanctuarisation du budget de la défense ; mais, compte tenu de l’inflation, ce budget va diminuer en valeur. Si nous ne portons pas remède à cette évolution au cours des prochaines années, il se pourrait qu’il n’atteigne plus le seuil de 1,5 % du PIB, ce que nous n’admettons pas facilement. (M. Gérard Larcher acquiesce.)
Aussi, monsieur le ministre, vous comprendrez aisément que notre commission ait souhaité introduire dans le corps du projet de loi une clause de revoyure et une clause de retour à meilleure fortune, afin de s’assurer que, si la situation économique et par conséquent celle des finances publiques devaient le permettre, l’effort de la Nation en faveur de sa défense serait redressé pour tendre progressivement vers l’objectif de 2 % du PIB ; nous y tenons particulièrement.
Non, la défense n’est pas un poste budgétaire comme un autre, car c’est de notre défense que dépendent la sécurité des Français, la préservation de nos industries et de nos emplois, bref, notre prospérité et une part significative de l’avenir de nos enfants.
Comme l’a illustré le succès de l’intervention au Mali, notre pays dispose d’équipements de très grande qualité, mais surtout de militaires qui ont fait la preuve de leur professionnalisme, de leur dévouement et de leur efficacité.
Il me semble donc que, au-delà des clivages politiques, que je respecte et qui ont leur raison d’être en démocratie, le Sénat pourrait se rassembler pour approuver le projet de loi de programmation militaire. Il témoignerait ainsi de l’attachement des élus de la Nation à notre défense et aux hommes et aux femmes qui servent notre pays, parfois jusqu’au sacrifice suprême ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur pour avis.
M. Yves Krattinger, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Je me dois de vous dire, monsieur le ministre, que, la majorité sénatoriale s’étant retrouvée minoritaire en commission, la commission des finances a émis un avis défavorable sur le texte. Elle a, toutefois, adopté à l’unanimité trois amendements, que je vous présenterai ultérieurement en son nom.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, j’ai été conduit non pas à analyser dans le détail le modèle d’armée retenu, mais plutôt à examiner les conditions de l’équilibre financier de la programmation que tend à définir le projet de loi.
Ainsi, mes travaux ont porté sur la programmation des ressources, des dépenses et des effectifs, dans la partie normative de la loi comme dans le rapport annexé, ainsi que sur les dispositifs d’accompagnement de la réduction des effectifs.
Il faut noter que la programmation ne lie ni le Gouvernement ni le législateur, à qui il revient de fixer chaque année, dans la loi de finances, les crédits de la mission « Défense ». La portée politique de cet exercice est, cependant, considérable. Elle est, en effet, l’occasion de « déterminer les objectifs de l’action de l’État » en matière de défense, pour reprendre les termes de l’article 34 de la Constitution. Durant la période couverte par la programmation, chaque loi de finances et chaque loi de règlement se réfèrent et se comparent à la loi de programmation. L’examen annuel de ces textes est, à chaque fois, l’occasion d’interroger le Gouvernement sur les écarts constatés.
Pour en venir au fond du sujet, le projet de loi relatif à la programmation militaire vise trois objectifs : assurer la sécurité nationale et tenir le rang de la France sur le plan international ; maintenir et développer la capacité industrielle de la France en matière de défense et contribuer au rétablissement des comptes publics.
Il est clair que chacun de ces objectifs est ambitieux ; pris ensemble, ceux-ci constituent un défi difficile à relever. Pourtant, c’est bien ce que prévoit le présent projet de loi.
Concernant, tout d’abord, le redressement des finances publiques, les crédits budgétaires sont effectivement en baisse sur le début de la période considérée. La mission « Défense » bénéficiera ainsi en 2014 de 500 millions d’euros de crédits budgétaires de moins par rapport à 2013. Ces crédits seront maintenus au même niveau en 2015, avant de remonter progressivement jusqu’à la fin de la programmation, pour s’établir à 32,36 milliards d’euros en 2019, contre 30,1 milliards en 2013.
Il s’agit donc d’une stabilisation en valeur en début de période, puis d’une stabilisation en volume en fin de période. L’objectif de contribution au redressement des finances publiques est donc tenu.
Pour autant, la mission « Défense » se voit doter des moyens nécessaires pour réaliser les deux autres objectifs.
En effet, les crédits budgétaires sont complétés par des recettes exceptionnelles, qui permettent de stabiliser les ressources totales de la mission. Ainsi, la baisse de 500 millions d’euros de crédits budgétaires en 2014 est compensée par des recettes exceptionnelles supplémentaires à hauteur de 500 millions par rapport à 2013, soit, au total, 1,77 milliard d’euros.
Ce montant est maintenu en 2015 et diminue en 2016, pour s’établir à 1,25 milliard d’euros, en parallèle avec la hausse des crédits budgétaires.
Les ressources totales de la mission « Défense » sont ainsi stabilisées sur les trois premières années de la programmation, conformément à l’engagement du Président de la République.
Les recettes exceptionnelles continuent de baisser sur la seconde moitié de la période, jusqu’à ne plus représenter que 154 millions d’euros en 2019. Cette baisse s’effectue à un rythme moindre que la hausse des crédits budgétaires, ce qui conduit à une hausse progressive et modérée des ressources totales de la mission « Défense ».
Ce recours transitoire aux recettes exceptionnelles permet à la mission « Défense » de contribuer à la baisse des dépenses budgétaires de l’État tout en allouant les crédits nécessaires aux investissements, à la recherche et à l’innovation.
La programmation 2014-2019 privilégie, en effet, les dépenses d’équipement, qu’elles soient d’acquisition ou de développement. Ces dépenses connaissent une progression constante entre 2014 et 2019. Elles représentent, en 2013, 51 % du total des dépenses hors pensions, contre 56 % en 2019.
Eu égard au contexte budgétaire, tout cela est évidemment positif. Toutefois, il faut que la trajectoire tracée soit soutenable dans les faits.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, le 10 septembre 2013, aux Universités d’été de la Défense, à Pau : « L’enjeu, c’est la sincérité de cette programmation. »
On sait que la précédente programmation des crédits n’a pas été respectée. Pour ma part, je veux souligner que la trajectoire tracée par le présent projet de loi me semble suffisamment réaliste pour pouvoir être respectée. Mais cela suppose que plusieurs conditions soient remplies.
Monsieur le ministre, vous l’avez vous-même souligné devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : « Cette loi de programmation est cohérente et équilibrée, et n’a de sens que si elle est réalisée totalement : enlevez une pierre de l’édifice et vous le ferez s’écrouler. » Tel est également mon sentiment. Il faut ainsi tout à la fois que le ministère de la défense poursuive ses économies, que les ressources soient sécurisées et que les aléas pesant sur les dépenses soient maîtrisés.
S’agissant des économies, la principale d’entre elles concerne les dépenses de personnel. Cette question a particulièrement occupé la commission des finances, qui a récemment reçu les résultats d’une enquête demandée à la Cour des comptes sur la rémunération des militaires.
La loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 tablait sur d’importantes économies en dépenses de personnel pour assurer son équilibre. Les crédits inscrits en titre 2 se sont révélés systématiquement insuffisants, ce qui a nécessité un abondement, au travers de la loi de finances rectificative, de 213 millions d’euros en 2010, 158 millions d’euros en 2011 et 474 millions d’euros en 2012, au détriment des dépenses d’équipement.
On observe que cette précédente loi de programmation prévoyait des réductions d’effectifs, mais n’encadrait pas la masse salariale. On a effectivement constaté une baisse importante des effectifs, mais, dans le même temps – cela ne manque pas de surprendre ! –, une hausse significative de la masse salariale.
Pour éviter que cela ne se reproduise, la commission des finances a estimé qu’il fallait prévoir dans le présent projet de loi, comme le recommande d’ailleurs la Cour des comptes, un encadrement de la masse salariale du ministère.
Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez déjà pris des mesures, notamment le contingentement des grades et la réorganisation de la fonction « Ressources humaines », pour plus d’efficacité et une responsabilisation accrue.
La commission des finances vous propose d’accompagner ce mouvement, en définissant, dans le rapport annexé à ce projet de loi de programmation, une trajectoire baissière de la masse salariale. Les objectifs fixés sont compatibles avec les dépenses et les ressources par ailleurs programmées dans le projet de loi.
Cela est d’autant plus nécessaire que le ministère est en auto-assurance pour ce qui concerne sa masse salariale. Tout dépassement doit être compensé par un redéploiement des crédits de la mission, et ce, forcément, au détriment de l’équipement.
S’agissant des recettes exceptionnelles, celles-ci sont constituées du produit de cession d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense, évalué au moins à 660 millions d’euros sur la période 2014-2016 ; des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées dans la précédente loi de programmation, pour 220 millions d’euros environ ; du programme d’investissements d’avenir, ou PIA, au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense, pour 1,5 milliard d’euros en 2014 ; du produit de cession de la bande de fréquences des 700 MHz, qui n’est pas chiffré dans le texte mais dont on peut s’attendre à ce qu’il s’élève à plus de 3 milliards d’euros et, « le cas échéant », aux termes du projet de loi, du produit de cession de participations publiques.
Certains pointent le fait que ces recettes sont, par nature, aléatoires quant à leur calendrier et à leur montant. Elles le sont en fait, mais de manière inégale.
Les cessions immobilières, dont certaines sont en cours de réalisation, sont une source de financement sûre, l’essentiel des recettes prévues provenant de la vente d’emprises parisiennes très favorablement situées. Concernant le programme d’investissements d’avenir, le produit de 1,5 milliard d’euros est inscrit dans le projet de loi de finances pour 2014, ce qui ne pose donc pas de problème. Pour ce qui concerne les cessions de fréquences, les résultats de la précédente mise aux enchères et la hausse continue des besoins en bande passante incitent à l’optimisme quant au montant, avec, néanmoins, quelques doutes sur le réalisme du calendrier retenu pour l’encaissement de ces recettes.
En outre, le présent projet de loi prévoit une clause de sauvegarde : si ces recettes ne permettent pas de dégager les ressources nécessaires, elles seront complétées par d’autres recettes exceptionnelles, par exemple, des cessions de participations publiques.
Je tiens, pour ma part, à souligner que les cessions des emprises militaires nécessitent, pour atteindre leur plein rendement dans le calendrier prévu, la reconduction des procédures adaptées aujourd’hui en vigueur. Le présent projet de loi prolonge un certain nombre d’entre elles ; d’autres doivent faire l’objet de mesures dans le projet de loi de finances.
La commission des finances vous propose, quant à elle, de prolonger la possibilité pour le ministère de la défense de céder à l’amiable, sans mise en concurrence, ses emprises militaires reconnues inutiles, notamment aux collectivités locales particulièrement touchées par une restructuration.
Cette dérogation est le fondement qui permet l’intervention de la MRAI, la Mission pour la réalisation des actifs immobiliers, dont j’ai eu l’occasion d’apprécier l’efficacité dans la conduite, avec les élus, des projets de cession et de reconversion.
S’agissant des dépenses, l’aléa est fort. Les opérations extérieures, les OPEX, peuvent entraîner des coûts imprévus pour des montants importants. Le présent projet de loi confirme le principe d’un financement interministériel du dépassement lié aux OPEX.
La hausse du prix des carburants peut aussi entraîner un important dépassement : une augmentation d’un euro du baril de pétrole provoque un surcoût annuel de plus de 6 millions d’euros pour la mission « Défense »… Le présent projet de loi prévoit qu’une hausse importante et durable du prix des carburants justifiera un abondement de la mission « Défense ».
Enfin, l’aléa existe aussi pour les commandes d’armement, notamment du Rafale. Il faut onze livraisons par an pour maintenir une cadence de production viable industriellement. Le projet de loi prévoit que la France recevra onze avions en 2014, onze en 2015, seulement quatre en 2016, puis rien jusqu’en 2019. Les livraisons manquantes seront compensées par les exportations. Or les espoirs d’exportation du Rafale ont déjà été déçus, même si les perspectives semblent aujourd'hui beaucoup plus assurées. L’aléa pour la mission « Défense », difficile à chiffrer, porte potentiellement sur près de 4 milliards d’euros.
Autrement dit, si les exportations n’ont pas lieu ou si elles prennent du retard, c’est l’équilibre même de la programmation 2014-2019 qui est remis en cause. Pourtant, le ministère de la défense n’a que peu de maîtrise sur cet aléa. Si les exportations de Rafale ne permettent pas à la France de diminuer ses propres commandes, il semble nécessaire de trouver de nouvelles ressources pour la mission « Défense », plutôt que de ponctionner les autres programmes d’armement, que l’on a déjà réduits au minimum vital. (M. le rapporteur applaudit.) Aussi, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’inscrire ce principe dans le rapport annexé.
Ce projet de loi offre une certaine cohérence : si le ministère de la défense maîtrise les éventuelles sources de dérapage, il se trouve en auto-assurance. C’est le cas des dépenses de personnel hors OPEX ou des dépenses de fonctionnement hors carburants. En revanche, dès lors qu’il y a un véritable aléa, qui n’est pas maîtrisable par le ministère, une clause de sauvegarde prévoit la mise en œuvre de ressources complémentaires, exceptionnelles ou interministérielles.
Ces clauses se justifient par l’extrême tension dans laquelle est désormais placé le budget de la défense et par les enjeux de sécurité, qui ne nous autorisent pas à baisser la garde pour des questions budgétaires, dès lors que tous les efforts nécessaires ont été accomplis par le ministère de la défense.
C’est cette même cohérence que respectent les amendements adoptés par la commission des finances : il s’agit de responsabiliser le ministère de la défense, en l’incitant à enfin maîtriser sa masse salariale ; de lui donner les moyens juridiques de réaliser les cessions nécessaires pour assurer son financement, et enfin de sanctuariser, conformément à l’engagement du Président de la République, les ressources de la mission « Défense » face à d’importants aléas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UMP et de l'UDI-UC.)