M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde. (M. Jacques Legendre applaudit.)
Mme Françoise Laborde. Sophie Calle, Nathalie Dessay, Hélène Grimaud, Maguy Marin, Laurence Equilbey, Agnès Varda, Coline Serreau : plasticienne, chanteuse lyrique, musicienne, chorégraphe, chef d’orchestre, réalisatrice ou metteuse en scène, voilà, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques exemples contemporains de femmes dont notre pays a su faire émerger le talent, aujourd’hui mondialement reconnu.
Sur la scène internationale, le prix Nobel de littérature vient d’être décerné à la Canadienne Alice Munro, quatrième femme à recevoir cette distinction en dix ans.
Dès lors, on pourrait croire que tout va bien, ou à peu près, pour les créatrices et autres actrices du monde de la culture, en France ou ailleurs. Or il n’en est rien, et la situation est particulièrement dramatique dans notre pays, comme le montre dans son excellent rapport notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin, dont les dix-neuf recommandations ont été unanimement adoptées, le 27 juin dernier, par notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Si j’ai pu émettre quelques réserves quant à la façon dont les travaux de notre délégation sont parfois présentés, le travail de fond et de grande qualité qu’elle réalise mérite d’être reconnu. Il contribue à dénoncer et à résorber les inégalités, même là où elles sont les plus inattendues.
Ainsi, le domaine de l’art et de la culture pouvait paraître, à première vue, plus égalitaire que d’autres. Mais cela est totalement faux, comme le démontre très bien ce rapport. En effet, 75 % à 98 % des postes de direction d’établissements culturels sont aujourd’hui occupés par des hommes, qu’ils soient confiés à des directeurs administratifs ou à des artistes. Plus inquiétant encore, ces chiffres n’ont pas évolué depuis 2006, date du premier rapport sur ce sujet remis au ministre de la culture par Reine Prat.
Toutefois, il me semble que la prise de conscience de ces inégalités est en train de progresser, ce qui conduit à un indispensable rééquilibrage.
Madame la ministre, vous venez par exemple de nommer Irina Brook à la tête du Théâtre national de Nice. Je m’en réjouis, et j’espère que d’autres nominations permettront prochainement de faire reconnaître le talent et l’excellent travail réalisé par des femmes dans tous les domaines culturels.
Concernant les arts visuels, un secteur décrit comme particulièrement discriminatoire dans le rapport, je constate que, parmi les artistes sélectionnés pour la Biennale d’art contemporain, rendez-vous majeur qui se tient actuellement à Lyon, on compte de nombreuses femmes, dont plusieurs jeunes plasticiennes françaises.
Certes, cela reste encore et toujours insuffisant. Alors que les femmes représentent actuellement 60 % des étudiants dans les écoles d’art, il est anormal qu’elles occupent une place si réduite sur le marché de l’art à leur sortie : leurs productions représentent moins de 30 % des acquisitions des fonds régionaux d’art contemporain, les FRAC, et 25 % de celles du Musée national d’art moderne.
Il est particulièrement accablant de constater que ce fonctionnement biaisé du marché du travail vaut pour l’ensemble des secteurs culturels. De nombreuses femmes, dont le talent et les compétences ne sont pourtant plus à démontrer, nous ont fait part des difficultés qu’elles rencontrent pour être recrutées par de grandes institutions culturelles françaises. De fait, elles sont obligées de créer leurs propres ensembles, leurs propres troupes, à l’instar du chœur de chambre Accentus de Laurence Equilbey.
Cet état de fait est grave. Cela prouve que les mentalités et les pratiques dans le monde culturel ne sont pas plus évoluées qu’ailleurs et qu’un barrage quasiment systématique, conscient ou non, est fait aux femmes qui souhaitent occuper des postes de responsabilité et le méritent. Le fameux « plafond de verre » est sans doute encore plus infranchissable dans ce secteur que dans d’autres.
Au cours des auditions, il a été souligné que la situation serait moins dégradée dans d’autres pays ; cela me semble à la fois très inquiétant et indigne de notre République où l’égalité est censée tenir une place particulière.
En outre, un autre passage du rapport de notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin est extrêmement alarmant. Il s’agit de celui qui est relatif aux écoles d’art, dans lesquelles des comportements et propos sexistes ainsi que des cas de harcèlement sexuel seraient généralisés, banalisés, voire tolérés. Je pense que le Gouvernement et les collectivités locales doivent entreprendre d’urgence une action très ferme face à de tels comportements, qui ne sauraient être acceptés. Surtout, la Justice doit s’en mêler.
Quelles sont les solutions face à la situation très fortement inégalitaire dont les femmes sont victimes dans le secteur de l’art et de la culture ?
Le rapport émet dix-neuf préconisations. Toutes ne permettront pas d’atteindre le but recherché, celui d’une égalité réelle, mais c’est un travail de fond nécessaire et qui petit à petit permettra d’y aboutir.
Je suis en parfait accord avec cette phrase figurant en page 45 du rapport : « Les seules obligations quantitatives et la politique de “quotas” ne suffisent pas, car elles ne permettent pas une évolution des mentalités et une prise de conscience responsable de la nécessité de faire évoluer les choses. »
Pour moi, tout est dit dans cette phrase. C’est pourquoi je suis un peu plus en désaccord avec la perspective esquissée par la seizième recommandation, qui viserait à créer un « lieu ressource » exclusivement dédié à la création féminine dans toutes les disciplines. Nous en avons discuté, et cela reviendrait, hélas, à isoler et stigmatiser peut-être encore davantage les créatrices.
L’objectif à atteindre, c’est de créer les conditions d’une réelle égalité femmes-hommes, dans la culture comme dans les autres domaines. Cette égalité doit se traduire concrètement, à la fois dans le recrutement, la rémunération et l’avancement. Pour cela, ce sont surtout les mentalités qui doivent évoluer en profondeur. Nous avons un vivier de créatrices et d’administratrices culturelles talentueuses et compétentes ; notre société doit leur permettre d’être reconnues à leur juste valeur, à égalité avec leurs homologues masculins.
Il me semble que l’une des clefs pour y parvenir réside dans l’éducation, la formation et l’orientation. La prévention et la condamnation sévère des pratiques discriminatoires et des comportements sexistes ou des actes de harcèlement sont également essentielles.
En ce qui concerne la lutte contre les stéréotypes et leur reproduction, je souscris entièrement à cette phrase, qui figure à la page 26 du rapport : « Pour la délégation, la lutte contre les stéréotypes doit surtout prendre la forme d’une politique de prévention et de sensibilisation, menée en particulier auprès des jeunes générations. »
Attention donc aux solutions extrêmes qui peuvent être prônées « au nom de l’égalité ». S’il est nécessaire de favoriser, dans la production contemporaine, les œuvres de compositrices, de réalisatrices et de metteuses en scène, il ne me semble nullement acceptable de « censurer » des œuvres anciennes sous prétexte qu’elles véhiculent des stéréotypes ou sont écrites par des hommes. Doit-on jeter Molière, Verdi, Wagner et bien d’autres ?
Ce qu’il faut, là encore, c’est éduquer les publics, resituer les œuvres dans leur contexte historique et politique, et non pas condamner, voire réécrire a posteriori certaines œuvres qui ont été réalisées à une époque où, en effet, l’égalité entre les femmes et les hommes était un non-sujet.
Dans le secteur culturel comme dans d’autres, mener une politique « aveugle » de quotas sert peu.
Ce sont, je le répète, les conditions de l’égalité réelle des chances que nous devons créer en renforçant l’éducation et la prévention, et en luttant contre les discriminations.
C’est pourquoi, madame la ministre, j’espère et je crois en votre collaboration réelle avec le ministère de l’éducation nationale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, le titre de votre rapport d’information rédigé au nom de la délégation aux droits des femmes, « La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes », me plaît beaucoup. Ce titre pourrait être une forme de devise de l’action que je mène depuis plus d’un an à la tête du ministère de la culture. Passer aux actes, c’est exactement ce que je souhaite faire, et ce que j’ai commencé à faire.
Je suis donc heureuse d’être invitée ce soir par la délégation aux droits des femmes pour vous parler de cette action.
Cette question de l’égalité femmes-hommes est en effet devenue un sujet à part entière au sein du ministère de la culture et de la communication, que nous nous efforçons de traiter de manière transversale. Je salue d’ailleurs la présence dans cet hémicycle de Nicole Pot, en charge de ces questions au ministère.
Après le Comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes, présidé par le Premier ministre en novembre dernier, j’ai mis en œuvre ma feuille de route.
J’ai donc installé dès le mois de mars un comité pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication, qui rassemble une quarantaine d’acteurs du monde de la culture et des médias. J’ai été très satisfaite de voir la participation unanime de tous ceux, femmes et hommes, à qui nous avons demandé de participer à ce comité.
Il fallait d’abord « rendre visible l’invisible », c’est-à-dire la discrimination, comme vous le suggérez dans votre rapport. Faire connaître la réalité de la situation, c’est déjà un moyen pour lutter contre ces inégalités. C’est aussi un moyen de combattre l’ignorance ou, pire, l’indifférence.
Je me suis donc appuyée sur l’observatoire de l’égalité dans la culture et la communication, une étude qui rassemble des informations très parlantes sur les nominations, les rémunérations et les programmations, mais aussi sur l’accès aux moyens de production dans tous les champs de la culture, un sujet évoqué par Myriam Marzouki lors de son audition devant votre délégation.
Publiée le 1er mars dernier, cette étude sera actualisée et complétée au début de l’année 2014, notamment par des données sur le secteur du cinéma. Elle a bien entendu vocation à être mise à jour et enrichie régulièrement.
Cela me permet de répondre à l’une des remarques, très juste, de Corinne Bouchoux, qui rappelait qu’il y avait des études, mais qu’elles étaient insuffisamment suivies.
Je veux mettre en place des évaluations pour savoir quels sont les effets des actions que nous avons mises en œuvre.
Il fallait ensuite engager une politique incitative, car c’est aussi de cette manière que s’opère le changement.
Trois chantiers m’occupent particulièrement, qui recoupent d’ailleurs très largement les chantiers prioritaires identifiés par la délégation aux droits des femmes : combattre les stéréotypes, donner toute leur place aux créatrices et promouvoir la place des femmes dans les postes de direction. Voici où nous en sommes.
Les médias sont au cœur de l’enjeu de la lutte contre les stéréotypes. L’image est en effet au cœur de la représentation que l’on donne de la société et des autres, et donc au cœur des processus d’identification auxquels sont confrontés, dès le plus jeune âge, les petites filles et les petits garçons.
L’image a aussi une influence très forte sur la formation des idées et la construction des consciences.
Nous devons donc veiller à ce que ces représentations véhiculées par les médias soient le reflet de la société, et non de ses blocages, et qu’elles contribuent à faire évoluer dans le bon sens la représentation des femmes.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire le 8 juillet dernier à l’occasion du colloque France Télévisions « En avant toutes » consacré à la place et à la représentation des femmes à la télévision, le rôle du service public audiovisuel est déterminant pour combattre les discriminations et les stéréotypes. Le service public doit être exemplaire en la matière.
Le CSA sera désormais chargé d’exercer une vigilance toute particulière sur le sujet de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, en veillant notamment à promouvoir une meilleure image des femmes dans l’audiovisuel. Cela passe, en particulier, par la lutte contre les stéréotypes sexistes et les images dégradantes dans les programmes mis à la disposition du public. À cet égard, je me réjouis que le nouveau président du CSA ait décidé, avec le collège, de créer un groupe de travail sur les droits des femmes, présidé par Sylvie Pierre-Brossolette. Je sais que c’est un sujet qui vous tient à cœur.
La lutte contre les stéréotypes passe aussi par la formation, et donc par nos écoles : nous devons convaincre nos jeunes qu’il n’y a pas de métiers ou de filières qui seraient réservés par essence aux femmes – ou aux hommes ! –, ou interdites aux femmes, et qu’il n’y a pas non plus, à l’intérieur de chacune de ces filières ou de ces métiers, des niveaux au-delà desquels l’ambition des femmes devrait buter sur l’écueil de la maternité. Nous devons travailler à améliorer les orientations et les formations pour permettre à chacune et à chacun de se saisir de toutes les chances que lui offre son talent.
C’est vrai dans tous les domaines, mais c’est particulièrement vrai dans la culture, où l’on observe d’énormes inégalités dans la division du travail. Le secteur de la culture a beau être composé de milieux progressistes, qui veulent donner une image du monde et souhaitent souvent contribuer à son évolution, on retrouve malheureusement au sein de l’organisation hiérarchique et sociale qui prévaut dans les milieux culturels les mêmes mécanismes de discrimination à l’encontre des femmes qu’ailleurs – il arrive même parfois qu’ils soient pires qu’ailleurs.
Faut-il expliquer cela au nom d’une conception quelque peu datée du « génie créateur », une sorte de pouvoir démiurgique qui devrait demeurer l’apanage des hommes ? Ou serait-ce finalement, pour paraphraser Nietzsche, qui lui-même s’appuyait sur les Anciens, une autre expression du libri aut liberi – des livres ou des enfants –, comme si l’on ne pouvait pas tout à la fois exercer un pouvoir créateur d’artiste et avoir des enfants, le fait de donner naissance parallèlement à deux univers étant absolument insupportable ?
Nous devons donc travailler pour faire pièce à ces représentations, qui conduisent à cette grande inégalité et à cette division du travail dans les milieux culturels qui ne doit plus avoir cours.
Je voudrais à ce titre saluer le remarquable travail d’Universcience, qui anime auprès du jeune public des ateliers pour les sensibiliser à la question des stéréotypes et des préjugés sur la place de la femme dans les sciences et dans la société plus largement, et qui travaille à la représentation des femmes dans les expositions.
Je souhaite également que les écoles de l’enseignement supérieur dans le champ de compétence de mon ministère se saisissent de ces enjeux et puissent sensibiliser les élèves à ces questions. Cela ne se fait pas tout seul : là encore, les directrices d’école sont souvent des directeurs, et nous devons encore travailler pour faire évoluer le niveau d’encadrement féminin dans le champ de l’enseignement supérieur culturel.
J’ai aussi été sensible à la question du harcèlement à caractère sexuel dans les écoles d’art, que vous avez soulevée dans votre rapport. Pour celles qui dépendent du ministère de la culture, je demanderai qu’un état des lieux soit effectué. Jusqu’à présent, sauf quelques cas très spécifiques, je n’avais pas eu de remontées particulières d’informations, mais vous pouvez compter sur moi pour porter une attention toute particulière à ce sujet, madame la sénatrice.
La représentation des femmes passe aussi, bien sûr, par la dimension symbolique. Nous sommes dans le champ culturel et je me félicite, moi aussi, des grandes lignes des conclusions du rapport remis par Philippe Bélaval au Président de la République sur la nécessité de faire entrer des femmes au Panthéon afin de reconnaître à leur juste valeur leurs parcours exceptionnels de combattante, de citoyenne ou d’héroïne de la Résistance.
Toutefois, il est vrai aussi que certaines femmes artistes ont énormément apporté à notre pays. Je pense notamment à Marguerite Yourcenar, première femme à l’Académie française, à Marguerite Duras, à Simone de Beauvoir, ou encore à Joséphine Baker, une femme intelligente, courageuse, engagée dans la Résistance, mais dont la carrière de danseuse ne manquerait pas de provoquer un petit émoi si elle devait être honorée – voilà encore une autre forme de discrimination…
Quoi qu’il en soit, les exemples de femmes brillantes qui auraient toute leur place au Panthéon ne manquent pas.
Depuis six mois, nous avons défini les leviers qui nous permettront de faire évoluer la situation. J’ai concentré mon action et celle de mon ministère sur plusieurs aspects.
Tout d’abord, les contrats liant le ministère aux différentes institutions définiront désormais des clauses de promotion de l'égalité – en termes de nominations, de rémunérations, mais également de place des femmes dans les programmations, et ce dans le respect de la liberté de programmation. Ce sera la même chose pour les médias publics, lors du renouvellement des contrats d’objectifs et de moyens.
Dans le cadre d’une « saison égalité », un courrier a été envoyé aux dirigeants des 270 institutions culturelles dans le secteur du spectacle vivant, pour les inciter à inverser la tendance en donnant une plus juste place à toutes les femmes artistes dans la programmation comme dans la répartition des moyens de production. Une nouvelle fois, tout cela se fait dans le respect de la liberté de programmation des établissements – qui doit être un principe intangible.
Concernant la promotion des femmes dans les postes de direction, j’ai mené une politique de nominations dynamique.
Je remercie Maryvonne Blondin d’en avoir rappelé les principes.
Françoise Laborde a évoqué la nomination d’Irina Brook à la tête du Centre national dramatique de Nice. Toutefois, ce n’est pas la seule femme que j’ai nommée.
Je suis partie du même constat que vous : 90% des dirigeants sont des hommes. Face à ce qu'il convient d'appeler un blocage institutionnel, j'ai voulu impulser un mouvement, que je poursuivrai, pour favoriser le renouvellement à la tête de nos institutions.
Pour répondre au sénateur Jacques Legendre, concernant cette politique de nominations, je n’ai pas fait sortir les hommes pour nommer des femmes. Il y avait des règles concernant notamment le nombre de mandats successifs que pouvaient occuper des dirigeants d’établissement.
À leur arrivée en fin de mandat, j’ai clairement annoncé que le moment était venu de faire appliquer les règles, car les règles doivent être les mêmes pour tout le monde et sur tout le territoire de la République. Après tout, on nous demande à nous, élus, d’avoir des limitations en ce qui concerne le cumul des mandats. Cela peut aussi s’appliquer aux établissements publics, en tout cas à ceux du ministère de la culture.
Ces décisions ne remettent pas en cause le talent artistique de ceux qui étaient à la tête des établissements. En l’occurrence, seules leurs fonctions de direction d’établissement étaient concernées, et non pas leur capacité à produire ou à créer.
Au contraire, ceux qui ne sont plus directeur d’établissement seront accompagnés, en termes de subventions, pour le retour en compagnie.
J’ai souhaité que ces nominations soient l’occasion d’un renouvellement. Celui-ci doit se faire en incitant à une meilleure présence des femmes à la tête des établissements.
J’ai donc d’abord, dès le début de l’année, envoyé aux préfets et aux DRAC une circulaire demandant que l'on tende vers la parité dans la composition des jurys de sélection des candidats aux postes de dirigeants des institutions dans le domaine du spectacle vivant et des arts plastiques, et que les listes restreintes de candidats établies par ces jurys soient également paritaires, ou en tout cas tendent vers la parité – il y a, en général quatre candidats sur ces listes restreintes.
Les résultats ont été extrêmement positifs et parlants : le simple fait d'avoir institué des commissions de sélection elles-mêmes paritaires – et que cela se sache – a permis de susciter plus de 50 % de candidatures féminines, contre moins de 20 % auparavant.
Nous évoquons des blocages psychologiques, la timidité ou la sous-évaluation de soi-même qu’ont les femmes, mais des mécanismes institutionnels permettent de lever ces blocages.
Ainsi, nous avons pu nommer Irina Brook au Théâtre national de Nice.
Plus généralement, depuis mon arrivée au ministère de la culture, j’ai eu à nommer neuf dirigeants de Centres dramatiques nationaux.
Sur ces neuf nominations, quatre femmes ont été nommées. Je nommerai bientôt une dixième personne : il y aura alors cinq hommes et cinq femmes.
La parité est atteinte sans que je n’aie jamais in fine fait prévaloir le critère du sexe. C’est simplement sur la qualité des projets présentés, sur la détermination et la volonté des candidates que j’ai pris mes décisions. D’ailleurs, elles ont souvent affirmé que la présence de femmes – à parité – dans les commissions et la volonté affirmée de reconnaître une plus juste place aux femmes leur avait donné cette confiance dont on leur reproche de ne pas faire suffisamment preuve.
Ces résultats sont encourageants.
De même, j’ai nommé six femmes directrice régionale des affaires culturelles. Cela permet de rééquilibrer progressivement la place des femmes parmi les dirigeants des services déconcentrés de l’État, pour ce qui concerne le ministère de la culture.
Par ailleurs, Sophie Makariou vient d’être nommée à la direction du Musée Guimet et Frédérique Bredin, à la tête du CNC.
Évidemment, cette politique a suscité des critiques, voire des polémiques. Mais c’est peut-être l’hommage du vice à la vertu – même si je ne veux pas m’arroger des valeurs comme celle-là.
Néanmoins, c’est le signe que les choses changent. Comme le disait Ariane Mnouchkine dans sa tribune dans Le Monde cet été, c’est le signe que lorsque les femmes arrivent quelque part, cela dérange. (Mme Maryvonne Blondin opine.) Cela dérange les situations acquises où finalement des messieurs s’arrangeaient de rentes de situation.
Tout d’un coup, lorsqu’on leur annonce qu’ils vont simplement être mis en juste concurrence avec des femmes talentueuses et compétentes, cela dérange les situations acquises.
C’est le changement qui est en marche.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. C’est le moment des actes qui est venu.
Par ailleurs, j’ai souhaité que mon administration soit exemplaire. J’ai évoqué les nominations aux postes de DRAC – parce que l’égalité entre les femmes et les hommes doit commencer par le ministère et ses opérateurs.
Je souhaite que nous allions au-delà des objectifs de la loi Sauvadet.
En outre, j’ai pour ambition d'atteindre, le plus vite possible, la parité dans les conseils d'administration des opérateurs du ministère et les commissions consultatives dont je fixe la composition.
À cette fin, je m'engage devant vous à ce que, lors des renouvellements des personnalités qualifiées dans les conseils d’administration et dans les commissions consultatives du ministère, les nominations prennent pleinement en compte cet objectif d'arriver rapidement à la parité.
Pour cela, nous constituons des viviers exhaustifs dans tous les corps concernés par les postes de direction, en repérant les talents dans tous les domaines et en organisant, le cas échéant, des formations adaptées – qui peuvent d’ailleurs bénéficier aussi bien aux hommes qu’aux femmes.
Ces mesures répondent à un grand nombre de vos recommandations. Je voudrais revenir sur l'une d'elles en particulier : celle qui porte sur la signature d'une « charte pour l'égalité », qui engagerait les signataires à exercer une vigilance sur les stéréotypes, à favoriser la production des femmes et à veiller à une représentativité équilibrée des femmes dans les organigrammes.
Sachez qu'une Charte pour l'égalité hommes-femmes dans le secteur du cinéma vient d'être signée, le 10 octobre, au ministère de la culture et de la communication, avec la ministre des droits des femmes, en présence des deux premières signataires de la Charte : Frédérique Bredin, présidente du CNC, et Véronique Cayla, présidente d'Arte et marraine de l'association Le Deuxième Regard, à l'initiative de cette Charte.
Notre politique commence à porter ses fruits. Quelque chose est en train de bouger dans le paysage culturel français.
Je remercie Pierre Laurent de l’avoir rappelé : dans les prochains mois, va se poser la question des femmes dans les annexes VIII et X concernant l’indemnisation du chômage pour les intermittents du spectacle.
La question des « matermittentes » – c’est un assez joli mot pour une réalité souvent dure pour ces femmes – doit être spécifiquement prise en compte. J’y veillerai particulièrement. C’est un enjeu prioritaire, qui doit faire l’objet d’un traitement à part entière.
Enfin, il est aujourd’hui inadmissible que la France réserve encore à certaines femmes le sort que l'histoire a réservé à celles qui ont écrit certaines des plus belles pages de notre littérature ou de notre histoire.
On se souvient toujours d’Elsa Triolet en l’associant à Louis Aragon – ils formaient évidemment un très beau couple, littéraire et personnel. Mais elle était également un écrivain d’immense talent récompensé par le prix Goncourt. C’était une femme de conviction ; elle s’est battue pour la lecture publique. Je suis heureuse d’avoir inauguré très récemment, dans ma circonscription, en Moselle, une bibliothèque médiathèque théâtre nommée la Maison d’Elsa.
Dans ses Fragments autobiographiques, Elsa Triolet consignait ces mots : « Les femmes, c'est l'avenir du monde. Leur force n'est pas découverte, mais est-ce que l'électricité a toujours été connue ? Elle remuera encore des montagnes, cette force. »
Pour conclure, les femmes c’est la culture et l’électricité. C’est une force qui remue les montagnes. Ne permettons pas qu’elle demeure invisible. Il y va de l’avenir du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la place des femmes dans l’art et la culture.