Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Nous avons, à de nombreuses reprises, évoqué au cours de ce débat le drame que connaît la Syrie et ses conséquences, à savoir l’afflux de réfugiés. Nous avons tous la volonté qu’une issue pacifique et politique soit trouvée le plus rapidement possible. Or, mi-novembre, devrait – j’emploie à dessein le conditionnel – se réunir la conférence de Genève II pour la paix en Syrie sous l’égide de l’ONU. Celle-ci devrait se fixer pour objectif d’aboutir à la cessation des violences, au retour des réfugiés et des déplacés et à la mise en place d’un gouvernement transitoire. Elle devrait réunir l’ensemble des parties syriennes, les pays impliqués dans la région, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne, notamment.

Je connais la position de la France, qui œuvre activement à la tenue effective de cette conférence, mais pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelle est la feuille de route de la diplomatie européenne en la matière, laquelle reste bien discrète sur le sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, j’ai rarement entendu dire que la France était discrète sur le dossier syrien !

M. Michel Billout. J’ai dit que c’était la diplomatie européenne qui était discrète !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Soit ! Je suppose que vous visez la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Il n’y a pas que sur ce sujet qu’elle est discrète !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Sur ce dossier très complexe que nous avons porté, comme vous le savez, devant les Nations unies, afin que soit adoptée une résolution contraignante par le Conseil de sécurité dont le non-respect entraînerait une action au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, nous poursuivons les négociations au jour le jour. Nous lui accordons toujours autant d’attention. Laurent Fabius consacre énormément de temps à cette question, afin, notamment, de s’assurer, dans la perspective de la conférence de Genève II, que puissent se retrouver autour de la table toutes celles et tous ceux dont nous estimons qu’ils ont une légitimité démocratique à s’exprimer sur l’avenir de la Syrie. Nous souhaitons la meilleure représentativité possible des forces à ce jour en présence.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, les États-Unis et la Russie considèrent que la présence de Bachar Al-Assad est nécessaire. Cependant, nous percevons moins d’enthousiasme pour que celles et ceux que nous avons, nous, considérés comme étant aujourd’hui les représentants du peuple syrien puissent être accueillis et participer aux négociations.

Nous avons l’espoir que, au terme de son mandat, le président syrien actuel puisse ne plus être dans la course, ce qui favoriserait vraiment une solution politique, que nous appelons tous de nos vœux. En effet, au-delà du problème de la destruction des armes chimiques, on oublie de plus en plus, hélas, que la guerre conventionnelle continue et fait chaque jour plusieurs dizaines de morts.

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le ministre, l’Europe a adopté de nombreuses dispositions pour faire en sorte que les règles de concurrence en matière économique soient respectées. Toutefois, il existe un domaine dans lequel elles sont régulièrement bafouées : celui du football. En effet, faute d’harmonisation des législations fiscales, certains clubs européens peuvent développer des projets sportifs sans commune mesure avec ceux de notre pays, même s’il semble aujourd’hui que des clubs ont réussi à franchir cet obstacle.

Il en résulte, dans un domaine manifestement économique, des distorsions qui se produisent notamment au détriment des clubs français, lesquels sont particulièrement contrôlés par la Direction nationale du contrôle de gestion.

Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il serait temps de mettre en place une instance européenne pour réguler et mettre un peu d’ordre dans ces clubs européens qui s’affranchissent de toute règle ? Je pense, par exemple, au Real Madrid qui efface sa dette chaque année, aux moratoires accordés en faveur des clubs italiens, ou encore aux fonds, dont on ne connaît pas très bien la provenance, qui financent certains clubs britanniques… Il s’agit là d’un autre sujet, lequel cependant concerne également l’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Le ministre n’est pas sans voix sur cette question ! Votre origine géographique, monsieur le sénateur, laissait à penser que votre question porterait plutôt sur le rugby ! (Sourires.)

Le football est une bonne illustration d’un marché sans règles. Le prix des transferts en atteste et peut nous conduire à nous interroger les uns et les autres. Il existe néanmoins une règle communautaire, la seule, à ma connaissance, à s’appliquer sur le territoire européen. L’arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, limite le nombre de joueurs étrangers pouvant être acceptés dans chaque équipe.

On peut penser que l’arrivée de capitaux a des effets positifs parce que des joueurs de talent peuvent alors se rendre dans tel ou tel club. Mais vous avez raison, monsieur le sénateur : la situation actuelle crée un championnat à deux vitesses.

Cela étant, afin que vous obteniez une réponse plus précise, je saisirai de votre question ma collègue Valérie Fourneyron.

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le ministre, vous avez évoqué tous les travaux qui ont été engagés dans le cadre du développement de l’économie numérique dans la perspective du prochain sommet, et je vous en remercie. Vous avez notamment abordé l’éventuelle taxation des fameux GAFA sur la valeur produite. Il est important de prévoir une territorialisation en l’espèce.

Je voudrais mettre en lumière deux autres aspects de cette économie numérique qui me paraissent essentiels et qui sont souvent négligés. Ils tiennent non pas à la concurrence étrangère directe, mais aux règles que l’Union européenne s’applique à elle-même.

Auteur, avec mon collègue Bruno Retailleau, du rapport d’information sur l’industrie des jeux vidéo, j’ai pu constater que l’Union européenne avait une vision ultralibérale de l’usage des crédits d’impôt.

Dans le contexte d’une concurrence de plus en plus forte, nous limitons l’octroi de crédits d’impôt tandis que des provinces comme le Québec et plus encore l’Ontario offrent 50 % de crédits d’impôt. J’ai même pu constater que certains États des États-Unis, dans une logique de relocalisation, proposent 100 % de crédits d’impôt.

Si nous assistons aujourd’hui à une fuite des cerveaux dans le secteur du numérique, c’est parce que l’Amérique du Nord est devenue extrêmement attractive. Je le répète, les règles internes à l’Union européenne sont particulièrement fermées.

Par ailleurs, l’offre culturelle fait l’objet d’une dématérialisation. Or nous ne sommes pas en mesure d’assurer une neutralité fiscale entre les produits physiques et les produits virtuels. Notons des taux de TVA différents applicables aux livres en fonction de leur forme papier ou virtuelle, ou encore à la presse. À chaque fois que cette question est abordée, on nous oppose que les services numériques relèvent de la directive Services de 2006. Par conséquent, la logique de l’exception culturelle n’est pas appliquée en l’espèce.

Dans le cadre des négociations que nous allons avoir avec eux, les États-Unis ont accepté de laisser de côté la question culturelle, mais ont refusé de mettre entre parenthèses la question des services numériques qui engage aujourd’hui l’avenir de la distribution des produits culturels. C’est extrêmement grave. Et l’Union européenne apporte une réponse obsolète, par le biais d’une directive qui date d’une période antédiluvienne au regard de l’évolution technologique, notamment du développement du haut débit et du web 2.0. Il faudrait donc à mon avis modifier ce système.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le sénateur, c’est la première fois que je suis interrogé sur cette distorsion qui existe, selon vous, entre nos amis d’outre-Atlantique et l’Union européenne, eu égard aux différentes règles en matière de crédits d’impôt.

Je vais examiner cette question de façon très précise et étudier l’obsolescence de la directive Services.

Je saisirai également de ce sujet ma collègue chargée de la culture qui sera intéressée par les mesures qui seront prises dans le secteur du numérique à l’occasion du Conseil européen des 24 et 25 octobre prochain. Je saisirai aussi Fleur Pellerin, chargée, notamment, de l’économie numérique : nous avons tenu une réunion de préparation interministérielle sur son initiative, cependant à aucun moment cette question n’a été évoquée. C’est tout l’intérêt de nos échanges, mesdames, messieurs les sénateurs, d’attirer l’attention du Gouvernement sur certains points.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le ministre, vous avez déjà plus que partiellement répondu à notre interrogation. Notre groupe veut vous faire part de la satisfaction que lui inspire l’inscription d’un point consacré à l’économie numérique à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen. C’est une première qu’il faut souligner, dans la mesure où nous souhaitons que le Gouvernement demande à l’Union européenne de faire du numérique une politique autonome dans l’agenda européen. Nous y insistons, car il est important que l’Union européenne se dote d’une stratégie opérationnelle au regard des défis présents et futurs.

Le package proposé par Neelie Kroes attire aujourd'hui toutes les critiques, qu’elles viennent des opérateurs, des utilisateurs ou des consommateurs. Il est rare d’entendre une analyse positive des mesures proposées. Je vous invite donc à peser de tout le poids de notre pays sur les décisions à venir. Les propositions de Neelie Kroes ne traitent pas des vrais sujets ; elles ne sont qu’un écran de fumée de plus, alors que la constitution de véritables entreprises européennes dans le secteur numérique est une urgence.

Un certain nombre de nos entreprises travaillent déjà dans ce secteur. Pour qu’elles puissent réaliser les lourds investissements qui leur permettront de se développer et de faire face à la concurrence mondiale – le marché est actuellement dominé par la Chine –, il faut que l’espace européen leur offre des possibilités de croissance. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous confirmer qu’un projet de régime de gouvernance et de régulation des services digitaux sera bien élaboré ?

Je reprendrai à mon compte ce que vous avez dit sur la fiscalité : il est évident qu’il y a une véritable urgence à cause de l’érosion des bases fiscales. Le Québec et l’Ontario ont été évoqués. Dans ces provinces, certaines start-up du secteur numérique disposent de crédits d’impôt à durée illimitée.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur Hérisson, vous avez entendu les critiques de la proposition de Neelie Kroes, commissaire chargée en partie – en partie seulement – du sujet. Sa proposition concerne exclusivement le paquet « télécoms ». Nous souhaitons que, à l’occasion du Conseil européen des 24 et 25 octobre, il y ait une approche complète, globale du dossier du numérique, afin de faire émerger à terme de grands champions européens de taille mondiale. Pour leur part, les États-Unis se sont dotés en 2011 d’une stratégie à la fois politique, industrielle, économique et d’influence. Le document qu’a produit la France cet été dans la perspective du Conseil européen des 24 et 25 octobre apporte des réponses sur les enjeux politiques, stratégiques, industriels, culturels et fiscaux, qui sont très importants.

Se pose aussi la question de la protection des données, de nos données, lorsque nous utilisons le matériel numérique. Ce point ne doit pas être négligé, car la question de la protection des données sous-tend celle de leur utilisation, éventuellement à des fins mercantiles, pour augmenter un chiffre d'affaires. Nous sommes donc très vigilants. Il ne faut pas que la partie consacrée aux télécoms et au marché intérieur soit adoptée seule. Nous souhaitons qu’un plan stratégique, industriel soit élaboré.

Nous devons également réfléchir aux moyens de combattre l’érosion des bases fiscales des États. Le respect des droits de propriété intellectuelle repose sur un équilibre entre les libertés publiques – le droit à la vie privée et à la protection de ses données personnelles – et la sécurité.

Il ne faudra pas s’en tenir aux décisions prises dans le cadre du Conseil européen des 24 et 25 octobre prochain. D’autres chapitres de la législation européenne pourront favoriser l’émergence de champions. Je pense par exemple au programme « Horizon 2020 ». Soixante-dix milliards d'euros ont été fléchés à cet effet dans le budget 2014-2020 que le Parlement européen votera dans quelque temps. Rien n’interdit d’affecter une partie de ces fonds au développement des technologies numériques, qui seront à terme créatrices d’emplois, notamment pour cette jeunesse qui montre beaucoup d’appétit pour ce secteur. Il ne faut pas non plus négliger le financement par les project bonds, qui sont une nouvelle forme d’obligation européenne conçue pour soutenir de grands projets. Il ne faut pas davantage oublier l’importance de la Banque européenne d’investissement, la BEI ; vous le savez bien, monsieur le sénateur, puisque la Haute-Savoie est l’un des premiers départements à recevoir des financements de la BEI pour la numérisation de son territoire.

Tous les dossiers doivent avancer ensemble. Nous ne devons pas avoir une vision trop fragmentée. C’est le problème de la proposition de Neelie Kroes. Nous lui avons dit voilà quelques jours, à Paris, que nous ne la suivrions pas. Nous souhaitons qu’une majorité de pays s’associent aux préconisations de la France ; ce n’est pas gagné d’avance, mais ce n’est pas perdu non plus !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013.

7

Nomination de membres d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi et du projet de loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :

Titulaires : MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Pierre Michel, Mmes Virginie Klès et Cécile Cukierman, MM. Hugues Portelli, Jean-Jacques Hyest et Michel Mercier.

Suppléants : M. Philippe Bas, Mme Esther Benbassa, MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Christophe-André Frassa, Jean-Yves Leconte et Roger Madec.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Débat sur la place des femmes dans l'art et la culture

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la place des femmes dans l’art et la culture (rapport d’information n° 74 [2012-2013], organisé à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

La parole est à Mme la présidente et rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente et rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider, a fait de la place des femmes dans le secteur de la culture le thème principal de ses travaux au cours de la session 2012-2013. Entre les mois de janvier et de mai dernier, douze auditions nous ont permis d’entendre le point de vue de dix-sept professionnelles de la culture représentant tout le champ de l’expression et de la programmation artistiques.

Ces travaux ont conduit à la publication, le 27 juin dernier, d’un rapport assorti de dix-neuf recommandations, que la délégation a adoptées à l’unanimité des présents. Nous sommes réunis ce soir pour en débattre ensemble, ce qui est, pour mes collègues et moi-même, une source particulière de satisfaction.

Le rapport de la délégation a mis en évidence un déséquilibre patent entre les hommes et les femmes, au détriment des femmes, dans le secteur culturel et dans la programmation des œuvres artistiques proposée au public en France. Force du « plafond de verre », faible visibilité des créatrices et puissance des stéréotypes masculins et féminins dans les médias figurent parmi les causes du déséquilibre relevé par nos travaux.

Ces constats peuvent sembler quelque peu contre-intuitifs, car le domaine de la culture est traditionnellement considéré comme accueillant pour les femmes, mais le rapport souligne bien l’« invisibilité » des femmes dans les lieux de création et les diverses manifestations artistiques.

De manière générale, on compte très peu de femmes parmi les artistes mis à l’honneur lors des grands prix, festivals, rétrospectives et autres manifestations culturelles destinées à valoriser l’excellence dans tel ou tel domaine.

En 2011, alors que ne figuraient parmi les 542 acquisitions annuelles des Fonds régionaux d’art contemporain – les FRAC – que 132 œuvres réalisées par des femmes, soit 24 %, la part des œuvres d’artistes femmes dans les acquisitions du Fonds national d’art contemporain était, elle, de 21 %.

Le prix moyen des créations des artistes femmes est inférieur de 27 % à celui des œuvres des artistes masculins, selon le premier état des lieux publié au mois de mars dernier par l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans la culture et la communication.

Par ailleurs, seuls cinq centres chorégraphiques nationaux sur dix-neuf sont actuellement dirigés par des femmes : la proportion de 25 % n’a pas évolué depuis le rapport de Reine Prat remis en 2009.

Quant à l’accès des femmes aux postes stratégiques de l’administration culturelle, il existe encore en France d’importantes marges de progression : la part de femmes dans les postes de direction du ministère de la culture et des établissements publics qui en dépendent est d’environ 25 %.

De même, les femmes dirigent généralement les établissements les moins subventionnés, qu’il s’agisse des centres nationaux de création musicale, des opéras, des centres dramatiques ou des scènes nationales. Ce n’est certes pas parce qu’une femme dirige une structure que celle-ci reçoit moins de subventions, mais les statistiques montrent clairement que les femmes sont généralement nommées à la tête des structures les moins subventionnées.

Cela étant – je m’éloigne un instant du thème de l’invisibilité des créatrices –, les auditions auxquelles a procédé la délégation ont permis de mettre en évidence la banalisation de comportements sexistes dans les écoles d’art, au point que l’une des personnes reçues a dénoncé le fait que « l’éventail des comportements sexistes est large, allant de l’insulte sexiste ou homophobe jusqu’au harcèlement sexuel », ce qu’elle a d’ailleurs qualifié de « véritable fléau qui sévit dans l’enseignement artistique. »

Les données contenues dans le rapport sur la faible visibilité des femmes dans le secteur de la culture viennent d’être confirmées par une plaquette publiée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, qui concerne la saison 2013-2014. On y dénombre seulement 25 % de spectacles de théâtre mis en scène par des femmes, 15 % de femmes solistes instrumentistes, 20 % de textes dus à des femmes auteures dans la programmation théâtrale et seulement 3 % de femmes chefs d’orchestre.

Ce dernier pourcentage est d’ailleurs emblématique de la force des préjugés qui limitent les carrières féminines : jouer d’un instrument, oui, mais diriger un orchestre, vous n’y pensez pas !

Le titre de cette plaquette – Où sont les femmes ? – interpelle à juste titre. En effet, tout se passe comme si la tradition des « grands maîtres » revenait à limiter le contact entre les femmes artistes et le public.

Pour en revenir aux femmes chefs d’orchestre, force est de constater qu’il reste un long chemin à parcourir si l’on en juge par des propos récents du directeur du Conservatoire de Paris, relayés par un quotidien en ligne, soulignant l’incompatibilité entre maternité et profession de chef d’orchestre.

Le tableau que la délégation a présenté n’est donc pas plus favorable aux femmes que ceux qu’ont dressés les deux rapports de la mission Égalités du ministère de la culture, en 2006 et 2009, sur l’égal accès des femmes et des hommes, dans le domaine des arts du spectacle, aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion et à la visibilité médiatique. Il semblerait que, en sept ans, rien n’ait été fait pour progresser.

Je rappellerai ce soir que les statistiques mises au jour par ces rapports étaient accablantes, car elles avaient alors révélé que les hommes dirigeaient 89 % des institutions musicales et 92 % des théâtres consacrés à la création dramatique, tandis que la programmation favorisait les hommes à hauteur de 97 % pour les compositeurs, de 94 % pour les chefs d’orchestre, de 85 % pour les auteurs des textes dramatiques à l’affiche des théâtres du secteur public et de 78 % pour les metteurs en scène de théâtre.

Dans le même esprit, on s’était alors aperçu que le coût moyen d’un spectacle pouvait varier du simple au double, dans la même institution, selon qu’il était mis en scène par une femme ou par un homme.

Ces travaux avaient également souligné des inégalités majeures dans les domaines suivants : celui de la musique, où, en 2009, les femmes représentaient 44 % des musiciens interprètes, 30 % des musiciens d’orchestres permanents et seulement 20 % des solistes, et, de manière beaucoup plus surprenante encore, celui de la chorégraphie, secteur pourtant traditionnellement accueillant pour les femmes, où la proportion de directrices de centres chorégraphiques nationaux est passée, entre 2006 et 2009, de 43 % à 26 %.

Ce déséquilibre entre les hommes et les femmes ne semble pas propre à la France, puisque le Parlement européen a adopté, au mois de mars 2009, une résolution sur l’égalité de traitement et d’accès entre les hommes et les femmes dans les arts du spectacle. Cette résolution constatait que de telles inégalités laissaient « des compétences et des talents inexploités et [étaient] préjudiciables à la dynamique artistique ».

Le Parlement européen appelait donc les États membres non seulement « à lever toute entrave à l’accès des femmes à la tête des institutions et des organisations culturelles les plus renommées », mais aussi à « garantir, chaque fois que cela était possible, l’anonymat des candidatures [en maintenant] l’usage de l’audition derrière un paravent pour le recrutement des musiciens d’orchestre » afin de permettre à des candidatures féminines de prospérer. Cette dernière recommandation, vous le comprendrez, mes chers collègues, se passe de commentaire...

Il y a donc bien eu une prise de conscience ; le diagnostic d’un déséquilibre très injuste, au détriment des femmes, dans tous les secteurs de la vie culturelle et artistique a été posé.

Alors, que faire pour améliorer les choses ?

J’en viens, madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, aux recommandations de la délégation. Je me bornerai ce soir à évoquer devant vous celles qui me semblent les plus importantes.

Certaines de ces recommandations s’attachent à la source du problème, qui réside dans la force des stéréotypes masculins et féminins responsables de la pérennité de représentations féminines traditionnelles défavorables, dans la culture comme ailleurs, à la promotion des femmes. Des progrès restent à faire, à cet égard, dans les médias. La délégation appelle donc à une vigilance particulière dans l’élaboration des contenus – productions et programmes – et à la désignation, dans l’organigramme de toute structure et, plus particulièrement, des chaînes de télévision publiques, des personnes ou services chargés de cette mission de vigilance.

De manière générale, la délégation a estimé utile d’intégrer la sensibilisation aux stéréotypes masculins et féminins à la formation des élèves des conservatoires, des écoles d’art et des écoles de journalisme.

Avec le problème de la pérennité des stéréotypes traditionnels, qui contribuent à décourager l’essor de trop nombreuses femmes, nous sommes confrontés, nous en avons toutes et tous conscience, à un phénomène qui dépasse très largement le thème de la culture et des milieux artistiques qui nous rassemble ce soir.

Les caricatures, les clichés et les préjugés sexistes, qui sont autant de freins aux carrières féminines, ne se limitent pas au domaine artistique. Nous touchons là une question de société très vaste, qui intéresse évidemment le contenu des programmes de télévision, la publicité, mais aussi les manuels scolaires, la littérature et la presse enfantine et de jeunesse. Si vous me le permettez, je veux lancer ce soir une alerte au sujet des jeux vidéo et en ligne, dans lesquels les représentations des femmes sont souvent consternantes, voire choquantes, au point que le viol y est parfois banalisé.

Désamorcer ces préjugés sera un travail de longue haleine auquel la délégation aux droits des femmes ne restera pas indifférente, car il s’agit d’une question déterminante pour l’équilibre de notre société et pour l’harmonie des relations entre les hommes et les femmes.

Une autre série de recommandations vise à favoriser les candidatures féminines et à lever les freins aux nominations de femmes à des postes de direction : fixation d’un objectif de nomination d’au moins un tiers de femmes dans toutes les administrations culturelles, afin d’assurer un vivier de recrutement pour l’avenir ; encouragement des short lists paritaires et des co-candidatures pour les nominations aux postes de direction ; désignation de jurys paritaires pour tout recrutement dans le domaine artistique et culturel et sensibilisation des jurys et autres comités de sélection à la nécessité de ne pas juger les candidates différemment des candidats – trop souvent, on constate un niveau d’exigence plus élevé pour les candidates que pour les candidats, même de la part de jurys paritaires.

Certaines recommandations ont pour objet d’améliorer la visibilité des œuvres des créatrices qui, dans notre société, ont tant de mal à accéder au public. Il s’agirait de réfléchir à la création d’un « incubateur » de création, dédié aux femmes artistes, qui pourrait servir de source d’inspiration aux programmateurs de toutes les disciplines.

Pour ce qui concerne les médias, la délégation préconise de respecter une proportion d’un tiers d’œuvres, articles, émissions, etc. réalisés par des femmes. Dans cet esprit, la création d’un « prix » au féminin, qui serait attribué chaque année, par exemple, à une chaîne de télévision ou à un organe de presse qui se serait illustré par la place donnée à la création féminine, pourrait, selon la délégation, contribuer à faire bouger les lignes, si je puis employer cette expression.

Par ailleurs, il serait intéressant d’encourager les commissions de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée à sélectionner un certain pourcentage de films de femmes, par exemple un tiers.

Cela étant, il faut aussi poursuivre systématiquement la publication de brochures et de statistiques. L’état des lieux élaboré par le ministère de la culture et de la communication, au mois de mars dernier, dans le cadre de l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans la culture et la communication, a permis de faire une nouvelle fois le point. Faute de la publication régulière de tels bilans, les décideurs ont trop souvent tendance à croire l’objectif atteint au premier frémissement statistique favorable !

D’autres recommandations, enfin, concernent le harcèlement sexuel dont le rapport dénonce l’ampleur dans les écoles d’art : lancement d’une réflexion nationale sur la question, associant tous les professionnels du secteur ; généralisation de l’information des étudiants et étudiantes de tout le secteur artistique sur la question et élaboration d’une charte déontologique distribuée à tous dès leur inscription ; organisation de la procédure disciplinaire s’appuyant sur la compétence de la section disciplinaire d’un autre établissement que celui dont relèvent l’auteur et la victime présumés et sur une composition strictement paritaire de cette section.

À cet égard, je me félicite tout particulièrement que, dans le cadre de la discussion du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Sénat ait adopté un amendement tendant à délocaliser les jurys en matière disciplinaire, en cas de poursuite pour faits de harcèlement sexuel. Je pense qu’une telle initiative honore notre assemblée.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Virginia Woolf l’a écrit : la littérature « est appauvrie, au-delà de tout ce que nous pouvons en juger, par toutes ces portes qui se sont refermées sur les femmes ». Le même regret s’applique incontestablement à la création artistique. La discrimination dont sont victimes les femmes dans tous les domaines de la culture ne concerne pas seulement l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle conduit aussi à priver le public de la richesse créatrice portée par des artistes ainsi évincées. C’est pourquoi, comme le souligne le titre du rapport de la délégation, il ne s’agit plus maintenant d’établir une nouvelle évaluation d’une situation hélas bien connue : le temps est venu de passer aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)