M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Je pense que l’état du Parlement se dégradera encore si on en arrive là.
Je rappelle également qu’un certain nombre de nos collègues exercent une activité professionnelle, parce qu’ils savent que leur mandat ne sera pas éternel. Après tout, la reconversion professionnelle à l’issue d’un mandat n’est pas toujours facile.
Les projets de loi ne répondent pas à la question posée. On me dira peut-être que c’est le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale qui y répond. Peut-être, mais en tout cas les projets de loi dont nous débattons aujourd'hui n’y répondent pas.
En outre, je vous rappelle que certaines dispositions du projet de loi ordinaire s’appliqueront à un certain nombre d’élus locaux, notamment aux maires des communes de plus de 20 000 habitants, aux adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants, aux conseillers généraux ou encore aux vice-présidents des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants.
Ces élus vont se trouver – ils ne le savent pas encore, mais ils vont vite le savoir – dans l’obligation de transmettre à la Haute Autorité une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts. Ces déclarations ne seront pas publiées, c’est vrai. ; je pense d'ailleurs que, s’il y avait eu publication, certains auraient réfléchi différemment à la question. Certains élus locaux estimeront sans doute que, si cela implique d’exposer son patrimoine et ses activités sur la place publique, cela ne vaut pas le coup de s’engager dans une vie politique qui ne rapporte que des indemnités très faibles – on se rapproche parfois du bénévolat –, et qu’il vaut donc mieux cultiver son jardin.
Je le répète, les projets de loi ne répondent pas à la question posée. En outre, ils ne sont pas pertinents sur le plan constitutionnel ; on aura d'ailleurs l’occasion de le vérifier, puisque le projet de loi organique sera obligatoirement soumis au Conseil constitutionnel.
Ce n’est qu’un épisode, on va passer à autre chose à l’automne. L’Assemblée nationale votera les textes tels qu’elle les a déjà votés, en intégrant peut-être quelques amendements, si l’on en croit l’optimisme du rapporteur,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Un optimisme raisonné !
M. Jean-Jacques Hyest. … mais des amendements de détail, pas des amendements de fond.
Nous avons déjà beaucoup contribué à la transparence de la vie publique. Personnellement, j’ai voté tous les textes sur ce sujet. Mais je ne voterai pas les textes qu’on nous propose aujourd'hui. C’est peut-être une question de culture, mais je pense que la publication est plus dangereuse que profitable. À mon sens, elle ne sert à rien, sauf à bénéficier du concours de dénonciateurs permanents, lesquels vont vérifier si la valeur du patrimoine déclaré est bien exacte. Ainsi, il a été reproché à certains ministres de sous-estimer largement la valeur d’une maison, dans le Midi par exemple. Cela va entretenir des polémiques !
Franchement, je pense que nous avons mieux à faire pour résoudre ce type de problèmes – par exemple, poser les bonnes questions aux autorités étrangères en matière fiscale – que de siéger jusqu’au 25 juillet pour des choses qui n’intéressent pas profondément les Français, lesquels ont d’autres sujets de préoccupation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, nous débattons aujourd’hui de textes dont l’ambition est d’assurer la transparence et le contrôle des patrimoines des responsables publics et donc de restaurer la moralité en politique et, bien évidemment, nous l’espérons, de redonner confiance aux Français. Néanmoins, il me semble qu’en la matière il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
L’issue de la commission mixte paritaire n’est pas une surprise tant son échec était attendu. À vrai dire, comment pouvait-il en être autrement dès lors que la version de l’Assemblée nationale proposait une déclaration de patrimoine consultable en préfecture avec interdiction de divulgation sous peine de sanction pénale, tandis que le Sénat avait amputé le projet de loi organique de l’article 1er et le projet de loi de l’article 11 ? Pourtant, la commission des lois du Sénat avait fait des efforts pour les maintenir dans une version améliorée, en prévoyant une publication au Journal officiel et en supprimant le délit de divulgation des déclarations de patrimoine.
Force est de constater, à l’issue des lectures dans chacune des chambres et de la CMP, que deux conceptions de la transparence se sont opposées et s’opposent encore. C’est si vrai que, en dépit de la posture positive adoptée ce matin par M. le rapporteur, la commission des lois a déposé des amendements pour rétablir la version du Sénat après que l’Assemblée nationale a choisi de revenir à son propre texte.
Reste que tout cela ne m’apparaît pas circonstanciel : qu’il y ait de profonds désaccords entre la gauche et la droite sur un tel sujet était attendu.
Mme Jacqueline Gourault. C’est terrible de schématiser ainsi !
Mme Éliane Assassi. Non, je ne schématise pas !
Mais ce qui tend à rendre le débat plus opaque que transparent, ce sont les profonds désaccords au sein même de la gauche gouvernementale.
M. Gérard Longuet. Voilà un sujet intéressant !
Mme Éliane Assassi. Ils masquent à peine d’autres enjeux, dont celui relatif – c’est selon – au cumul ou au non-cumul des mandats.
In fine, ces textes seront vidés de leur contenu par le Sénat, notamment sur des points essentiels qui auraient pu donner tout son sens au mot transparence dans sa dimension démocratique.
M. Philippe Bas. C’est plutôt démagogique !
Mme Éliane Assassi. Monsieur Bas, vous prendrez la parole quand on vous la donnera.
M. Philippe Bas. Merci, madame la présidente ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Comment expliquer aux Français le « vite fait, mal fait d’un texte qui connaît l’un des parcours législatif les plus chaotiques de l’année », pour citer un fameux journal du soir ?
Comment leur redonner confiance quand des projets de loi qui avaient pour ambition de « lutter de manière impitoyable contre les conflits entre les intérêts publics et les intérêts privés et [d’] assurer la publication ainsi que le contrôle sur les patrimoines des ministres et de tous les parlementaires » ressemblent plus aujourd’hui à des textes d’affichage ?
Comment leur redonner confiance quand trop d’affaires ternissent le monde et le personnel politiques ? Ces scandales constituent autant de fractures qui nourrissent un réel désenchantement populaire à l’égard du politique et de la chose publique.
Mes chers collègues, ces textes ne sont pas parfaits, mais ils contiennent tout de même des avancées, comme la création de la Haute Autorité, même si, pour notre part, nous ne sommes pas vraiment assurés qu’elle soit dotée des moyens nécessaires pour assumer ses missions.
M. Gérard Longuet. Ça change quoi ?
Mme Éliane Assassi. Nous nous réjouissons également de la définition – enfin ! – dans notre droit de la notion de conflit d’intérêts, même si, comme je l’ai déjà dit, nous aurions préféré la définition de la commission Sauvé. Mais, au bout du bout, il me semble que notre rendez-vous avec la vraie transparence va être manqué ! Le plus grave est que nous en avons raté d’autres ces derniers jours, comme celui avec la lutte contre la fraude fiscale ou encore celui avec la création d’un parquet financier. Ce faisant, nous ne contribuons pas à rétablir la confiance.
Des sénateurs vont sans doute, tout à l’heure, rejeter ces textes ; ils vont de ce fait rejeter la mise en place d’un dispositif minimaliste de prévention, de contrôle, de publicité et de sanction des obligations d’intégrité des élus que nous sommes.
M. Vincent Delahaye. Ça ne sert à rien !
Mme Éliane Assassi. Je me demande comment ce rejet sera perçu à l’heure où la confiance des citoyens envers les élus est mise à mal.
Notre groupe le regrette profondément. D’ailleurs, en proposant d’aller plus loin que les dispositions prévues dans ces projets de loi, nous avons toujours soutenu la mise en place d’un véritable contrôle citoyen, c’est-à-dire d’un contrôle par celles et ceux qui nous ont élus et dont nous sommes les représentants.
Cette transparence par le contrôle citoyen restaurerait ou, en tout cas, contribuerait fortement à restaurer la confiance des Français envers leurs élus et les institutions et tendrait à combler le fossé qui s’est creusé entre les citoyens et les élus. Celui-ci est, je l’ai déjà dit, très profond ; il a plusieurs causes et plusieurs effets. Nous les avons déjà évoqués, mais je voudrais quand même les rappeler : la multiplication récente des affaires, qui sont les symboles d’une collusion entre le monde politique et le monde financier ; le renforcement d’un système dans lequel sont considérées comme normales la primauté donnée à la finance et l’accumulation d’argent ; la concentration de pouvoir dans l’exécutif ; la dévalorisation du Parlement ; le peu ou pas de place donnée à la souveraineté populaire et à l’initiative citoyenne. Malheureusement, tout cela conduit aussi au repli sur soi, à l’individualisme et à l’abstention des électeurs, voire au vote de dépit en faveur de partis d’extrême droite.
Il me semble que tous ces débats, en ce qu’ils révèlent, illustrent aussi le fait que notre Ve République est malade et que les vingt-quatre révisions qu’elle a subies depuis son origine n’ont pas réussi à mettre un terme à ses souffrances. En ce sens, l’idée d’une VIe République citoyenne et sociale, en rupture avec la Ve, doit être posée avec des objectifs clairs : redonner la souveraineté au peuple, instaurer une véritable initiative citoyenne dans la cité et dans l’entreprise, sortir du présidentialisme et restaurer la primauté du Parlement. Ce dernier n’est aujourd’hui pas représentatif de la population, ce qui n’est pas sans rapport avec le fait que les parlementaires sont les élus les plus décriés, alors qu’ils sont censés représenter le peuple tout entier.
Il est temps d’arrêter de se cacher derrière de faux arguments et derrière l’idée selon laquelle ces questions ne seraient pas une priorité pour nos concitoyens au regard de la situation de l’emploi, du pouvoir d’achat, etc. Dans la situation économique et sociale que nous connaissons, il est évident que nos concitoyens sont fortement préoccupés par ces problèmes, mais, ne nous leurrons pas, ils sont tout autant préoccupés par l’utilité de la politique pour y répondre, avec un personnel politique intègre. À cet égard, je vous renvoie à ce fameux sondage qui montre que plus de 80 % d’entre eux pensent que les politiques ne se préoccupent pas d’eux.
Pour terminer, je dirai que nous sommes bien là au cœur d’une valeur fondamentale : celle de la démocratie et de son exercice. Mais, à l’évidence, elle n’est pas non plus au rendez-vous de nos débats !
Comme l’a dit un personnage célèbre, en une citation que j’aime beaucoup : « Ne regardons jamais une question comme épuisée ! » Pour notre part, nous allons suivre ce conseil et, comme nous sommes des militantes et des militants de la transparence, nous voterons ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la CMP a échoué, sans surprise. Malgré tout, au regard des textes qui nous reviennent de l’Assemblée nationale et en dépit de désaccords significatifs sur lesquels nous reviendrons, nous devons saluer un certain nombre d’avancées. M. le rapporteur de la commission des lois a notamment signalé l’exigence non pas d’impartialité, mais d’intégrité des parlementaires, l’amélioration de la notion d’incompatibilité pour les parlementaires et les membres du Conseil constitutionnel, l’obligation de publication de la réserve parlementaire ainsi que la mise à disposition en open data, comme l’on dit, des déclarations d’intérêts : autant d’améliorations que le Sénat a portées.
Je remarque également que chaque lecture a permis d’améliorer la disposition limitant à 7 500 euros par personne physique les dons à l’ensemble des partis politiques, et non plus par parti politique. Le principe en a été fixé par l’Assemblée nationale, le Sénat a rendu le dispositif opérationnel, puis les députés l’ont complété et corrigé ; nous ferons encore des propositions pour le rendre plus efficace. Nous pouvons donc dire que la navette parlementaire a permis d’apporter un certain nombre d’améliorations, malgré la brièveté des délais qui nous étaient impartis.
Toutefois, il reste d’importants désaccords, le principal portant sur le choix entre la consultation en préfecture ou la publication au Journal officiel des patrimoines des parlementaires. Nous y reviendrons à l’occasion de la discussion d’un amendement. Je ne développerai donc pas pour l’instant le sujet.
Je veux dire en réponse à M. Masson, qui déplorait la rapidité d’examen des projets de loi, qu’une telle procédure permet de nous concentrer sur ces textes débattus en ce mois de juillet et d’affiner nos amendements. Oui, il y a urgence ! On ne peut pas continuer à voir se succéder les affaires : l’affaire Cahuzac, l’affaire Karachi, l’affaire Bettencourt,…
M. Philippe Bas. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Longuet. M. Cahuzac a menti, alors que les affaires Karachi et Bettencourt ont été inventées par un juge d’instruction !
M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas un magistrat qui invente ce genre de choses.
M. Jean-Claude Lenoir. Vous êtes bien imprudent, monsieur Leconte, vous ne cherchez qu’à détourner l’attention !
Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Leconte a la parole.
M. Gérard Longuet. À condition qu’il ne perde pas le sens commun !
M. Jean-Yves Leconte. Il est incompréhensible qu’un ministre du budget ne comprenne pas qu’il ne peut pas être en même temps trésorier d’un parti politique : il y a conflit d’intérêts !
M. Gérard Longuet. Si vous avez des certitudes, saisissez le parquet sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale !
M. Jean-Claude Lenoir. Revenons au sujet !
M. Jean-Yves Leconte. Oui, il y a urgence, car nous en avons assez que le débat politique se réduise à une chronique judiciaire ou à une liste de faits divers. Voilà pourquoi nous avons besoin de règles nouvelles. Même si 95 % des élus – probablement plus – travaillent pour le bien public et sont concentrés sur leur mission, ceux, peu nombreux, qui dévient de cette trajectoire pourrissent toute la classe politique et détériorent leur crédibilité.
Nous devons donc trouver de nouveaux outils pour répondre à cette situation, a fortiori à une époque où la transparence imposée par le développement des réseaux sociaux fait qu’on ne peut pas se contenter de ceux que nous avions encore voilà dix ou quinze ans. C’est la raison pour laquelle ces textes, qui ont pour vocation de rendre de la crédibilité à la vie politique, sont importants.
Il a été dit que les projets de loi menaçaient la séparation des pouvoirs. C’est absolument inexact, car la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est, d’une certaine manière, un prestataire de services : elle ne peut que transmettre les dossiers soit au parquet, soit aux bureaux des assemblées.
L’ensemble des responsables publics sont élus pour mener une action politique. Ils sont donc soumis à une exigence d’exemplarité. Pour mener cette action politique, il faut être crédible et pouvoir montrer l’exemple.
La politique ne consiste pas simplement à deviner, grâce aux sondages, l’action qui doit être menée : elle suppose que nous soyons capables d’entraîner nos concitoyens et de leur proposer des chemins, parfois difficiles, parce que nous y croyons et parce que nous sommes capables de les mobiliser en leur faisant partager nos projets politiques. Or faire partager un projet politique exige de la crédibilité. La transparence est donc un outil au service de cette crédibilité. Aujourd’hui, nous voyons bien, en l’absence de transparence, que se crée un mythe de plus en plus tenace concernant l’ensemble des élus et des parlementaires, qui entache leur crédibilité et entrave leur capacité de parole.
L’opacité, c’est le soupçon et, à terme, nous laissons la place à ceux qui travaillent contre la République et contre les valeurs que nous partageons tous dans cet hémicycle.
La transparence consiste à reconnaître que nous sommes des citoyens comme les autres, mais que nous devons nous imposer des règles supplémentaires pour être exemplaires, avoir la capacité de convaincre et de mobiliser nos concitoyens. C’est essentiel pour notre crédibilité et notre capacité d’action !
Nous sommes tous convaincus, au sein du groupe socialiste, que les dispositions de ces projets de loi permettront à la démocratie d’être plus crédible et plus efficace. C’est la raison pour laquelle, tout en engageant la discussion sur l’ensemble des propositions des différents groupes, j’espère que le débat parlementaire permettra au Sénat d’affirmer ses positions, qui, sur un certain nombre de points, diffèrent de celles de l’Assemblée nationale, afin que, jusqu’au terme du débat parlementaire, le Sénat puisse apporter sa pierre à la réflexion collective et que ces projets de loi soient les plus utiles possible au renforcement de la crédibilité de notre vie politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Ce qui sépare profondément le groupe UMP de l’intervention du porte-parole du groupe socialiste, c’est l’inversion de la charge de la preuve. Nous aurions aimé l’entendre de votre bouche, monsieur le ministre !
Vous avez raison, et je ne doute pas de votre bonne volonté – comme vous ne devez pas douter de la nôtre –, quant à la nécessité de défendre l’image des parlementaires et, au-delà, des élus, qui, sur le territoire, assurent la continuité et le fonctionnement de la République en exerçant des responsabilités municipales, départementales et régionales.
L’inversion de la charge de la preuve aurait consisté à rappeler qu’il y a vingt-cinq ans, en 1988, nous avons voté une loi – et je ne suis pas certain que le parti socialiste l’ait votée à cette époque –…
M. Philippe Bas. Il a voté contre !
M. Jean-Claude Lenoir. Je le confirme !
M. Gérard Longuet. … qui a créé la Commission pour la transparence financière de la vie politique chargée d’évaluer l’évolution du patrimoine des parlementaires. Depuis vingt-cinq ans, vous auriez dû le répéter inlassablement, monsieur le ministre, plutôt que d’entretenir ce climat de suspicion, sur 25 000 dossiers d’élus et de hauts fonctionnaires, seuls quatorze ont fait l’objet d’un renvoi devant la justice au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, dont six concernaient des parlementaires, et la justice a relaxé les personnes concernées ! Il eût fallu le répéter inlassablement, plutôt que de voler au secours de ceux qui font profession de dénigrer la République et ses élus, plutôt que de battre sa coulpe et de plaider une responsabilité collective au nom de quelques individus qui, d’ailleurs, n’ont jamais été sanctionnés.
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Gérard Longuet. Il n’y a donc pas de problème dans notre Parlement ; il en existe au niveau du Gouvernement, puisque c’est un lieu de pouvoir, mais il s’agit d’autre chose. Nous aimerions d’ailleurs que le Gouvernement permette au Parlement de faire toute la clarté sur cette affaire récente…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Gérard Longuet. Enfin, cessez d’établir de fausses symétries ! L’affaire Cahuzac est déplorable, mais des ministres de droite se sont eux aussi mal comportés. Je ne revendique pas le monopole de la morale et je ne vous impose pas le monopole de la turpitude ! Je constate simplement que l’affaire actuelle vous concerne et que les autres affaires citées par M. Leconte sont profondément différentes : leur instruction n’est pas achevée, les personnes concernées n’ont pas été renvoyées devant une juridiction et aucune décision définitive n’a été rendue. Vous comme moi, en bons républicains, nous devrions reconnaître la présomption d’innocence, tant que ces personnes ne sont pas définitivement jugées, a fortiori si elles ne sont même pas renvoyées devant une juridiction de jugement.
Monsieur le ministre, nous nous réjouissons que vous ayez recouvré une meilleure santé et nous formons des vœux pour que vous passiez un été agréable, mais nous aurions aimé que vous preniez à cœur de défendre le Parlement que vous connaissez bien, puisque vous êtes un ancien parlementaire chevronné, et que vous nous aidiez à régler collectivement ce problème majeur : quelle silhouette pour le parlementaire de demain dans les institutions de la Ve République ? Nous vivons dans une société de la transparence, où l’opinion émet des demandes parfaitement contradictoires : un renouvellement permanent des hommes – même lorsqu’il s’agit de femmes, chère madame Lipietz ! – et une compétence absolue sur la totalité des sujets.
Il faudrait malgré tout se poser certaines questions. Monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, je me suis un peu emporté lors d’une séance de nuit – ce n’était pas seulement dû à la fatigue – en constatant qu’un rapporteur ne comprenait pas ce qu’était une provision exigée par un commissaire aux comptes. Je me suis demandé si une certaine expérience de l’économie privée ne serait pas utile lorsque nous élaborons des textes qui concernent directement les entreprises.
M. Jean-Claude Lenoir. Très juste !
M. Gérard Longuet. Comment assurer le renouvellement de la vie politique, et donc le changement des parlementaires, car nous sommes évidemment tous trop anciens, trop confirmés, trop installés dans la routine et l’habitude,…
M. Philippe Bas. Pas tous !
M. Jean-Claude Lenoir. Il y a de jeunes perdreaux !
Mme Hélène Lipietz. Mais pas de l’année !
M. Gérard Longuet. … et, dans le même temps, élire des gens qui sachent, malgré tout, ce que signifie une disposition fiscale ? Si vous nous aviez invités à participer à ce type de réflexion, monsieur le ministre, je crois que nos travaux auraient été utiles, mais telle n’est pas la caractéristique première de vos projets de loi.
Jean-Pierre Sueur a défendu le travail réalisé par le Sénat, par rapport à celui de l’Assemblée nationale. Ce travail n’est pas totalement inutile, je le reconnais bien volontiers. En revanche, vous ouvrez deux « boîtes à malice » dont vous ne savez absolument pas ce qu’elles produiront.
En premier lieu, il s’agit de la publication des patrimoines. M. Anziani, lors des débats, nous a dit qu’il n’en avait pas peur, mais personne n’en a peur ! Il faut en revanche se demander quelles seront les conséquences, sur le long terme, de l’obligation de publier leur patrimoine imposée aux hauts fonctionnaires, aux élus locaux et aux parlementaires.
Je trouve extraordinaire que, pour une déviation routière, il faille procéder à des études d’impact pour être certain qu’un petit insecte ne disparaîtra pas,…
Mme Hélène Lipietz. C’est important !
M. Gérard Longuet. … mais qu’aucune étude d’impact ne soit réalisée quand il s’agit de l’avenir du parlement français pour s’assurer que la publication des patrimoines, telle que vous l’avez prévue, c’est-à-dire en organisant le ciblage par les délateurs et les polémistes, ne risque pas de restreindre fortement l’assise sociologique des candidats. En effet, ceux qui ont fait le choix, avant d’être élus locaux ou nationaux, de mener une vie professionnelle n’auront pas nécessairement l’envie d’imposer, non pas à eux-mêmes – sur ce point, je réponds à M. Anziani que nous n’avons aucune inquiétude –, mais à leurs proches, des turbulences médiatiques qu’ils ne sont pas nécessairement préparés à assumer. Faudra-t-il désormais être célibataire et, si possible, sans enfants, pour pouvoir être parlementaire sans exposer personne en prenant la décision d’être candidat ?
Je vous rappelle que vous allez être confrontés, dès les élections municipales de 2014, à cette vérité : certains candidats seront astreints à une obligation de transparence. En raison d’un système absurde, que vous avez publiquement condamné, de la publication sans consultation, mais de la diffusion sans sanction, les parlementaires candidats vont se retrouver ciblés et seront obligés de se justifier devant les électeurs, alors que leurs challengers qui ne seront pas parlementaires n’auront aucune obligation à respecter et pourront les prendre à partie sur le thème de l’argent.
Les parlementaires ne seront pas pris à partie sur des turpitudes, des richesses inavouables ou des enrichissements sans cause, mais ils devront se battre sur chaque évaluation de leur patrimoine. Il faut avoir passé des journées, des soirées, à négocier avec son expert-comptable ou un inspecteur du fisc l’évaluation de tel ou tel bien, dans n’importe quelle négociation fiscale ou commerciale, pour savoir que le prix n’est pas une réalité objective, qu’il évolue dans le temps, qu’il peut être sujet à des évaluations contradictoires et avec des différences importantes. Ces différences substantielles serviront, j’en suis persuadé, à des professionnels du dénigrement et de la délation organisée pour instiller le doute sur l’honnêteté des candidats soumis à l’obligation de publication, parce que ces évaluations ne seront jamais parfaitement objectives du point de vue des uns ou des autres. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera naturellement le relais qui contribuera à la notoriété de ces polémiques.
En second lieu, je tiens à mentionner les déclarations d’intérêts. Lorsqu’il faudra justifier de la vie professionnelle de ses enfants, de son conjoint, de ses beaux-parents, de la totalité de sa famille…
M. Charles Revet. C’est absurde !
M. Gérard Longuet. … et expliquer que l’on est indépendant d’eux, même s’ils exercent une activité de médecin, d’industriel ou de commerçant, vous aurez organisé la polémique permanente au détriment de l’image des parlementaires et des élus des territoires, pour lesquels vous n’avez, monsieur le ministre, manifesté jusqu’à présent aucune considération ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le débat de ce matin confirme, et ce n’est pas une surprise, que notre différence d’approche n’est pas fondée sur des motivations politiciennes ou partisanes, mais bien sur une divergence de fond quant à l’objectif et au rôle de ces textes.
Des arguments forts ont été avancés par Mme Assassi et M. Leconte. Il existe en effet une grande différence entre la situation où le dérapage de quelqu’un est perçu comme une exception inévitable qu’il faut traiter par une réponse individuelle – comme vous l’avez exprimé, monsieur Longuet – et la situation où, avant ce dérapage, et plus encore après, nous sommes confrontés à une suspicion généralisée qui entache l’ensemble de l’action publique.
Au fond, on voit bien que cette différence d’analyse conduit les uns et les autres à se positionner. J’entends bien votre message : un dérapage individuel est survenu et une loi, dite de circonstance – j’ai moi-même indiqué qu’il y avait forcément un lien avec cette affaire –, a été soumise au Parlement. Vous nous dites qu’il faudrait, en fait, en rester à une réponse individuelle. Il y a donc une forme de cohérence dans vos propositions. Or je crois que vous vous trompez, parce que je pense que l’ensemble des responsables publics, quel que soit leur engagement, sont confrontés à un problème que, me semble-t-il, vous voulez ignorer.
La suspicion me révolte, tout comme vous, car, vous l’avez rappelé, je suis un ancien parlementaire et je ne supporte pas de lire ces sondages, mais je ne peux pas les ignorer.
Selon certaines enquêtes, entre 80 % et 85 % des Français répondent par l’affirmative quand on leur demande s’il y a chez les parlementaires – le mot est terrible ! – de la corruption.