M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, je suis pleinement favorable à la réaffirmation du principe d’égal accès aux soins, que le rapporteur général rappelle dans son amendement n° 18, même si ce rappel n’est pas nécessaire d’un strict point de vue juridique, dans la mesure où ce principe est déjà posé dans le code de la santé publique.
Monsieur Roche, par votre sous-amendement, vous souhaitez réaffirmer quant à vous « les principes d’égalité et de proximité dans l’accès aux soins ». Je comprends que, dans votre esprit, il s’agit aussi de réaffirmer ce principe d’égal accès aux soins dans toutes ses dimensions – financières et géographiques. À vous, à Jean-Marie Vanlerenberghe, je veux dire que je partage votre préoccupation que la constitution de réseaux de soins n’ait pas pour conséquence paradoxale qu’une partie de la population, pour des raisons géographiques, soit confrontée à des difficultés sinon accrues, du moins nouvelles.
Ainsi, des conventionnements seraient conclus plus facilement avec des professionnels implantés dans l’agglomération où ceux-ci sont en plus grand nombre, et moins facilement avec des professionnels situés, par exemple, dans des secteurs ruraux ou des secteurs difficiles, ayant un chiffre d’affaires – disons les choses clairement – moins important et qui pourraient donc présenter une moindre attractivité pour les réseaux.
Je comprends votre préoccupation et je la partage, mais je vous fais part de mon interrogation quant à la manière dont vous comptez, au travers de votre sous-amendement n° 19, y apporter une réponse. C’est pourquoi j’émettrai non pas un avis défavorable, mais un avis de sagesse sur ce sous-amendement.
Je suis perplexe, parce que le principe de proximité n’est pas défini juridiquement. Par conséquent, le risque auquel nous serons tous confrontés demain, c’est que la mise en œuvre de ce principe ou l’évaluation de sa mise en œuvre par un juge, le cas échéant,…
M. Jean-François Husson. La proximité !
Mme Marisol Touraine, ministre. … pose des difficultés. Qu’est-ce que la proximité ? Quel est son rayon en termes de kilomètres ? Aucune référence n’existe à ce sujet dans notre droit.
Pour ma part, j’aurais préféré que l’affirmation de ce principe, auquel nous sommes attachés comme élément de l’égal accès aux soins, soit effectuée dans l’article 3 lors de l’élaboration du rapport. Dans ce cas, nous aurions pu commencer à poser dans ce dernier des références, des éléments nous permettant d’apprécier concrètement ce que veut dire cette proximité.
Très honnêtement, monsieur le sénateur, la transformation de votre sous-amendement en amendement à l’article 3, et partant, son retrait dans le cadre de cet article 2, m’aurait semblé judicieuse. Si vous ne le souhaitez pas, j’émettrai un avis de sagesse, en réaffirmant ma perplexité quant à l’appréciation concrète de cette mesure par un juge.
Les amendements nos 5 rectifié, 10 rectifié et 14 rectifié bis, à des titres divers, posent le principe que la loi n’est pas d’application directe et que sa mise en œuvre nécessite un décret.
Or, la proposition de loi telle qu’elle est rédigée, contrairement à la proposition de loi Fourcade, est suffisamment précise pour être d’application directe. Nous n’avons donc pas besoin d’un cahier des charges, quelles que soient les modalités de sa mise en place, puisque celles-ci ne sont pas exactement identiques dans les trois amendements précités.
Par conséquent, je suis défavorable à ces trois amendements.
L’amendement n° 13 rectifié de Mme Procaccia a pour objet d’interdire à un intermédiaire la possibilité de conclure ces réseaux. Cela reviendrait à refuser à plusieurs mutuelles de s’associer pour appartenir au même réseau et de discuter ensemble de sa mise en place. Cet amendement ne me paraît pas aller dans le sens de la proposition de loi. Aussi, j’émets un avis défavorable.
L’amendement n° 11 rectifié reprend une partie de l’amendement n° 5 rectifié pour ce qui est des réseaux fermés. Je ne reviendrai pas sur ce qu’a excellemment dit M. le rapporteur et sur les propos que j’ai tenus à la tribune pour émettre un avis défavorable sur ces deux amendements. Il me semble qu’une question juridique est posée, et au-delà, une question d’appréciation du mode de fonctionnement de ces réseaux. L’enjeu n’est pas de savoir si un réseau est ouvert ou fermé ; il est bien, comme l’a affirmé M. Roche, de savoir si l’égal accès aux soins dans le cadre de ces réseaux est garanti.
S’agissant de l’amendement n° 2, monsieur Vanlerenberghe, je vous demande de bien vouloir le retirer. J’entends votre souhait que la qualité des réseaux et des soins au sein de ces réseaux puisse faire l’objet d’une évaluation. Je prends l’engagement, ici devant vous, que cette évaluation soit faite dans le cadre du rapport qui sera élaboré.
Vous l’avez dit vous-même, la Haute Autorité de santé n’est pas l’institution adaptée pour mettre en œuvre ce que vous avez indiqué. C’est pourquoi il serait préférable que vous retiriez cet amendement ; à défaut, je serai contrainte d’émettre un avis défavorable.
Sur l’amendement n° 4, je comprends également la préoccupation que vous avez exprimée, messieurs Vanlerenberghe et Roche, mais je suggère également le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Interdire le remboursement différencié, c’est, selon vous, accepter qu’on améliore la situation mais pas qu’on la dégrade. Mais par rapport à quelle base de départ ? Il n’en existe aucune, contrairement à l’assurance maladie.
Par définition, lorsque les complémentaires, les mutuelles vont définir des réseaux et en faire partie, elles vont avoir la possibilité de redéfinir leurs contrats. En cas de dégradation de certaines prestations, les adhérents seront évidemment informés et pourront automatiquement se retirer de la mutuelle visée, puisque le contrat aura été modifié.
Par conséquent, on ne sait pas très bien par rapport à quelle référence la situation peut être appréciée ? Si cet amendement n’était pas retiré, compte tenu de sa difficulté d’application, j’émettrai, je l’ai dit, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 19.
M. Jean-Noël Cardoux. Ayant écouté attentivement l’ensemble des propos qui ont été tenus, je vais expliquer les raisons qui me conduisent à voter en faveur de l’amendement n° 5 rectifié présenté par Alain Milon.
Je constate que le Sénat a adopté l’article 1er, qui est fondé sur le principe – il a selon moi été détourné – que les mutuelles doivent être alignées sur la façon dont se comportaient les assurances et les institutions de prévoyance. Or, après vérifications, nous avons constaté un vide juridique en la matière : aucun texte ne codifiait la création de réseaux, ni par les assurances ni par les institutions de prévoyance. Par conséquent, on va calquer un mécanisme sur quelque chose qui n’existait pas et qui a été construit sur le tas au fil du temps, sans doute avec un certain nombre d’anomalies ou d’outrances qu’il aurait été logique de mieux analyser.
La proposition du groupe UMP au travers de cet amendement consiste donc à relancer une négociation avec tous les partenaires professionnels concernés, pour revoir comment l’ensemble des réseaux, quels que soient les intervenants, puissent être organisés, avant d’élaborer ensuite un cadre réglementaire. Il faut repartir à zéro et non se calquer sur ce qui existait sans encadrement formel.
Est évidemment au cœur du problème cette qualité de réseaux. Ce qui m’inquiète à la suite des différentes auditions auxquelles nous avons procédé, c’est que l’on va évaluer, vérifier. Je crains que ne soit mise en route une machine à broyer les professions de santé, qui va les encadrer et leur donner des directives quant à leur comportement professionnel. Or la qualité d’un réseau ne peut se concevoir que sur des éléments objectifs, matériels comme l’environnement, la qualité du cabinet, de l’accueil, du retour des actes, de la façon dont est reçu le client, et non sur la qualité de la prestation médicale, ce qui reviendrait à interférer sur le libre exercice des professions de santé.
Voilà pourquoi je suis inquiet et il me semblerait nécessaire de remettre tout à plat pour aboutir à une solution qui soit acceptable, au lieu de se tourner vers une énième Haute Autorité des réseaux afin de contrôler toutes ces évaluations. J’ai pourtant l’impression, d’après les interventions des uns et des autres, que nous nous engageons dans cette voie.
Enfin, si je vais voter cet amendement concernant également l’ouverture des réseaux, c’est parce que nous sommes dans une économie de libre concurrence. J’ai été surpris, monsieur le rapporteur général, de vous entendre dire que la décision du Conseil constitutionnel sur l’ANI était inattendue. S’il y a une décision qui n’était pas inattendue, c’est bien celle-là ! Tout le monde se doutait que le Conseil constitutionnel allait adopter cette position. En l’occurrence, nous sommes dans le même cas de figure.
À mes yeux, la seule solution est d’ouvrir un réseau, et c’est la qualité de la constitution de ce réseau qui fera la différence. Comme dans l’ANI, puisque la clause de désignation a été transformée en clause de recommandation, je ne pense pas que le fait de recommander un organisme à des organisations syndicales soit de nature à diminuer la réduction de prix que pourrait octroyer cet organisme d’assurance.
Avoir des réseaux ouverts, les constituer afin de garantir leur qualité, avec l’effet de groupe, mécaniquement, nous arriverons à faire baisser les prix. Comme pour tout ce que nous avons abordé ces derniers temps, la libre concurrence est la seule garantie à la fois de la qualité et de la justesse des prix. (M. Jean-Claude Lenoir applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la ministre, vous avez souhaité que nous renvoyions ce sous-amendement à l’article 3. Or celui-ci n’est pas tout à fait de même nature que l’article 2, car il vise à procéder à des évaluations. Je conçois qu’il serait nécessaire de préciser, parmi les critères d’évaluation, la proximité géographique. Il serait peut-être bon d’amender ainsi l’article 3. Puisqu’il comporte un certain nombre de critères, il est possible d’en ajouter.
En revanche, vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, le principe d’égal accès aux soins figure de facto dans la loi. Il n’est cependant pas inutile de le rappeler ici, à l’instar de M. le rapporteur général au travers de son amendement n° 18.
En outre, vous avez souligné qu’était plus spécialement visé l’accès tarifaire ; mais pourquoi ne pas ajouter la proximité « géographique », puisque vous avez-vous-même employé ce terme, madame la ministre ? La précision serait alors suffisante pour permettre d’agir, si cela s’avérait nécessaire, dans certains cas particuliers, notamment dans les zones rurales s’il advenait qu’elles ne soient pas couvertes.
M. le président. Monsieur Vanlerenberghe, rectifiez-vous votre sous-amendement en ajoutant le terme « géographique » ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Oui, monsieur le président, si Mme la ministre le souhaite.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mais mon sous-amendement peut aussi rester tel quel, car, dans l’esprit de tous, cette proximité est géographique.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. J’essaie d’être cohérent et constant dans mon positionnement.
J’avais donné un avis favorable à la première rédaction. Il apparaît que celle-ci est susceptible de soulever de nombreux contentieux. Le positionnement dans le texte du sous-amendement peut aussi se révéler, Mme la ministre l’a indiqué, source de contentieux, mais dans une moindre mesure.
Je pense qu’il faut s’en tenir à la rédaction telle qu’elle a été proposée dans le sous-amendement n° 19.
M. le président. Monsieur Vanlerenberghe, quelle est, en définitive, votre position ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je maintiens la rédaction telle qu’elle avait été envisagée, car, dans mon esprit, il n’y avait pas de doute : la géographie, c’est la proximité, et inversement.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Madame le ministre, le sous-amendement n° 19 me pose problème. En effet, nous sommes opposés au fait qu’un seul réseau soit fermé. À cet égard, je m’interroge quant à la constitutionnalité d’une telle mesure : est-il normal que le seul réseau des opticiens soit fermé ? Pourquoi cibler cette profession précisément ?
Naturellement, vous allez me répondre que les opticiens sont nombreux, et que, comme chacun de nous dans cet hémicycle, vous visez l’égal accès aux soins pour tous.
Pour autant, adopter le sous-amendement de M. Roche reviendrait à fabriquer une véritable usine à gaz – passez-moi l’expression. Cette disposition sera extrêmement difficile à mettre en œuvre. Voilà pourquoi, je le répète, nous préférons que tous les réseaux soient ouverts. Si on commence à distinguer les zones urbaines et rurales, les agglomérations de plus ou moins 5 000 habitants, les difficultés se révéleront vite innombrables !
C’est la raison pour laquelle nous avons, de même que notre collègue du groupe CRC, posé cette question en commission : si l’on veut réguler effectivement l’activité des opticiens, pourquoi ne pas procéder comme pour les pharmaciens, en fixant un seuil en termes de nombre d’habitants, plutôt que de contraindre cette profession à fonctionner en réseau fermé ?
Certes, le sous-amendement de M. Roche va pour partie dans notre sens, dans la mesure où il tend à assouplir le dispositif. Toutefois, nous ne le voterons pas, car il ne va pas suffisamment loin : nous ne voulons pas de réseau fermé, qui plus est exclusivement pour les opticiens.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je suis, moi aussi, particulièrement perplexe face à ces propositions : d’une part, on nous dit qu’il faut véritablement affirmer l’égalité de délivrance des soins et, de l’autre, par le biais du sous-amendement n° 19, on ajoute que, dans telle ou telle zone rurale, certains réseaux pourront être ouverts, alors qu’ils resteront fermés dans d’autres territoires. À ce titre, ce sous-amendement tend à rompre l’égalité de délivrance des soins.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur les difficultés qu’entraînent les réseaux fermés : ce système va véritablement tirer vers le bas un certain nombre de prestations dans le domaine de l’optique.
Récemment, de graves inondations ont frappé le Bangladesh, où sont fabriqués des verres d’excellente qualité, comparables à ceux qui sont produits, en France, par les grands groupes que nous connaissons bien. Or ces groupes qui, à travers les réseaux existants, proposaient déjà à leurs patients des verres provenant du Bangladesh – ce qui n’était bien sûr pas toujours mentionné – se sont aussitôt tournés vers des fabricants français.
On le constate, ces réseaux ont la volonté d’aller vers des prestations low cost, quitte à provoquer le cas échéant une baisse de qualité. Ainsi, les verres loupes seront pour les adhérents des réseaux fermés, et les verres médicalisés seront pour les autres ! Cette formule n’est pas la bonne. Bien au contraire, c’est via les réseaux ouverts que l’on pourra améliorer la qualité et diminuer le coût des prestations assurées.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Sauf erreur de ma part, nous allons voter sur le sous-amendement n° 19, puis sur l’amendement n° 18 et, dès lors que celui-ci sera adopté, les autres amendements n’auront plus objet.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Non, pas tous !
M. le président. Seul l’amendement n° 5 rectifié deviendra sans objet, mon cher collègue.
M. Alain Milon. À cet égard, j’en profite pour revenir sur les propos, à mes yeux choquants, qu’a tenus M. le rapporteur général en commission des affaires sociales.
M. Daudigny a très bien indiqué qu’il fallait conserver deux réseaux ouverts, le premier pour les audioprothésistes et le second pour les prothésistes dentaires, car ces professionnels n’étaient pas nombreux. En revanche, il a indiqué que la France formait beaucoup d’opticiens,…
M. Alain Milon. … et qu’en conséquence il fallait disposer d’un réseau fermé dans ce domaine.
Ainsi, le Parlement devrait décider d’exclure du réseau certains opticiens formés par des écoles elles-mêmes agréées par les ministères de l’éducation nationale et de la santé. Cela revient à condamner ces professionnels à mourir. Est-ce notre rôle ? C’est là ma première question. À mon sens, nous n’avons pas le droit d’instituer des réseaux fermés dans de telles conditions.
M. Roche, quant à lui, n’est pas favorable aux réseaux fermés. Il précise à cet égard que, dans son département, tous les petits villages sont sans opticien et que tous les habitants de ces localités ne disposent pas d’une voiture pour se rendre dans la ville la plus proche. Il faut donc, à ses yeux, ouvrir le réseau des opticiens, mais uniquement pour certains territoires et dans certaines conditions. Dans les faits, cette mesure revient à créer des réseaux fermés quoique un peu ouverts, ou des réseaux un peu ouverts mais largement fermés. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Il s’agit là d’une usine à gaz (Mme Isabelle Debré opine.), que les membres du groupe UMP ne peuvent pas accepter. Cela me semble être important.
En outre, j’ai bien entendu ce qu’a dit Mme la ministre : un Français sur cinq renonce chaque année à des soins dentaires ou à des soins d’optique. C’est un chiffre tout à fait considérable. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les réseaux, créés depuis une dizaine d’années, structurent déjà plus de la moitié des secteurs dentaire et optique. Si un Français sur cinq renonce à ces soins, c’est donc bien un signe que l’efficacité de ces réseaux n’est pas prouvée, faute de quoi nos concitoyens se seraient tournés vers eux pour l’obtention des soins.
Parallèlement, une étude de Galileo consulting montre que les porteurs de lunettes qui choisissent eux-mêmes leur opticien sont plus satisfaits des conseils de ce dernier, de la personnalisation de la prestation et du service après-vente que ceux qui suivent les recommandations de leur assureur.
J’ajoute que, dans le champ des soins dentaires, qui est le domaine de prédilection des réseaux fermés, la seule mesure sérieuse adoptée au cours des dernières années en matière de prévention – à savoir la prise en charge à 100 % des bilans bucco-dentaires et des soins consécutifs à six, neuf, douze, quinze et dix-huit ans – a été prise non par les réseaux mais par la sécurité sociale ! (M. François Trucy opine. – MM. Jean-Noël Cardoux et René-Paul Savary applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Pour ma part, je souhaite réagir brièvement à ce que notre collègue Alain Milon vient de dire au sujet des 20 % de Français qui renoncent aux soins de prothèses optiques ou dentaires.
Je rappelle que des dispositifs de soutien existent, notamment pour l’aide à l’acquisition de la complémentaire santé. Sauf erreur de ma part, seuls 30 % à 35 % des bénéficiaires potentiels y ont actuellement recours. Cela signifie qu’il y a avant tout un problème d’information. Si l’on se penchait collégialement et collectivement sur la situation des deux tiers restants, il serait certainement possible d’améliorer l’accès aux soins.
Concernant ce que j’ai appelé il y a quelques instants la question de l’égalité d’accès aux soins entre les territoires – préoccupation que traduit également la proposition de M. Roche –, je l’affirme quitte à me répéter, il faut éviter de s’entêter.
Le seul réseau fermé proposé, c’est celui des opticiens-lunetiers. Dans ce domaine, nous sommes placés face à une alternative : soit le réseau est ouvert, c’est-à-dire qu’il est régi par la libre concurrence – même s’il s’agit pour certains d’un gros mot. Dans ce cas, tous les problèmes que l’on évoque ici disparaissent !
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Jean-François Husson. Soit le réseau est fermé. À ce titre, je m’en réfère au rapport fourni par l’Assemblée nationale, qui dresse le panorama des réseaux de soins constitués par les organismes complémentaires : y figurent six réseaux, dont la population couverte varie de un à trois. On constate qu’un réseau fermé peut compter 1 700 opticiens contre 10 000 pour un réseau ouvert. Dans le premier cas, la population couverte est de 6,5 millions de personnes et, dans le second, de 2,5 millions.
En matière de baisse des tarifs, pour le réseau qui regroupe 2,5 millions de personnes et 10 000 opticiens-lunetiers, le reste à charge pour les adhérents en contrat individuel s’élève à moins de cinquante euros, contre un peu plus de vingt euros en contrat collectif. Ne nous trompons pas d’enjeu !
Madame la ministre, entendez la voix d’une certaine sagesse sénatoriale ! Si vous acceptez de laisser ouverts l’ensemble des réseaux, chacun y gagnera.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Je serai brève, dans la mesure où mes collègues ont déjà tout dit.
Alain Milon a parfaitement décrit le sentiment des membres du groupe UMP quant à la fermeture des réseaux pour les opticiens, concernant les organismes complémentaires. Il s’agit, au total, de faire mourir des magasins d’optique au prétexte qu’il y aurait trop d’opticiens en France. Sur le plan intellectuel, cette démarche est tout à fait ahurissante.
De surcroît, ce dispositif va susciter un effet pervers. Les organismes complémentaires vont maintenir des remboursements, quel que soit le professionnel de santé choisi mais uniquement pour certaines catégories de leurs assurés. Nous allons donc aboutir à un système à deux vitesses. Ceux qui en auront les moyens souscriront des mutuelles, et les autres seront contraints de se diriger vers les réseaux fermés où, vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, l’objectif est la limitation des coûts.
Qui va juger du rapport qualité-prix ? De quel droit les mutuelles vont-elles évaluer la qualité des soins fournis, y compris en matière d’optique ? On le sait, il ne s’agit pas d’une simple question de confort ou d’esthétique. Il existe de nombreuses maladies optiques – je songe notamment aux maladies de la réfraction chez l’enfant. Je note au passage que, pour ces maladies infantiles, les remboursements de caisse d’assurance maladie sont tout à fait dérisoires. Ils mériteraient d’être totalement revus, quelles que soient les difficultés financières de l’organisme.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Ce sous-amendement a déjà suscité de nombreuses explications de vote. Pour ma part, je suis tout à fait favorable au critère de la proximité géographique, défendu par M. Roche. Je suis cent fois d’accord avec notre collègue, étant géographe moi-même. Cela étant, il faut également faire preuve de prudence dans l’interprétation que l’on tire de cette notion. Je rejoins donc aussi celles et ceux qui se sont exprimés en ce sens.
Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont été alertés sur ce problème par les opticiens eux-mêmes. Je suis loin d’être spécialiste de ce sujet ; nos collègues représentant les professions médicales et paramédicales sont bien plus compétents que moi en la matière. Ils peuvent beaucoup mieux témoigner. Avec un regard tout à fait neutre et extérieur, je souligne simplement que de nombreux professionnels nous ont interpellés, en notre qualité de sénateurs. Qui a tort, qui a raison ? Ce n’est pas simple !
Ce sous-amendement a le mérite d’avoir été déposé, mais il importe également de laisser jouer la concurrence. Je rejoins donc mes collègues, en termes d’ouverture.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Mes chers collègues, à la suite de ces diverses explications de vote, je tiens à expliciter notre position.
Ne perdons pas de vue l’enjeu essentiel du vote qui intervient aujourd’hui : la France voit cohabiter, d’une part, le secteur conventionné, où tous les Français sont égaux devant l’assurance maladie et où les mutuelles et les complémentaires interviennent pour le reste à payer, et, de l’autre, un secteur qui s’apparente à une véritable jachère, où l’assurance maladie n’intervient pas assez. Il s’agit là du domaine des déficits sensoriels. C’est ainsi.
Mme Laurence Cohen. Mais ce n’est pas une fatalité ! C’est agaçant, à la fin !
M. Gérard Roche. De fait, pour des raisons évidentes de financement, il est très difficile pour l’assurance maladie d’aller actuellement sur ces secteurs. En conséquence, des personnes de condition modeste n’ont pas accès à des prothèses qui pourraient compenser leur déficit sensoriel. Cette question revêt un poids social extrêmement important, notamment pour les personnes âgées, qui entrent souvent dans la dépendance du fait d’un déficit sensoriel, bien avant d’être frappées par un déficit cognitif.
Certes, le présent texte ne va ni tout améliorer ni tout guérir, mais il pourra combler, au moins pour partie, la carence que subit notre société concernant le traitement des atteintes sensorielles.
Comme sénateur, je souhaite agir afin de mettre un terme à une situation dans laquelle des gens ne peuvent pas s’offrir ce dont ils ont besoin, dans laquelle des personnes âgées, dans nos campagnes et dans nos banlieues, vont acheter au marché aux puces ou dans les braderies des lunettes d’occasion parce qu’elles ne peuvent pas s’en payer d’autres.
Cette loi n’est certes pas la panacée, mais, parce qu’elle améliorera les choses, il faut qu’elle soit votée. Cela ne sera le cas que si nous trouvons des compromis entre nous.
Il y a, bien sûr, un problème pour les opticiens, et l’injustice que vous dénoncez est réelle. En effet, pourquoi eux et pas les autres ?
Mme Isabelle Debré. Exactement !
M. Gérard Roche. Certains éléments devraient tout de même nous conduire à nous interroger. On ne trouve plus de kinésithérapeutes, en particulier pour soigner à domicile des patients hémiplégiques ou victimes d’un accident vasculaire cérébral ; on ne trouve plus d’infirmiers libéraux en campagne mais aussi dans les banlieues comme dans certains centres urbains ; en revanche, on voir s’ouvrir chaque semaine un nouveau magasin d’optique. Il y a bien une explication à cela !
Nos collègues de gauche et le Gouvernement cherchent à faire adopter une proposition de loi qui va améliorer considérablement la situation. Nous devons trouver un compromis entre réseaux ouverts et réseaux fermés pour les opticiens. Nos collègues et le Gouvernement sont attachés à des réseaux fermés, pour des raisons qui leur sont propres, qu’ils ont expliquées et que nous avons à l’esprit. Nous, nous préférerions qu’ils soient ouverts. Mais la vie, ce n’est pas blanc ou noir, c’est souvent gris !
Nous proposons donc, par ce sous-amendement, un compromis qui permet de préserver la présence des opticiens dans des lieux en difficulté, en grande banlieue ou à la campagne. Cela doit permettre de faire adopter cette loi nécessaire. Bien sûr, nous la voterons.