M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. Monsieur le président, je reprendrai la position qui a été celle de la commission des lois.
Monsieur Arthuis, pas de malentendu entre nous : il n’est à aucun moment proposé par la commission de déposséder l’administration fiscale de tout son pouvoir !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est sûr !
M. Alain Anziani, rapporteur. M. Marc a d’ailleurs précisé, et je lui en sais gré, que le texte de la commission est limité à trois cas.
Le premier cas est celui où le juge – ou le parquet –, à l’occasion d’une enquête ou d’une information, découvre un fait de fraude fiscale. Aujourd’hui, il ne peut pas s’en occuper. Nous proposions qu’il puisse le faire.
Le deuxième cas est celui où le procureur de la République est informé d’un fait de fraude fiscale complexe, et j’insiste sur ce critère de complexité. Les autres faits de fraude fiscale ne sont donc pas concernés, ce qui fait tomber toute l’argumentation fondée sur le grand nombre d’affaires qui viendraient engorger les tribunaux.
Nous ciblons uniquement la fraude fiscale complexe, qui est définie à plusieurs reprises : il s’agit notamment de la fraude fiscale commise en bande organisée ou qui s’accompagne de manœuvres – il en existe cinq ou six cas –, c'est-à-dire susceptible de « flirter » – je suis prudent dans les termes que j’emploie – avec le grand banditisme, que nous avons évoqué aujourd'hui.
Dans ces cas de fraudes fiscales complexes qui peuvent, je le disais, flirter avec le grand banditisme, je ne suis pas choqué que le procureur de la République ait les moyens de faire son travail, sans que cela nuise, d’ailleurs, aux recettes fiscales.
Il reste un troisième cas, celui de la transaction. Toujours s’agissant uniquement de fraudes fiscales complexes, dont je viens de rappeler la nature, nous proposons que la transaction soit validée par le procureur de la République. Cela ne me choque pas non plus parce qu’il y a, je le répète, un principe d’opportunité des poursuites. Ce n’est pas parce que le protocole sera soumis au procureur de la République que celui-ci va automatiquement le refuser !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Alain Anziani, rapporteur. Au contraire, cette procédure donnera forcément lieu à cette articulation, cette concertation, ce dialogue, que les uns et les autres ont réclamés depuis le début de la discussion.
À mon avis, ce n’est pas dissuasif. La peur du gendarme, en l’occurrence, la peur du parquet, devrait même favoriser la transaction, sachant qu’en cas de refus le dossier est déjà entre les mains du procureur de la République… Il s’agit donc d’un élément plus incitatif qu’inhibiteur en matière de transaction.
Telle est la position adoptée par la commission. Je ne reprendrai pas les arguments sur l’efficacité financière, ils ont été abondamment développés en début d’après-midi.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression de l’article 2 ter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ayant eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet, je reprendrai simplement les arguments que j’ai développés en m’adossant à ce que vient de dire le rapporteur à l’instant.
Le cas qu’il vient d’évoquer, c’est-à-dire une fraude fiscale qui tangente la grande délinquance financière, faisant appel à un dispositif complexe, opaque et pouvant être commise en bande organisée, constitue le type même de ces cas qui font l’objet, de la part de l’administration fiscale, d’une transmission du dossier à la justice par l’intermédiaire de la Commission des infractions fiscales.
Ce qui est intéressant dans le dispositif que nous avons proposé à la représentation nationale, c’est que le doute qu’elle a aujourd’hui se transformera peu à peu en certitude, puisque nous lui communiquerons un état extrêmement précis des dossiers examinés par l’administration fiscale, des conditions et des critères à partir desquels elle transige ainsi que des raisons pour lesquelles elle ne transige pas, en transmettant à la justice, par l’intermédiaire de la Commission des infractions fiscales, qui sera recomposée et dont l’activité sera rendue plus transparente, les dossiers les plus compliqués, les plus litigieux, les plus problématiques.
Je ne peux pas laisser dire devant le Sénat que, sur des cas de fraude complexe du type de ceux qui viennent d’être décrits à l’instant par le rapporteur, il pourrait y avoir une forme de complaisance au sein de l’administration fiscale qui conduirait cette dernière à ne pas transmettre au juge des éléments constitutifs de fraude fiscale aussi manifeste et avérée ; c’est faux !
C’est comme si je disais, en tant que ministre du budget, responsable de l’administration de Bercy, que j’ai quelques doutes, compte tenu de la manière dont le parquet a pu fonctionner par le passé, sur la manière dont les magistrats du parquet mettront en mouvement l’action publique concernant un certain nombre de fraudes commises par des personnalités qui, par leur activité, pourraient avoir vocation à être protégées…
On ne lutte pas contre la fraude fiscale dans la suspicion à l’égard des administrations qui sont chargées de rechercher les fraudeurs et de mettre en mouvement l’action publique. Moi, j’ai confiance dans les magistrats du parquet - et dans les magistrats du siège - lorsqu’ils poursuivent. Je ne fais peser sur eux aucune forme de suspicion et la garde des sceaux s’est exprimée tout à l’heure de façon extrêmement claire sur l’absence totale de complaisance de la justice à l’égard de ceux qui fraudent de façon manifeste.
Pour ma part, je ne puis accepter qu’il y ait une confiance de fait à l’égard de la justice et une suspicion de fait à l’égard de l’administration fiscale, pas davantage que je ne pourrais accepter une confiance de fait à l’égard de l’administration fiscale et une suspicion de fait à l’égard de la justice.
Aujourd'hui, avec la garde des sceaux, nous créons les conditions d’une confiance en l’administration de la justice et en l’administration fiscale, dont nous réarticulons l’intervention pour rendre la lutte contre la fraude fiscale plus efficace afin de ne laisser aucun espace de respiration aux fraudeurs. Voilà la démarche qui est la nôtre, et je pense que c’est la bonne.
Il y a quelque chose de théologique, compte tenu de l’objet du texte, dans l’opposition de la logique du verrou, qui existerait à Bercy, à une logique de l’écrou, qui prévaudrait place Vendôme. À Bercy, il n’y a pas de verrou, mais c’est une véritable catapulte qui envoie désormais vers la place Vendôme les dossiers les plus compliqués. Il n’existe pas non plus place Vendôme une logique de l’écrou à tout prix consistant à tout pénaliser sur tous les sujets ; c’est une logique d’équilibre qui prévaut et qui veut que la peine appliquée soit à la hauteur de l’infraction constatée.
Je souhaite vraiment que nous profitions de l’examen de ce texte, qui est porté à la fois par le ministère de la justice et par le ministère de l’économie et des finances, pour sortir de ces débats théologiques qui nous conduisent à afficher de bien mauvaises idées par rapport à la réalité de la lutte contre la fraude fiscale, et pour essayer au contraire de rechercher de façon très pragmatique les solutions les plus adéquates.
Je demande aux sénateurs de faire confiance et à la justice et à l’administration fiscale travaillant ensemble pour atteindre à une efficacité accrue dans la lutte contre la fraude fiscale. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer dans la discussion générale, ma position est balancée entre deux exigences. L’engagement du Gouvernement de produire un rapport régulier sur la situation m’a amenée à faire confiance a priori à cette nouvelle relation avec la justice que le ministre du budget appelle de ses vœux, mais une confiance vigilante et mesurée.
Monsieur le ministre, j’aurais, selon vous, mis en cause l’administration fiscale qui ne transmettrait à la justice tous les éléments en sa possession que si elle le juge opportun. Je n’ai jamais dit cela et je ne crois pas que l’on cache des choses a priori à Bercy.
Pour autant, puisque vous parlez de théologie, je ne crois pas à l’infaillibilité pontificale et encore moins à l’infaillibilité « bercyenne ». (Sourires.) Le grand avantage de la procédure judiciaire tient au fait qu’elle est publique, ce qui, en la matière, est important.
J’entends bien votre argument et souhaite que l’on modifie les comportements en faisant preuve de vigilance et d’attention collectives. Toutefois, dans certains cas, nous aurions pu avoir un meilleur rendement fiscal si Bercy avait saisi plus rapidement la justice. En effet, les enquêtes judiciaires ouvrent des champs d’investigation qui n’entrent pas nécessairement dans les compétences ou les possibilités de l’administration.
J’illustrerai mon propos avec deux exemples. Le premier concerne la fameuse TVA sur les quotas de carbone. L’Union européenne a estimé que le montant de la fraude s’élevait à 5 milliards d’euros, dont 1,6 milliard pour la France. Il ne s’agit donc pas d’une petite affaire. La Direction nationale des enquêtes fiscales avait détecté l’existence de ces fraudes mais n’avait pu saisir ni leur ampleur ni le côté « serpent » du système. C’est là qu’est le problème. Si l’on avait déclenché rapidement les procédures judiciaires, nous aurions probablement pu mieux mesurer l’ampleur de cette fraude et donc, sans doute, mieux récupérer l’impôt fraudé.
Le second exemple concerne les carrousels de TVA. La nature même du carrousel est d’émietter la responsabilité entre de multiples acteurs, prête-noms mais aussi sociétés-écrans. Dans certains cas, on ne peut se contenter d’une simple investigation de Bercy pour démêler l’écheveau et des investigations judiciaires sont alors nécessaires. La crainte que l’on peut avoir est que ces dernières ne soient pas déclenchées suffisamment rapidement. Une procédure plus systématique de transmission pourrait nous faire espérer plus d’efficacité.
Toutefois, comme je l’ai dit tout à l'heure, je pense qu’il ne faut pas avoir de position théologique en la matière. Nous devons veiller à ce que Bercy, lorsque cela est nécessaire, sente cette exigence de déclenchement plus rapide des opérations judiciaires. Le rapport annuel qui nous sera remis nous permettra alors de voir si nous allons plus vite, plus fort et plus efficacement.
Je le rappelle, nos concitoyens nourrissent quelques doutes à l’encontre de toute boîte noire qui n’est pas soumise à une validation collective des choix. Dès lors, toutes les suspicions peuvent demeurer et la foi ne suffit pas à les lever !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, je sais qu’en toute matière une grande confiance n’exclut pas une petite méfiance. (Sourires.)
J’entends toutes vos interrogations, mais je vous renvoie au texte en discussion : ses dispositions y répondent point par point.
L’administration devrait saisir la justice plus tôt ? Mais précisément, dans le projet de loi que nous soumettons à votre délibération, nous proposons qu’en cas de présomption de fraude fiscale complexe de grande ampleur la police judiciaire d’enquête fiscale puisse désormais être mobilisée. Cette dernière pourra d’ailleurs mettre en œuvre des modalités d’enquête beaucoup plus intrusives que celles qui prévalaient jusqu’à présent.
Les carrousels de TVA ou la TVA sur les quotas de carbone, que vous avez cités, répondent précisément à ce critère de grande complexité, notamment en ce qu’ils recourent à de multiples acteurs pour échapper à l’impôt.
Toute l’architecture du texte que nous vous proposons est destinée à faire en sorte que la sanction soit rapide sans remettre en cause la possibilité pour l’administration fiscale de percevoir les recettes dont elle a besoin, dans un contexte de finances publiques dont vous savez ce qu’il est. Nous ferons aussi la démonstration que ceux qui ont voulu échapper à l’impôt ne pourront le faire longtemps et qu’ils paieront ce qu’ils doivent. Enfin, nous pourrons percer la réalité de ces dispositifs complexes, établir les responsabilités et identifier les fraudeurs.
L’équilibre du texte, c’est cela. Et c’est la raison pour laquelle nous proposons de ne pas le remettre en cause, au risque sinon d’être moins efficients avec ce texte que nous ne l’étions auparavant.
M. François Rebsamen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, ce qu’il est convenu d’appeler, un peu péjorativement il est vrai, le « verrou de Bercy » est en fait le monopole des poursuites des faits de fraude fiscale de l’administration des impôts. Même si l’on admet que les procédures en la matière puissent être exorbitantes du droit commun, cela n’est pas sans poser certaines difficultés.
En effet, même lorsqu’ils découvrent des faits de fraude à l’occasion d’enquêtes en cours, les magistrats ne peuvent les poursuivre. À l’inverse, lorsque des faits ne pouvant être poursuivis que par la voie pénale, par exemple, la corruption, sont découverts au cours d’investigations de l’administration fiscale, ils ne sont pas mécaniquement transmis à l’autorité judiciaire et échappent donc parfois aux poursuites qu’ils auraient pourtant méritées.
On peut toutefois également entendre les arguments pragmatiques selon lesquels les fraudeurs, dont seule l’administration fiscale est à même de réellement mettre en évidence les agissements, doivent être frappés avec force et célérité là où ils ont péché, c’est-à-dire financièrement, afin d’éviter de leur part toute manœuvre dilatoire.
Ce qui me semble ressortir avec certitude de ce débat délicat, c’est la nécessité de voir se développer une meilleure coordination entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale. Le texte qui nous est soumis comporte à cet égard des avancées. Je pense notamment aux échanges d’informations prévus à l’article 3 ter ainsi qu’à l’ouverture de la composition de la Commission des infractions fiscales, prévue à l’article 3 bis D.
Il nous semble donc important d’accompagner de manière progressive et durable cette amorce d’évolution, et c’est dans cet esprit que les écologistes s’abstiendront sur ces amendements de suppression de l’article 2 ter. (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Je crois toutefois que l’amendement de notre rapporteur, M. Anziani, a eu le très grand mérite de briser un tabou et d’ouvrir ce débat complexe.
M. Jean Arthuis. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Le débat a démontré que les lignes avaient bougé : il n’existe aucun groupe dans lequel se dégage une unanimité parfaite en ce domaine.
M. Jacques Mézard. Si !
M. François Pillet. La liberté de parole qui prévaut dans mon groupe me permet d’intervenir à titre personnel et d’émettre un avis totalement différent de celui d’un certain nombre de ses membres.
Le constat que je dresse est assez simple et repose sur deux éléments incontestables.
Le premier est qu’il sera impossible de démontrer techniquement que ce système n’aboutit pas à donner exclusivement à l’administration la faculté de décider de l’opportunité des poursuites. Aucune affaire de fraude fiscale ne peut passer en jugement devant un tribunal correctionnel si l’administration n’a pas saisi la Commission des infractions fiscales. Entendez-moi bien : ce n’est pas la CIF qui pose problème, c’est le fait qu’il revient à l’administration de décider de sa saisine.
Le second élément, factuel, a été donné par la Cour des comptes dans son rapport de février 2010. Le constat qu’elle dresse ne va pas dans le sens des objectifs affichés par ce texte : « Les plaintes pour fraude fiscale déposées par l’administration auprès des juridictions pénales sont passées de 860 en 2000 à 992 en 2008. Cependant, cette progression résulte entièrement de l’augmentation des plaintes visant des entrepreneurs du bâtiment […], qui représentent près du tiers des plaintes en 2008. Une part très élevée de ces plaintes concerne des maçons originaires d’un même pays méditerranéen dont la surreprésentation peut avoir deux causes : ils mettent en œuvre des schémas de fraude simples et, de fait, ils se défendent peu. »
J’ai entendu tout à l'heure que l’on défendait l’existence de la Commission des infractions fiscales et du monopole des poursuites de l’administration fiscale au motif qu’il ne faut pas créer de concurrence entre l’administration fiscale et le procureur de la République. Il s’agit d’une erreur ! On ne crée absolument pas de concurrence ! Imaginez-vous un procureur de la République entamer une enquête préliminaire ou même saisir un juge d’instruction en se privant de l’expertise de l’administration fiscale ? Ce n’est jamais le cas, en pratique.
En la matière, nous n’avons donc pas à craindre une guerre des administrations à l’image de la guerre des polices. Au contraire, les uns et les autres collaboreront évidemment à cette œuvre commune.
De plus, l’idée selon laquelle cela pourrait entraver le recouvrement des sommes dues me paraît techniquement fausse. Aussi bien le Conseil d’État que la chambre criminelle de la Cour de cassation ont toujours rappelé que les deux procédures étaient totalement distinctes.
À ce titre, on peut donc imaginer qu’une personne soit condamnée pour fraude fiscale avant que le tribunal administratif ait statué sur son recours en matière purement fiscale et que, à l’inverse, car cette solution existe, la personne soit condamnée pour fraude fiscale alors que le tribunal administratif, dans la même affaire, a annulé tous les redressements que l’administration avait engagés ou mis en recouvrement contre elle.
L’administration a toujours la possibilité de récupérer les sommes. Elle dispose d’ailleurs d’une arme extraordinaire du simple fait qu’elle crée son propre titre, à savoir l’avis de mise en recouvrement ou l’avis d’imposition. Il n’y a donc sur ce point aucune difficulté : l’administration pourra continuer à remplir les caisses de l’État !
Si l’on veut faire disparaître toute suspicion à l’égard de l’administration, il faut donner la parole au procureur de la République. Je crois d’ailleurs que ce dernier ne sera pas plus mauvais juge que l’administration en matière d’opportunité des poursuites…
Enfin, vous avez noté que la Commission des infractions fiscales se voit transmettre mille dossiers par an. Comment voulez-vous qu’elle en reçoive plus encore ? Elle ne pourra, de fait, en traiter davantage, au risque de créer un goulet d’étranglement.
En définitive, je pense que ces amendements ôtent une partie de leur crédibilité aux objectifs affichés par les promoteurs du projet de loi. Je souscris au texte rédigé par notre collègue Alain Anziani et adopté par la commission des lois. Cette rédaction avait le mérite de consacrer une première évolution - celle que vous évoquiez, madame Lienemann - vers un État de droit où, me semble-t-il, il appartient aux magistrats de décider et non à l’administration. (Mme Cécile Cukierman applaudit.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. J’avais été séduit par les arguments de notre rapporteur, tout en conservant un doute. En effet, si la Commission des infractions fiscales est bloquée, comment la justice, avec ses moyens, pourrait-elle faire mieux ?
Je ne suis certain ni d’une solution ni d’une autre. Monsieur le ministre, il faut que l’argent rentre, avez-vous dit. Je pense quant à moi qu’il faut punir ceux qui fraudent. C’est cela, le but de la répression ! Pour quelle autre raison instituer des peines ? Si l’on veut mettre un terme à la fraude fiscale, il faut poursuivre les fraudeurs ! (MM. François Marc et François Rebsamen opinent.)
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà la priorité. Certains nous prédisent que l’argent ne rentrera plus… J’avoue que je ne goûte guère l’argument !
La lutte contre la fraude fiscale est plus efficace quand elle est menée par des spécialistes de la matière plutôt que par des services qui ne la connaissent pas.
J’observe d’ailleurs, madame le garde des sceaux, que si l’article 2 ter n’est pas adopté, créer le procureur financier ne sera plus nécessaire.
M. Michel Mercier. C’est fini !
M. Jean-Jacques Hyest. En tout état de cause, mon groupe est divisé sur cette question. Je n’aime pas beaucoup entendre dire que certains écouteraient Bercy, tandis que d’autres tourneraient leurs regards vers la place Vendôme… Ce n’est pas vrai ! Je crois que l’on peut se faire une opinion, et évoluer à l’écoute des arguments des uns et des autres. À cet égard, j’ai même entendu des magistrats affirmer que le système actuel était préférable à la transmission de tous les dossiers à la justice, car celle-ci n’a pas les moyens de les traiter…
M. François Rebsamen. C’est cela, le problème !
M. Jean-Jacques Hyest. Telle est la réalité ! N’obstruons pas les services de la justice, qui ont déjà beaucoup de difficultés à remplir leurs missions, alors que les administrations fiscales comptent des spécialistes dans leurs rangs.
Par ailleurs, si cet article est adopté, que devient l’article 40 du code de procédure pénale, aux termes duquel tout officier public ou fonctionnaire qui acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis au parquet ? C’est la vraie question, que personne ne veut poser. Seul M. le rapporteur l’a fait, en proposant une solution à mon sens un peu excessive.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Nous sommes là à un point nodal du débat.
Je veux dire d’emblée que le groupe CRC n’a pas abordé cette discussion avec une opinion arrêtée. Je vous demande, mes chers collègues, de nous en faire crédit. Les arguments fort bien exposés par M. le rapporteur nous amènent à nous ranger à l’avis de la commission.
Au cours des mois de travail que nous avons consacrés à ce sujet, nous avons trop souvent entendu mettre en cause la commission des infractions fiscales. En particulier, des magistrats compétents, sérieux, responsables et respectables ont soulevé ce problème de manière récurrente.
J’entends bien les propos de M. le ministre du budget, que je crois sincères. Cependant, nous faisons ici le droit. On nous dit que davantage d’enquêtes sont diligentées aujourd'hui ; cela signifie qu’il y en avait moins avant. Pourquoi cela ?
M. Jean-Jacques Hyest. Il y avait moins de fraudeurs ! (Sourires.)
M. Éric Bocquet. La commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux a auditionné hier M. Falciani. L’affaire HSBC remonte tout de même à 2009 : ce n’est que quatre ans plus tard que les choses semblent enfin bouger. Ainsi, dans les conclusions de son excellent rapport, notre collègue député Christian Eckert « s’interroge sur le délai constaté avant que le parquet de Paris n’ouvre, fin avril 2013, une information judiciaire ». Par conséquent, l’argument relatif à la rapidité d’action de l’administration fiscale est à relativiser singulièrement, de même, d’ailleurs, que l’argument financier. Lors de la discussion générale, on a souligné que la problématique était à la fois budgétaire et financière ; c’est un fait, mais elle est aussi politique.
S’il y a un signal à donner aujourd’hui, c’est bien celui-ci : il ne faut pas en rester au « verrou » de Bercy. À la page 49 de son rapport, M. Eckert ajoute que « même si, à l’heure actuelle, on peut constater une certaine accélération de l’histoire sur ces sujets, il est probable que ce processus n’aboutisse pas dans l’immédiat, et que de nouvelles "affaires HSBC" ou "affaires UBS" éclatent à l’avenir ».
Il nous faut donc nous doter d’un outil efficace pour demain et pour toujours ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. L’avis de M. le ministre du budget sur ces amendements de suppression est clair et cohérent ; il était en outre attendu.
De son côté, M. le rapporteur de la commission des lois a pris une position assez courageuse, fondée sur une autre approche, qui a été développée par notre collègue François Pillet. Je ne reviendrai pas sur son analyse, mais ses arguments méritent un examen attentif.
Si l’on est pour la création du procureur financier, on admet que des associations, l’administration fiscale ou d’autres personnes puissent engager des poursuites, par dérogation au principe de l’exclusivité du parquet.
On peut, au contraire, considérer que seul le parquet est compétent, sur un même territoire, pour les différentes matières, quitte à ce que des procureurs adjoints ou des substituts du procureur soient spécialisés dans tel ou tel domaine.
En ce qui me concerne, je penche plutôt pour la seconde option, que j’estime plus protectrice des droits des citoyens et du principe d’égalité sur tout le territoire national, mais je souhaiterais entendre l’avis de Mme le garde des sceaux avant de me prononcer définitivement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Notre groupe est unanime sur cette question, comme souvent d’ailleurs… (M. Michel Mercier rit.) Cela n’est pas forcément le cas de tous les groupes, monsieur Mercier ! (Sourires.)
Je le redis, notre texte fondamental, en matière de fiscalité pénale, est l’article 1741 du code général des impôts. Sur le fondement de ce texte au champ très large, on peut poursuivre tant des infractions fiscales particulièrement graves et complexes, qui justifient pleinement des poursuites pénales – Mme Lienemann a évoqué les fraudes à la taxe carbone –, que de simples dissimulations commises par des artisans ou des commerçants.
Des vérifications et des contrôles sont alors conduits par l’administration fiscale. Tout part de là. Ensuite, l’administration peut décider ou non de déposer une plainte, après avis conforme de la commission des infractions fiscales.
Tant que vous ne voudrez pas revoir le dispositif de l’article 1741, en opérant une véritable distinction entre les affaires fiscales graves qui justifient des poursuites pénales et celles qui doivent être réglées dans le cadre administratif, nous serons confrontés à de grandes difficultés.
La situation actuelle me semble raisonnable, à moins de considérer, monsieur le rapporteur, que Bercy fasse mal son travail. C’est ce que vous dites très clairement à la page 60 de votre rapport : « il est, en revanche, particulièrement regrettable que l’autorité judiciaire ne puisse avoir connaissance des faits de fraude fiscale complexe, notamment lorsqu’elle est commise par le recours à des montages juridiques sophistiqués ou à des structures implantées à l’étranger ». Il est particulièrement grave de considérer que le ministère des finances ne fait pas son travail dans de tels cas ! Viser, comme vous le faites aux termes de votre rapport, l’« atténuation » du pouvoir de Bercy n’a guère de sens sur le plan juridique. Une telle démarche soulève des difficultés d’interprétation considérables. Soit on maintient le système actuel, comme nous le croyons raisonnable, soit on le réforme.
J’ajoute que, pour notre part, nous sommes contre la création du procureur financier. Notre demande de suppression de l’article 2 ter répond donc à une logique sur ce plan aussi !