M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame la ministre, pour la première fois, un projet de loi vise à définir une stratégie d’ensemble à la fois pour l’enseignement supérieur et pour la recherche. Je tiens à saluer cette ambition qui répond au défi que nous jettent les pays avancés – États-Unis, Japon, Allemagne –, mais aussi, de plus en plus, les pays émergents – Chine, Corée et Inde, en particulier.
Les vieux pays industrialisés n’ont plus le monopole de la science et de la technologie : voilà un fait dont chacun doit se pénétrer. À cette situation radicalement nouvelle, nous ne pouvons répondre que par un effort accru. Cet effort ne peut pas être qu’un effort budgétaire, si souhaitable celui-ci soit-il. Nous apprécions la « sanctuarisation » de votre budget, madame la ministre, mais elle est en elle-même insuffisante, si nous comparons notre effort de recherche à celui des pays les plus avancés, à commencer par notre plus proche voisin. Cet effort accru doit être l’effort de tous, et d’abord de nos chercheurs et de nos universitaires.
Madame la ministre, vous avez évoqué, à juste titre, les insuffisances de notre système, qu’il s’agisse du taux d’échec trop élevé de nos étudiants en licence ou de la trop faible valorisation de notre recherche, que j’appelais déjà à renforcer en 1981-1982.
Il ne suffit pas d’inscrire dans la loi l’objectif du transfert des résultats de la recherche dans la production ; cela a été fait il y a trente ans. La recherche technologique, qui représente 10 % seulement de notre dépense intérieure de recherche, et le transfert sont, vous l’avez dit devant l’Assemblée nationale, nos deux points faibles par rapport à nos concurrents, qui, par exemple, consacrent plus de 20 % de leur effort de recherche à la recherche technologique. Ce sont des faits, et les faits sont têtus !
Peut-on remédier à cette situation en se bornant à rendre un hommage, sans doute justifié, à notre recherche fondamentale et en proclamant la confiance du Gouvernement à l’égard de la communauté universitaire et scientifique ? Vous savez bien que cela ne suffit pas.
Vous nous proposez, à juste titre, de prendre des mesures regroupées dans un « livre de transfert » et de favoriser l’innovation en créant de nouvelles plateformes de transfert technologique. Vous voulez que le titre de docteur soit reconnu dans les conventions collectives et vous demandez parallèlement la reconnaissance du doctorat dans les grilles de la fonction publique. Vous avez raison, mais il faut obtenir les deux à la fois, sinon ce serait perpétuer le déséquilibre entre une recherche publique, dont il faut dire, parce que c’est la vérité, qu’elle est plutôt bien dotée, et une recherche industrielle privée trop faible.
Il serait aussi souhaitable de favoriser une relation plus étroite entre l’industrie, la formation et la recherche. Je prends l’exemple d’une région comme celle de Belfort-Montbéliard, où sont implantées de grandes entreprises mondialisées telles que Peugeot, Alstom, General Electric ou Faurecia, et où s’est développé un tissu industriel dense. Une véritable stratégie nationale de développement de la recherche et de l’enseignement supérieur devrait comporter un contrat de site propre à la communauté d’universités et d’établissements de Bourgogne et de Franche-Comté et visant à la création d’un pôle d’ingénierie dont le centre de gravité serait naturellement le nord-est franc-comtois, puisque s’y trouvent non seulement l’université de technologie de Belfort-Montbéliard, avec ses 2 600 élèves-ingénieurs, mais aussi l’université de Franche-Comté, qui délivre des formations tout à fait excellentes, en particulier en sciences de l’ingénieur.
Vous avez évoqué à juste titre, madame la ministre, un État « stratège ». Il serait normal que celui-ci applique son effort non pas seulement aux métropoles, mais aussi à des pôles industriels comme celui dont je viens de parler. Je souhaite qu’il figure dans le contrat de site et, parallèlement, dans le contrat de plan État-région pour la période 2014-2020.
Vous avez aussi évoqué, madame la ministre, la démocratie et la collégialité dans les universités. Leur renforcement est fort souhaitable, mais les hommes sont les hommes : l’université et la recherche – ceux qui ont siégé longtemps dans les conseils d’administration des universités le savent bien ! – ne sont pas à l’abri des corporatismes.
C’est pourquoi M. Mézard, président du groupe RDSE, et moi-même avons déposé un amendement visant à permettre au président du conseil d’administration de présider le conseil académique ou de déléguer sa présidence. Je sais qu’il est à la mode, dans notre pays, de critiquer l’autorité, le centralisme réputé jacobin, mais enfin l’expérience montre qu’il ne faut pas de dyarchie à la tête des universités : d’un côté, un président du conseil d’administration prétendument stratège, et, de l’autre, un président du conseil académique maître des moyens et des personnels. Sinon, l’autonomie des universités risquerait de déboucher sur le baptême de bateaux ivres…
Il n’est certes pas souhaitable de réduire les conseils scientifiques à un rôle purement consultatif, mais la présidence ne se partage pas. Nous n’avons pas la tradition des universités anglo-saxonnes : il ne peut y avoir deux présidents dont l’autorité de l’un pourrait bloquer celle de l’autre. La confiance, il faut d’abord la créer ! Commençons donc par l’institution d’un président délégué !
J’approuve, madame la ministre, l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence, déjà affirmé en 2000 par le sommet européen de Lisbonne. Nous en sommes aujourd’hui à 37 % selon vos déclarations, un peu optimistes me semble-t-il.
Il faut d’abord rappeler que les « bacs pros », que j’avais créés en 1985, ne visaient qu’exceptionnellement la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur. Le but était de former des personnels très qualifiés pour les entreprises.
M. Jacques Legendre. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ceux qui le souhaitent doivent s’inscrire dans les sections de techniciens supérieurs, les STS, plutôt qu’en licence. Sans doute faut-il multiplier les STS, mais vous allez pouvoir le faire, puisque vous vous êtes dotée d’un plan général de développement de l’enseignement supérieur, incluant les formations « post bac », ce qui est une bonne chose !
Quant aux bacheliers technologiques, la fixation des quotas dans les IUT doit se faire en concertation avec les établissements. L’orientation par l’échec n’est jamais souhaitable ! Il faut surtout renforcer la formation générale dans les programmes des baccalauréats technologiques pour que les titulaires de ces derniers puissent poursuivre en plus grand nombre des études universitaires. Il est bien évident que l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence restera inaccessible avec les seuls bacheliers généraux, qui représentent la moitié des bacheliers, soit moins de 30 % d’une classe d’âge. Il faut donc revoir cette question en concertation avec M. le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon.
En tout cas, les mesures que vous proposez pour assurer une meilleure continuité entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur vont dans le bon sens. Vous avez raison de vouloir une spécialisation progressive des études de licence. C’était autrefois le rôle de ce que l’on appelait les instituts de préparation aux enseignements du second degré, les IPES. (Mme Maryvonne Blondin approuve.) La baisse du niveau scolaire que constatent non seulement les indicateurs PISA, mais même M. Antoine Prost, éminent spécialiste de l’éducation qui a longtemps prétendu le contraire, nous amène à revenir à ce système. Refonder, c’est tout reprendre à la base, même au niveau de l’école primaire, comme se le propose M. le ministre de l’éducation nationale !
De même, la formation en alternance dans l’enseignement supérieur, notamment par la voie de l’apprentissage, a encore beaucoup de progrès à faire dans notre pays, si l’on compare notre situation avec celle de l’Allemagne.
En ce qui concerne les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, il ne suffit pas de former les futurs enseignants à l’intérieur de l’université ou au contact du terrain. Si l’on veut vraiment refonder l’école de la République, il faut que ces futurs enseignants puissent bénéficier de cours obligatoires de philosophie et d’histoire. Il faut surtout qu’ils puissent transmettre à la jeunesse l’histoire de la France et de la République.
Pour terminer, madame la ministre, je voudrais évoquer le problème de l’introduction d’enseignements en anglais – puisque c’est de cela qu’il s’agit – dans notre enseignement supérieur. Cet enseignement en anglais se pratique dès aujourd’hui, en parfaite contradiction avec notre Constitution : vous avez recensé 600 formations en cette langue dans les grandes écoles et 190 à l’université.
On aurait attendu de l’État qu’il réagisse, car il ne suffit pas de constater. Je vois là une grave faute du précédent gouvernement et je souhaite que vous ne vous inscriviez pas dans sa continuité. Il faut distinguer en effet l’attractivité de nos universités et le souci de défendre et promouvoir la langue française, dont Braudel disait qu’elle constituait à 80 % l’identité de la France.
L’attractivité de nos universités dépend de nombreux facteurs, à commencer par la politique des visas, excessivement restrictive, comme j’ai pu le constater en Russie. Ce grand pays compte 7 millions d’étudiants, dont 800 000 apprennent le français. Or nous n’accueillons dans nos universités que 4 000 étudiants russes, contre 16 000 pour l’Allemagne. Le taux de refus de visa a atteint 37 % en 2012, soit le double de l’année précédente. Nous marchons sur la tête !
Par ailleurs, nous ne devons pas rougir d’accueillir des étudiants venus du monde arabe ou d’Afrique : ces pays connaîtront à leur tour le phénomène de l’émergence, et nous devons les y aider. Ce sera aussi une chance pour la France.
Certes, je ne méconnais pas l’intérêt d’attirer des Indiens, des Pakistanais ou des Bangladais. J’observe d’ailleurs que nous accueillons tout de même 30 000 étudiants chinois : si les gouvernements de l’Inde, du Pakistan ou du Bangladesh en avaient la volonté, le nombre des étudiants de ces pays en France pourrait être plus important.
Est-ce en organisant des cours en anglais que nous allons modifier les flux ? J’en doute ! Je crains plutôt que, en favorisant de trop larges exceptions au principe de l’enseignement obligatoire en français, nous ne donnions l’exemple d’un grand manque de confiance en nous et en l’avenir de la langue française.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le sabir qu’est l’anglais international favorise l’imprécision des concepts. Même les Britanniques qui participent à nos congrès scientifiques réclament la traduction simultanée, car ils ne comprennent pas nos chercheurs quand ils croient s’exprimer en anglais… (Sourires.)
Le français doit pouvoir tout dire. C’est pourquoi, sans exclure que des formations puissent être assurées dans une autre langue que le français à partir d’un niveau master, j’ai déposé un amendement visant à restreindre le champ trop large des exceptions au principe constitutionnel de l’enseignement en français.
Je souhaite, naturellement, que nous allions vers un accueil plus large des étudiants étrangers. J’ai bien noté qu’une mise à niveau de ceux d’entre eux qui ne pratiquent pas notre langue serait assurée et qu’il serait procédé à une « évaluation » au moment de l’obtention du diplôme. Mais ce mot d’ « évaluation » est faible : je préférerais qu’un pourcentage soit fixé pour l’enseignement dispensé en français et qu’une épreuve en français figure parmi celles qui conditionnent l’obtention du diplôme.
Ne donnons pas, madame la ministre, le signe fâcheux que nous ne croyons plus à l’avenir de la langue française. Je sais que tel n’est pas votre propos. Il ne faut pas polluer, par l’introduction d’une disposition mal comprise, un débat essentiel sur l’excellence et l’attractivité de notre recherche et de notre enseignement supérieur. Il y a un juste équilibre à trouver pour mobiliser autour de votre projet, sans restriction, toutes les forces de la France ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la ministre, je veux tout d’abord saluer votre travail et votre disponibilité, mais aussi votre courage, car du courage il en faut beaucoup, dans notre pays, pour entreprendre une réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche.
La réforme de notre enseignement supérieur était attendue, tant celui-ci joue un rôle majeur pour la grandeur de notre pays et sa place dans le monde, tant l’idée que l’on se fait de l’intelligence, du progrès humain et de la culture, en général, y est présente, concentrée au maximum.
C’est ce que l’on pouvait déjà dire en 2007, c’est ce que l’on peut dire encore aujourd’hui, tant le malaise est, malheureusement, toujours présent dans nos universités, malgré les avancées que la loi LRU a permis, mais aussi parce que la loi LRU n’a pas été à la hauteur de l’attente ou a même détérioré certaines situations.
Le moment de cette réforme est donc venu, et cette grande ambition commune doit désormais trouver une concrétisation lisible pour la communauté universitaire et, au-delà, pour nos compatriotes.
L’école et la jeunesse étaient au cœur des engagements de François Hollande.
Toutes nos réformes, mais particulièrement la refondation de l’école et celle de l’université et de la recherche, visent à redonner de l’espoir aux nouvelles générations, avec au cœur l’objectif de la réussite éducative.
Toutes les réformes portées par le Gouvernement visent à redresser notre pays, mais celle-ci, en particulier, en donnant une nouvelle ambition pour la recherche, dans un monde ouvert, permettra à la France de garder et, parfois, de retrouver son rang, voire dans certains domaines de conquérir une nouvelle place, à la pointe de l’innovation, par la valorisation de tous ses atouts, souvent reconnus dans le monde entier.
Où en sommes-nous ? D’où venons-nous ?
En 2007, je disais ceci à cette tribune, lors du débat sur la loi LRU, en présence de Mme Pécresse :
« Les enseignants-chercheurs vivent de plus en plus mal le fait de devoir assumer de lourdes charges administratives et de travailler dans des salles de cours et des laboratoires dont l’état est digne de pays en voie de développement. Les personnels administratifs et techniques vivent de plus en plus mal le fait de devoir administrer la pénurie des moyens. Les étudiants vivent de plus en plus mal la précarisation de leurs conditions de vie et le risque de l’échec ; 90 000 jeunes sortent ainsi tous les ans de l’enseignement supérieur sans diplôme. Les présidents d’université vivent de plus en plus mal le fait d’être cantonnés dans un rôle d’animateur d’instance sans autre véritable pouvoir que celui de protester auprès du ministère face à l’insuffisance récurrente des budgets. La communauté universitaire dans son ensemble vit de plus en plus mal la stigmatisation de l’université qui, d’héritière de la Sorbonne qu’elle était, ne serait désormais, selon ses détracteurs, qu’un monstre bureaucratique accueillant des bacheliers “trop médiocres” pour intégrer les filières sélectives des grandes écoles, stigmatisation sans cesse alimentée par des idéologues “déclinistes”. »
Aujourd’hui, soit six ans après la loi LRU, malgré les avancées apportées par celle-ci pour permettre un pilotage plus autonome des universités, sept ans après la loi Recherche, je pourrais, à peu de choses près, tenir les mêmes propos, faire le même diagnostic global. Je le déplore, car souvent le temps perdu ne se rattrape pas facilement, et les dégâts ne se réparent qu’au prix d’efforts supplémentaires, venant s’ajouter à ceux qui sont toujours nécessaires pour être à la hauteur de l’ambition de notre pays !
Les principaux défauts des décisions passées étaient de ne traiter que les aspects de la gouvernance et de l’évaluation régulière des établissements – et ce, nous le verrons, de façon contestable –, alors que la réforme était nécessaire dès 2007 pour lutter contre l’échec scolaire en premier cycle et la précarité des conditions de vie de beaucoup d’étudiants, pour valoriser les jeunes chercheurs, pour établir une cohérence d’ensemble avec la recherche en fonction d’une stratégie globale de l’enseignement supérieur et de la recherche, domaines alors abordés dans des lois distinctes.
Nous voulons donc trancher avec toute une série de réformes inachevées et de renoncements intervenus depuis dix ans, avec des promesses financières non tenues, avec une autonomie supposée qui, en réalité, a beaucoup masqué des transferts incomplets de masse salariale, avec l’abandon de la collégialité, qui abîme la culture et la démocratie universitaires, avec la stigmatisation du service public de la recherche, souvent sacrifié.
Oui à l’autonomie, que nous socialistes avons toujours défendue, comme possibilité plus grande d’agir, d’innover, d’être réactifs ! Nous y voyons la responsabilité, le renforcement de l’exécutif, certes pour l’efficacité, mais aussi pour la collégialité et le renforcement de la démocratie. Nous y voyons aussi la confiance de la nation dans sa communauté universitaire.
Nous savons que la droite, elle, ne voyait dans l’autonomie que la concurrence entre universités, toujours au détriment des plus petites structures, la concurrence de tous contre tous, la sélection sociale et la privatisation rampante. Derrière ce beau mot d’autonomie, la droite a toujours caché beaucoup d’idéologie au service du libéralisme. Eh bien, avec ce projet de loi, madame la ministre, nous revendiquons avec vous l’autonomie et lui donnons le contenu qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir, qu’elle mérite d’avoir !
D’ailleurs, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application de la loi, que je préside, a produit un rapport établissant un bilan critique de la loi LRU. Je n’y reviendrai donc pas, mais je citerai un exemple concernant ce qui est probablement le dispositif le plus novateur de la loi LRU.
Ce dispositif, que nous avons soutenu, consistait en des mécanismes de pilotage et de gestion prospective qui devaient donner aux établissements une visibilité pluriannuelle sur leurs ressources humaines, financières et immobilières, ainsi que sur leurs dépenses, compte tenu des priorités fixées par leur contrat d’établissement. Or, avec cinq ans de recul, on constate que ces ambitions sont loin d’avoir débouché sur tous les résultats escomptés : comme le relèvent à juste titre nos rapporteurs, moins d’une dizaine d’universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique.
Toutefois, la loi LRU a enclenché une dynamique, et dans un environnement normatif qui aspire à la stabilité, nous devons partir de là. Une abrogation pure et simple de la loi LRU serait une perturbation. Elle casserait des dynamiques positives et freinerait la modernisation des universités françaises.
Si le changement radical est nécessaire, il ne passe pas nécessairement par l’abrogation. Il suppose, d’abord, de corriger ce qui était négatif, mal fait. Il suppose, ensuite, l’engagement de tout ce qui avait été mis de côté, oublié. Il suppose, enfin, de s’appuyer sur tout ce qui était positif.
Il fallait commencer par établir ce qui avait été méprisé : la concertation, l’écoute des acteurs de la grande communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour l’élaboration du présent projet de loi, cette concertation a été un préalable. Il faut saluer cette méthode, qui tranche considérablement avec les habitudes du gouvernement précédent.
Souvenons-nous que la loi LRU avait été discutée, amendée et votée par notre assemblée huit jours seulement après l’adoption du texte par le conseil des ministres. C’était possible, à l’époque ! Il fallait faire vite, en juillet, précisément pour qu’aucun des acteurs ne puisse parler, peser, débattre.
Pour ce projet de loi, la méthode choisie a permis aux sensibilités les plus diverses de s’exprimer. Ainsi, 20 000 personnes ont participé aux assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, de juillet à octobre 2012 ; c’est de là que sont issues les priorités qui constituent la pierre angulaire de ce projet de loi : la réussite des étudiants, une régénération de la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur, une réforme du système de recherche inscrite dans la modernité.
Cela donne donc un projet ambitieux pour le niveau de qualification de notre jeunesse, mais également pour le soutien à la recherche fondamentale, indissociable des enjeux d’aujourd’hui : sans le savoir et ses applications immédiates, pas de progrès socioéconomiques, pas de mieux-disant environnemental, en somme pas de redressement durable dans la mondialisation.
Nous devons ici traiter les questions qui ont été négligées et mal abordées, mais aussi fixer des axes stratégiques clairs, avec des moyens à l’appui en matière de politique éducative. C’est ce que fait ce projet de loi !
La réussite des étudiants est la première préoccupation. Le taux d’échec en premier cycle universitaire s’est aggravé de cinq points. Seuls 33 % de nos étudiants obtiennent leur licence en trois ans, 40 % réussissent en trois ou quatre ans, contre 60 % des étudiants en Allemagne, dans des filières non sélectives, donc à termes de comparaison égaux.
L’objectif de faire accéder 50 % d’une classe d’âge à un diplôme d’enseignement supérieur a été fixé alors que le chômage touche plus de 25 % des jeunes, particulièrement ceux qui sont sans qualification et sans diplôme. La mise en adéquation des formations avec le marché du travail est aussi un objectif prioritaire. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’orientation, à plusieurs niveaux, et le texte répond à cet impératif.
Dans cette perspective, la création de 1 000 postes sur cinq ans dédiés à la réussite éducative est programmée. C’est le plus gros effort consenti depuis plus de dix ans pour les plus de 2,3 millions d’étudiants que compte notre pays. C’est le pendant de la loi de refondation de l’école de la République et de ses 60 000 postes supplémentaires.
Le texte prévoit en outre la spécialisation progressive en licence, avec la constitution d’un projet personnel et professionnel, la simplification des licences et des masters.
Je me félicite aussi de la priorité donnée aux bacheliers professionnels et technologiques, souvent issus de milieux populaires, pour l’accès aux STS et aux IUT.
L’alternance sera développée, avec un doublement du nombre de places d’ici à 2020. Elle deviendra une composante à part entière de la formation dans l’enseignement supérieur, contribuant à une meilleure insertion professionnelle.
Il faut saluer le travail accompli sur le texte par l’Assemblée nationale pour démocratiser l’enseignement supérieur et faire vivre la méritocratie républicaine, en rendant l’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur possible pour les bacheliers de tous les lycées.
Loin d’être truffé de grandes phrases, comme j’ai pu l’entendre dire, ce projet de loi décline méthodiquement et de façon précise l’ensemble des mesures concrètes que nous devons mettre en œuvre pour lutter contre l’échec et permettre une meilleure orientation.
Le texte traite également des conditions de vie étudiante. Mme la ministre a rappelé qu’était programmée la construction de 13 000 logements étudiants. Au total, avec l’apport du Centre national des œuvres universitaires et scolaires, l’engagement de créer 40 000 logements en quatre ans sera tenu.
Par ailleurs, le dixième mois de bourse a été effectivement rétabli par Mme la ministre. L’annonce du précédent gouvernement n’était qu’un leurre, car la mesure n’avait pas été budgétée !
Mme Françoise Cartron. C’est vrai !
M. David Assouline. Le Sénat avait d’ailleurs dû inscrire les crédits nécessaires dans le projet de loi de finances rectificative ! Annoncer une mesure sans prévoir son financement, c’est mentir aux Français ! Nous ne vous suivrons pas dans cette voie !
Les dispositions relatives au fonctionnement et à l’organisation de l’université vont également concourir à la construction d’un système plus efficient. Tandis que le précédent gouvernement suivait une logique de recomposition en dix grands pôles d’excellence génératrice d’inégalités, la gauche dote l’université d’outils juridiques et rééquilibre la carte universitaire autour d’une trentaine de grands ensembles.
En matière de gouvernance, le texte vise à rétablir la collégialité et à réduire l’« hyper-présidentialisation » instaurée par la loi LRU. Pour autant, nous avons le souci de l’efficacité : le président d’université aura les moyens d’agir. La droite, elle, a toujours voulu opposer démocratisation et efficacité !
Je ne m’étendrai pas sur l’ambition pour la recherche manifestée par le texte, car nous y reviendrons dans le détail au cours du débat. Une stratégie globale pour la recherche est proposée, étroitement liée à la stratégie pour l’enseignement supérieur. Le gouvernement précédent avait, pour sa part, élaboré deux lois distinctes : une pour la recherche, une pour l’enseignement supérieur. On a vu le résultat !
La commission a bien travaillé, et le groupe socialiste est fier des amendements qu’il a déposés. Certains ont déjà été intégrés au texte en commission, d’autres seront présentés en séance publique.
Pour conclure, ce projet de loi nous donne les moyens de réformer dans la durée et, surtout, dans la confiance. Notre jeunesse et notre communauté universitaire sont une chance pour la France. Le monde change : notre système de l’enseignement supérieur et de la recherche ne pourra ni survivre ni rayonner dans le contexte de la mondialisation si nous ne menons pas une véritable réflexion sur la société du savoir au XXIe siècle. Notre travail consistera à mettre cette réflexion en adéquation avec la stratégie globale de redressement national ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Parlement apprécie visiblement de débattre de l’enseignement supérieur et de la recherche vers la fin de l’année universitaire !
L’été 2007, c’était l’élaboration de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, dont l’intitulé, modifié par le Sénat, renvoyait avec sens et volonté à celui de la première loi de décentralisation territoriale, la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.
M. Jacques Legendre. Eh oui !
M. Jean-Léonce Dupont. Nous voici, en juin 2013, examinant un projet de loi que vous avez simplement qualifié, madame la ministre, de « relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche ». Cet intitulé neutre n’exprime pas de véritable ambition de la part de ce gouvernement pour un service public qui joue pourtant un rôle essentiel dans notre pays.
Il est vrai qu’une partie de vos soutiens politiques exigeait rien de moins que l’abrogation de la loi LRU, et tient encore des discours dignes des contestataires du siècle passé. Cela m’inspire une permanente désolation…