M. Jean-Claude Gaudin. Exactement !
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
M. Yves Détraigne. Pour atteindre cet objectif en septembre 2014, vous avez plusieurs possibilités.
Tout d’abord, il vous faut éviter à tout prix d’avoir à affronter des échéances électorales locales d’ici à septembre 2014. En effet, vous pouvez redouter l’attitude des électeurs après deux ans au pouvoir. En la matière, le calendrier de l’année 2014 laissait place à toutes les possibilités, puisque de très nombreux scrutins devaient avoir lieu : élections municipales, départementales, régionales et européennes. Pour ces dernières, le Gouvernement n’a pas de marges de manœuvre.
Pouvait-il reporter les municipales, dont on connaît l’importance avant un scrutin sénatorial ? Cela semble avoir été envisagé un temps. Heureusement, cette idée a été abandonnée. Ne restaient plus que les élections cantonales et régionales. Leur sort a été réglé, puisque la loi du 17 mai 2013 les a reportées à mars 2015.
Ensuite, il vous faut modifier le mode de scrutin sénatorial, en espérant en tirer profit.
Ces arrangements électoraux ont déjà largement été engagés par le Gouvernement, puisque la fameuse loi du 17 mai 2013 que j’évoquais à l’instant a, elle aussi, modifié les règles applicables, en instaurant le non moins fameux « binôme paritaire » aux élections cantonales, ce que j’ai présenté dans mon département en utilisant l’expression de « double mixte ». (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Les élections municipales ont également donné lieu à des arrangements électoraux, en l’occurrence moins d’un an avant le scrutin, ce qui est contraire à l’usage républicain. Et que dire de l’élection municipale à Paris, que le Conseil constitutionnel a rendue impossible sans l’adoption d’un nouveau texte ? Or ce vote ne pourra avoir lieu que quelques mois seulement avant l’élection.
Bref, la matière électorale nous occupe déjà très largement depuis le début de cette législature, et cela semble bien parti pour durer. C’est sans doute une priorité pour nos concitoyens, victimes de la crise et du chômage.
M. Jean-Claude Gaudin. Sans doute…
M. Yves Détraigne. Aujourd’hui, les modes de scrutin pour l’ensemble des élections nationales – à l’exception de l’élection présidentielle – et territoriales ne sont fixés ni par la Constitution ni par la loi organique. En clair, avec la prééminence institutionnelle de l’Assemblée nationale, un parti qui dispose de la majorité absolue des députés peut, à lui seul, modifier tous les modes de scrutin qui structurent notre démocratie, contre l’avis du Sénat et des autres forces politiques du pays.
Cette situation pose, me semble-t-il, un véritable problème démocratique : le parti qui obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale peut alors être tenté,...
M. François Rebsamen. Comme en 2003 !
M. Yves Détraigne. … comme c’est le cas en ce moment, de modifier l’ensemble des modes de scrutin nationaux et territoriaux pour asseoir son pouvoir à tous les niveaux de notre démocratie.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Pour plus de démocratie et de parité, plutôt !
M. Yves Détraigne. Il n’est pas acceptable qu’une seule formation politique puisse modifier à elle seule les règles électorales à quelques mois des élections.
C’est pour cette raison que le groupe UDI-UC a déposé, il y a quelques semaines, une proposition de loi constitutionnelle tendant à faire en sorte qu’un seul parti ne puisse plus imposer au pays une réforme des modes de scrutin contre l’avis de toutes les autres formations politiques, à moins qu’il ne dispose d’une majorité des trois cinquièmes des membres de chacune des chambres du Parlement.
Mme Catherine Troendle. Très bien !
M. François Rebsamen. Il était temps d’y penser ! C’est drôle !
M. Yves Détraigne. Revenons à ce projet de loi ; que se passerait-il s’il n’était pas adopté par le Sénat ? Constitutionnellement – et sauf erreur de ma part –, puisqu’il s’agit d’une loi ordinaire, l’Assemblée nationale pourrait parfaitement avoir le dernier mot, même sur une modification du mode de scrutin sénatorial.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. C’est la Constitution !
M. Yves Détraigne. La question n’est donc pas juridique, elle est politique : que déciderait le Gouvernement si la Haute Assemblée rejetait ce texte ?
Venons-en au fond. Je souhaite partager avec vous, mes chers collègues, l’expérience que j’ai pu avoir du scrutin de liste proportionnel dans un département élisant au moins trois sénateurs, que ce texte tend à réintroduire. En 2001, dans la Marne, la liste de trois candidats que je conduisais, à un moment où le scrutin était le même que celui proposé par le projet de loi, avait remporté tous les sièges.
M. François Rebsamen. Eh bien !
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. De quoi vous plaignez-vous ?
M. Yves Détraigne. Nous avons récidivé en 2011, alors que le scrutin était redevenu majoritaire, preuve, s’il en est, que c’est d’abord l’implantation territoriale qui compte, avant tout calcul politicien.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Mirassou. Et l’eau mouille !
M. Yves Détraigne. Le développement de la proportionnelle pousse au calcul politicien.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Yves Détraigne. Je ne suis donc pas certain – je le regrette presque pour vous – que cette nouvelle tentative de sauver une majorité (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)…
M. François Rebsamen. Mais non !
M. René-Paul Savary. Si, c’est exactement ça !
M. Yves Détraigne. … en modifiant le mode de scrutin ait beaucoup de succès.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Nous le faisons pour la justice et la démocratie !
M. Yves Détraigne. J’ai même pitié de vous, mes chers collègues !
Enfin, nous sommes également opposés à la désignation d’un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants, au lieu de 1 000 habitants, dans les communes de plus de 30 000 habitants. Il est impensable d’adopter cette disposition sans en connaître les conséquences précises. L’étude d’impact prévoit environ 3 000 délégués en plus. Comment se répartiront-ils dans chaque département ?
Mon collègue Michel Mercier, qui aurait dû intervenir à ma place, le rappelait en commission : les délégués supplémentaires du Rhône passeraient de 600 à plus de 800 et représenteraient un quart du collège. Constitutionnellement, c’est contestable.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Mais non !
M. Yves Détraigne. En 2000, le Conseil constitutionnel a rappelé que le corps électoral devait être essentiellement composé de membres d’assemblées délibérantes des collectivités. Or, désormais, les 800 délégués non élus locaux seraient en mesure d’élire deux sénateurs. Dans ces conditions, il faudrait arrêter de prétendre que les sénateurs représentent les collectivités territoriales.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Yves Détraigne. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe ne peut soutenir cette réforme.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Yves Détraigne. Pour vous en convaincre un peu plus, Hervé Maurey vous présentera, au nom du groupe UDI-UC, la motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. Henri de Raincourt. Quel talent !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Roland du Luart. Allez, du courage !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous nous avez dit que le Sénat était la chambre des collectivités territoriales. Vous avez raison, et nous saurons bientôt vous rappeler ces propos.
Vous avez débuté votre intervention par une ode au bicamérisme. Nous saurons aussi vous le rappeler bientôt.
Vous avez cité l’article 24 de la Constitution. Nous saurons, avec vous, le réciter longuement.
Le vrai moyen d’être attaché au bicamérisme, c’est de ne pas transformer la Haute Assemblée en pâle copie de l’Assemblée nationale.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le vrai moyen de conforter le bicamérisme, c’est de lui garder ce qui a fait son essence : sa qualité de chambre de réflexion, qui permet, n’en déplaise à notre excellente collègue Éliane Assassi, de tempérer les excès des députés et du parti dominant, quel qu’il soit.
M. Yves Détraigne. Bon rappel !
M. Jacques Mézard. C’est aussi de conserver au Sénat son rôle essentiel de représentant des collectivités territoriales, donc des territoires. C’est d’avoir ici, dans cet hémicycle, des élus responsables d’un exécutif local. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Je le dis, le projet de non-cumul au Sénat est une imposture pseudo-démocratique. (Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes proteste.)
M. Rémy Pointereau. Absolument !
M. Jacques Mézard. Le vrai progrès démocratique sera d’empêcher dans la loi, en adoptant nos amendements futurs, le parachutage électoral.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jacques Mézard. De la même manière, si vous parvenez à vos fins, il faudra que les maires et les présidents d’un exécutif local démissionnent un an avant d’être candidats à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
Mme Hélène Lipietz. C’est ce que j’ai fait !
M. Jacques Mézard. Voilà qui devrait réfréner certaines ardeurs… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mes chers collègues, ne nous cachons pas derrière des paravents, le fondement de ce texte est bien connu : chaque majorité veut rester majoritaire !
M. Yves Détraigne. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous agissez en la matière comme tous vos prédécesseurs ont agi, y compris l’ancienne majorité. Faut-il rappeler la création des députés représentants les Français établis hors de France, avec le succès que l’on connaît ?
M. Henri de Raincourt. Ça s’améliore !
M. Gérard Longuet. Petit à petit !
M. Roger Karoutchi. Pas à pas, on y arrive ! (Sourires sur les travées du groupe UMP.)
M. Jacques Mézard. Je pourrais également évoquer les nouveaux sièges de sénateurs institués en 2008 dans de toutes petites îles, certes très respectables, à la seule fin de conforter la majorité sénatoriale de l’époque. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.) Mais je ne vous en fais pas grief : chacun l’a fait et le fera. Encore faut-il que les « améliorations » à la marge restent dans un cadre acceptable par une plus large majorité.
Pour notre part, nous ne voulons pas que les conseils généraux et les conseils régionaux fabriquent de nouveaux grands électeurs. Nous sommes totalement opposés au projet, défendu par la délégation aux droits des femmes, d’appliquer le scrutin proportionnel dans les départements qui élisent deux sénateurs ; autant dire qu’il y aurait alors une sénatrice UMP et un sénateur PS ou un sénateur UMP et une sénatrice PS dans chaque département !
M. Bruno Sido. Il n’y aurait plus besoin d’élections !
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il faut écouter : ce n’est pas ce que nous proposons !
M. Jacques Mézard. Je ne crois pas que ce soit le bon chemin vers la démocratie.
Quelles que soient nos attaches partisanes, nous sommes tous ici – du moins, je l’espère – attachés au bicamérisme et donc au Sénat de la République. Tous, mais certains peut-être plus que d’autres...
Cette évidence n’est autre que la conception de la démocratie représentative héritée des grandes figures de la IIIe République, dont la plupart ont appartenu au groupe que j’ai l’honneur de présider. Mais ce n’est pas une évidence pour tout le monde… Faut-il rappeler qu’un ancien Premier ministre avait en son temps osé qualifier notre institution d’anomalie de la République ? Comme si une assemblée démocratiquement élue devait être supprimée parce qu’elle a toujours refusé d’être un supplétif du pouvoir exécutif ! Elle serait en quelque sorte supprimée pour défaut de consentement. Il est des chemins qu’il ne faut point emprunter.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Christian Cointat. Excellent !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui encore, des esprits malins, ou qui se considèrent comme tels, se plaisent à rivaliser d’une fausse audace pour imaginer faire disparaître le Sénat, par exemple en le fusionnant avec le Conseil économique, social et environnemental.
M. Bruno Sido. Certains ont essayé… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. Cette idée est reprise aujourd'hui par des députés de la majorité ou de l’opposition irrités par un Sénat indépendant, frondeur et moins inféodé aux appareils des partis politiques. Combien de fois faudra-t-il rappeler que les groupes politiques sont antérieurs aux partis politiques ?
Mes chers collègues, n’oublions pas non plus le rapport sur la rénovation de la vie politique commis par le même ancien Premier ministre, dont les conclusions ne confortent guère notre assemblée. Mais pourquoi autant d’acharnement à notre égard, surtout que le Sénat a depuis fait la preuve que l’alternance y était aussi possible ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est évident que de telles attaques dénotent une incompréhension de notre système institutionnel tel que l’a voulu le constituant de 1958, mais tel aussi qu’il avait été conçu dès les lois constitutionnelles de 1875. Notre système parlementaire repose sur l’idée que le bicamérisme est indispensable, d’une part, pour pondérer les éventuels excès de la majorité de l’Assemblée nationale, surtout quand un seul groupe dispose de la majorité absolue à lui seul, et, d’autre part, pour s’assurer que le temps nécessaire à la réflexion aura été pris pour voter des lois a priori correctement rédigées.
Mais, surtout, le bicamérisme induit nécessairement que se noue un dialogue, que s’échangent des arguments qui vont nourrir un débat public consubstantiel à la démocratie, en tout cas celle à laquelle nous sommes attachés. En outre, le Sénat assure la continuité du Parlement par-delà les soubresauts, que l’on sait parfois versatiles, de l’opinion des électeurs. Nous n’avons ici rien inventé, puisque Montesquieu relevait déjà, après avoir observé le système institutionnel anglais, que le fait pour chaque chambre d’avoir la faculté d’« empêcher » l’autre participait de la séparation et de la pondération des pouvoirs.
Ces éléments nous conduisent à plaider pour que le Sénat, reconnu pour la qualité de ses travaux et son approche plus approfondie des sujets, continue à prendre toute sa place dans notre République. En tant que représentant des collectivités territoriales de la République au titre de l’article 24 de la Constitution, notre Sénat repose sur une légitimité différente de l’Assemblée nationale, sans pour autant lui être inférieure.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Mézard. C’est là que réside tout l’enjeu de la modernisation de notre institution.
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Jacques Mézard. Comment conforter notre légitimité et notre représentativité sans nous transformer en simple clone de l’Assemblée nationale, auquel cas il faudrait renoncer au bicamérisme ?
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. Il est évident que si nous adoptions un système électoral trop proche de celui des députés, le bicamérisme s’en trouverait considérablement diminué. Non seulement la voix des collectivités et des territoires serait noyée dans le brouhaha de l’agitation médiatique, mais le pluralisme qui s’attache à des modes d’élection différents deviendrait également illusoire.
Monsieur le ministre, la lettre de l’article 24 de la Constitution est pourtant claire : le Sénat est une assemblée parlementaire de plein exercice, qui représente la nation tout entière, à l’instar de l’Assemblée nationale, et incarne comme elle la souveraineté nationale. Notre légitimité n’est donc pas discutable. Le fait qu’elle procède d’une autre logique, celle du suffrage universel indirect, justifie un bicamérisme inégalitaire, le dernier mot étant accordé aux députés en cas de désaccords entre les deux chambres.
Si les députés procèdent directement des électeurs, nous procédons, pour notre part, des collectivités territoriales, de toutes les collectivités territoriales, dans leur diversité géographique et démographique comme dans leur pluralisme. S’il ne saurait y avoir de sénateurs des villes ou de sénateurs des champs, il ne saurait non plus y avoir de sénateurs « hors sol », élus sur leurs seuls mérites de bons militants disciplinés, patients et assidus aux réunions.
M. Gérard Longuet. Assidus…
M. Philippe Dallier. … pas toujours !
M. Jacques Mézard. C’est vrai, ils ne sont pas toujours assidus. De plus, ils ignorent souvent les réalités du terrain et les questions auxquelles sont confrontés nos élus.
C’est cette dérive que nous voulons et devons éviter. Il y va de la crédibilité de notre institution, de la qualité de ses travaux, à commencer par son expertise sur les collectivités territoriales.
Pour le dire clairement, nous ne voulons pas d’un Sénat d’apparatchiks,…
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est déjà le cas !
M. Jacques Mézard. … de professionnels de la politique qui deviendraient parlementaires par l’onction du scrutin proportionnel sans jamais avoir siégé dans un conseil municipal ou s’être frottés à la gestion quotidienne d’une collectivité. Nos électeurs, les élus locaux de France, ne le souhaitent pas davantage !
Nous ne voulons pas que la voix des territoires fragiles, du rural comme de l’urbain, déjà peu audible en ces temps de tarissement des finances locales, devienne un simple bruit de fond auquel on ne prêtera plus guère attention. Ces territoires ont besoin d’être représentés par des sénateurs qui savent de quoi ils parlent !
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jacques Mézard. Il est vrai que notre assemblée a déjà su se moderniser par le passé, même s’il avait fallu quelque peu forcer le mouvement contre une certaine inertie conservatrice. La réforme de 2003 avait pris acte, avec retard, de la nécessité d’accorder la composition du Sénat avec les nouvelles réalités démographiques de notre pays. Elle avait également raccourci le mandat de neuf à six ans pour se mettre au diapason d’une certaine idée de la modernité démocratique.
Auparavant, en 2000, le législateur avait déjà abaissé le seuil d’application du scrutin proportionnel aux départements élisant trois sénateurs – il ne s’agit pas d’une réforme considérable, puisque le dispositif envisagé par le présent texte a déjà existé – et avait imposé la parité sur les listes de candidats.
Pour notre part, nous ne sommes a priori pas hostiles à toute rénovation du mode de scrutin sénatorial, à condition que certaines limites ne soient pas franchies. Nous n’oublions pas que les changements de mode de scrutin ont, dans l’histoire électorale, rarement favorisé ceux qui les avaient initiés.
M. Philippe Dallier. Attention danger ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Mézard. Cela n’empêche pas les uns ou les autres de continuer.
En tout état de cause, il importe d’abord que la voix de l’ensemble des territoires de la République puisse être suffisamment entendue dans notre hémicycle. Ce sera le sens de l’un de nos amendements.
À cet égard, nous resterons attentifs à ce que l’augmentation du nombre de délégués des conseils municipaux n’ait pas pour effet d’amenuiser encore ce qui reste du poids politique des territoires les plus en difficulté, en particulier dans les zones rurales. (M. Bruno Sido approuve.) La modification du nombre de délégués des conseils municipaux semble tempérée, mais il ne serait pas raisonnable d’abaisser encore outre mesure le seuil de déclenchement.
Nous serons encore plus attentifs à ce que la représentation des départements et des régions au sein du collège électoral ne prenne pas un poids disproportionné, qui reviendrait à disqualifier celle des petites communes. Après l’instauration du binôme et l’adoption du remodelage de la carte cantonale, il s’agirait là d’un coup fatal porté contre elles et, par ricochet, contre les populations qui y vivent par choix ou par obligation.
Il importe également que le Sénat donne une représentation fidèle de ce que sont les territoires de la République. Nous ne sommes évidemment pas opposés par principe à la parité. S’il n’est pas normal que la moitié de la population française peine autant à accéder aux responsabilités, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales, nous sommes aussi très attachés à la valeur républicaine du mérite. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Pour vous, le mérite, c’est seulement les hommes ! C’est incroyable !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Scandaleux !
M. Jacques Mézard. C’est pourquoi nous estimons excessif de vouloir imposer partout et à tout prix la parité, comme si c’était en réalité le seul objectif poursuivi de bien des politiques.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est vrai que ça vous embête, la parité !
M. Jacques Mézard. Nous nous méfions de l’aspiration de certains à ne vouloir analyser la société qu’au travers d’un prisme « genré », comme il faudrait le dire maintenant.
Nous avons hérité des Lumières une conception abstraite du citoyen, qui n’est qu’un individu doté de raison, quelles que soient ses particularités. Nous ne pouvons donc pas souscrire aux recommandations de notre délégation aux droits des femmes, dont les conséquences n’ont pas été évaluées.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Les femmes pourraient entrer en politique… Quelle horreur !
M. Jacques Mézard. Nous pensons en particulier à la recommandation n° 3. Comme je l’ai souligné, instaurer la proportionnelle dans les départements élisant deux sénateurs reviendrait à attribuer d’office un sénateur et une sénatrice aux deux grands partis.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Mais ce n’est pas ce que nous avons dit ! Il faut écouter !
M. Jacques Mézard. Dans ce cas, plus besoin de débat, de campagne et d’élection.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Il suffira de convaincre dans son parti pour être élu. Ce n’est pas raisonnable ! De plus, il est contradictoire de réclamer la proportionnelle partout tout en faisant en sorte qu’il n’y ait plus que les deux grands partis représentés. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas ce que nous disons !
M. Jacques Mézard. Autre point auquel nous tenons : le pluralisme. La Ve République est, hélas ! ainsi faite qu’elle institutionnalise le fait majoritaire et la domination d’un grand parti dans chacun des deux blocs politiques.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Voilà pourquoi il faut une VIe République !
M. Jacques Mézard. Nous faisons partie de ceux qui refusent cette approche strictement binaire et bipartisane de la vie politique.
M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Il faut donc la proportionnelle !
M. Jacques Mézard. Nous ne pourrons donc pas vous suivre dans cette direction. Nous soutenons très simplement, et notre opinion n’est pas arrêtée à cet égard, tout ce qui laisse une liberté de choix aux électeurs, grands électeurs compris, et qui ne place pas les seuls partis dominants en position d’arbitre. Cela va dans le bon sens, celui de la République !
Nous serons à l’écoute des arguments et des amendements des uns et des autres. Nous prendrons donc notre décision à l’issue des débats, conformément à ce que je viens d’exposer.
M. Bruno Sido. Suspense !
M. Jacques Mézard. Je souhaite – c’est même plus qu’un souhait, monsieur le ministre ! – que, lors de l’examen des prochains textes dont nous serons saisis, notre voix soit entendue.
Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Chantage !
M. Jacques Mézard. Faisons en sorte que nos travaux au sein de la Haute Assemblée puissent continuer à être l’expression d’un véritable bicamérisme ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons discuter aujourd’hui de notre propre élection.
Il est toujours difficile d’être juge et partie, et les réactions que j’ai entendues préalablement à mon intervention le prouvent. Toutefois, justement, ce paradoxe aurait pu nous permettre d’imaginer un autre Sénat, plus proche des citoyens et des citoyennes.
Pourquoi n’avons-nous pas imaginé une élection du Sénat au scrutin direct ? (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) Les bienfaits du bicamérisme n’en seraient pas amoindris. Ils en seraient même renforcés, puisque les citoyens et les citoyennes s’impliqueraient d’avantage dans les débats.
M. François Trucy. On n’en a pas les moyens !
Mme Hélène Lipietz. Je rappelle que c’est un rêve,…
M. Philippe Dallier. Un cauchemar !
Mme Hélène Lipietz. … et qu’il m’est donc permis de m’exprimer ainsi, même si nous n’en avons pas les moyens financiers.
Avec un scrutin direct, les citoyens pourraient mieux comprendre le fonctionnement du Parlement et les médias donneraient une meilleure couverture à notre élection et, surtout, à nos travaux. Une telle réforme apporterait également une réponse au problème du rééquilibrage des délégués sénatoriaux non élus au profit des communes les plus peuplées.
Comment, me direz-vous, préserver dans ce cadre l’idée d’une chambre des territoires ? Peut-être en organisant le scrutin à une échelle régionale, ce qui aurait pour effet de transformer la Haute Assemblée en chambre des régions.
Il faudrait alors revoir la part écrasante que représentent les délégués des conseils municipaux dans le corps électoral. Ils représentent en effet près de 96 % de celui-ci, alors que les régions et les départements réunis n’en représentent que 3,8 %.
De toute façon, même dans la réalité actuelle, il nous faut rééquilibrer ce système, non pour défavoriser les communes, mais bien pour donner une place méritée à ces deux échelons essentiels de notre organisation que sont les régions et les départements. Vous remarquerez au passage que, pour une fois, je défends ces derniers… (Sourires.)
L’interprétation de la Constitution par le Conseil constitutionnel nous interdit, pour l’heure, un tel rêve. Néanmoins, rien n’interdit d’imaginer une modification constitutionnelle qui ouvrirait cette possibilité.
Je constate également que les députés font partie du corps électoral, dont ils représentent 0,4 %, et qu’une majorité des sénateurs sont électeurs en raison de leurs mandats locaux. Dans un souci de cohérence, il faudra s’interroger sur le retrait des députés du corps électoral ou sur l’inclusion des sénateurs et sénatrices sans autres mandats locaux dans celui-ci. C’est l’objet d’amendements dont les dispositions retiendront certainement notre attention durant une bonne partie de la discussion de ce texte.
J’en viens maintenant à l’objectif, louable, affiché par l’exécutif d’élire plus de sénatrices par le recours accru à l’élection proportionnelle.
Force est de constater que, pour atteindre la parité dans cette assemblée, et si nous ne faisons pas preuve d’un peu plus de volontarisme, il faudra attendre de nombreuses élections. Il ne s’agit pas seulement de respecter la Constitution, mais de réparer une injustice sociale qu’il est bien difficile d’expliquer à nos filles et petites-filles en ce début du XXIe siècle.
Pourquoi, aujourd’hui, les femmes politiques restent-elles dans leur territoire, certes plus vaste que la domus de la Rome antique, et ne trouvent-elles pas la voie républicaine qui leur permettrait d’arriver jusqu’à ce palais ? Est-ce lié à leur timidité naturelle, à leur pudeur ancestrale, à leur faiblesse chromosomique ou à la nature intrinsèque d’êtres dominés, soumis, que leur attribue la société et dans laquelle elles sont encore éduquées ?
Sont-elles vraiment responsables de ce plafond, non pas de verre, mais de fer, qui empêche que la représentation des territoires soit à l’image de la population qui les compose ?
Pourtant, nous sommes des élus indirects, présélectionnés par nos partis à la suite d’accords plus ou moins visibles, ce qu’on ne manque pas de nous reprocher. Dès lors, la composition de notre assemblée devrait être exemplaire, au moins lors de la présentation des candidats et candidates qui précède les mystérieux aléas du vote. La parité, dès ce moment, devrait être un réflexe de légitimité, non une obligation constitutionnelle.
Toutefois, il règne ici une misogynie ambiante, feutrée et souvent niée. Je l’ai découverte en arrivant dans cet hémicycle et j’en ai été extrêmement étonnée, au point que je ressortirai sans doute du Sénat plus féministe que j’y suis entrée. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)