M. Gérard Longuet. Le concept de chef de file est une invention sémantique judicieuse, pertinente, qui cache en réalité l’absence de décision de fond.
Nous avons péché, sous l’autorité du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, et vous péchez aujourd’hui. À l’époque, j’étais président de l’Association des régions de France, je défendais la responsabilité régionale, quand d’autres défendaient légitimement celle des collectivités départementales.
Pour éviter de trancher et de répartir les responsabilités, on a retenu l’idée que chacun était compétent d’une façon universelle, mais que, l’universalité ayant ses limites, on demanderait à l’un ou à l’autre d’être plus responsable que les autres. Tous égaux, mais certains plus que d’autres : ainsi peut-on résumer le concept de chef de file.
Cette notion est issue – vous avez raison de le rappeler, monsieur Favier – de l’économie privée. Cependant, il existe une grande différence entre cette dernière et les collectivités territoriales en matière de répartition des responsabilités : l’argent. Je veux dire par là qu’un banquier est principal lorsqu’il est celui qui dépense le plus d’argent et prend le plus de risques. Le chef de file prenant plus de risques et s’engageant plus fortement, ses associés acceptent l’idée qu’il est plus compétent. Les banquiers subalternes économisent donc l’analyse du dossier et se réfugient derrière la compétence du banquier principal. Ils abandonnent leur responsabilité mais partagent les risques et les profits.
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, la logique est profondément différente. L’exemple du tourisme est très intéressant. Il peut y avoir à la fois une vision régionale du tourisme, pour certaines manifestations de communication, et des approches départementales ou infra-départementales, voire communales, pour la défense de telle ou telle réalisation, car l’effort touristique repose, au-delà de sa dimension rationnelle, sur l’implication d’élus représentant des territoires et souhaitant exprimer la force de ces territoires sans pour autant disparaître derrière un discours global.
Cet effort de communication en l’espèce s’inscrit dans le cadre des règles d’intervention économique. La promotion du tourisme exige des investissements extrêmement lourds, par exemple en matière d’hôtellerie ou de parc de loisirs ou d’attractions. Ces investissements relèvent très clairement de la responsabilité économique, qui, en vertu de la tradition et peut-être même de la loi, appartient aux régions. Celles-ci sont parfaitement dans leur rôle de chef de file et de décideur des efforts qu’elles font en faveur de l’investissement touristique.
Cependant, l’investissement touristique ne se confond pas avec les volets promotion et animation de l’action touristique. En effet, si la promotion touristique suppose de l’argent, l’animation touristique suppose de surcroît, quant à elle, un engagement des populations en plus de l’argent. Nous sommes tous témoins d’initiatives musicales, théâtrales, de reconstitutions historiques, etc., qui animent le tourisme local. Or elles n’existent que grâce à l’implication des populations locales, soutenues par leurs élus locaux.
En conclusion, je me réjouis que tant d’amendements aient été déposés sur l’article 3, car nous allons enfin pouvoir approfondir la question de la complexité de l’action locale et rappeler que la mise en place du concept de chef de file revient en réalité à ne pas décider, alors qu’il eût peut-être été plus intelligent de découper l’action touristique en distinguant d'une part, le volet économique et l’investissement, d'autre part, le volet communication, enfin, le volet animation.
Tout cela est évidemment compliqué, mais, comme l’ont pertinemment rappelé de nombreux collègues, la France est compliquée parce qu’elle est diverse ; la richesse de cette diversité est d'ailleurs l’un des supports du tourisme.
Cela étant, le recours à la notion de chef de file ne nous exonérera pas de l’obligation d’abandonner un jour le principe d’une clause générale de compétence à tous les niveaux et de restituer à chacun de ces niveaux les responsabilités effectives que le bon sens et l’histoire récente conduisent à leur attribuer.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l'article.
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voudrais vous dire l’attachement au tourisme des départements et de l’Assemblée des départements de France. Je rappelle que le succès de la France en matière de tourisme repose sur la richesse et la diversité de ses territoires et de ses terroirs, qui lui permettent de disposer d’une variété de destinations touristiques que le monde entier lui envie, quoi qu’on en dise.
Convaincus de ces atouts et de l’importance des enjeux, les départements ont créé, avec leurs bras armés, les comités départementaux du tourisme et les agences de développement touristique, un réseau national des destinations départementales. Tous ces acteurs se sont efforcés de faire partager leur ambition et de promouvoir de nouveaux modèles de coopération entre collectivités territoriales, adaptés aux logiques de destination et misant sur l’intelligence territoriale. C’est le point que je souhaitais aborder.
Madame le ministre, les départements peuvent signer des contrats de destination avec l’État. Ces contrats visent à mettre en valeur une destination et souvent un terroir. Par exemple, les départements de l’Aube et de la Marne discutent localement de la destination Champagne. Cela correspond véritablement à une représentation territoriale, à laquelle l’Aisne est elle aussi associée. La Champagne n’est pas une destination régionale : la région Champagne-Ardenne est constituée de départements différents, avec des terroirs différents ; la Champagne est transrégionale, puisqu’elle est à cheval sur deux régions et quatre départements. Vous faites la promotion de ces contrats de destination, ce qui montre bien que les départements sont incontournables dans le domaine du tourisme.
Je tiens à rappeler que, dans mon département, le tourisme représente plus de 7 000 emplois directs et 12 000 emplois au total, 500 millions d'euros de chiffre d’affaires, 1 200 prestataires touristiques, 1,7 million de nuitées et 6 millions de visites par an. Nous n’obtenons de tels résultats que parce que la compétence est organisée en plus d’être largement partagée.
Dans le domaine de la promotion, on peut très bien imaginer – je rejoins les propos de Gérard Longuet – de distinguer une promotion locale, sous l’égide des syndicats d’initiative ou des offices de tourisme, dont la compétence est reliée aux communes, une promotion nationale, confiée aux comités départementaux du tourisme, qui interviennent en appui, et une promotion internationale, mise en œuvre par les comités régionaux du tourisme, le tout encadré – nous n’y échapperons pas – par Maison de France et Atout France, qui assureraient la coordination et la cohésion des différentes politiques ; cela constituerait une avancée, une clarification.
Ce n’est pas la notion de chef de file qui va changer les choses. Je pense qu’il est plus important de répartir de manière pragmatique les différents thèmes, par exemple la promotion ou les investissements, afin de rendre l’ensemble plus cohérent. Cependant, il est également important de rappeler que les départements sont attachés au secteur du tourisme.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, sur l'article.
M. Louis Nègre. La commission a affirmé que le développement touristique pourrait être soutenu à différents niveaux et que chacun s’y retrouverait, mais j’éprouve quelques difficultés à la suivre. Il me semble qu’il existe une contradiction entre les articles 3 et 31 du projet de loi. En effet, l’article 3 précise que la région est chef de file en matière de « développements économique et touristique », mais l’article 31 mentionne la « promotion du tourisme » parmi les compétences des métropoles. Selon la commission, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, chacun retrouvera ses petits ; mais, pour ma part, je ne les retrouve pas !
Dans ma région, plus particulièrement dans mon département, les Alpes-Maritimes, l’industrie touristique est une industrie lourde. En effet, ce département est, après Paris, le département français qui a le mieux magnifié le tourisme. Nous souhaitons donc continuer à posséder totalement la compétence en ce domaine.
Cela étant, j’ai besoin d’éclaircissements sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l'article.
M. Dominique de Legge. Après avoir réintroduit la clause de compétence générale à l’article 2, nous nous apprêtons à atténuer et encadrer ce principe. Pourquoi pas ? Mais je voudrais tout de même faire quelques observations.
Quelle est la définition du chef de file ? Un doute ne subsisterait-il pas ? On précise, aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article 3 que la région, le département et la commune agissent « en qualité de chef de file ». Je voudrais que nous réfléchissions ensemble. Quelle est la responsabilité du chef de file ? Quelles sanctions encourt-il s’il est défaillant dans sa mission d’organisation des modalités de l’action commune ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avons supprimé les sanctions !
M. Dominique de Legge. Quant à l’alinéa 5, que je trouve contradictoire avec les alinéas 2, 3 et 4, il précise que « les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pour l’exercice des compétences mentionnées aux alinéas précédents sont définies par la conférence territoriale de l’action publique ». Comment s’articule cet alinéa avec les précédents, qui disposent que la région, le département et la commune sont chargés « d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune » ? Ces dispositions me semblent source non pas de simplification et de lisibilité, mais de complexité.
Par ailleurs, que se passera-t-il si la conférence territoriale de l’action publique, qui est chargée de définir les modalités de l’action commune, n’est pas en phase avec la région, le département ou la commune, qui sont chargés d’organiser les modalités de l’action commune ? Je souhaite obtenir quelques précisions sur ce point.
Enfin, vous avez rappelé qu’aucune collectivité territoriale ne pouvait – et c’est heureux – exercer de tutelle sur une autre, mais que se passera-t-il si une collectivité est en désaccord avec celle qui est chargée d’organiser les modalités de l’action commune ?
Avec cet article 3, nous sommes en train de faire la démonstration que ce projet de loi est empli de contradictions. Vous avez beau faire un concentré de ces contradictions dans l’article 3, cela ne règle pas les modalités pratiques de l’organisation et de la décision.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l'article.
M. Roger Karoutchi. La tonalité de mon propos sera légèrement différente. Tout à l'heure, je me suis opposé à l’article 2. On sent bien que l’article 3 vise à nuancer l’article 2 : puisqu’on a rendu la clause de compétence générale à tout le monde, on précise quand même qui est chef de file et pour quoi. En clair, on vous donne la clause de compétence générale, mais n’en abusez pas ! Quelqu'un devra tenir les manettes.
Soyons francs : il n’y a pas de définition unique du chef de file. On s’empresse de dire que c’est non pas un chef, mais un organisateur, un coordonnateur de file. Ainsi, on ne gêne personne, ni les communes, ni les départements. Conservons les termes « chef de file », puisque nous nous sommes habitués à cette expression absolument abominable qu’est « chef de filat ». Je peux vous l’assurer, quand vous l’employez dans une réunion publique, vous faites un triomphe…
Je voudrais rappeler, même si on le répète depuis hier, que la coordination entre les collectivités se fait de manière assez simple. Même si on a déjà défini dans le passé la notion de chef de file, on pourrait recommencer, mais, à mes yeux, il s’agit vraiment d’un succédané à l’absence de définition de blocs de compétences, ce qui me semble un peu réducteur et limité.
En revanche, à partir du moment où la notion de chef de file est acceptée, je n’ai aucun état d’âme sur le sujet.
S’agissant du tourisme, je serais assez sur la même ligne que mon collègue Gérard Longuet. Si l’on voulait être courageux, on dirait que, en matière d’investissement et de dépenses lourdes, la région est chef de file, tandis que, pour ce qui concerne la promotion de projets locaux, le niveau local est plus adapté. Si l’on ne parvient pas à ce partage, mes chers collègues, et je m’adresse surtout aux présidents de conseils généraux, laissons faire la région. Mes chers collègues de la région capitale, excusez-moi de vous le dire, mais on vend non pas l’Île-de-France,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On vend Paris !
M. Roger Karoutchi. … mais Paris ou la région parisienne, voire le Grand Paris un jour.
Ce qui est sûr, c’est que pour faire venir des dizaines de milliers de touristes du Japon, de Chine ou des États-Unis, il ne s’agit pas – je parle sous le contrôle de Jean-Vincent Placé – de leur parler de l’Essonne, car cela ne leur dit rien.
M. Jean-Vincent Placé. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. En réalité, c’est plus compliqué : les agences attirent les touristes avec Paris, puis les emmènent voir d’autres sites de la région. Il y a quelques points forts, tels que Versailles ou Eurodisney.
Cela dit, j’ai essayé de retrouver avec Gérard Longuet la date de création des organes décentralisés chargés du tourisme, qui doit remonter à une bonne quinzaine d’années. La loi a donc prévu des comités régionaux du tourisme, les CRT, et des comités départementaux du tourisme, les CDT. Les relations sont parfois compliquées entre ces organismes, mais elles démontrent une certaine coordination, des habitudes de travail.
Si l’on ne mène pas jusqu’au bout ce travail de partage, évoqué par Gérard Longuet, entre la promotion et l’investissement, je pense qu’il est préférable d’en rester à l’actuelle répartition entre le CRT et les CDT. Sinon, on risque de remettre en cause tout le dispositif.
Mes chers collègues, pour avoir étudié les derniers chiffres du tourisme à Paris, je peux vous dire qu’ils sont en baisse, alors que la capitale était largement en tête des grandes villes visitées. Le pôle de développement touristique de Paris est maintenant dépassé par celui de Londres et le sera probablement par d’autres si la situation perdure. Il me semble que le vrai sujet est là ! L’important n’est pas de savoir qui sera techniquement chef de file en matière de tourisme, mais d’avoir un accueil, une qualité de service qui permettent à notre pays de redevenir la première destination touristique d’Europe.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, sur l'article.
M. Michel Mercier. Je suis légèrement inquiet. En effet, une quarantaine d’amendements portent sur l’article 3 et sur la notion de chef de file. Seul problème : cette notion, un peu fumeuse, n’est pas définie juridiquement.
M. Michel Mercier. Il n’a justement pas réussi à la préciser. Il faut vraiment que vous vous montriez meilleure, madame la ministre, et je me rendrai à l’évidence. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
Est-ce vraiment la peine de se battre sur quarante amendements, alors que cette notion ne veut juridiquement rien dire ? D’ailleurs des recherches juridiques nous montrent qu’une seule décision du Conseil constitutionnel s’y rapporte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas nous qui l’avons créée !
M. Michel Mercier. Je n’ai pas dit que c’était vous. J’ai reconnu que cette création nous incombait.
Soit vous êtes meilleurs, et vous restez, soit vous êtes moins bons, et nous revenons aux affaires. Il faut choisir ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Monsieur Sueur, si vous pensez être moins bons que nous, laissez-nous la place !
Il n’y a donc qu’une seule décision du Conseil constitutionnel, qui porte sur des cas individuels. Selon cette juridiction, lorsque plusieurs collectivités sont d’accord pour mener ensemble une politique, elles peuvent désigner un chef de file.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est dans la Constitution !
M. Michel Mercier. Mais ce n’est pas ce que prévoit l’article 3.
Mesdames les ministres, le Gouvernement a bien senti la difficulté, et je l’en félicite.
S’il est créé un vrai chef de file, nous nous heurtons tout de suite à un autre principe constitutionnel qui interdit à une collectivité d’exercer une tutelle sur une autre.
Le chef de file organise l’action commune – cette indication figure à plusieurs reprises dans le projet de loi –, ce qui nécessite d’avoir décidé au préalable que l’action sera commune. Ensuite, seulement, est désigné un chef de file.
On ne peut pas avancer ainsi, sans savoir si cette notion sert à quelque chose ou a un sens juridique. À défaut, on va faire comme on le sent, si je puis m’exprimer ainsi, et, un beau jour, il y aura bien un juge pour décider.
Est-ce le rôle du Parlement de laisser les chantiers inaboutis en attendant qu’un juge les termine ? Je ne le pense pas. Pourtant, c’est ce que nous sommes en train de faire, ce que je regrette un peu.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Je vais essayer de revenir sur un des secteurs pavés que j’avais bien identifié, convenez-en !
Monsieur Karoutchi, vous êtes d’une injustice flagrante…
M. Roger Karoutchi. Moi ? Impensable ! (Sourires.)
M. René Vandierendonck, rapporteur. … à l’égard du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et de la révision constitutionnelle qu’il avait initiée.
Je défends l’ancien Premier ministre, car, en 2009, la Cour des comptes avait estimé que la notion de chef de file était apparue « comme un instrument d’ordre et de mise en cohérence qui permet de remédier à l’éclatement des compétences décentralisées et à l’intangibilité de leur répartition ».
Pour que vous ayez les bonnes informations, je tiens à souligner que le débat s’est déroulé en 2010 avec la même intensité. Or je me souviens que vous l’aviez conclu en plaçant le tourisme, avec le sport et la culture, dans le domaine où vous aviez admis un partage des rôles.
Je n’aurai pas l’audace de vous rappeler que le juge constitutionnel a dit avec force qu’un chef de file n’a ni qualité ni titre pour exercer une quelconque autorité à l’égard des collectivités territoriales qui exercent une partie de la compétence. C’est logique : il n’y aurait pas de chef de file si la compétence n’était pas partagée.
Effectivement, ce domaine méritait qu’on essayât de le clarifier. La position de sagesse – ce qui ne signifie pas que la navette ne se poursuit pas –, arrêtée lors de la dernière réunion de la commission des lois, qui, je le rappelle, a duré une quinzaine d’heures, est que, en matière de tourisme, on n’identifie pas de chef de filat.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. René Vandierendonck, rapporteur. Ensuite, il a été admis que le problème méritait d’être approfondi à l’occasion de la navette, non pas pour revenir sur ce que je viens de dire, mais pour décider s’il convenait en plus, comme le suggère non sans pertinence M. Longuet, d’identifier des fonctions plus précisément.
En lisant assidûment Le Télégramme de Brest ces derniers temps – je parle sous le contrôle de Mme la ministre et de M. de Legge –, j’ai pu me rendre compte que la marque « Bretagne » était reprise par des centaines d’entreprises.
Je vois bien que la promotion internationale repose sur des stratégies de développement économique portées par le conseil régional concerné.
Par ailleurs, je n’ignore rien – à cet égard, je tiens à rendre hommage à M. Cazeau pour la qualité de son intervention – de ce que cela représente pour les départements.
Pour éviter de passer des heures à discuter de ce sujet pour rien comme nous l’avons fait en 2010, je réaffirme avec force la position de la commission des lois : nous ne retirons rien, y compris à Nice, des compétences actuellement exercées, à quelque échelon que ce soit, puisque la compétence est partagée par nature !
De plus, nous avons choisi, comme pour le sport et la culture, sur le modèle de ce qui avait été fait en 2010, de ne pas identifier de chef de filat en matière de tourisme, afin de donner une preuve surabondante du fait qu’il n’existe pas de risque de modification du partage des compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Pierre-Yves Collombat. C’est excellent !
M. René Vandierendonck, rapporteur. Si vous aviez un peu d’indulgence pour votre rapporteur, vous pourriez dès lors considérer que mes explications contribuent à vous satisfaire, donc à faire tomber quelques amendements, ce qui nous permettrait d’avancer dans la discussion.
M. Jean-Vincent Placé. Voilà qui va faire plaisir à M. Karoutchi !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.
M. André Reichardt. Quoi qu’en ait dit notre rapporteur, il me semble néanmoins que, dès lors qu’une collectivité est nommée chef de file, nous devons à nos concitoyens de gagner en clarté, en lisibilité, en visibilité.
Encore une fois, je ne vais pas vous apprendre, mes chers collègues, que nos concitoyens se désintéressent manifestement de la chose publique car ils n’y comprennent rien.
Il faut donc que nous gagnions en simplicité, j’oserais dire en simplification. Rappelez-vous le choc dont parlait le Président de la République. À cet égard, permettez-moi de militer très sincèrement en sa faveur.
J’examinerai maintenant très rapidement les trois strates de collectivités et la façon dont elles sont traitées dans l’article 3.
Pour ce qui concerne la région, je donne un satisfecit à la commission des lois et, en premier lieu, à son rapporteur, car j’ai le sentiment que nous sommes arrivés à déterminer un bloc de compétences assez lisible. À la suite de M. Vandierendonck, je tiens à préciser que le développement touristique, qui constitue un axe fort du développement économique, mérite assurément d’être traité en même temps. Comme l’ont déjà indiqué certains orateurs, notamment M. Karoutchi, il est évident qu’il faut prendre en compte ce flux dans le cadre des richesses d’une région.
Quant au bloc de compétences du département, constitué principalement de l’action sociale, de la cohésion sociale, de l’autonomie des personnes et de la solidarité des territoires, j’accorderai à peu près le même satisfecit.
En revanche, je suis plus circonspect – ce point fera d’ailleurs l’objet d’un amendement que j’ai déposé – pour ce qui concerne l’aménagement numérique du territoire.
Par souci de cohérence, n’aurait-il pas mieux valu placer cette compétence avec celles qui sont relatives à l’aménagement et au développement durable du territoire, aux développements économique et touristique, et ne pas l’attribuer au département, comme le prévoit le texte ?
Pour une raison thématique, il serait souhaitable que l’aménagement numérique relève du niveau régional, qui me semble plus adapté. En effet, est-il bien opportun qu’il y ait un schéma des infrastructures numériques à l’échelon départemental ?
Je me souviens que, en Alsace – on va encore me reprocher une vision propre à ma région –, les deux départements ont eu une approche différente dans un passé assez récent : l’un a pris position pour la fibre optique, tandis que l’autre a fait le choix de la technologie WiMAX. Imaginez-vous ce qui se passe pour des plates-formes d’activités à cheval sur les deux départements confrontés à un vrai souci ? Je proposerai donc que l’on transfère cette compétence vers la région, sans priver pour autant le département de la possibilité de s’intégrer dans les grands axes de ce schéma régional et de procéder ensuite par capillarité. Mais il revient à la région d’élaborer, de concevoir et de financer les grandes orientations de ce schéma.
En Alsace, c’est facile, on est en train de réaliser un fishbone, une arête dorsale, du nord au sud. Les départements se chargent de capillariser et les communautés de communes font le reste. Je ne peux pas imaginer ce processus se dérouler autrement.
Enfin, s’agissant des communes, j’accorderai un nouveau satisfecit au rapporteur de la commission des lois. Malgré les difficultés qui ont d’ores et déjà été énoncées tout à l'heure, un bloc de compétences relativement homogène se dessine, regroupant l’accès aux services publics de proximité, le développement local et l’aménagement de l’espace, même si sur ce dernier domaine, je suis un peu plus réservé, parce qu’il recouvre de nombreux sujets.
Cela étant, mes chers collègues, pour terminer, je soulignerai que la rédaction actuelle de l’article 3 est tout de même bien meilleure que sa première version, qui évoquait les compétences de la commune en matière de qualité de l’air et de mobilité durable ! (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Pendant dix-huit ans, j’ai été maire d’une commune de 8 000 habitants dont le nom est imprononçable :…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dites-le donc, mon cher collègue !
M. André Reichardt. … Souffelweyersheim. Si j’avais dû intervenir dans le domaine de la qualité de l’air, madame la ministre, je me serais trouvé en grande difficulté !
Mme la présidente. La parole est à M. Edmond Hervé, sur l'article.
M. Edmond Hervé. Évitons de nous faire peur ! Tous, nous exerçons déjà un rôle de chef de file au sens le plus fort. Dans le cadre, par exemple, de la réalisation d’un équipement qui nécessite la participation de différents acteurs publics ayant la personnalité morale, que ce soit l’État ou les collectivités, que faisons-nous, la plupart du temps ? Nous désignons contractuellement un maître d’ouvrage !
Cet acte correspond à la fonction du chef de filat dans sa version la plus extrême, il se trouve même quasiment au-delà de l’organisation. Nous pratiquons cela tous les jours ! Pourquoi instaurer un décalage entre un texte et ce que nous faisons déjà ? (Bravo ! au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, nos concitoyens ont besoin, au moins autant que de visibilité, de se sentir soutenus dans leurs projets. Je me passerais bien de cette notion de chef de file, mais elle ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
De quoi est-il question ? Dans un certain nombre de domaines, différents niveaux d’intervention se justifient. Dans le secteur du tourisme, qui est assez représentatif de ce point de vue, c’est à l’échelon des départements que les dépenses, la coordination et la densité des interventions sont les plus fortes. On ne va quand même pas s’en passer ! En revanche, la promotion internationale de la France sera plutôt du ressort de la région. Les touristes de New-York viennent visiter non pas la Bourgogne ou les châteaux de la Loire, mais la France, tandis que ceux de Pékin viennent plutôt visiter l’Europe, et, accessoirement, Bruxelles, Paris, Rome, etc.
Cela dit, l’idée, complémentaire, d’essayer d’inciter les différents acteurs d’un projet à se consulter, voire de charger l’un d’entre eux de la responsabilité d’organiser la coopération et la concertation afin de tenter de trouver un accord sur des projets communs n’est tout de même pas absurde !
Finalement, la commission a fait le choix d’organiser la concertation, de faire confiance aux acteurs pour s’entendre et pour essayer de rendre leurs actions le plus rationnel possible, tout en s’interdisant de leur imposer des contraintes et de les enfermer dans des schémas qui, à l’usage, se révéleraient contreproductifs. Pour ma part, j’ai l’intime conviction que plus on voudra préciser, plus on introduira de frictions et moins le système fonctionnera.
Il n’y a franchement pas de quoi se battre. La principale crainte, à savoir ne plus pouvoir agir, a été levée. Par conséquent, je crois que nous pouvons trouver un consensus.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l'article.
M. Jacques Mézard. Je resterai cohérent avec le vote que j’ai émis sur le rétablissement de la clause de compétence générale. Après l’avoir adopté, vous nous expliquez, mes chers collègues, qu’il faut préciser le rôle de chaque strate territoriale. C’est pour le moins original !
Que prévoit la Constitution ? Le cinquième alinéa de l’article 72 dispose : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et poursuit : « Cependant »…
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, je sais cela, nous avons d’ailleurs eu un échange officieux tout à l'heure sur ce point !
Mais l’article 72 ne contient pas l’expression « chef de file ». Il indique clairement que « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action ».
La rédaction de l’article 3 du présent projet de loi issue des travaux de la commission des lois constitue, certes, une évolution très positive. À l’instar du Gouvernement dans le texte initial, la commission a retenu le verbe « organiser », présent dans la Constitution, auquel elle a cependant ajouté « en qualité de chef de file », tandis que la Constitution s’arrête à « organiser ».
Peut-être est-ce le juriste qui s’exprime, madame la ministre,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais c’est très juste !
M. Jacques Mézard. … mais vous rétablissez d’abord la clause de compétence générale, puis vous instituez un chef de file !
Je comprends bien votre intention cachée, je l’ai déjà indiqué très clairement : vous voulez faire plaisir à chaque strate ! Ce n’est toutefois pas la solution la plus simple et efficace, j’en suis tout à fait convaincu. Pour des raisons que nous connaissons tous et que nous avons un peu de mal à exprimer, on en arrive à ce système flou, qui ne provoquera, certes, pas de catastrophe, madame la ministre, car nous sommes des élus locaux et nous avons l’habitude gérer ce genre de choses ! Néanmoins, il s’agit d’une usine à gaz, je le maintiens, d’autant qu’est ajoutée la conférence territoriale de l’action publique. Encore faut-il que cette usine produise effectivement du gaz…
Vous vous acharnez à instaurer un chef de file, alors qu’une collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre et ne peut pas aller au-delà de l’organisation de l’action. En l’espèce, il faut de la concertation, mais si celle-ci échoue, il n’y a pas de solution, et une collectivité dite « de rang supérieur », refusera toute subvention à celle qui ne veut pas la suivre. Telle est la réalité ! (Mlle Sophie Joissains applaudit.)