Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela a déjà été souligné, la surconsommation de sucre est un grave sujet de santé publique. Le groupe écologiste du Sénat se réjouit que l’on ait pris l’initiative, via la présente proposition de loi, d’inscrire cette question à l’agenda.
Chaque fois que l’occasion nous en est donnée, et notamment lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous rappelons que la santé publique ne doit pas être abordée simplement sous l’angle curatif ; elle doit aussi s’inscrire dans une démarche constante de prévention et de promotion de la santé publique.
C’est l’option qui est retenue ici, et nous nous en félicitons.
Le texte s’inscrit également dans une autre logique : la lutte contre les inégalités qui frappent les consommateurs ultramarins par rapport aux consommateurs de la France hexagonale.
En effet, comment concevoir que les produits de consommation courante en outre-mer aient une concentration en sucre supérieure à celle des mêmes produits de mêmes marques en France hexagonale ?
Par exemple, un Fanta Orange comporte 9,446 grammes de sucre pour 100 grammes à Paris, mais 44 % de sucre en plus en Guadeloupe, 48 % de sucre en plus en Guyane, 45 % de sucre en plus en Martinique et 42 % de sucre en plus à Mayotte…
Cette pratique inadmissible, qu’aucun argument objectif ne justifie, a des effets directs sur la santé des populations. En effet, et cela a déjà été dit, les sucres sont l’une des causes principales – nul ne le conteste – de l’épidémie d’obésité, qui n’a jusqu’ici pas été suffisamment traitée en outre-mer. Ainsi, 25 % des enfants et adolescents et plus d’un adulte sur deux sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale en outre-mer. Or l’obésité favorise la survenue de diabète, d’hypertension, de maladies cardiovasculaires et respiratoires et d’atteintes articulaires sources de handicaps.
L’enjeu est donc extrêmement important sur le plan sanitaire.
D’ailleurs, lors de l’examen du projet de loi relatif à la vie chère en outre-mer, à l’automne dernier, notre groupe avait déjà déposé un amendement correspondant au contenu de l’article 1er de la proposition de loi, que nous soutiendrons bien entendu de nouveau aujourd’hui.
Un seul élément nous préoccupe sur l’article 1er : c’est un arrêté ministériel qui doit déterminer « la liste des denrées alimentaires » concernées.
Car si l’article 2 précise bien que l’article 1er « entre en vigueur dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi », le risque est que la publication de cet arrêté provoque une certaine inertie.
D’ailleurs, un arrêté était-il bien nécessaire, puisque tous les produits contenant du sucre sont concernés ?
De plus, le fait que cet arrêté relève de quatre ministères, trois ministères en plus du celui de l’outre-mer, n’est pas rassurant quant à l’objectif de l’effectivité rapide de cette mesure.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour que la concertation et la prise de décision entre les quatre ministères se fassent aussi vite que possible. Nous ferons preuve d’une grande vigilance à cet égard !
Il n’y a pas que les dispositions relatives au taux de sucre. Le groupe écologiste se félicite également des deux articles additionnels dont nos collègues députés ont enrichi le texte.
J’évoquerai d’abord les dates de consommation recommandée. De deux choses l’une : soit les dates pratiquées en France hexagonale sont justes, et il n’y a alors aucune raison que les consommateurs ultramarins se voient pratiquer des délais de consommation recommandée supérieurs ; soit les dates pratiquées en France sont largement sous-estimées, et on pourrait voir une volonté inadmissible de pousser les ménages à la consommation en leur faisant jeter, gaspiller des aliments encore propres à la consommation pour en acheter de nouveaux. Dans les deux cas, il faut éclaircir la situation, qui n’est pas acceptable.
J’en viens au développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture locale, notamment par le biais des marchés publics de restauration collective. Nous nous félicitons de cette juste mesure. En encourageant les circuits courts, cette disposition sera source de création d’emplois locaux non délocalisables, renforcera l’indépendance économique et l’autosuffisance alimentaire des territoires ultramarins et constituera même un outil de lutte contre la vie chère.
Le double enjeu de santé publique et d’égalité des territoires – vous avez employé à juste titre l’expression « lutte contre les discriminations », monsieur le ministre – dont nous débattons aujourd’hui est tel que la seule action réglementaire n’aurait pas suffi.
Compte tenu des résistances et de la longueur des délais – nous débattons de ce sujet depuis des années –, c’est bel et bien d’un débat public et d’un vote du Parlement dont nous avons besoin pour manifester la volonté d’une prise de décision énergique.
Certes, nous sommes nous aussi, écologistes, pour une grande loi de santé publique régulant notamment la sécurité alimentaire. Mais ce ne serait pas une bonne idée de renoncer aujourd'hui à la présente proposition de loi au nom de la grande loi à venir ; ce serait même un acte de mauvaise foi. Il ne nous semble pas possible de différer une nouvelle fois et de renvoyer la décision à plus tard.
Le groupe écologiste du Sénat votera donc pour cette proposition de loi, en espérant qu’elle pourra rapidement entrer en vigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose une vraie question de santé publique : la lutte contre l’obésité est un enjeu majeur pour tous les Français, dans l’Hexagone comme outre-mer.
Vous connaissez les chiffres de la dernière enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité : près de 7 millions de Français seraient considérés comme obèses, soit le double d’il y a quinze ans. Ces données sont inquiétantes, et la situation dans les territoires ultramarins est encore plus grave, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.
L’obésité, qui est un problème comportemental, touche, en effet, 15 % à 20 % de la population adulte de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Martinique.
L’obésité concerne 10,5 % des enfants des quatre départements d’outre-mer, contre 3 % des enfants en métropole. Cette différence est inacceptable !
Au total, sur ces territoires, près d’un quart des enfants et adolescents, et plus de la moitié des adultes sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale.
Nous savons bien que l’obésité constitue un facteur de risque aggravant pour le développement de maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies coronariennes.
Ce texte repose donc sur un diagnostic que nous partageons tous, sur toutes les travées.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, lorsque vous dites que la situation en outre-mer exige une mobilisation renforcée des autorités sanitaires et des professionnels de l’alimentation : il faut améliorer la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire et encourager nos concitoyens à adopter des comportements alimentaires plus favorables à leur santé.
Je rappelle qu’une alimentation équilibrée, associée à une activité physique, permet une meilleure prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète, des cancers et de l’obésité. Il est donc nécessaire de promouvoir de saines pratiques alimentaires.
Il existe d’ores et déjà des outils pour lutter contre l’obésité. Avec la troisième édition – la première datant de 2001 – du programme national nutrition santé pour les années 2011 à 2015, notre pays s’est doté d’une politique nutritionnelle ambitieuse afin d’améliorer l’état de santé de nos concitoyens. Ce programme comprend une déclinaison spécifique à l’outre-mer, ainsi qu’un plan obésité.
Le secteur de l’alimentation a, d’ores et déjà, réalisé des efforts : selon le site du ministère de la santé, trente-trois chartes d’engagements volontaires de progrès nutritionnel ont été signées par des centaines d’entreprises, alors même qu’il n’existe pas d’obligation réglementaire fixant la teneur en sucre des produits.
Par ailleurs, un programme national de l’alimentation a été mis en place en 2010 pour inciter les opérateurs du secteur agroalimentaire à mettre en œuvre des accords collectifs par famille de produits avec des objectifs en matière de qualité nutritionnelle.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les avancées réalisées depuis la mise en place de ces programmes nationaux ?
J’en viens aux dispositions de la proposition de loi.
Le premier objectif de ce texte est d’éviter qu’un produit de même marque soit plus sucré outre-mer qu’en métropole.
Les produits concernés seraient, notamment, les yaourts, les sodas, les jus de fruit, etc.
Si nous sommes totalement favorables à la suppression de cette différence, nous voulons souligner le risque de distorsion de concurrence qui pourrait survenir entre les entreprises françaises et celles d’autres pays, notamment les États-Unis, en particulier aux Antilles.
Il est donc essentiel, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique, de renforcer la promotion des comportements alimentaires plus favorables à la santé.
Le deuxième objectif de ce texte est d’interdire la fixation, pour une denrée alimentaire distribuée en outre-mer, d’une date limite de consommation emportant un délai de consommation plus long que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée dans l’Hexagone.
Nous nous réjouissons que des solutions soient recherchées pour remédier à cette situation. Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour empêcher que des entreprises européennes non françaises ne contournent cette disposition afin de conserver des dates limites de consommation différentes ?
Le troisième et dernier objectif de ce texte est la promotion de l’agriculture locale.
Pour louables que soient ces objectifs, ils ne correspondent pas réellement à la lutte contre l’obésité.
Régulièrement, le Gouvernement annonce le dépôt d’un projet de loi de santé publique. Ce texte sera un véhicule législatif approprié pour prendre en compte de manière beaucoup plus globale les problèmes liés à la prévalence de l’obésité et à ses conséquences sur les populations.
Néanmoins, il ne pourra se limiter à traiter ces seuls problèmes. Il devra aussi aborder les questions relatives aux addictions, notamment chez les jeunes.
L’annonce de cette nouvelle loi de santé publique ouvre, par ailleurs, la possibilité de donner une nouvelle impulsion à la politique de lutte contre les troubles mentaux.
Pour conclure, même si ce texte part d’une bonne intention, les mesures proposées nous semblent a minima pour atteindre les objectifs visés. C’est pourquoi une grande partie du groupe UMP s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est appelée aujourd’hui à examiner une proposition de loi visant à mettre fin à une situation discriminatoire et injustifiée : dans nos territoires d’outre-mer, certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts contiennent bien plus de sucre que leurs équivalents vendus en métropole.
Aucun impératif de conservation ne saurait être invoqué pour justifier cet état de fait, sinon pour quelles raisons les délais de péremption d’un produit alimentaire seraient-ils plus longs en outre-mer que partout ailleurs sur le territoire ?
Les industriels font état d’une prétendue appétence des Ultramarins pour le sucre. Cette affirmation n’est fondée sur aucune étude scientifique et ne saurait constituer un argument valable. Comme chacun le sait, le sucre appelle le sucre. Consommé régulièrement, il peut même devenir une véritable addiction.
On sait aujourd’hui que cette différence de traitement, qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi en 2011, rejetée par la précédente majorité, est en partie responsable du surpoids, de l’obésité, mais aussi de pathologies graves associées telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies cardiovasculaires, qui touchent aujourd’hui plus durement les Ultramarins que les Hexagonaux.
Certes, l’obésité ne trouve pas son origine dans la seule teneur élevée en sucre de l’alimentation. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Mais il est essentiel de donner aux populations ultramarines la possibilité de choisir de mieux se nourrir.
Il y a encore cinq ans, faute d’enquête spécifique, la situation du diabète à Mayotte n’était pas connue. La première grande étude transversale de la population réalisée en 2008, afin d’estimer la prévalence du diabète et des facteurs de risque cardiovasculaire, a révélé que 35 % des hommes et 32 % des femmes étaient en surpoids, et que l’obésité touchait 17 % des hommes et 47 % des femmes. La prévalence du diabète s’élevait à 10,5 % alors qu’elle est de 4,9 % en France métropolitaine. Chez les plus de trente ans, une personne sur dix était atteinte ; chez les plus de soixante ans, une personne sur cinq. Et plus d’une personne sur deux ignorait qu’elle était diabétique !
L’émergence de ces « nouvelles maladies » à Mayotte a correspondu avec la transition socioéconomique à laquelle l’île a fait face ces dernières années.
Certaines organisations telles que l’Association des jeunes diabétiques de Mayotte, l’AJD 976, et Rédiab Ylang 976, dont je tiens ici à saluer le travail, relayent les campagnes nationales et jouent un rôle essentiel en matière d’éducation thérapeutique du patient. Il faut encourager ces organisations et davantage les aider.
En prévoyant d’aligner le taux de sucre en outre-mer sur celui de l’Hexagone, cette proposition de loi ne tend à rien de moins qu’au rétablissement de l’égalité. Les inégalités territoriales en matière de santé sont particulièrement importantes entre nos territoires et la métropole. Ce texte a le mérite de mettre un terme à l’une d’elles.
Il est également l’occasion de rappeler les bienfaits d’une alimentation saine et équilibrée, et d’insister sur l’importance des campagnes d’information et de sensibilisation, notamment dans les écoles.
Ce texte répond, enfin, à la onzième des trente propositions faites par François Hollande en faveur des outre-mer lors de sa campagne électorale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.
M. Félix Desplan. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le sucre a écrit les premières pages de l’histoire de la Guadeloupe.
Plus de trois siècles après, il nous réunit pour mettre fin à une autre injustice : celle de l’inégalité entre consommateurs. Les Ultramarins n’ont pas droit à la même qualité alimentaire. Cela n’est pas juste !
Cette proposition de loi vise donc à rétablir l’égalité face à des disparités discriminatoires justifiées par des prétextes fallacieux.
Nous avons tous, sans exception, une appétence innée pour le sucre. Carburant indispensable, il est à la fois le meilleur et le pire de nos aliments. Sa carence ou son absence nous est fatale ; mais son excès, qui est de nos jours beaucoup plus courant, est tout aussi dangereux.
Aujourd’hui, la consommation de sucre, comportement ubiquitaire des sociétés industrialisées, dépasse des niveaux plus que nécessaires.
Pourquoi celle des Ultramarins devrait-elle être plus importante ? Doit-on laisser notre destin aux mains de la dictature du sucre raffiné ? Doit-on laisser de nouveau s’orchestrer un crime organisé, basé sur le commerce du sucre, ce doux poison, ce doux assassin ?
Dans le cadre du projet guadeloupéen de société, nous, élus, réunis en congrès le 21 décembre 2013 sur la thématique « santé et alimentation », avions déjà été édifiés de l’état de santé des Guadeloupéens.
Afin de faire évoluer les pratiques alimentaires, la nécessité de mener des politiques publiques et d’établir des plans d’actions s’est peu à peu imposée dans nos agendas.
Une mauvaise alimentation tue bien plus de personnes chaque année que les drogues. Notre consommation de certains aliments est telle qu’elle s’apparente à une addiction à des drogues dures.
Disons-le : le sucre est bel et bien une drogue contemporaine. Il participe directement à l’apparition de plusieurs maladies et problèmes de santé, notamment l’obésité et le diabète. Mais, non content de causer des dégâts durables sur notre santé physique, il fragilise notre équilibre mental. Un nombre croissant de recherches scientifiques démontre que, en surconsommation, il peut influencer l’humeur et les comportements humains, dont l’agressivité, la violence. En effet, une hypoglycémie favorise l’irritabilité et l’agression impulsive.
Ces études sont principalement d’origines étrangères, je l’admets. Mais doit-on attendre des confirmations en France avant d’agir ? Peut-on rester les bras croisés ?
Les maux dont souffre ce bout de terre, qui m’est cher, sont déjà bien suffisants. La violence et l’insécurité qui la malmènent sont l’expression de pathologies sociétales. S’il est des facteurs exogènes, comme le sucre en provenance de nos assiettes, qui la rongent de l’intérieur, il est de notre devoir de les éliminer.
Le Président de la République a porté lors de sa campagne cette grande idée d’égalité des territoires. Lors de la conférence de presse du 16 mai, il a de nouveau rappelé cette ligne de conduite : « Je fais en sorte que là où il y a plus d’inégalités, nous fassions davantage. […] La promesse de l’égalité, ce n’est pas une nostalgie, ça reste une ambition. »
Cette valeur est une part de notre identité, une promesse sur laquelle la France s’est historiquement construite et à laquelle nous nous devons d’être fidèles. Donnons-nous l’ambition de la tenir, en commençant par réconcilier tous ceux qui font la France. Traduisons en actes, dès aujourd’hui, cette belle idée d’égalité, ce droit intangible. Faisons-en une réalité concrète pour les ultramarins !
Je voterai donc cette proposition de loi, traduction du onzième engagement du carnet de campagne de François Hollande pour l’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs années, on assiste en France hexagonale et dans les collectivités d’outre-mer à une augmentation de la prévalence du surpoids, de l’obésité et du diabète de type 2.
Cette augmentation a une origine multifactorielle : le patrimoine génétique, la trop faible activité physique quotidienne ou encore le déséquilibre alimentaire.
Cependant, pour les ultramarins, à ces facteurs s’ajoute une véritable inégalité de traitement, à savoir, jusqu’à aujourd’hui, des teneurs en sucre qui ne sont pas les mêmes dans certaines denrées alimentaires selon qu’elles sont distribuées dans l’Hexagone ou en outre-mer.
Or, cette problématique de teneur en sucres élevée des produits alimentaires de consommation courante revêt une importance vitale en termes de santé publique dans les territoires d’outre-mer, où l’obésité représente un véritable fléau, sans commune mesure avec la situation sanitaire que connaît l’Hexagone.
Ainsi, en Martinique, le constat est très inquiétant, puisqu’un enfant sur quatre est atteint d’obésité. À titre d’illustration, une canette de soda contient 14 grammes de sucres ajoutés en Martinique, contre 10 grammes sur le territoire métropolitain. Il en est de même pour le yaourt, qui contient 15,8 grammes de glucides dans l’Hexagone, contre 20 grammes en Guadeloupe.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de pallier cette situation. Voilà quelques années, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a supprimé la collation du matin dans les écoles, car elle pouvait favoriser l’augmentation de l’obésité. En 2001, était parue une circulaire qui visait à interdire les distributeurs de friandises et de boissons sucrées dans les établissements scolaires. Cette décision s’était alors heurtée aux proviseurs ainsi qu’aux parents d’élèves qui considéraient que les distributeurs limitaient les sorties des élèves pendant les interclasses.
Par ailleurs, un nombre croissant de scientifiques et de médecins affirment que la menace constituée par la consommation excessive de sucre, en particulier du fructose et du glucose, est telle qu’elle justifie la mise en place de mesures comparables à celles qui sont prises pour limiter la consommation de tabac et d’alcool.
En effet, c’est ce sucre raffiné, que nous consommons dans les aliments industriels, qui provoque une certaine dépendance et un appauvrissement des défenses immunitaires. Et que dire de certains industriels qui ont justifié la nature plus sucrée de leurs produits par un plus grand attrait des populations d’outre-mer pour le sucre ? De telles aberrations se passent de commentaires !
Enfin, en ce qui concerne la « date limite de consommation » apposée sur les yaourts, j’ai été heureux de constater qu’il en avait été pris bonne note dans ce présent texte, comme je vous l’avais demandé, monsieur le ministre, dans une de mes questions écrites en décembre dernier. Il est en effet impensable et injuste que les yaourts fabriqués en France hexagonale et expédiés dans les départements d’outre-mer aient une DLC différente de celle des mêmes yaourts vendus en métropole.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler brièvement ma préoccupation. Certains fabricants de métropole allongent la DLC en la portant à soixante jours afin que les produits arrivant en outre-mer soient commercialisables et restent donc à la vente plus longtemps en rayons dans les magasins d’alimentation.
Je rappelle que la durée de vie d’un aliment est définie comme la période durant laquelle le produit répond à des spécifications en termes de sécurité – innocuité – et de salubrité – absence d’altération –, dans les conditions prévues de stockage et d’utilisation, y compris par le consommateur. C’est ce qui s’appelle la date limite de consommation, la DLC, qu’il faut distinguer de la date limite d’utilisation optimale, la DLUO. La durée de vie d’un produit dépend donc de ses caractéristiques physico-chimiques, qui résultent de différents facteurs tels que la nature des ingrédients, le procédé de fabrication, le type de conditionnement et les modalités de conservation.
Ainsi, il est anormal qu’un produit fabriqué en métropole ait une DLC à 55 ou 60 jours, alors que les produits locaux identiques sont soumis à une DLC à 30 jours, ce qui conduit à avoir des produits fabriqués et importés qui affichent une DLC plus longue qu’un produit fabriqué ultérieurement. Cette pratique constitue pour les producteurs de yaourts des DOM une atteinte au libre jeu de la concurrence et revêt dès lors un caractère déloyal au sens de la législation nationale et européenne. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris la pleine mesure de cette injustice et qu’il ait introduit dans ce texte, par voie d’amendement, un alignement de la DLC des yaourts vendus outre-mer sur celle des yaourts vendus en France métropolitaine.
Monsieur le ministre, je tiens toutefois à nuancer mes propos. Si je suis favorable à une DLC commune entre la métropole et l’outre-mer, je m’inquiète des conséquences que pourrait avoir ce texte sur le pouvoir d’achat du consommateur ultramarin. En effet, je sais à quel point le Gouvernement a été soucieux de lutter contre la vie chère dans nos départements puisque nous avons adopté dernièrement une loi dans ce but.
Cependant, l’alignement des DLC pour les yaourts, mais aussi pour l’ensemble des produits frais et autres denrées périssables, risque d’entraîner une hausse des prix de revient de plus de 250 %. Comme vous le savez, les DLC des produits frais de métropole ne sont pas soumises à la contrainte du temps de transport, qui représente de 15 à 25 jours pour le transport maritime en direction des DOM. Et l’importation de ces mêmes produits par avion renchérirait inévitablement les prix. Une telle issue serait, vous en conviendrez, contraire à l’esprit des actions que nous avons engagées contre la cherté de la vie.
Au regard de ces éléments, pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser les mesures envisagées par le Gouvernement pour garantir une sécurité sanitaire maximale, tout en évitant une hausse des prix des produits frais ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la première fois que nous évoquons les questions relatives à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer dans cet hémicycle.
En tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, je m’en félicite, car il s’agit d’un problème ô combien important pour le devenir de nos territoires et de nos populations !
En plus de limiter la teneur en sucre des produits consommés en outre-mer, nos collègues députés ont, à raison, élargi le champ de cette proposition de loi à la question de la date limite de consommation des denrées périssables, ce qui constitue un pas de plus vers l’égalité de traitement avec les consommateurs hexagonaux.
Notre débat d’aujourd’hui sur cette proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer arrive à point nommé. En effet, année après année, scandale après scandale, l’actualité est venue tristement nous démontrer à quel point nous vivons dans une contradiction à cet égard. Plus les normes sont rigoureuses en vue de protéger le consommateur, plus on découvre à quel point certains exploitants ne se soucient de rien d’autre que de leurs marges bénéficiaires.
Ainsi, aux Antilles, nous vivons sous la menace d’un puissant poison, la chlordécone, dont la rémanence va altérer la santé des dix prochaines générations. Non seulement nous mourons à cause des pesticides avec lesquels nos terres et nos eaux ont été polluées, mais nous mourons également des choix qui sont faits délibérément quant à la composition de nos produits alimentaires industriels.
De quoi s’agit-il ? À produit comparable, les denrées alimentaires fabriquées en outre-mer contiennent généralement plus de sucres que celles produites en Europe. Cela est particulièrement vrai s’agissant des produits laitiers, des sodas et des jus de fruits. Question de goût, répondent les industriels ! Les produits sont plus sucrés parce que cela correspondrait à une attente du consommateur ultramarin.
Il ne faut pas confondre attente et besoin : l’attente, c’est le besoin réinterprété par celui qui l’exprime. Il ne faut pas non plus confondre attente et habitude. Que les consommateurs ultramarins aient l’habitude de consommer plus sucré, c’est un fait. Que cette habitude soit assimilée à une attente, c’est tout autre chose.
D’où nous vient cette habitude ? D’abord de l’histoire même de nos contrées : la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, la Réunion ont souvent été appelées des « îles à sucre ». Jusqu’à l’avènement de la betterave, ces colonies fournissaient à la métropole l’ensemble du sucre dont elle avait besoin. De fait, la monoculture du sucre, jusque dans les années cinquante et soixante, a dessiné le paysage et formé les goûts. Il est normal que l’on mange beaucoup de sucre là où son accès est abondant et aisé.
L’autre caractéristique de nos pays tropicaux, et donc chauds et humides, c’est qu’avant l’électricité et les moyens de réfrigération modernes, il n’existait que trois façons d’assurer la conservation des aliments : les épices, le sel et le sucre. Cette contrainte a forgé nos goûts et notre relation particulière avec le très épicé, le très salé et le très sucré.
Tout cela ne serait qu’anecdotique si c’était sans conséquence. Mais tel n’est pas le cas. Vous aurez tous noté, dans les rapports qui vous ont été adressés, les conséquences de cette alimentation : la propension à l’obésité, la prévalence du diabète et la fréquence des maladies cardiovasculaires et des accidents vasculaires cérébraux.
Il est donc vital de changer ces habitudes alimentaires.
À cet égard, l’argument des industriels selon lequel les consommateurs n’achèteront plus leurs produits si le taux de sucre est diminué n’est pas recevable.
Il n’est pas recevable car nous savons tous que, passé les premières semaines un peu frustrantes, nous sommes capables d’ajuster nos habitudes alimentaires.
Il n’est pas recevable car le texte prévoit non pas que les produits destinés à l’outre-mer soient sous-dosés en sucre, mais tout simplement qu’ils comportent la même dose de sucre que les produits commercialisés dans les régions de France hexagonale.
Enfin, il n’est pas recevable, tout simplement parce qu’aucun argument économique ou commercial ne peut primer sur une question de santé publique.
Par conséquent, mes chers collègues, je voterai ce texte sans hésiter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.