M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?….
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi qui a connu un parcours quelque peu chaotique au sein de notre Haute Assemblée.
Le débat parlementaire a été écourté de manière pour le moins étonnante et peu conforme à l’usage démocratique : recourir à un vote bloqué alors que le texte était déjà soumis à la procédure accélérée revenait à bâillonner le Sénat. Tout cela pour anticiper de quelques jours l’adoption du texte, objectif qui n’a d’ailleurs pas été atteint puisque la conférence des présidents a retardé le vote de quinze jours !
Le malaise du Gouvernement face à la contestation émanant de ses propres rangs est donc bien palpable.
Qu’aurions-nous entendu si la précédente majorité avait agi de la sorte ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
MM. Jacky Le Menn et Jean-Jacques Mirassou. Elle l’a fait !
Mme Éliane Assassi. Pas contre sa propre majorité !
Mme Isabelle Debré. Vous prétendez vouloir laisser toute sa place au débat parlementaire, et vous n’hésitez pourtant pas à le balayer d’un revers de main à la première difficulté.
Ce passage en force est d’autant plus dommageable qu’il a empêché une discussion sereine sur des points particulièrement importants.
Monsieur le ministre, n’y a-t-il pas dans ce texte un paradoxe ? Alors qu’il vise à la sécurisation de l’emploi, plusieurs dispositions vont détruire des emplois !
Le Sénat, dans sa sagesse, avait adopté l’amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux tendant à rejeter la clause de désignation prévue à l’article 1er, amendement auquel je m’étais associée, comme l’ensemble de notre groupe.
Avec le maintien de cette clause, ce sont au moins 30 000 emplois qui risquent d’être supprimés dans le secteur des mutuelles et des assurances.
Les partenaires sociaux avaient pourtant privilégié la liberté de choix de l’entreprise d’assurance.
L’Autorité de la concurrence avait elle aussi demandé le respect de la liberté de choix et du principe de libre concurrence dans son avis rendu le 29 mars dernier. Il n’en a été tenu aucun compte.
Vous le savez bien, la clause de désignation ne fera que renforcer la position dominante des institutions de prévoyance, au détriment des mutuelles et des assurances privées.
Mme Isabelle Debré. Vous encouragez ainsi les conflits d’intérêt ; le climat actuel devrait pourtant vous dissuader de le faire
Si l’article 1er constitue une avancée sociale indiscutable, la disposition autorisant les clauses de désignation, qui, je le répète, n’était pas prévue par l’ANI, est une faute.
Mais il ne s’agit pas du seul point d’achoppement.
L’article 8, qui fixe une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, va susciter d’énormes difficultés d’application dans un certain nombre de secteurs économiques.
Certes, la durée minimale de 24 heures a été prévue par les signataires de l’ANI, et c’est pourquoi nous devons la respecter. Cependant, il fallait prévoir des exceptions pour les secteurs économiques précisément identifiés dans lesquelles cette règle n’est pas appropriée. Nous avons évoqué le domaine des services à la personne, les associations et entreprises de la branche sanitaire, sociale et médicosociale, ou encore le portage de presse.
Savez-vous quelle est la durée moyenne de travail dans le secteur des services à la personne ? Onze heures ! (Mouvements divers sur les travées du groupe socialiste.) Autrement dit, nous sommes bien loin des 24 heures visées par le texte.
Or, s’il est vrai que des dérogations au principe des 24 heures sont possibles par le biais d’accords de branche, cette faculté n’est ouverte, vous le savez, qu’à la condition de « regrouper les horaires sur des journées ou demi-journées régulières ou complètes ».
Mme Catherine Génisson. C’est normal !
Mme Isabelle Debré. Cela ne correspond pas à la réalité des services concernés, où les horaires pratiqués sont souvent répartis sur la journée et modulables, l’activité dépendant de besoins ponctuels.
Vous avez maintenu la rédaction inappropriée de l’article : vous devrez en rendre compte face aux secteurs que vous allez mettre en difficulté, monsieur le ministre !
Notre groupe aurait pu voter ce projet de loi qui repose sur un accord national interprofessionnel, car l’ensemble des mesures proposées va apporter davantage de souplesse aux entreprises et améliorer la protection des salariés.
Cependant, nous ne pouvons pas nous prononcer en faveur d’un texte dont deux des articles essentiels vont manifestement à l’encontre des intérêts des entreprises et de leurs salariés.
Quand, de surcroît, plusieurs autres dispositions s’écartent de la rédaction retenue par les partenaires sociaux – je pense notamment à la qualification de licenciement économique –, il s’agit d’une lourde erreur et notre soutien n’est plus possible.
Pourtant, en tant que gaulliste, soucieuse de l’intérêt général et de la cohésion de la nation, j’aurais volontiers accepté d’approuver un texte reposant sur le dialogue social. Je regrette donc l’obstination du Gouvernement à le déformer.
En conséquence, je ne pourrai pas voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
(M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte n’est intitulé « projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi » que dans le but de faire croire aux salariés que l’emploi, leur emploi, sera sécurisé. En réalité, aucun de ses articles n’est contraignant et aucune de ses dispositions ne limite la capacité des patrons à disposer librement d’eux ou n’empêche leur licenciement.
En fait, la sécurisation dont il est question ici n’est que le renforcement de la « sécurité juridique des relations de travail ».
Dans une étude de la Revue de droit du travail consacrée à l’ANI, M. Pascal Lokiec constatait : « La sécurité qui est ici visée renvoie plus certainement à la volonté des employeurs d’éviter de voir les mesures de gestion remises en cause pour des raisons tenant à la forme ». L’objectif est donc bien de réduire les contentieux pour réduire les indemnités dues aux salariés par les employeurs.
C’est ainsi que l’ANI, comme le projet de loi, a considérablement simplifié la procédure des licenciements collectifs pour motif économique, au point de supprimer l’exigence d’un motif économique réel et sérieux.
Il suffira en effet qu’un salarié s’oppose à une modification majeure de son contrat de travail pour que son refus vaille licenciement, un licenciement présumé économique. Or, en droit, une présomption ne constitue pas un fondement juridique.
Le document d’orientation du mois de septembre 2012 invitait les partenaires sociaux à « améliorer les procédures de licenciements collectifs » pour « concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises ».
À lire le projet de loi, on constate aisément que cet objectif, que nous étions prêts à soutenir, a vite été contourné par le MEDEF, avec l’accord tacite du Gouvernement.
On s’aperçoit également que, à l’opposé des principes définis dans la lettre de cadrage, vous avez considérablement réformé « la procédure de licenciement collectif, au nom de la sécurisation juridique » et « le champ d’application du licenciement économique, au nom de la sécurisation de l’emploi », pour reprendre une formule d’Alexandre Fabre. Ce juriste concluait d’ailleurs : « À l’issue de ce tour d’horizon, un sentiment l’emporte. À l’exception de l’homologation du PSE, l’ANI donne l’impression d’avoir surtout contribué au développement d’un droit négocié des restructurations. »
Cette volonté de remplacer autant que possible la loi par la négociation, les protections collectives par des protections négociées, donc moins stables, est une vieille exigence patronale. Les dirigeants d’entreprises cherchent depuis des années à contourner les règles communes aux salariés contenues dans le code du travail.
De l’inversion de la hiérarchie des normes à la suppression du principe de faveur, en passant par les accords de méthode et autres accords dérogatoires, tout converge vers l’amoindrissement des protections des salariés.
Cette loi ne fera pas exception : chaque entreprise aura le droit du travail que les organisations syndicales auront réussi à obtenir. On assiste en effet à l’éclosion de plusieurs corps de règles alternatifs, doublée d’une aggravation de l’écart entre ceux qui pourront encore bénéficier de la protection de la loi et ceux qui n’auront d’autre choix que d’abdiquer face à un « droit maison » fabriqué par le patron lui-même.
Qu’importe qu’en période de crise les salariés et leurs représentants soient affaiblis et que le rapport de force leur soit défavorable ! Ce qui compte, c’est d’avoir donné aux patrons la possibilité de contourner le code du travail, qu’ils considèrent comme une entrave trop importante.
Contrairement à ce que certains voudraient faire accroire ici, le remplacement de la loi par le contrat n’est pas le seul fait de la négociation du 11 janvier 2013.
C’est une construction ancienne, d’inspiration libérale, que le Président de la République a lui-même faite sienne, et cela depuis des années. Contrairement à l’article 34 de notre Constitution, aux termes duquel la loi « détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale », François Hollande, dans un article du journal Le Monde du 14 juin 2011, proposait en effet de donner force de loi aux contrats conclus sous certaines conditions par les partenaires sociaux.
Ces déclarations d’hier prennent forme aujourd’hui et réjouissent naturellement le patronat, pour qui les dispositions d’ordre public, comme toutes les lois, portent « atteinte au dialogue social ».
Face aux appétits démesurés des actionnaires, qui exigent toujours plus de dividendes, face à la gestion court-termiste des dirigeants d’entreprise pour accroître la rentabilité, nous reprenons à notre compte les propos de Gérard Filoche, pour qui, compte tenu des rapports de force dans l’entreprise, il faut « autant de contrat que possible mais autant de loi que nécessaire ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais moi aussi pu voter ce texte ; j’aurais même dû le faire,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Vous le pouvez toujours !
M. Jean-Claude Lenoir. … et cela pour des raisons qui sont quasiment de principe. Les partenaires sociaux discutent et négocient, une majorité d’entre eux signent un accord que nous devons ensuite transposer dans la loi… J’eusse préféré que celle-ci fût la simple traduction de l’ANI, même si, bien sûr, notre rôle est également, le cas échéant, d’améliorer, de corriger ou de compléter.
Si je m’abstiens, comme la grande majorité des membres de mon groupe, c’est d’abord pour les raisons de fond qui ont été exposées par mon amie et collègue Isabelle Debré, mais c’est aussi pour une raison précise à propos de laquelle j’ai eu un échange tout à l’heure avec M. le ministre.
À mon sens, sur le plan national, les partenaires sociaux ont oublié ces tout petits employeurs que sont les organismes qui assurent l’assistance à domicile, tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
La durée minimale fixée dans le texte ne pourra pas être supportée financièrement par ces organismes, qui sont pour la plupart des associations, et elle ne cadre absolument pas avec l’amplitude des journées de travail, amplitude qui est tout simplement liée à la nature du service rendu, qui peut par exemple demander peu de temps le matin puis un retour en fin d’après-midi.
Nous avions, on l’a rappelé, déposé quelques amendements, mais le recours au vote bloqué n’a pas permis d’en discuter. Pourtant, l’un d’eux aurait, j’en suis persuadé, pu recueillir l’accord du Gouvernement et l’approbation de la majorité du Sénat, car il renvoyait à des situations que chacun connaît dans son département.
Certes, monsieur le ministre, vous avez fait ensuite des déclarations, qui ont bien sûr été entendues avec le respect qui est dû à la parole d’un membre du Gouvernement. Vous avez ainsi souligné qu’il y aurait des discussions de branche et déclaré qu’un délai supplémentaire de deux ans serait accordé à cette branche professionnelle en particulier.
C’est ce que vous m’avez confirmé tout à l’heure. Et, avez-vous ajouté, s’il y a un problème, nous aviserons…
Je profite donc de mon explication de vote pour préciser votre pensée à l’intention des personnes directement concernées qui sont intervenues auprès de moi pour que je porte leur parole ici, devant la Haute Assemblée.
Je souhaite, monsieur le ministre, que les choses se passent bien ainsi !
À défaut, les associations qui gèrent les services à domicile seront exsangues, d’autant qu’elles sont confrontées à un autre problème, qui lui n’est pas lié à l’ANI.
La discussion avec les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, est en effet à ce point difficile qu’il n’est aujourd'hui pas possible de procéder au nécessaire ajustement du prix de l’heure de travail. L’écart important qui apparaît risque, sans doute dans les mois qui viennent, en tout cas à brève échéance, de mettre à mal la situation financière de ces associations, dont nombre sont gérées par des bénévoles…
Mme Nathalie Goulet. … remarquables !
M. Jean-Claude Lenoir. … qui y consacrent beaucoup de temps et demandent simplement qu’on leur accorde les moyens pour accomplir leur mission, ô combien essentielle pour le maintien des personnes à domicile, notamment des personnes âgées, y compris lorsqu’elles sont dépendantes.
Ces bénévoles font preuve d’un dévouement qui impose le respect. Aussi, à l’instar des membres de mon groupe et, je le pense, de nombre d’entre nous, mes chers collègues, je serai extrêmement attentif à ce que la parole du Gouvernement telle que nous l’avons entendue soit respectée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, malgré les affirmations maintes fois répétées au cours de nos débats, le présent projet de loi ne contient aucun droit effectif nouveau.
L’article 1er permet aux salariés jusqu’alors non couverts par une assurance santé complémentaire d’y accéder d’ici à 2016, mais cela se fait au détriment de la sécurité sociale. Vous faites le choix de favoriser l’accès à des mécanismes complémentaires, qui sont censés venir compléter le régime obligatoire de base, tout en le ponctionnant de plus de 2 milliards d’euros.
Comment votre gouvernement fera-t-il demain pour respecter une évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, au moins égale à celle de cette année, qui est déjà notoirement insuffisante ?
L’ampleur des déremboursements réalisés par le précédent gouvernement est telle que, malgré cette mesure, les salariés seront contraints de souscrire demain des contrats surcomplémentaires, payés à leurs seuls frais, pour compenser ce que ni la sécurité sociale ni la mutuelle complémentaire ne prennent en charge.
Plutôt que de développer l’accès aux contrats complémentaires, dont la couverture sera inférieure à celle qui est prévue par la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, il aurait été plus judicieux, plus solidaire et plus efficace de rompre avec les politiques massives d’exonérations de cotisations sociales et de développer la sécurité sociale, dans l’esprit du Conseil national de la résistance, afin de permettre enfin une prise en charge à 100 %.
De la même manière, l’article 3, relatif à la mobilité volontaire, ne constitue ni une mesure sécurisée ni un droit supplémentaire effectif. Nous craignons qu’il n’en aille comme pour la rupture conventionnelle.
Présentée comme étant un droit nouveau pour les salariés, la mobilité volontaire constitue d’abord et avant tout, on le sait aujourd’hui, un outil supplémentaire de flexibilité pour le patronat.
En outre, l’accès à ce dispositif est conditionné, pour les salariés qui en seraient effectivement demandeurs, à l’autorisation de l’employeur, lequel pourra refuser d’octroyer ce droit deux fois de suite. Après la troisième demande, l’employeur pourra proposer au salarié non pas une mobilité volontaire, mais l’accès à un congé individuel de formation.
L’article 4 quant à lui prévoit la consultation des comités d’entreprises sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Toutefois, à la demande du MEDEF, les CE devront participer financièrement à l’expertise technique et comptable. Autant dire que, faute de ressources, nombre d’entre eux y renonceront, d’autant que leur avis n’est en rien contraignant.
Dans le même temps, vous prévoyez de réduire la portée des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Enfin, les femmes sont, une nouvelle fois, les grandes oubliées de ce projet de loi, pour ne pas dire les principales victimes de l’article 8, relatif à l’encadrement du travail à temps partiel.
Alors qu’elles constituent près de la moitié de la population active, qu’elles comptent pour moitié dans le taux de chômage et qu’elles représentent 80 % des travailleurs précaires, des travailleurs pauvres et des salariés à temps partiel, aucune mesure n’est prise pour réduire considérablement le recours aux contrats précaires.
Nous vous avons pourtant proposé des solutions raisonnables, mesures que le Sénat de gauche avait adoptées en 2012 sur l’initiative de notre collègue Claire-Lise Campion. Or ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd'hui, comme si le changement promis avait balayé les exigences et les propositions que nous avions formulées conjointement !
C’est d’autant plus regrettable que, en moyenne, pour qu’une femme gagne autant qu’un homme, à compétences égales, il lui faut travailler 79 jours de plus. Malgré ce constat que personne ne peut ignorer, vous avez refusé chacune de nos propositions.
Croyez bien que nous le regrettons, et nous le regrettons d’autant plus que les timides avancées contenues dans ce projet de loi ne sont elles-mêmes que des leurres.
Le texte prévoit que la durée de travail des salariés à temps partiel ne pourra pas être inférieure à 24 heures. C’est positif, mais, à peine le principe est-il posé que le droit ainsi créé est tempéré à l’alinéa suivant, lequel prévoit qu’un accord collectif pourra décider l’annualisation de la durée de travail. Or l’annualisation constitue, ou peut constituer, une technique de contournement de la loi, comme l’a souligné Catherine Génisson dans son rapport.
M. Jean Desessard. En effet !
Mme Laurence Cohen. En outre, les employeurs pourront proposer aux salariés d’effectuer des compléments d’heures dans le cadre d’un avenant à leur contrat de travail, compléments dont la durée n’est jamais précisée dans la loi. Or ces avenants auront pour effet de reporter le moment à partir duquel les salariés pourront prétendre au paiement des heures complémentaires. Autrement dit, les salariés à temps partiel, qui sont essentiellement des femmes, pourraient être amenés demain à travailler davantage, à réaliser plus d’heures, et ce pour gagner moins. Telle est la réalité de l’article 8 !
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre ce projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, vous nous aviez dit que vous espériez, en tant que ministre du travail, que ce projet de loi ferait date. Comme vous, j’espérais que l’ANI, cet accord si difficile à conclure, apporterait aux salariés et aux entreprises à la fois sécurité et adaptabilité. Or vous avez réaffirmé voilà quelques instants que, si cet accord avait été signé, c’est parce qu’il était ambigu.
Mme Catherine Procaccia. Permettez-moi de dire que cela ne contribue pas à apaiser mes inquiétudes !
Vous aviez déclaré que le Gouvernement souhaitait une transcription loyale de cet accord, mais vous n’avez réussi à nous en convaincre ni lors des débats en première lecture ni à l’instant, et les conclusions de la commission mixte paritaire prouvent que ce n’était pas complètement le cas.
En particulier, la fameuse clause de désignation, qui n’existait pas en tant que telle dans l’ANI, porte directement atteinte à la liberté de la concurrence. Mêmes des ténors socialistes se sont exprimés contre elle à l’Assemblée nationale, mais vous n’avez pas voulu les entendre.
De cet accord qui devait permettre une avancée historique, vous allez faire un projet de loi qui va conduire à la suppression d’entre 20 000 et 30 000 emplois. J’espère, monsieur le ministre, que, en quittant cette enceinte, vous aurez l’amabilité d’aller discuter avec les manifestants, ces abeilles que sont les salariés, qui savent que leurs emplois sont menacés.
C’est à se demander, monsieur le ministre, si vous ne préférez pas être le ministre du chômage plutôt que celui du travail ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Noël Cardoux. C’est dur… mais c’est un peu vrai !
Mme Catherine Procaccia. En outre, je ne comprends pas pourquoi mon amendement, qui avait été assez largement adopté, a été supprimé en commission mixte paritaire. Je rappelle qu’il tendait à donner la possibilité à un salarié déjà assuré en tant qu’ayant droit de refuser de se voir imposer une complémentaire santé pouvant se révéler plus coûteuse.
Je ne vois pas quel est le but de cette manœuvre de la CMP, hormis si vous souhaitez favoriser les surcomplémentaires qui permettront à ces salariés d’être aussi bien protégés qu’ils l’étaient auparavant par les contrats dont ils dépendaient, contrats qui souvent, dans le cas des jeunes salariés, étaient ceux de leurs parents…
Je pense sincèrement que cet article peut tourner au désavantage des salariés et des entreprises. La presse laisse d’ailleurs entendre que les futurs contrats collectifs ne bénéficieront plus des avantages fiscaux existant actuellement pour les contrats de groupe. Selon moi, cela signifie que, dans deux ou trois ans, les salariés – et les entreprises – paieront beaucoup plus cher que prévu et n’auront peut-être qu’une couverture a minima.
Enfin, je crains les conséquences de cet article pour tous ceux qui ne sont pas salariés. Ainsi les personnes âgées paieront-elles forcément des primes bien plus élevées, car, pour parler comme les assureurs, elles constituent de « mauvais risques ». Les salariés, qui formeront un grand groupe de gens en pleine santé puisque dans la force de l’âge, ne feront plus partie des autres groupes d’assurés. Les retraités, dont les complémentaires coûtent déjà cher, devront donc payer encore plus cher. C’est méconnaître les mécanismes de l’assurance que de ne pas admettre cela.
Telles sont les raisons pour lesquelles, en mon âme et conscience, et après réflexion, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Fouché. Vous ne serez pas la seule !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’abstiendrai moi aussi sur ce texte, ce que je regrette, et ce pour diverses raisons, dont l’une est spécifiquement liée à ma qualité d’Alsacien.
Les premières raisons ont déjà été évoquées par mon collègue Jean-Noël Cardoux lors de la discussion générale et rappelées depuis. Elles tiennent à la présence dans le texte de la clause de désignation, à l’absence de possibilité de dérogation par voie réglementaire concernant la durée minimale de travail à temps partiel et, de façon plus générale, à l’insuffisante – et c’est un euphémisme – prise en compte de nos propositions.
Une autre raison tient à l’insuffisante reconnaissance à mes yeux de la spécificité du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle.
Certes, il est bien prévu que, lorsque les partenaires sociaux engageront les négociations prévues à l’article 1er, ils pourront discuter, « le cas échéant, les adaptations dont fait l’objet la couverture des salariés relevant du régime local d’assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ».
Permettez-moi de dire cependant que cela demeure bien flou puisque ces adaptations resteront à la discrétion de négociateurs de branche à l’échelon national, lesquels ne connaissent pas nécessairement grand-chose à notre régime local d’assurance maladie. Surtout, rien n’est réglé sur le fond.
Pour ma part, j’aurais largement préféré que la question des adaptations de notre régime local d’assurance maladie complémentaire à l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier soit réglée par la loi, conformément à ce qu’avait d’ailleurs accepté notre commission des affaires sociales.
Vous n’avez pas souhaité qu’il en aille ainsi, monsieur le ministre, et vous avez déposé un amendement afin de supprimer cette disposition ; je pense que c’était une erreur.
Vous nous avez expliqué qu’il était « prématuré » d’envisager des modifications du régime local, car le projet de loi prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement, avant le 1er septembre 2013, « sur l’articulation du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle et la généralisation de la complémentaire santé afin d’étudier l’hypothèse d’une éventuelle évolution du régime local d’assurance maladie et ses conséquences ».
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous dire que je suis très perplexe quant à l’efficacité de ce dispositif. Je souhaite simplement que les Alsaciens-Mosellans n’aient pas à en souffrir.
Peut-être ne le mesure-t-on pas suffisamment, mais notre droit local, auquel les Alsaciens-Mosellans sont très attachés, car il leur apporte des garanties supplémentaires, est une construction fragile. Il subit en effet depuis peu les assauts destructeurs de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur différents domaines de notre droit. Il convient donc, je pense, de ne pas l’affaiblir plus encore.
Nous avions au contraire ici une occasion de le conforter notre droit local par la loi ; nous ne l’avons pas saisie et, en ma qualité de président de la commission d’harmonisation du droit local d’Alsace-Moselle, je le regrette vivement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.