MM. Jacques Legendre et André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. En effet, comme le disait Fernand Braudel, la langue française, c’est 80 % de son identité. On peut envisager des cours de mise à niveau en français...
Mme Dominique Gillot. Bien sûr que oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais nous trouverons certainement un terrain d’entente, j’en suis persuadé.
Je tiens à ouvrir une parenthèse concernant la Russie. Alors qu’on dénombre 7 millions d’étudiants dans ce pays et 800 000 apprenants de français maîtrisant souvent remarquablement notre langue, il n’y a qu’un peu plus de 4 000 étudiants russes en France. Ils sont quatre fois plus nombreux en Allemagne !
Le taux de refus de visas étudiants était de 17 % en 2011. Voilà que, en 2012, il est passé à 34 %. Il y a du retard à l’allumage, monsieur le ministre de l’intérieur ! Mais il est vrai que cela ne dépend pas de vous… Cela dépend des services de Campus France, qui sont d’ailleurs livrés à des recrutés locaux croyant utile de manifester leur supériorité.
Il faut aussi évoquer, dans ce cadre, l’attitude frileuse des bureaux parisiens qui refusent une procédure simplifiée d’inscription dans des établissements supérieurs dont la liste aurait été arrêtée de concert avec la partie russe. Pourtant, rien n’est plus facile ! Une présélection au niveau des établissements supérieurs est la manière la plus efficace d’attirer en France les meilleurs étudiants. II faut partir des besoins – ceux de la France et ceux du pays source –, qui bien souvent se rejoignent. Ainsi, la Russie aimerait orienter ses étudiants, en particulier ses boursiers, vers nos écoles d’ingénieurs. N’est-il pas possible de définir des quotas par école ? Si notre réglementation s’oppose à ces mesures simples et pratiques, alors il faut en changer !
Je me réjouis des dispositions que le Gouvernement a arrêtées ou s’apprête à arrêter s’agissant des visas pluriannuels ou de la prolongation de ces visas d’un an pour permettre aux étudiants qui le souhaitent de réaliser une première expérience professionnelle en France après l’obtention de leur diplôme. Il est bon également que les doctorants étrangers puissent bénéficier d’un visa permanent.
L’ouverture d’un guichet unique, madame la ministre, est une excellente initiative, que je salue. Mais un accompagnement personnalisé manque encore. Ne pourrait-on pas, par exemple, recruter des emplois-jeunes…
M. André Reichardt. Des emplois d’avenir !
M. Jean-Pierre Chevènement. … pour aller accueillir à l’aéroport les étudiants qui arrivent souvent de fort loin ?
La question d’une modulation des droits d’inscription se pose. Je ne suis pas favorable à cette modulation, je tiens à le dire. Elle irait à l’encontre de l’objectif fixé, car il faut renverser la vapeur et hisser la France, à nouveau, à la troisième place mondiale pour l’accueil des étudiants étrangers.
Le deuxième axe a trait à l’immigration professionnelle.
Celle-ci représente 12 % des nouvelles admissions au séjour de ressortissants étrangers. La France accueille aujourd’hui deux fois moins d’immigrés qualifiés que le Royaume-Uni, trois fois moins que l’Allemagne.
La délivrance de l’autorisation de travail conditionne dans notre pays l’admission au séjour, en fonction notamment, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre de l’intérieur, de la situation de l’emploi. La France comptant plus de trois millions de chômeurs, il est inenvisageable de supprimer ce système d’autorisation. Il vaut mieux former les chômeurs dans le secteur des métiers dits « sous tension ».
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais il est devenu nécessaire d’assouplir et d’alléger le système de l’autorisation de travail pour attirer la main-d’œuvre qualifiée.
N’hésitons pas à multiplier les dispenses pour les travailleurs très qualifiés ! Accordons plus largement des dérogations dans le cadre d’accords bilatéraux ! Si je prends l’exemple de la Russie, c’est parce que le Président de la République, lors de son dernier voyage à Moscou, a déclaré qu’il était indispensable d’encourager les hommes d’affaires, les investisseurs, les artistes, les chercheurs, les étudiants à se rendre en France sans difficulté. J’ajoute à cette liste les touristes, qui ne demandent que ça ! Maintenant, si je puis m’inspirer du général de Gaulle, l’intendance doit suivre !
En matière d’immigration professionnelle, la carte de séjour « compétences et talents », comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, est demeurée un titre marginal. S’agissant de l’immigration de travail qualifié, les préfectures ont été sensibilisées, mais dans le mauvais sens. Il faut, là aussi, renverser la vapeur et former les personnels à une meilleure prise en compte de l’intérêt national, tel que nous le percevons à travers la nouvelle politique de l’immigration, à la fois ferme et humaine, que vous avez évoquée.
N’hésitez pas à simplifier les titres de séjour existants, à en modifier les critères de délivrance, à diminuer le nombre des pièces justificatives et à créer de nouveaux outils à destination de l’immigration professionnelle qualifiée. Le système de pré-validation des dossiers pour les grandes entreprises, comme les préinscriptions dans les universités, est ce qui permet le mieux de « coller aux besoins ». L’immigration de travail est un terrain excellent pour le « choc de simplification » annoncé par le Président de la République.
Trop souvent et à tort, l’immigration professionnelle, et même étudiante, apparaît comme un danger pour certains de nos concitoyens. Il nous revient à tous de démontrer combien celle-ci peut constituer un atout pour la France, notamment pour ce qui concerne le redressement nécessaire de notre commerce extérieur. Nous vous faisons confiance, madame, monsieur les ministres, pour aller de l’avant audacieusement, au service de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous me le permettez, j’interviendrai dans ce débat à la fois comme parlementaire et comme professeur d’université, focalisant ainsi mon attention sur l’immigration étudiante, laquelle représente tout de même la moitié environ de l’immigration légale annuelle issue des pays non membres de l’Union européenne.
Je me réjouis d’avoir retrouvé nombre de mes préoccupations d’enseignante dans les interventions de nos ministres, et j’attends la réalisation de leurs promesses sans laquelle la France, qui, en raison de la crise, perd actuellement ses cerveaux, attirés par la Silicon Valley, risque de prendre encore plus de retard dans les domaines des sciences, des humanités, des arts, de la recherche ou de l’innovation.
Comme vous le savez, entre 2007 et 2011, le nombre d’étudiants étrangers admis au séjour en France a augmenté de 40 %, passant de 46 663 à 64 558. L’année 2012 a en revanche été marquée par un important reflux de presque 10 %, avec seulement 59 000 entrées sur le territoire.
En 2011, 288 500 étudiants étrangers étaient inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français. Parmi eux, 81,4 % étaient extracommunautaires. Ils représentaient 11 % des inscriptions en licence, 19 % en master et 41,3 % en doctorat, lequel est une porte d’entrée vers le monde de la recherche. Ce dernier taux, élevé, témoigne, dans certains secteurs, du dynamisme de la recherche française, qui reste compétitive par rapport aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, mais dont l’attractivité, ne nous leurrons pas, est aussi liée au coût très bas des frais de scolarité en France comparativement à ceux qui sont pratiqués dans ces deux pays.
M. Jacques Legendre. C’est un problème !
Mme Esther Benbassa. En France, mes étudiants en doctorat paient, me semble-t-il, quelque 300 euros, alors qu’une inscription à Harvard coûte 45 000 dollars ; cette différence très importante a des incidences dans le choix des étudiants, car le coût de l’inscription à l’université reste très attractif.
M. André Reichardt. C’est exact !
Mme Esther Benbassa. De fait, plus des trois quarts des étudiants étrangers en France sont inscrits à l’université. Viennent seulement ensuite les écoles de commerce et d’ingénieurs.
Si 18,6 % de ces étudiants sont issus de l’Union européenne, la majorité vient de pays attachés historiquement et linguistiquement à la France, à savoir du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Il apparaît plus difficile d’attirer les élites des pays émergents, même si la Chine fournit 10,3 % du contingent. Les femmes sont majoritaires, puisqu’elles représentent 52,9 % des étudiants étrangers venant de tous les continents, à l’exception de l’Afrique, où leur proportion n’est que de 42,8 %.
Ce constat, nuancé, doit l’être encore d’une autre façon. Qui dit immigration dit aussi fuite des cerveaux. On sait par exemple que la moitié des migrants hautement qualifiés se concentrent aux États-Unis, ce qui explique qu’ils obtiennent tant de prix Nobel. L’émigration qualifiée n’induit cependant un préjudice pour le pays source que lorsqu’elle se transforme en émigration durable. Pour volontariste qu’elle doit être, notre politique ne saurait, en la matière, faire fi de cet aspect des choses.
Cela étant dit, la France doit indéniablement se donner les moyens de devenir une destination de premier choix pour l’immigration de haut potentiel en augmentant les moyens alloués à la coopération universitaire et en créant des antennes des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.
De nombreux pays ont développé des stratégies de recrutement d’étudiants internationaux avec des objectifs ambitieux. Certains sont même entrés en compétition pour attirer des étudiants au niveau de masters et doctorats. Ce n’est pas encore notre cas. Chaque établissement d’enseignement supérieur doit pouvoir définir sa propre politique internationale dans le cadre des grandes orientations définies par l’État, Campus France pouvant ensuite aider ces établissements à atteindre leurs objectifs.
Notre pays doit aussi impérativement améliorer les conditions d’accueil – vous l’avez dit, madame la ministre –, souvent déplorables, réservées aussi bien aux étudiants qu’à la main-d’œuvre hautement qualifiée. La généralisation du titre de séjour pluriannuel pourrait être un élément important de cette amélioration, de même que la création d’un titre de séjour permanent pour les doctorants.
Pour que l’immigration estudiantine donne tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre, il serait tout aussi indiqué d’améliorer le processus de sélection et d’orientation de ces étudiants, afin de limiter leur taux d’échec, plus élevé que celui des étudiants français. Il n’est sans doute pas tout à fait normal qu’un étudiant recalé à l’entrée de l’université de Rabat puisse venir poursuivre ses études, sans autre forme de procès, à l’université Paris-Sorbonne, où j’enseigne, laquelle, de son côté, ne pratique pas la sélection.
M. Jacques Legendre. Eh oui !
Mme Esther Benbassa. De même, pourquoi ne pas s’assurer que les étudiants étrangers participent aux coûts réels de la formation, en proportion bien sûr de leurs ressources et des bourses françaises ou étrangères dont ils bénéficient, comme cela se fait aux États-Unis ?
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. André Reichardt. Absolument !
Mme Esther Benbassa. Compte tenu de la prédominance de l’anglais dans le monde – je sens que M. Chevènement ne va pas être d’accord avec moi –, nos universités pourraient dispenser des enseignements dans cette langue, tout en faisant de la maîtrise du français une condition non négociable à l’obtention du diplôme – Mme la ministre l’a dit à peu près dans les mêmes termes. (M. André Reichardt s’exclame.) Nombre de pays de l’Est européen, par exemple Cluj en Roumanie, délivrant leurs enseignements en anglais, attirent de nombreux étudiants venus du monde entier pour y suivre des études médicales ou dentaires.
Pour que ces étudiants puissent, une fois diplômés, exercer leurs compétences dans notre pays et les importer ensuite efficacement dans leur pays d’origine lorsqu’ils décident d’y retourner, il paraît urgent d’élaborer une législation claire et stable relative au changement de statut d’étudiant en salarié. Malgré l’assouplissement de l’interprétation du droit en la matière, certaines situations injustes et injustifiables perdurent.
La France, son économie, son industrie, sa recherche, ont besoin de compétences et de talents dans tous les domaines. Elles ont plus que jamais besoin de jeunes et de moins jeunes habités par un projet, ayant le goût des défis, capables d’enthousiasme et de courage. L’immigration étudiante et l’immigration professionnelle, qui ne représentent malheureusement qu’une faible part de l’immigration globale, peuvent leur en fournir. À nous d’accueillir ces immigrants, de les former et de les accompagner, qu’ils décident de rester sur notre sol et de partager nos destinées ou de rentrer dans leur pays, contribuant à notre rayonnement, attestant, à leur façon, de la grandeur du nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’immigration étudiante et professionnelle est une bonne occasion pour le groupe UMP d’exposer avec clarté et sincérité sa position. En effet, les débats entourant les questions migratoires sont devenus, à la faveur de passions exacerbées, d’une stérilité des plus dommageables pour le débat public et pour notre démocratie. Aussi, que la représentation nationale puisse s’emparer de ce débat et que nous puissions, chacun dans cet hémicycle, exprimer la complexité de nos positions est une excellente chose. Espérons simplement que les frappes préventives d’anathèmes qui précèdent généralement ce genre de débat nous soient épargnées.
Sans plus attendre, il me faut préciser la doctrine qui a guidé notre formation politique et qui continuera de la guider, pour appréhender les problématiques migratoires.
L’immigration est une constante de l’histoire, l’expression tantôt de la liberté, tantôt de l’asservissement de certains hommes et de certains peuples à changer de terre.
L’immigration peut aussi être le fruit de circonstances malheureuses, comme le montre le cas des réfugiés politiques et climatiques.
Or notre époque n’échappe pas à cette dualité. Nous assistons toujours à la coexistence de ces deux formes d’immigration. La question est donc de savoir quelle réponse nous souhaitons apporter à ces phénomènes migratoires, à l’aune de ces deux critères.
Il apparaît certain que la France peut et doit rester une terre d’accueil, et que les migrants d’aujourd’hui feront la richesse de demain. C’est dans cet esprit que nous souhaitons appréhender l’immigration étudiante et professionnelle.
En ce qui concerne l’immigration étudiante – je crois, madame Khiari, qu’un large consensus peut se dégager à cet égard –, la formation universitaire des forces vives d’autres nations est de nature à favoriser les intérêts de notre pays.
M. Daniel Raoul. Ça, c’est nouveau !
M. André Reichardt. Par cette immigration, nous participons au rayonnement de la France et réalisons de formidables opérations de soft power – pardonnez-moi cet anglicisme, mais j’ai cru comprendre que certains voudraient même que nos universités dispensent des cours en anglais...
Pour cette raison, contrairement aux idées reçues, l’immigration étudiante en France a atteint 65 000 personnes en 2010, c’est-à-dire une augmentation de 30 % par rapport à l’année 2009. Aujourd’hui, l’immigration étudiante reste stationnaire.
Notre formation politique n’a jamais été hostile, quoi qu’on en dise, à l’immigration étudiante ; au contraire, nous l’avons privilégiée, car elle répond autant à nos propres intérêts qu’à ceux des pays d’origine, qui n’ont pas toujours la possibilité de former leur jeunesse à certaines activités professionnelles. Nous sommes donc favorables à l’immigration étudiante en tant que telle, c’est-à-dire en tant que projet d’étude construit. À l’instar de ce qui se fait dans beaucoup de pays, il est normal qu’une distinction entre titre de séjour étudiant et titre de séjour professionnel perdure, car ces immigrations ne sont pas de même nature et ne concernent pas le même public.
Nous avons donc noté avec intérêt la récente annonce gouvernementale visant à accorder aux étudiants étrangers des visas de la durée de leurs études, plus une année pour leur permettre d’avoir une première expérience professionnelle en France. Nous souhaiterions toutefois en savoir plus à cet égard. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous remercie par avance de toute information complémentaire que vous voudrez bien nous donner concernant notamment l’entrée en vigueur et les modalités d’application de cette mesure.
Dans le même ordre d’esprit, nous formulons à l’inverse plus de réserves sur la délivrance d’un visa permanent pour les doctorants, d’autant plus que certaines affaires ont, par le passé, égratigné l’enseignement supérieur français en raison, dit-on, de la délivrance de diplômes de complaisance pour des étudiants étrangers.
Enfin, il n’est évidemment pas possible, cela a été dit, de faire abstraction du coût réel de l’immigration étudiante. Celui-ci est en effet estimé à près de 3 milliards d’euros. Or la France pratique des tarifs étonnamment bas, voire quasiment nuls – notamment à l’endroit des étudiants extracommunautaires –, en comparaison de ses voisins européens, qui proposent leurs formations à des coûts beaucoup plus élevés.
S’agissant de l’immigration de travail, sans convoquer de formules alambiquées, je dirai simplement que celle-ci est non seulement une chance, mais aussi un facteur de prospérité qui doit s’intégrer à une politique migratoire clairement définie.
Avant de parler plus précisément de l’immigration professionnelle, je tenais néanmoins à ce que nous nous entendions sur la réalité de l’immigration de travail, telle qu’elle existe en France en 2013. En effet, il ne faut pas circonscrire ce débat à la simple évocation des 25 000 étrangers admis au séjour sur un motif économique. J’entends par là que notre volonté de rationaliser l’immigration de travail doit prendre acte du fait que 75 % des migrants familiaux accèdent aussi au marché du travail. Or nul ne peut ignorer que les migrants familiaux représentent environ la moitié de l’immigration totale. Aussi le nombre de migrants familiaux qui accèdent au marché du travail avoisine-t-il les 75 000 personnes. Il ne s’agit pas ici de faire peur, mais je veux vous transmettre les informations figurant sur le document préparatoire à ce débat relatif à l’immigration professionnelle et étudiante fourni par le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.
En conséquence, indépendamment de toute réflexion sur notre immigration de travail, nous devons admettre le postulat selon lequel la France est déjà très accueillante en termes d’immigration de travail, particulièrement pour ce qui est des emplois à faible valeur ajoutée, et cela alors même que nous sommes en phase d’explosion du chômage – ce n’est malheureusement un scoop pour personne – et donc, mécaniquement, d’augmentation du nombre de travailleurs pauvres.
Si l’on se réfère au nombre total d’autorisations de travail délivrées en 2012, à savoir 42 234, près de 30 000 d’entre elles se font en faveur d’employés qualifiés ou très qualifiés, pour 10 443 travailleurs non qualifiés.
En conséquence, une question se pose : quelle est cette immigration de travail destinée à des emplois à faible valeur ajoutée, qui, de fait, viendra concurrencer les travailleurs étrangers issus de l’immigration familiale, que je viens d’évoquer ? Monsieur le ministre, n’observe-t-on pas ici une redondance ? Je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur ce point.
Quoi qu’il en soit, l’immigration de travail est ainsi structurée en France. Il s’agit de salariés destinés non seulement à des emplois à faible valeur ajoutée, pour lesquels notre pays présente un déficit de demandeurs d’emplois, notamment en raison de la faiblesse des salaires, mais aussi à des emplois à forte valeur ajoutée de secteurs en expansion économique ou à des emplois pour lesquels nous connaissons des déficits d’effectifs chroniques. L’immigration contribue donc directement à l’accroissement de nos richesses, puisqu’elle vient répondre à cette demande.
Encore convient-il de ne pas occulter une autre question de fond que pose l’immigration de travail : celle-ci peut-elle rendre nos entreprises plus compétitives ? Même si l’immigration permet de recruter des personnels adaptés aux besoins de nos entreprises, n’est-elle pas précisément le symptôme d’un manque de compétitivité de ces entreprises et d’une inadaptation de nos demandeurs d’emplois ?
Mme Bariza Khiari. Bien sûr !
M. André Reichardt. À cet égard, prenons garde à ce que l’immigration de travail ne devienne pas, à terme, pour certaines entreprises, une étape sur le chemin de la délocalisation.
M. Daniel Raoul. Oh là là !
M. André Reichardt. Si la France ne connaissait pas les problèmes que l’on sait en termes de formation professionnelle, d’adaptation des diplômes, d’inflation des diplômes et de sur-tertiarisation de nos étudiants, peut-être le problème ne se poserait-il pas de la même manière.
Dès lors, même si, à court terme, cette immigration est indispensable dans notre pays, à long terme, parce qu’elle témoigne de dysfonctionnements structuraux de notre économie, elle doit être mieux appréhendée. Bref, la question migratoire doit également nous informer sur la conduite à tenir dans les prochaines années sur les politiques de l’emploi, eu égard aux besoins de nos entreprises.
Notre formation politique a soutenu une position équilibrée consistant à stabiliser les effectifs de l’immigration de travail en France, en moyenne, sur la dernière législature, légèrement au-dessus de 30 000 personnes par an. Nous ne sommes donc pas pour l’immigration zéro ; nous sommes – faut-il le rappeler ? – pour l’immigration maîtrisée, c'est-à-dire celle qui est utile à la France. C’est dans cet esprit que notre formation politique et le précédent gouvernement ont agi. (Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.)
Je souhaite m’arrêter un instant pour analyser minutieusement les dispositions qui ont été adoptées durant la précédente législature, car on a trop dit et trop médit à cet égard. Ces précisions permettront de mettre en valeur la position équilibrée que je viens d’évoquer et que nous continuerons de défendre.
Parmi ces dispositions, il nous faut rappeler l’étendue des problématiques auxquelles s’est confrontée la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Cette loi n’était ni injuste ni laxiste. Elle était tout autant accommodante avec les immigrés qui le méritaient bien que stricte, en ce sens qu’elle ne faisait ni plus ni moins que faciliter l’éventuel travail de la justice, s’il y avait lieu.
Ainsi, ce texte a permis de mettre en place une procédure d’accès accélérée à la nationalité française pour les ressortissants étrangers qui satisfaisaient déjà à la condition d’assimilation prévue par le code civil. Cet accès à la nationalité française pour les naturalisés était ensuite conditionné à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen.
Enfin, il a été rendu possible aux jeunes majeurs étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans, sous certaines conditions il est vrai, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire dans l’année suivant leur dix-huitième anniversaire.
Dès lors, qui peut croire que ce texte n’était que la traduction d’un repli sur soi, d’une peur de l’étranger ou d’une politique migratoire inspirée par des théories nauséabondes, comme tant de responsables politiques de l’époque se sont plu à la qualifier ? La simple lecture de ce texte indique qu’aucune disposition n’était de nature à contrevenir aux principes les plus élémentaires de notre République. Au contraire, ces valeurs ont été depuis réaffirmées.
En effet, qui considère ici que le respect des frontières est secondaire et saurait être bafoué dans l’intérêt de quelques-uns ? Personne, assurément ! Qui peut décemment penser qu’il ne faut pas aider la justice à faire appliquer ses décisions ?
Mes chers collègues, quelles pouvaient être ces dispositions qui ont soulevé, chez certains, une indignation parfois si peu maîtrisée ?
Il s’agit sans doute de l’introduction de nouvelles procédures pour le renouvellement des cartes de séjour et la délivrance des cartes de résident, visant à prendre en compte le respect des exigences du contrat d’accueil et d’intégration et à préciser les critères permettant de l’apprécier, à savoir l’assiduité, le sérieux du suivi des formations civiques et linguistiques, la réalisation du bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, la participation à la session d’information sur la vie en France, ainsi que le respect des principes et valeurs essentiels de la République. Monsieur le ministre, j’en conviens, ces dispositions étaient certainement insuffisantes.
Peut-être s’agissait-il de la volonté de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ? Cette volonté s’est traduite, d’un côté, par l’allongement de la durée maximale de rétention administrative à trente-deux jours, alors que nos voisins s’accordent plusieurs mois et parfois une durée de détention illimitée, et, de l’autre, par la réorganisation de l’intervention des deux juges compétents en matière de contentieux de l’éloignement des étrangers.
Toutes ces dispositions relèvent à mes yeux du bon sens. Elles ont pourtant soulevé des critiques, naturellement infondées, mais surtout injustifiées.
Cette loi que nous avons fait adopter sous notre majorité a permis, on l’oublie souvent, de transposer trois directives européennes. La première visait à promouvoir l’immigration professionnelle, la deuxième était dédiée à la lutte contre l’immigration irrégulière et la troisième donnait de nouveaux outils pour la répression des employeurs d’étrangers sans titre.
Or, dans le cadre de ce débat relatif à l’immigration étudiante et professionnelle, il convient de rappeler solennellement que la France est le premier État de l’Union européenne à avoir mis en œuvre la directive Travailleurs hautement qualifiés, dite « carte bleue européenne ». Outre la rapidité de transposition de cette directive dans notre droit, la France a retenu les options les plus avantageuses en faveur de ces travailleurs hautement qualifiés. Tout d’abord, il leur a été accordé une carte de séjour temporaire de trois ans. Ensuite, la possibilité a été offerte à leur conjoint de bénéficier sans délai d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » les autorisant à travailler pendant trois ans sur le territoire national. Enfin, cette dernière possibilité a été étendue aux conjoints de salariés en mission, dans le cas d’une mission supérieure à six mois.
Les dispositions choisies pour l’introduction de la carte bleue européenne mettent ainsi parfaitement en valeur l’a priori positif qui doit prévaloir à l’égard de ces travailleurs venant soutenir l’économie nationale.
Dans le même temps, la circulaire du 31 mai 2011, vilipendée, mais que nous assumons volontiers,…