M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique, bien que le temps censé être consacré à celle-ci soit d’ores et déjà épuisé. Je présente d’ailleurs mes excuses à Mme Aïchi, qui a, elle, renoncé à sa réplique.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il y a un seuil en dessous duquel nous ne pouvons pas descendre : 1,5 % du PIB. Je suggère que le surcroît de l’effort de défense opéré par la France par rapport à la moyenne européenne – soit 0,5 % de PIB – vienne en déduction du plafond de déficit autorisé depuis Maastricht, soit 3 % du PIB.
En dessous de 1,5 %, il y aurait rupture de l’équilibre entre la France et l’Allemagne. Le président Hollande en est certainement conscient. Nous disposons là d’un avantage comparatif dont nous ne pouvons pas nous défaire !
M. le président. La parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a annoncé récemment que des coupes budgétaires substantielles étaient indispensables afin de réduire notre déficit public, conformément aux exigences de la Commission européenne de le ramener en dessous de 3 % du PIB. Ces coupes sont évaluées à près de 5 milliards d’euros.
Manifestement, tous les ministères seraient concernés par ce plan d’économies et le budget de la défense ne serait pas épargné. On parle ainsi de le ramener de 1,56 % à 1,1 % du PIB. C’est sans précédent !
Cela provoque de nombreux remous au sein de nos armées, voire le désarroi aussi bien de nos militaires que des personnels civils et de l’industrie de la défense. Ce serait absolument catastrophique !
Dans l’hypothèse d’un tel scénario, comment ne pas s’interroger sur le maintien de la capacité opérationnelle de nos armées ? Accomplir leurs missions deviendrait tout bonnement impossible ! Et les fondements mêmes de la défense nationale, voire de notre indépendance, seraient remis en question ! Ce serait insensé ! Nous n’aurions plus d’armée !
Par ailleurs, la France est intervenue au Mali sous couvert de l’ONU, avec, me semble-t-il, le feu vert des vingt-six autres pays de l’Union européenne.
Alors que Bruxelles demande instamment à la France de ramener son déficit public à moins de 3 % du PIB, alors que la France est le seul pays européen à avoir engagé des troupes au sol, pour préserver notre pays d’actes terroristes, certes, mais aussi l’Europe dans son ensemble, ne considérez-vous pas, monsieur le ministre, que la France doit exiger que cette dépense militaire figure hors contingent des déficits publics ou, à tout le moins, bénéficie d’un traitement particulier quant à son déficit ?
Nos partenaires européens doivent comprendre qu’on ne peut pas avoir l’armée française et la gratuité de l’armée française. Notre armée a un coût, il faut en accepter les conséquences !
Le ministère de la défense pourrait ainsi être épargné par les coupes budgétaires prévues, ce qui lui permettrait de poursuivre efficacement sa mission en préservant ses matériels, ses personnels civils et militaires et, bien entendu, notre industrie de défense. C’est aussi une question de crédibilité de nos armées, de rayonnement international et de souveraineté de la France.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le sénateur, nous sommes effectivement en pleine préparation du livre blanc et du projet de loi de programmation militaire, qui sera soumis aux assemblées à l’automne. Comme toujours en pareille circonstance, avant que les arbitrages soient rendus, il y a des discussions et, inévitablement, la presse se fait l’écho de certains propos, on annonce ici ou là telle ou telle situation particulièrement difficile. J’ai connu ce phénomène lorsque j’étais député ; je l’observe aujourd'hui d’un autre point de vue.
Il importe que nous puissions surmonter une difficulté majeure : pour assurer notre souveraineté, nous devons à la fois maîtriser nos finances publiques et notre dette et conserver une défense cohérente et efficace.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ce double impératif se traduit dans les chiffres. C’est la difficulté à laquelle nous nous heurtons en ce moment ; un arbitrage sera rendu dans les semaines à venir.
En tout cas, votre proposition, qui est proche de celle que vient de formuler Jean-Pierre Chevènement, de ne pas intégrer l’investissement de défense – précisément parce qu’il s’agit d’un investissement – dans le calcul des déficits publics au sens des autorités européennes a toute ma sympathie. Cependant, je ne suis pas en situation de pouvoir vous répondre, même si le raisonnement a indiscutablement une cohérence. J’espère que la tenue d’un Conseil européen de défense à la fin de l’année permettra de poser réellement la question de la place de l’investissement de défense dans l’ensemble de la dette des États et d’évaluer son efficacité en termes de sécurité, ainsi que de développement économique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Environ 90 % de nos compatriotes adhèrent à l’idée d’une coopération européenne plus étroite en matière de défense. Dans le contexte de crise économique et de réduction des budgets de défense que nous connaissons un peu partout en Europe, le renforcement des capacités militaires de l’Union européenne semble très opportun.
La création de l’Agence européenne de défense, l’AED, en 2004, afin d’harmoniser nos efforts de défense, a constitué une avancée, fondée sur l’idée d’un partage et d’une mutualisation des moyens. Un certain nombre de projets décisifs ont été lancés. Jean-Pierre Chevènement a notamment cité les avions ravitailleurs, dont on mesure actuellement l’utilité ; c’est un exemple positif, et il en faudrait d’autres.
Cependant, l’AED est confrontée à des obstacles persistants. En particulier, son budget reste modeste : il stagne depuis trois ans à un niveau de 30 millions d’euros annuels.
Le renforcement des capacités de l’Union est pourtant primordial à au moins deux titres.
D'une part, l’industrie de défense n’est pas une industrie comme les autres, en raison de sa dimension stratégique. En effet, sans une solide base industrielle et technologique de défense, l’Europe risque fort de voir s’éroder son indépendance stratégique et donc sa capacité d’influer sur la scène internationale, de promouvoir ses valeurs propres, que nous partageons tous.
D'autre part, le potentiel de développement et de création d’emplois du secteur de la défense est considérable ; c’est un point particulièrement important en temps de crise. Il suffit de faire le parallèle avec l’industrie aérospatiale, qui constitue un véritable succès européen, pour se rendre compte de notre potentiel. Je pense également aux nombreuses opportunités dans le domaine de la cyberdéfense, hautement stratégique et qui connaît une croissance exponentielle.
Un Conseil européen de défense se tiendra en décembre prochain. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer – j’associe Yves Pozzo di Borgo, qui suit les enjeux de défense européenne au sein de notre groupe, à ma question – quelles seront les propositions mises sur la table pour améliorer la coopération européenne sur le plan capacitaire ? Comment la France, nation cadre en matière de défense et qui entend le rester – je l’espère en tout cas –, peut-elle soutenir les grands programmes structurants et favoriser les rapprochements industriels ?
Enfin, qu’en est-il du renforcement espéré des moyens matériels et humains de l’AED, dont la directrice est d'ailleurs une compatriote ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le sénateur, je partage votre appréciation sur la situation de l’AED et je m’associe à votre soutien à cette agence, qui est un outil important. C’est non une agence de programme – l’OCCAR, organisme conjoint de coopération en matière d’armement, remplit cette fonction –, mais un outil de coopération capacitaire qui tente de faire converger l’expression des besoins opérationnels des États. Cet outil a apporté la preuve de son efficacité.
Il existe une difficulté, que vous avez signalée : le budget de l’AED reste très modeste, avec seulement 30 millions d'euros par an. En outre, ce budget n’est pas réévalué, alors qu’il devrait l’être pour que l’AED puisse exercer ses compétences et assumer ses missions. En effet, lors de chaque réunion du conseil de l’AED, la représentation britannique bloque toute réévaluation ; je l’ai encore constaté il y a quelques semaines. J’espère que le Conseil européen de défense qui se tiendra en décembre sera en mesure de donner un nouveau souffle à l’AED.
Pour ma part, je souhaite que ce Conseil européen de décembre, qui sera le premier depuis cinq ans à s’occuper des questions de défense, soit l’occasion de prendre l’engagement d’organiser à l’avenir une réunion annuelle pour permettre aux chefs d'État et de gouvernement européens d’aborder les questions de défense. Je souhaite également que nous obtenions une véritable avancée pratique, et non pas théorique, de l’Europe de la défense sur trois points : dans le domaine opérationnel – en particulier sur la manière de gérer les crises –, en matière de partage capacitaire – l’AED peut jouer un rôle essentiel à cet égard –, ainsi que sur la définition du socle de l’industrie et des technologies de défense européennes et des moyens de renforcer nos capacités d’initiative.
Telles sont les bases sur lesquelles nous travaillons aujourd'hui. Nous voulons que ce débat permette de dégager des orientations pragmatiques et efficaces, afin qu’il ne s’agisse pas d’un coup d’épée dans l’eau à un moment donné de l’histoire de l’Europe.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour la réplique.
M. Jean-Marie Bockel. Il existe de belles potentialités en matière de rapprochement de nos industries de défense. J’ai cité l’exemple de la cyberdéfense, qui est en plein développement. Les entreprises européennes gagneraient à travailler ensemble, notamment pour fabriquer certains équipements sensibles.
Je pourrais également citer, dans un secteur plus « rustique », celui des munitions, l’entreprise Manurhin, que je connais bien puisqu’elle est installée à Mulhouse : elle a déjà ouvert son capital à une participation minoritaire slovaque et elle pourrait s’associer avec d’autres entreprises, de Belgique ou d’ailleurs, afin de devenir un fleuron de son secteur.
J’ajoute que notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par Jean-Louis Carrère, a récemment pris l’initiative, appuyée par la quasi-totalité des groupes, de vous soutenir, monsieur le ministre, dans votre bataille pour que notre budget de défense ne descende pas en dessous de 1,5 % du PIB. Cela me semble extrêmement important, et je voulais profiter de ce débat pour rappeler ma détermination, notre détermination à vous soutenir dans cette bataille qui précède les arbitrages. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le ministre, je voudrais d'abord, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, vous remercier de votre disponibilité et de celle de vos collaborateurs pour nous rendre compte en permanence des opérations actuellement conduites au Mali.
J’ai deux interrogations à vous soumettre.
Récemment, le Président de la République a participé, à Varsovie, à une réunion préparatoire au Conseil européen de décembre. Il fut question des moyens d’améliorer l’efficacité de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC, de renforcer les capacités militaires européennes et d’accroître, si possible, les performances de l’industrie européenne de défense. C’est sur ce dernier point que porte ma première question.
Nous savons tous que nous ne pourrons plus réaliser de programme d’armement majeur de manière unilatérale. En clair, nous ne construirons plus seuls un avion de combat come nous l’avons fait avec le Rafale. Le risque est que, faute de s’être associés, les Européens – et donc les Français – soient contraints d’acheter leurs appareils hors d’Europe. Cela se ferait évidemment au détriment de notre indépendance stratégique et de notre recherche et développement. Or on constate malheureusement que, à peu près depuis l’an 2000, il n’existe plus aucun programme d’armement majeur qui fasse l’objet d’une coopération. C’est bien dommage !
Ma question sera en même temps une suggestion. L’Europe et la France ont essuyé un échec industriel patent en matière de drones. Des accords ont été passés entre agences d’armement, entre États et entre entreprises industrielles. Nous aurions prévu de faire les drones UCAV avec les Britanniques et les drones MALE avec les Allemands. Tout cela ne me paraît pas très clair. Ne devrait-on pas plutôt lancer un grand programme européen de construction des drones de demain ?
J’en viens à mon second point.
M. le président. Et il vous faudra l’aborder très brièvement !
M. Daniel Reiner. Ce sera en effet très bref, monsieur le président, et je ne répliquerai pas à M. le ministre.
L’Union européenne et les États-Unis discutent actuellement d’un accord de libre-échange. Monsieur le ministre, êtes-vous certain que les industries d’armement ne sont pas concernées ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur Reiner, je commencerai par répondre à votre interrogation sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, en vue duquel la Commission européenne entend engager des négociations, ainsi qu’elle l’a annoncé la semaine dernière.
Nous avons appris à cette occasion qu’elle prévoyait d’inclure le secteur de la défense dans le périmètre desdites négociations, ce qui constituerait un précédent. Des échanges ont eu lieu sur ce sujet, non seulement au niveau national, mais aussi, dès mardi, entre les gouvernements. À ce stade, il en ressort un consensus sur l’opportunité d’exclure le secteur de la défense du champ de l’accord de libre-échange.
MM. Daniel Reiner et Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Par ailleurs, mes services ont interrogé les industriels concernés afin de recueillir leur analyse sur une telle perspective. Hier, ils ont confirmé l’opportunité de l’exclusion du secteur de la défense du champ des négociations. C’est donc en ce sens que nous travaillons actuellement.
Il me paraissait important de vous répondre d’emblée avec précision sur ce point.
J’en viens à présent au premier sujet que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, et qui a déjà été abordé par plusieurs orateurs : les programmes industriels européens.
Il est vrai qu’aucun grand programme de coopération associant plusieurs États n’a été engagé depuis quelque temps. Il est non moins vrai que certains projets devraient pouvoir donner lieu à une nouvelle coopération industrielle. Vous avez cité la prochaine génération aéronautique, et notamment les drones UCAV. Nous avons conclu un accord de recherche en amont avec les Britanniques sur cette question. Vous avez également évoqué les drones MALE, c'est-à-dire les drones de moyenne altitude. Notre pays, mais aussi certains pays voisins, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et même l’Italie, souffrent d’un réel manque capacitaire en la matière. Il nous faut acquérir assez rapidement des drones. Il ne s’agit pas de nous contenter de drones intérimaires, mais d’en posséder de manière pérenne. C’est un sujet de discussion potentiel.
M. Daniel Reiner. En effet, c’est un vrai sujet !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Une fusion entre EADS et BAE Systems aurait pu être un exemple concret de constitution d’un groupe européen susceptible de relancer l’Europe de la défense, dont le Président de la République a fait l’une de ses priorités.
En effet, la France et le Royaume-Uni, qui représentent la moitié de l’effort militaire européen et les deux tiers des budgets de recherche, avaient estimé qu’il fallait rationaliser et coordonner leurs efforts pour optimiser les dépenses.
Cette fusion n’a pu aboutir, car, hélas, il ne s’agissait pas véritablement de mutualisation ni de coopération. En réalité, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et la France se sont opposés sur des intérêts stratégiques, industriels et financiers divergents.
Par la suite, la perspective d’une sortie partielle des groupes Lagardère et Daimler du capital d’EADS a entraîné une renégociation du pacte des actionnaires publics, laquelle s’est malheureusement faite au détriment de notre pays et a surtout renforcé le poids des actionnaires privés dans le capital du groupe, à la grande satisfaction, dirai-je, du P-DG d’EADS, Tom Enders, qui ne perd pas une occasion de déclarer qu’il n’est pas favorable à l’actionnariat d’État.
La décision d’entériner cette modification de la structure du capital, ainsi que la nouvelle gouvernance qui en découle, devrait être prise le 27 mars, lors d’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires du groupe.
Monsieur le ministre, je souhaiterais donc savoir si les représentants de l’État vont approuver sans réagir ces modifications qui me semblent contraires à la protection de nos intérêts en matière de défense nationale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Madame la sénatrice, vous avez rappelé comment les discussions entre le groupe EADS et BAE Systems ont abouti à un échec.
Nous avions travaillé en profondeur sur cette question et avions même, de notre côté, bien progressé sur la structuration actionnariale, les garanties tant industrielles qu’en termes d’emploi, ainsi que sur nos propres intérêts en matière de défense ; je pense, en particulier, à la dissuasion.
J’ai moi-même entretenu des relations très étroites avec les ministres allemand et britannique de la défense, mais il y a également eu d’autres contacts à un plus haut niveau.
Nous avions, me semble-t-il, en tout cas en ce qui nous concerne, réussi à faire converger des positions, mais les entreprises ont jugé qu’il n’était pas possible de faire converger à la fois les positions des États et celles des principaux actionnaires. Il en est résulté un échec, à la suite duquel les parties se sont mobilisées pour résoudre les principaux problèmes de gouvernance d’EADS en un temps record. C’est dans ce cadre qu’ont été conclus, en décembre dernier, les accords de restructuration de l’actionnariat d’EADS.
Ces accords permettent la sortie des actionnaires historiques, Daimler et Lagardère, sans déstabiliser le groupe, la constitution d’un noyau d’actionnaires soudés autour de la France, l’Allemagne et l’Espagne, la protection du groupe vis-à-vis de prises de contrôle hostiles, la normalisation de la gouvernance du groupe et le renforcement de la protection de nos propres actifs, en particulier les actifs de souveraineté liés à la dissuasion, qui seront placés dans une filiale au sein de laquelle nous disposerons de droits renforcés.
Eu égard à ces avancées, nous considérons que les principes de restructuration actés par les actionnaires pourront être validés lors de l’assemblée générale du 27 mars prochain, à laquelle vous faisiez référence.
Je considère qu’EADS va bien, même sans la fusion avec BAE Systems, et je me félicite de ce que nous puissions franchir le cap délicat de la restructuration en préservant les intérêts de la France.
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, l’Europe de la défense est impossible à construire si nous n’avons pas une défense nationale crédible.
Mercredi dernier, dans cet hémicycle, le groupe UMP s’est associé sans réserve à l’initiative nécessaire, et d’ailleurs couronnée de succès, du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jean-Louis Carrère : il s’agissait de tirer la sonnette s’alarme et d’interpeller le Président de la République sur les terribles dangers que représenteraient les coupes budgétaires pour nos armées et pour notre pays.
À la veille d’un conseil de défense et de sécurité nationale qui assombrit profondément l’avenir de nos armées et menace la survie de notre outil de défense, comment plaider auprès des États de l’Union européenne pour qu’ils investissent dans leur défense si, nous-mêmes, nous utilisons la nôtre comme variable d’ajustement budgétaire ?
M. Alain Fouché. Absolument !
M. François-Noël Buffet. Et pourquoi, au final ? Pour réaliser des économies de quelques millions, mais en vertu d’une vision à très court terme !
La défense est et demeure l’un des derniers leviers de croissance. Il faut rappeler que ce secteur nous rapporte des milliards à l’export, qu’il représente près de 400 000 emplois hautement qualifiés et peu délocalisables. Enfin, il est porté par un tissu industriel de très nombreuses PME, dont un de vos collègues du Gouvernement nous rabâche qu’il veut doubler le nombre.
Comment parler d’Europe de la défense alors que nous sommes peut-être en train d’hypothéquer notre indépendance stratégique et que nous sommes à l’ultime limite du décrochage capacitaire qui entraînerait la perte de notre souveraineté ?
Enfin, monsieur le ministre, si le Président de la République a pu engager des troupes françaises au Mali, allant même jusqu’à dire, à Tombouctou, le 2 février, qu’il était en train de vivre « le plus beau jour de sa vie politique », c’est parce qu’il disposait d’une capacité de projection et d’un outil de défense qui le lui permettaient.
Ce sont les moyens budgétaires alloués aujourd’hui qui gageront notre présence dans le monde demain.
En vérité, monsieur le ministre, certaines nations sont des moteurs pour l’Europe de la défense : c’est le cas de la France.
L’heure n’est pas à la complainte, elle est à l’action et à la responsabilité. Monsieur le ministre, il vous revient, et nous savons que vous en être pleinement conscient, de ne pas céder aux pressions hypothécaires de Bercy, qui annihileraient les cinquante ans d’efforts de construction européenne et militaire que notre pays a consentis et doit poursuivre.
Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir, au nom du groupe UMP, quels arguments et quels moyens vous allez employer pour convaincre le Président de la République de ne pas soumettre le budget de notre défense à un coup de rabot qui serait, sans doute, extrêmement dangereux.
M. Alain Fouché. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le sénateur, si je dispose d’un atout, il s’agit bien de ma conviction…et de la vôtre ! J’ai déjà eu l’occasion de le faire tout à l’heure, mais je veux remercier de nouveau le Sénat de ses prises de position concernant le maintien d’un effort significatif de défense pour notre sécurité.
Vous comprendrez bien que je ne vais pas anticiper sur les conclusions d’un processus qui est loin d’être achevé, et qui nécessitera des arbitrages difficiles.
J’ai rappelé précédemment à votre collègue Philippe Paul combien l’équation était délicate, entre la nécessité d’assurer la souveraineté de notre pays par la maîtrise de sa dette – car, quand un pays est à la merci de ses créanciers, il perd sa souveraineté ! – et la nécessité de garder une capacité sécuritaire significative. La souveraineté passe donc aussi par un effort de défense important. C’est le sujet qui est sur la table.
Chaque fois qu’il y a eu un livre blanc et/ou une loi de programmation militaire, des questions de ce type sont revenues. Elles sont encore plus compliquées maintenant qu’hier, et ce pour deux raisons, monsieur le sénateur.
La première – ne voyez là aucune volonté de polémique de ma part –, c’est que la loi de programmation précédente n’a pas été respectée, et cela parce qu’elle avait été établie avant la crise. La projection contenue dans la loi de programmation 2009-2014 n’a donc tenu que deux ans. Quand je suis arrivé à ce poste de responsabilité, il manquait déjà, selon la Cour des comptes – et j’ai constaté qu’elle avait raison –, 4 milliards d’euros par rapport à la trajectoire.
La seconde raison est liée aux difficultés du moment et à la nécessité d’atteindre les 3 % de déficit budgétaire à la fin de l’année 2014.
Telles sont les contraintes. Pour ma part, je souhaite être suffisamment persuasif pour que nous puissions maintenir un effort de défense nous permettant d’avoir des forces armées cohérentes et efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, nous avons bien entendu ce que vous venez de dire. Sachez que vous trouverez, de ce côté-ci de l’hémicycle, un soutien infaillible dans la défense de votre budget, afin que nos armées puissent recevoir les moyens nécessaires.
Je me permets simplement de rappeler que M. David Cameron a annoncé que les ministères britanniques connaîtraient une diminution budgétaire de 1 %, mais que la défense bénéficierait, elle, d’un report de crédits non utilisés.
Espérons que cet exemple nous servira dans les semaines qui viennent ! (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Vallini.
M. André Vallini. Monsieur le ministre, alors que le monde est en train de réarmer, l’Europe semble s’apprêter à désarmer.
Confrontés à la crise économique, et donc à celle de leurs finances publiques, la plupart des pays européens réduisent leur budget de la défense. Si elle continue dans cette voie, l’Europe risque un véritable déclassement stratégique. Pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine, elle risque de « sortir de l’Histoire ».
En raison de la réorientation stratégique des États-Unis vers l’Asie-Pacifique, l’Europe ne peut plus tout attendre de ce pays en matière de défense, d’autant que, contrairement à ce que pensent trop souvent les opinions publiques, les menaces et les dangers n’ont pas disparu, bien au contraire.
Le moment semble donc venu de relancer l’Europe de la défense. Au risque de sembler paradoxal, je dirai que c’est au moment où la construction européenne traverse la crise de confiance la plus grave de son histoire qu’il faut relancer la défense européenne.
En effet, si l’on cumule l’ensemble des moyens militaires des 27 pays membres, l’Europe dispose de 1 500 000 soldats et de 175 milliards d’euros de budget : il est aisé d’imaginer les économies que nous pourrions tous réaliser en mutualisant ces forces !
Or aucun pays n’est mieux placé que la France pour s’engager dans cette démarche, a fortiori depuis qu’elle a rejoint le commandement militaire intégré de l’OTAN.
Monsieur le ministre, dans ce contexte, je pense, à l’instar d’autres collègues qui l’on dit avant moi, que le Conseil européen de décembre prochain est une occasion unique de relancer l’Europe de la défense.
Je souhaiterais donc savoir, dans cette perspective, si vos priorités sont plutôt d’ordre institutionnel, industriel ou opérationnel.