Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble cet après-midi sur la place de la politique de développement dans les relations Nord-Sud ne peut pas faire abstraction de l’actualité. Notre intervention militaire au Mali nous donne ainsi l’occasion de réfléchir au contexte dans lequel elle se déroule, aux motivations qui l’ont inspirée et, à présent, aux moyens à mettre en œuvre pour aider ce pays, et la région dans son ensemble, à se stabiliser pour se développer.
Le débat de politique étrangère que nous avons eu ici même, avant-hier, a largement mis en évidence que, dans ce type de crise internationale, il s’agissait d’adopter une approche globale et de traiter non seulement les conséquences, mais aussi les causes.
Cette approche devrait donc tout naturellement nous inciter à nous interroger sur les valeurs qui fondent notre politique d’aide au développement, ainsi qu’à définir ses objectifs, ses enjeux et ses moyens. Il me semble que cette démarche vous a guidé, monsieur le ministre, quand vous avez pris l’initiative d’une large consultation, au travers des Assises du développement et de la solidarité internationale.
Or, depuis l’élection présidentielle et l’arrivée d’une majorité de gauche au pouvoir, le changement concret de l’action du Gouvernement dans ce domaine – hormis les importantes déclarations du Président de la République sur la nécessité de nouveaux rapports avec l’Afrique, qui viennent d’être rappelées – est encore peu perceptible.
Ainsi, le premier budget que vous avez présenté, même si vous avez eu peu de temps pour le préparer et s’il dépendait encore des choix du précédent gouvernement, a déçu. Les grandes orientations permettant une rupture avec la politique de Nicolas Sarkozy envers les pays du Sud n’avaient pas été annoncées, ni a fortiori mises en œuvre. Le changement, dans ce domaine aussi, tarde à venir.
Par exemple, l’objectif fondamental, parce qu’il conditionne tout le reste, de consacrer 0,7 % du revenu national brut, le RNB, à l’aide publique au développement, ne pourra être atteint, vos crédits étant en baisse de 200 millions d’euros. En 2013, vous n’y consacrerez que 0,46 % du RNB, soit un pourcentage de nouveau inférieur à celui de 2009.
Cette diminution venait encore accentuer la très fâcheuse pratique des gouvernements précédents d’inclure les annulations massives de dette dans les chiffres de l’aide publique au développement, artifice de dissimulation budgétaire qui permet de dissimuler la baisse de cette aide en gonflant artificiellement les statistiques officielles. Ces annulations de dette vont bientôt prendre fin.
Nous souhaitons que, pour votre prochain budget, vous ayez la volonté, ce dont nous ne doutons pas, mais surtout la possibilité, ce dont nous doutons quelque peu, de ne pas recourir aux mêmes artifices que vos prédécesseurs.
C’est une question fondamentale, qui détermine tout le reste. Car ce qu’il est convenu d’appeler la dette de ces pays provient en grande partie des politiques d’ajustements structurels qui leur sont imposées par les organismes internationaux bailleurs de fonds.
Enfin, dans votre budget, la part minime, soit 3,75 %, des revenus de la taxe française sur les transactions financières affectée à la solidarité internationale ne tenait pas compte non plus des promesses faites pendant la campagne électorale.
Nous sommes cependant optimistes et espérons que les choses changeront pour le prochain budget, puisque vos efforts et ceux de dix autres pays pour instituer cette taxe au niveau européen sont en voie d’aboutir.
Ces critiques étant faites sur le passé récent, nous saluons votre volonté de procéder à une véritable refondation de notre politique d’aide au développement, non seulement parce que le contexte et les enjeux ont considérablement changé en une dizaine d’années, et parce que l’aide au développement a elle-même changé de nature, mais aussi parce que la politique de vos prédécesseurs en la matière manquait de clarté, de cohérence, de pilotage et de stratégie.
Nous souscrivons aux objectifs généraux que vous proposez et aux priorités thématiques et géographiques que vous avez retenues. Parmi ces dernières, la priorité accordée à l’Afrique subsaharienne, à qui est réservé l’essentiel de nos subventions et de nos prêts, me semble impérative au regard de sa situation et des récents événements.
Veillons bien cependant, par des actes concrets, à rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique. Nouons de nouveaux partenariats, de nouvelles relations économiques avec les États, débarrassés des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques, de nos marchés, de notre accès à l’uranium ou au pétrole.
À cet égard, il faudrait procéder à une réorientation du rôle dévolu à ce « bras armé » de la politique d’aide au développement qu’est l’Agence française de développement. Cet établissement public, qui fonctionne comme une banque, entretient savamment le flou entre sa politique de prêts et les dons accordés aux États. Il est nécessaire que l’AFD cesse d’échapper au Quai d’Orsay et que soit tranchée la question de l’autorité des ambassadeurs sur ses responsables locaux.
Il faut également revoir la notion de « vision globale du financement », qui mélange des choses de nature différentes. Elle englobe en effet l’aide publique au développement, mais aussi les investissements directs des entreprises, les flux financiers des migrants et les recettes fiscales des pays en développement. À cet égard, il est grand temps de se donner les moyens de bien différencier l’aide publique au développement de l’intervention économique privée.
Nous espérons donc voir se concrétiser bientôt les promesses faites en matière de taxation financière ou d’encadrement des paradis fiscaux, dont le processus, il faut le reconnaître, avait été déjà entamé par le précédent gouvernement.
De la même façon, nous apprécions que le Gouvernement ait annoncé sa volonté de renégocier les accords de partenariats économiques imposés par l’Union européenne aux pays africains.
Nous apprécions aussi positivement que le Gouvernement ne veuille plus amalgamer les dispositifs de financement du développement avec ceux de contrôle des migrations.
Sur le fond, il faut une volonté politique, car tout cela dépend de la mise en œuvre de stratégies économiques débarrassées de l’exigence de la rentabilité à court terme, afin que les économies des pays les plus pauvres ne soient plus dépendantes de l’aide internationale.
Dans ce domaine, notre pays pourrait donner l’exemple et agir en ce sens dans les instances internationales.
Ainsi, pour combattre le pillage des ressources dans les pays du Sud, le Parlement européen nous montre la voie. Pour lutter contre l’opacité au sein des industries extractives et d’autres secteurs économiques en proie à la corruption et à l’évasion fiscale, il tente de faire adopter une loi introduisant des obligations de transparence de la part des multinationales européennes et de celles qui sont cotées dans l’Union européenne.
Monsieur le ministre, nous attendons beaucoup des conclusions des Assises du développement et de la solidarité internationale. Nous souhaitons que vous preniez véritablement en compte les propositions de réforme de structure de ce secteur qui auront pu vous être faites.
Certes, tout n’est pas affaire de crédits, mais, à l’heure de nouvelles restrictions budgétaires, nous craignons que vous ne disposiez pas des moyens suffisants pour mettre en œuvre la refondation de notre politique d’aide au développement. J’espère que vous nous apporterez en la matière des réponses rassurantes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, vous avez déclaré à Helsinki il y a quelques jours que, pour financer le nouvel agenda du développement post-2015, « nous devrons être ambitieux et innovants ». C’est juste. L’aide au développement, c’est-à-dire son financement, a changé de nature. L’aide directe a vécu. Son efficacité mise en question, elle prend de nouvelles formes, plus adaptées à un monde en pleine mutation et aux défis de notre planète.
Les objectifs du Millénaire pour le développement fixent la feuille de route pour éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde d’ici à 2015. Le retard accumulé compromet la réalisation du programme onusien dans les délais prévus, mais un effort intense de rattrapage est à l’œuvre, mobilisant toutes les ressources. En complément de l’aide publique au développement, deux axes me semblent fondamentaux : le microcrédit et les financements innovants.
En effet, une solution réside dans la réorientation d’une partie de l’aide publique au développement vers des microprojets de financement, en ouvrant ainsi l’accès aux services financiers pour les plus défavorisés. Des exemples concrets et efficaces sont source d’inspiration. Je pense à une initiative, certes ancienne mais très parlante, la création en 1776 en Écosse du premier établissement d’épargne, par un prêtre, pour permettre aux pauvres extrêmement nombreux à l’époque d’épargner une partie de leur salaire.
M. Yvon Collin. C’est toujours d’actualité !
M. Aymeri de Montesquiou. On sait la place de premier rang qu’a su prendre la banque écossaise.
J’ai choisi cet exemple vieux de près de 250 ans pour illustrer l’affirmation de Muhammad Yunus, pour qui « une bonne théorie économique doit donner aux gens l’opportunité d’utiliser leurs talents. Il faut sortir du schéma traditionnel où les riches entreprennent et les pauvres dépendent de l’aide ou des dons pour survivre ». Il considère à juste titre les plus démunis comme des entrepreneurs potentiels, capables d’innover face à la nécessité.
En revanche, les outils pouvant leur permettre de transformer leur créativité en revenus durables ne leur sont toujours guère accessibles, et une grande partie des établissements de la microfinance nécessitent d’importants apports financiers extérieurs, surtout dans leurs premières années.
Selon les chiffres du Groupe consultatif d’assistance aux pauvres, moins de 16 % de la population ont accès aux services financiers dans les pays du Sud, contre 95 % dans les pays développés. Il est impératif de faire évoluer cette répartition et de donner aux hommes et aux femmes des pays émergents les outils pour gérer leurs petites économies, leur permettant de rassembler les sommes nécessaires à une capitalisation et donc à l’investissement. Cela constituerait une avancée majeure vers l’éradication de la pauvreté.
Bien que le microcrédit et la microfinance se soient répandus dans plus de 80 pays en trente ans, leur potentiel de développement est encore considérable. À titre d’exemple, sur 80 millions d’habitants en Éthiopie, il y a moins de 3 millions de clients de la microfinance ; à Madagascar, on dénombre 730 000 clients pour 20 millions d’habitants.
D’après les Nations unies, si les femmes avaient le même accès aux ressources productives que les hommes,…
Mme Nathalie Goulet. Elles feraient beaucoup mieux ! (Sourires.)
M. Aymeri de Montesquiou. ... la production des pays en développement augmenterait de 20 % à 30 %,…
Mme Nathalie Goulet. Au minimum !
M. Aymeri de Montesquiou. ... ce qui serait suffisant pour sauver de la faim 100 millions à 150 millions de personnes.
Cette projection est confirmée par les experts de l’International Center for research on women, pour qui faciliter l’accès au crédit aux femmes générera un grand nombre d’entreprises et d’emplois. J’en suis convaincu, les femmes se montrent des entrepreneurs plus responsables et plus efficaces, madame Bouchoux, puisqu’elles remboursent quasiment toutes l’intégralité de leur prêt. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. Malheureusement, une grande partie de leurs projets est fragilisée pour la simple raison qu’elles ont un très faible accès à l’éducation et à la formation et un accès très limité aux services financiers.
La France et l’Union européenne ont un rôle très important à jouer dans la lutte contre la discrimination envers les femmes et dans la promotion de l’éducation, clef de la réussite de la plupart des projets de développement.
M. André Gattolin. Tout à fait.
M. Aymeri de Montesquiou. Hélas, ces trois dernières années, on constate une stagnation du nombre d’enfants scolarisés.
Soyons convaincus qu’une institutionnalisation des structures de microcrédit permettrait de combler l’absence d’un système bancaire stable dans de nombreux pays. Gardons à l’esprit que le microcrédit, concept encore innovant et indispensable, ne peut se substituer aux investissements massifs dans l’éducation et la santé, eux seuls pouvant lever les obstacles économiques et politiques qui entravent la réussite des bénéficiaires des prêts.
M. Yvon Collin. Absolument.
M. Aymeri de Montesquiou. Une autre piste complétant l’aide publique au développement est constituée par les financements innovants, qui reposent sur le principe de l’implication des pays bénéficiaires dans les stratégies de mobilisation de financement pour le développement.
La France, secrétaire permanent du Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement rassemblant une soixantaine de pays, des organisations régionales, des institutions internationales, des ONG, est une force motrice en la matière. La taxe sur les billets d’avion, la taxe sur les transactions financières permettent de lever des fonds significatifs. Je me contenterai de citer cet exemple probant : les partenariats contractuels entre donateurs et entreprises pharmaceutiques appelés « garanties d’achat futur » pallient les défaillances du marché des médicaments.
Monsieur le ministre, vous avez appelé à une mobilisation internationale pour ces financements lors de la 11e session plénière du Groupe pilote le 6 février dernier à Helsinki et, en lien avec la présidence finlandaise, vous avez défini des plans d’action ambitieux et emportant l’adhésion.
Le monde en développement représente 85 % de la population mondiale mais une très faible part du PNB de la planète, bien que la coopération Sud-Sud s’accentue et que les investissements du Sud dans les pays du Nord augmentent.
L’Agence française de développement elle-même diversifie ses domaines d’action et propose des prêts. Il est d’ailleurs absurde, dans un souci de bonne gestion et au regard du seul bon sens, d’octroyer des subventions à des pays émergents comme la Chine ou l’Inde, qui sont des pays concurrents à la croissance très forte et qui n’ont pas besoin de cet appui.
L’ambiance des conférences économiques internationales est révélatrice de l’évolution des esprits, les pays du Nord se morfondant sur leur situation économique, les pays du Sud voyant l’avenir s’ouvrir devant eux.
La physionomie du monde change, comme l’état d’esprit des populations. Le président tunisien Marzouki soulignait ainsi que les relations inégales seront de moins en moins acceptées par les nouvelles générations.
L’axe Nord-Sud reste-t-il aujourd’hui le plus pertinent ? La population mondiale atteindra près de 8 milliards en 2025 avec une croissance démographique très élevée en Afrique sub-saharienne, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Amérique latine et en Asie. En 2025, l’Europe constituera seulement 6 % de la population mondiale. J’ajoute que, dans les pays émergents, la population sera jeune, contrairement à celle des pays développés.
Créer une quantité suffisante d’emplois pour répondre à cette évolution démographique sera un défi majeur pour les pays du Sud et contribuera à éviter un potentiel conflit Nord-Sud. Ces pays devront absolument résoudre leurs problèmes de gouvernance économique et politique et améliorer leurs infrastructures afin de créer un environnement propice à l’investissement. La France, qui dispose d’un grand savoir-faire dans les domaines du transport, de l’énergie et de l’eau peut y jouer un rôle fondamental.
Ayons toujours à l’esprit que la prospérité économique est la seule arme efficace contre la propagation de l’extrémisme, qui plonge ses racines dans la désespérance.
M. Yvon Collin. Il a raison !
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, les Assises du développement et de la solidarité internationale que vous pilotez vont se conclure dans quelques jours. Je suis convaincu que les axes de votre politique de développement seront ambitieux et innovants. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à remercier M. le ministre pour l’organisation des Assises du développement et de la solidarité internationale, auxquelles j’ai la chance de participer. Les tables rondes qui rythment cette concertation permettront, j’en suis certain, de dégager des pistes pour rendre plus efficace, plus transparente et plus cohérente la politique d’aide au développement.
Aujourd’hui, je me réjouis de ce débat sur les relations Nord-Sud, organisé à la demande de nos amis écologistes. C’est pour moi l’occasion de revenir sur les engagements financiers de la France en matière d’aide publique au développement, des moyens que j’aurais dû commenter au mois de décembre dernier, en ma qualité de rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement. » Toutefois, vous connaissez le sort qui a été réservé, au Sénat, à la seconde partie du projet de loi de finances pour 2013, ce qui a eu pour conséquence de nous priver de l’examen des différentes missions budgétaires.
Je n’insisterai toutefois pas sur le passé : en matière de développement, il est intrinsèquement question d’avenir, de la promesse d’un avenir meilleur pour plus d’un milliard d’hommes, de femmes et d’enfants plongés dans une grande pauvreté.
Comment notre pays apporte-t-il sa contribution au grand défi du développement ? Pour répondre à cette question, nous disposons de nombreux outils. La France a la particularité de combiner des instruments financiers à long terme, par le biais de l’Agence française de développement, l’AFD – une institution que les Anglais veulent copier –, et des aides plus traditionnelles.
Pour les mettre en œuvre, l’État mobilise des moyens qui se révèlent de plus en plus contraints, alors qu’il faudrait au contraire les renforcer dans la perspective des fameux objectifs du Millénaire pour le développement.
Nous affectons en effet seulement 0,46 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement, alors que la conférence de l’ONU de Monterrey, en 2002, préconisait d’y consacrer 0,7 %. Ces moyens sont par ailleurs en stagnation, ce que vous devez être le premier à regretter, monsieur le ministre.
La France s’était engagée sur ce taux, mais il semble aujourd’hui loin de notre portée, tout particulièrement dans le contexte économique actuel.
Ce repli s’explique essentiellement par les contraintes budgétaires qui pèsent sur nos finances publiques, mais aussi – c’est une mince consolation – sur celles de nombreux autres États membres du Comité d’aide au développement, le CAD. Par exemple, les contributions de l’Espagne, de la Grèce et du Japon, en dollars constants, ont baissé respectivement de 32,7 %, 39,3 % et 10,8 %.
On peut comprendre ces restrictions. Toutefois, d’autres pays considèrent que la crise ne doit pas nous écarter de nos responsabilités à l’égard des pays du Sud. Je pense en particulier au Royaume-Uni, qui consacre actuellement 0,56 % de son revenu national brut à l’APD. Il est ainsi, au sein du CAD, le troisième pays contributeur, après les États-Unis et l’Allemagne, la France se situant au quatrième rang, ce qui n’est pas si mal, il faut le reconnaître, monsieur le ministre.
Avec quelques-uns de mes collègues rapporteurs, nous nous sommes rendus à Londres le 5 février dernier pour y rencontrer nos homologues britanniques. À cette occasion, nous avons bien entendu le message de Lynne Featherstone, ministre déléguée au développement international de Sa Gracieuse Majesté. Elle a rappelé, lors de l’entretien qu’elle nous a accordé, qu’il existait dans son pays un fort consensus populaire, malgré la crise économique, pour atteindre l’objectif de 0,7 % du revenu national brut.
Les Anglais considèrent en effet que l’interdépendance des États nous oblige à redoubler d’efforts, quelle que soit la conjoncture économique mondiale. Suivons cet exemple et rappelons-nous aussi celui qui avait été donné par le président François Mitterrand. Lors de la conférence des Nations unies de 1981, il avait déclaré : « Aider le tiers monde, c’est s’aider soi-même à sortir de la crise ». Et il avait ajouté : « Qui pense encore à la croissance harmonieuse d’une moitié du monde sans se préoccuper de l’autre ? »
Monsieur le ministre, parce que l’enjeu du développement, c’est aussi celui d’une paix partagée, je crois utile de rappeler cette ligne qui doit être notre horizon : renforcer notre soutien aux pays du Sud, si possible par une aide bilatérale qui, selon moi, est plus éclairante quant au rôle de la France dans le monde. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une histoire brève du développement économique de la planète comporterait trois récits : celui de son incroyable accélération au Nord, à partir du XIXe siècle, avec la révolution industrielle ; celui de son basculement du Nord vers le Sud à la fin du XXe siècle, avec la crise économique au Nord et l’essor des pays émergents au Sud ; enfin, celui de la remise en cause de nos modèles de croissance au début du XXIe siècle, avec la diminution des ressources naturelles et les défis climatiques.
Dans ce contexte, les relations entre le Nord et le Sud de la planète subissent actuellement quatre mutations majeures.
L’inversion des pôles de croissance entre le Nord et le Sud, qui a débuté après le premier choc pétrolier, est la première d’entre elles.
En 2011, pour la première fois dans l’histoire, les économies du sud de la planète auront contribué plus que le Nord à la croissance mondiale.
La bonne nouvelle, c’est que la pauvreté recule ; la mauvaise nouvelle, c’est que nous reculons aussi. À ce rythme, l’Asie représentera, d’ici 25 ans, 60 % de l’économie mondiale. La part de l’Europe diminuera de moitié, pour descendre à 7 % du PIB mondial, quand celle de l’Afrique atteindra 12 %. Voilà le monde nouveau qui nous attend.
C’est la revanche du Sud, la fin du monopole occidental sur l’Histoire. C’est aussi un bouleversement qui a permis à des centaines de millions d’habitants du sud de la planète de sortir de la pauvreté. Pensez que, de 1980 à 2005, la proportion de la population mondiale vivant avec moins de 1 dollar a diminué de moitié dans le monde. La santé, elle aussi, a progressé de façon spectaculaire. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a diminué de plus de 80 %. L’aide au développement a bien évidemment joué un rôle essentiel dans ce résultat.
Hélas, ces progrès ont des limites : un milliard d’êtres humains vivent encore aujourd’hui avec moins de 1 dollar par jour ; un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau ; 900 millions de personnes souffrent de malnutrition. Ces limites se trouvent encore aujourd’hui essentiellement dans une Afrique qui comprend trente et un des trente-cinq pays les plus pauvres de la planète.
L’écart entre ces pays et le reste du monde se creuse, c’est là le deuxième phénomène majeur de ce début de siècle.
Il est vrai que l’Afrique au XXIe siècle est l’un des principaux réservoirs de croissance économique, avec la plus importante réserve de ressources naturelles et le plus grand marché en devenir. Il y a certes une Afrique, notamment anglophone, qui décolle, mais cette Afrique-là côtoie un continent de la misère et de l’inégalité, une Afrique sans eau courante, ni électricité, à l’agriculture soumise aux aléas du climat et des cours des matières premières, des territoires immenses qui, à l’image du Sahel, ont été désertés par des administrations impuissantes à en assurer le développement.
Le Mali, où nos militaires conduisent de façon exemplaire une opération périlleuse, nous montre que le terrorisme prospère dans des pays que le développement a déserté, où les structures étatiques sont exsangues et la jeunesse désespérée, livrée au fanatisme et aux trafics de toutes sortes. Cette dérive menace nos sociétés, mais détruit plus de vies encore au Sud, au Mali, en Somalie, en Afghanistan et en Irak.
C’est pour cette raison que la lutte contre le sous-développement constitue un instrument stratégique, une contribution majeure, avec notre diplomatie et notre défense, à un monde plus sûr.
La politique de développement est un outil de prévention des conflits qui se révèle en définitive peu coûteux par comparaison avec une intervention militaire. Nous en faisons l’expérience en ce moment même : alors que, en dix ans, nous avons dépensé moins de 200 millions d’euros de subventions pour le développement du Mali, l’opération militaire que nous conduisons actuellement dans ce pays coûtera, selon toute probabilité, 400 millions d’euros environ.
Le troisième phénomène est tout aussi inquiétant : c’est la délocalisation des emplois industriels du Nord vers les pays du Sud. On assiste depuis dix ans à une évolution dont on n’a pas encore mesuré les conséquences : le doublement de la population active à l’échelle mondiale.
La population active représente désormais 64 % de l’humanité, une proportion qu’elle n’a jamais connue et qu’elle ne connaîtra probablement plus jamais, contrainte par le vieillissement de la planète.
Cette croissance démographique, alliée à la mondialisation, à l’ouverture des marchés et à la montée en puissance des pays émergents, a conduit à la multiplication par deux de la population active sur le marché international du travail, et cela en une seule décennie.
D’environ 1,3 milliard d’actifs à la fin des années quatre-vingt, l’humanité a dépassé les trois milliards d’actifs dans les années deux mille.
Les conséquences sont extrêmement lourdes. Dans un marché unifié, nous assistons à une mise en concurrence des systèmes sociaux, dont les industries des pays occidentaux sont les grandes perdantes. Nous le constatons tous les jours. Les Américains ont perdu, depuis 1995, quelque 25 % de leurs emplois industriels. En Europe, nous en avons perdu 8 %, mais ce n’est, hélas, qu’un début. Tant que le niveau des salaires et des systèmes sociaux du Sud ne rejoindra pas le niveau des pays développés, nous connaîtrons des vagues successives de délocalisations.
Or l’abondance de la main-d’œuvre au Sud va rendre le processus lent et sans doute douloureux. C’est l’enjeu de la question sociale globale qui est posé à notre planète, mais aussi celui de la survie de notre propre modèle social.
Face à cette explosion démographique, les ressources naturelles s’épuisent : c’est notre quatrième défi.
L’ère de l’infini touche à sa fin. Les 5 milliards d’habitants des pays du Sud arrivent au grand banquet de l’humanité à l’heure de la pénurie. Le modèle économique dominant, fondé sur les hydrocarbures, est non plus la solution, mais bien le problème.
L’urgence, la gravité, la complexité des crises et des menaces nous obligent à trouver au Nord comme au Sud des modes de développement soutenables, compatibles avec des ressources naturelles plus rares et la préservation de la planète.
En définitive, la question n’est donc pas celle du Nord et du Sud, quoique le présent débat nous invite à y réfléchir, mais celle de la cohabitation de trois types de populations, auxquels sont associées trois interrogations majeures.
D’un côté, les 4 milliards d’habitants du Sud émergent, qui aspirent légitimement à rattraper notre niveau de vie : comment peuvent-ils tirer la croissance mondiale sans épuiser les ressources naturelles de la planète ?
De l’autre, le milliard d’êtres humains qui vivent encore dans la misère, en Afrique et ailleurs : comment les aider à en sortir, alors qu’ils sont plus que jamais soumis aux aléas climatiques et aux variations subites des marchés mondiaux ?
Entre les deux, le milliard de personnes qui vivent dans les pays développés, dont nous sommes, et dont les économies, à l’image de celle de la France, sont aujourd’hui en difficulté : comment enrayer la crise et préserver leur modèle social dans un marché mondialisé ?
Voilà, me semble-t-il, les trois défis d’une politique de coopération internationale ambitieuse.
Il ne s’agit plus seulement de construire des puits dans le désert. Il s’agit de contribuer, avec nos partenaires du Sud et du Nord, à une mondialisation maîtrisée. C’est tout le sens d’une politique de coopération rénovée.
Somme-nous à la hauteur de ces enjeux, monsieur le ministre ? Pour ma part, je vous le concède, ceux-ci ne sont plus à la mesure d’un État, fût-il la France.
Pour lutter contre le réchauffement climatique, promouvoir un filet de sécurité sociale minimal et œuvrer en faveur de la sécurité alimentaire, il nous faut trouver des soutiens, constituer des coalitions d’acteurs au G 20, aux Nations unies, à la Banque mondiale et dans toutes les instances internationales pertinentes.
Le président Nicolas Sarkozy, avec l’aide de notre collègue Henri de Raincourt, dont je tiens ici à saluer l’action à la tête du ministère de la coopération, avait, au sommet de Cannes, fait émerger ces thèmes en haut de l’agenda international. Je n’ai pas toujours l’impression que nous connaissions à l’heure actuelle le même succès.
Il nous faut aussi, bien sûr, prioritairement mobiliser l’Europe. C’est en effet l’échelon de coopération le plus pertinent, et vous le savez. Il nous faut une politique européenne ambitieuse, coordonnée, volontariste. Or nous investissons des sommes considérables dans les instruments communautaires sans avoir toujours l’impression qu’elles soient bien utilisées.
Je sais que des expérimentations en matière de programmation conjointe sont en cours à l’échelon européen, mais tout cela progresse trop lentement par rapport aux enjeux. Le Sahel sera à cet égard un test pour savoir si l’Europe viendra enfin relayer la coopération française.
Les plus fervents soutiens de l’idée européenne se lassent de ne pas voir émerger au Sahel, comme ailleurs, une Europe du développement, une Europe de la défense, une Europe tout court !