M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du RDSE. – Des sénateurs imitent le hurlement du loup.)
M. Jean-Vincent Placé. J’entends déjà hurler les loups ! (Sourires.)
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’interviens sur ce sujet avec un grand intérêt, du fait de ma sensibilité d’écologiste bien sûr, mais aussi parce qu’il est très rare de débattre, dans cette enceinte, de la situation d’une espèce naturelle, qui plus est, d’une espèce quasiment mythique comme le loup. Une telle occasion est aussi rare que le loup lui-même !
Traquée et exterminée, cette espèce autrefois présente dans tout l’hémisphère nord, a fini par disparaître de notre territoire dans les années trente. Puis, protégé par la convention de Berne et par la directive européenne « Habitats, faune, flore », le loup est revenu naturellement dans notre pays en 1992. Sa population, estimée aujourd’hui à 250 individus, s’étend sur toutes les Alpes et commence à refaire son apparition dans la partie est des Pyrénées, dans le Massif central, le Jura et les Vosges.
M. Jean Desessard. Merci pour ce rappel !
M. Jean-Vincent Placé. Il n’est pas encore à Paris, mon cher collègue ! (Sourires.)
Oui, mes chers collègues, le loup est en phase de recolonisation naturelle, mais il n’est encore revenu que sur 0,5 % de son aire de répartition originelle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Ce sont les statistiques !
Le retour du loup dans nos territoires est une bonne nouvelle : il reflète un enrichissement de la biodiversité, qui est une ressource vitale dont nous, humains, dépendons de multiples façons.
Le loup, prédateur naturel, qui capture ses proies naturelles, empêche, par exemple, la concentration des grands ongulés sauvages, qui compromettent la régénération naturelle de la forêt et les jeunes plantations, les chasseurs eux-mêmes le concèdent.
M. Jean-Louis Carrère. Pas dans les Landes !
M. Jean-Vincent Placé. Il élimine les individus faibles ou malades, empêchant la propagation des maladies, ainsi que les chiens errants. (Exclamations sur les travées de l'UMP. ― M. Alain Bertrand s’esclaffe.)
Conscients de la nécessité de préserver la diversité biologique ou, du moins, d’enrayer son érosion, nous nous sommes dotés aux niveaux international, européen et national de toute une batterie de textes.
Au niveau international, la protection de la biodiversité bénéficie aujourd’hui d’une véritable dynamique. Nous nous réjouissons, madame la ministre, que les services de votre ministère préparent une grande loi sur ce sujet.
M. Alain Bertrand. Elle ne l’a pas dit !
M. Jean-Vincent Placé. Les représentants des pays occidentaux sont toujours prompts à faire de grands discours généreux sur la protection des espèces dans les pays où existe encore une faune sauvage ― et dans lesquels on se rend pour faire des safaris-photos ! ―, mais ils sont les premiers à dire que de telles mesures sont trop difficiles à mettre en place chez nous !
La réponse que la France apportera à la problématique de la présence du loup sera analysée dans les négociations internationales en cours. Elle reflètera la manière dont est porté le discours sur la biodiversité. Il s’agit donc d’un sujet extrêmement important sur le fond.
La France n’est pas n’importe quel pays, aime à rappeler le Président de la République. C’est particulièrement vrai en matière de biodiversité !
Le loup est une sorte de Janus de nos montagnes.
D’un côté, il fascine, comme on peut le constater. Il constitue un vecteur d’image sur la qualité des milieux naturels, support d’un tourisme respectueux de la nature. N’oublions pas le poids économique du tourisme dans notre pays, ni le rôle essentiel qu’il joue pour l’activité des territoires de montagne !
De l’autre, ne nous voilons pas la face, le loup est l’objet de peurs ancestrales, alimentées par des récits terrifiants transmis de génération en génération.
M. Jean Desessard. La bête du Gévaudan !
M. Jean-Vincent Placé. La « peur du loup » de notre enfance – pour certains d’entre nous ! – s’est probablement transformée chez les adultes que nous sommes en une crainte disproportionnée, au regard du danger et des dégâts réels occasionnés par le loup.
M. Jean-Louis Carrère. N’est pas chaperon rouge qui veut ! (Sourires.)
M. Jean-Vincent Placé. Car, enfin, de quels dégâts parle-t-on ?
Sans minimiser les dégâts causés par le loup, reprenons les chiffres. Je vous ai écoutés, mes chers collègues, et je partage les propos du rapporteur et de notre collègue Alain Bertrand.
En 2012, ont été dénombrées 4 920 attaques imputées au loup ou, plutôt, pour lesquelles la responsabilité du loup…
M. Jean Desessard. N’est pas écartée !
M. Jean-Vincent Placé. … n’est pas exclue, en effet !
Cela signifie qu’un doute subsiste quant à la cause de certains de ces décès.
Le cheptel ovin s’élevait, en France, à 7,6 millions de têtes environ, dont 700 000 individus vivant dans les zones concernées par la présence des loups. Un décompte sans vidéosurveillance bien sûr ! (Sourires.)
Cela signifie que, en 2012, 0,6 % des ovins présents dans les zones de vie des loups sont peut-être morts du fait d’un loup, soit 0,06 % des ovins de France.
M. Alain Bertrand. La gestion des territoires, ce n’est pas des mathématiques !
M. Jean-Vincent Placé. Il est donc inutile de préciser que le loup est une cause infime de mortalité des bêtes et qu’il n’est pas le principal problème de la filière agropastorale dans notre pays.
M. Alain Bertrand. N’importe quoi !
M. Jean-Louis Carrère. Certes, il y a aussi l’ours !
M. Jean-Vincent Placé. Eu égard aux chiffres que je viens de citer, je considère que vous faites du loup un bouc émissaire des difficultés de la filière pastorale ! (Exclamations.)
M. Jean-Louis Carrère. D’autres font de même avec l’ortolan !
M. Jean-Vincent Placé. Or, vous le savez depuis L’Ecclésiaste, le bouc émissaire est innocent ! (Exclamations.)
Certes, il est plus facile de s’en prendre aux canidés qu’aux mécanismes du commerce international (Exclamations sur les travées de l'UMP.), qui, en trente ans, ont fait chuter de moitié les cours de la viande ovine (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.), ou aux mécanismes compensatoires de la PAC qui l’ont défavorisée par rapport aux autres productions d’élevage. Telle est la réalité ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Bertrand. Et le bon sens, cela existe !
M. Jean-Vincent Placé. La filière se porte très mal et les deux tiers du revenu des éleveurs proviennent…
Un sénateur du groupe UMP. C’est caricatural !
M. Jean-Vincent Placé. Je constate que le débat est passionné ! J’ai voulu qu’il en soit ainsi : qui sème le vent récolte la tempête !
M. Alain Bertrand. Il fallait écouter ce que nous avons dit auparavant ! Vous ne pouvez pas faire des effets de manche sans tenir compte de ce qu’ont déjà dit vos collègues !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez M. Placé s’exprimer !
M. François Fortassin. Il confond politique et music-hall ! (Sourires.)
M. Jean-Vincent Placé. C’est un hommage du vice à la vertu !
La filière se porte très mal, disais-je, et les deux tiers du revenu des éleveurs proviennent des subventions publiques. Cette situation est insupportable et mérite d’être traitée en urgence.
Certes, il est indéniable que les éleveurs sont en difficulté, et je profite de l’occasion qui m’est ici donnée pour les assurer du soutien des écologistes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Bailly. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est un éleveur !
M. Jean-Vincent Placé. Mais c’est un leurre, voire un mensonge, de croire que nous résoudrons les difficultés de l’élevage en nous en prenant aux loups ! Le problème est bien plus vaste.
En réalité, cette proposition de loi n’apporte aucune réponse à ces problèmes complexes.
Pour améliorer la situation, il nous faut organiser la cohabitation entre les hommes, leurs activités et les loups. À proportion égale, les loups mangent deux fois plus de brebis en France qu’en Suisse !
M. Henri de Raincourt. Deux fois plus que les hommes ?...
M. Jean-Vincent Placé. Des solutions existent donc.
À cet égard, la concertation ouverte par Mme la ministre – je me félicite du discours très équilibré qu’elle a prononcé ! –, qui rendra ses conclusions, la semaine prochaine – peut-être aurions-nous pu différer notre débat de quelques jours ! –…
M. Alain Bertrand. Ce texte reviendra au Sénat en deuxième lecture !
M. Jean-Vincent Placé. … seront, j’en suis certain, éclairantes sur ce sujet.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, tirer sur les loups ne nous semble pas une solution optimale…
M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas employé ce terme !
M. Jean-Vincent Placé. … pour protéger les activités agropastorales de notre pays.
Pour les raisons que j’ai exposées dans ce débat tout à la fois passionné, franc, sincère et, en réalité, plutôt calme, le groupe écologiste votera bien entendu contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Madame la ministre, c’est avec une certaine gravité que je m’adresse à vous tant ce sujet révèle un véritable problème de société.
M. Jean-Louis Carrère. Au moins, on ne pourra pas soupçonner notre collègue d’être anti-européen !
M. Pierre Bernard-Reymond. Quelle conception se fait-on du travail des hommes ? Quel respect leur accorde-t-on ? Quelles relations notre nation est-elle capable d’établir entre des cultures et des modes de vie différents qui coexistent sur notre territoire ? Peut-on prendre le risque de voir s’agrandir encore la fracture entre le monde urbain et le monde rural ?
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Pierre Bernard-Reymond. La présence de plus en plus nombreuse de loups dans les alpages confronte les éleveurs d’ovins, et parfois de bovins, à une situation de plus en plus insupportable.
Les attaques du loup occasionnent de nombreuses pertes et obligent les éleveurs à adopter des modes de garde très contraignants, tandis qu’ils s’inquiètent du danger potentiel que représentent les chiens de garde spécialisés, les fameux « patous », pour les touristes qui fréquentent les alpages.
Il faut avoir été le témoin de la détresse d’une famille d’éleveurs dont le troupeau vient d’être décimé par les loups pour comprendre que, au-delà du grave problème économique, se posent également des questions de dignité, d’affectivité, d’incompréhension, de révolte.
M. Claude Domeizel. Absolument !
M. Pierre Bernard-Reymond. Celui ou celle qui a choisi cette profession comme gagne-pain, mais aussi comme mode de vie, qui passe ses journées, et parfois ses nuits au moment de l’agnelage, au milieu du troupeau, qui suit chaque bête de la naissance à la mort, ne peut pas comprendre que lui soit refusé, pour son troupeau, le droit systématique à la légitime défense. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
Comment, par ailleurs, parler de bien-être animal en acceptant par avance qu’en moins d’une heure des dizaines de moutons puissent être égorgés par des loups ? Le contraire ne s’est jamais produit, comme disait Jean de La Fontaine !
Il faut n’avoir vu le loup que sur les pages glacées des magazines ou ne le concevoir que comme sujet d’aimables conversations de salon dans les dîners en ville, pour ne pas rechercher un nouvel équilibre.
Si la présence du loup est généralement acceptable et souhaitable sur le territoire national,…
M. Jean-Louis Carrère. Elle est acceptable pour les bobos, surtout !
M. Pierre Bernard-Reymond. … sa cohabitation dans les alpages avec le mouton, l’agneau, voire le veau, est impossible.
Si la situation qui prévaut aujourd’hui devait perdurer, on assisterait progressivement à l’abandon de l’élevage en montagne et donc à la désertification des alpages.
M. Pierre Hérisson. Et l’écosystème, dans tout cela ?
M. Pierre Bernard-Reymond. Or le maintien d’une population aussi nombreuse que possible en montagne, et particulièrement d’agriculteurs et de pasteurs, est un objectif essentiel en matière d’aménagement et d’entretien du territoire.
Par ailleurs, la déprise agricole présente un bilan écologique négatif. En effet, l’entretien des alpages par les éleveurs est absolument essentiel en montagne. Il préserve de l’envahissement par les broussailles et de la fermeture du paysage par la forêt qui, par ailleurs, ne cesse de progresser.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Pierre Bernard-Reymond. Il prévient les feux de forêt, limite le danger des avalanches et maintient une certaine biodiversité. Il n’est que de voir au mois de juin la profusion florale qu’offrent, à nos yeux, ces terres d’altitude.
Il convient donc, après une phase d’expansion de la présence du loup, de trouver un nouvel équilibre.
La législation, qui a déjà évolué depuis la réapparition du loup en France, en 1992, ne se révèle plus efficiente. C’est ainsi que, en 2009, un seul loup a pu être abattu par les lieutenants de louveterie habilités à cet effet, alors que l’objectif était d’en prélever huit ; le même phénomène s’est reproduit chaque année depuis lors.
M. Pierre Hérisson. Exactement !
M. Pierre Bernard-Reymond. Dans ces conditions, le moment est venu, me semble-t-il, de passer, comme je le réclame depuis plusieurs années, d’une approche quantitative à une approche territoriale. Il s’agit de faire du loup un interdit de séjour dans les zones d’élevage,…
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Pierre Bernard-Reymond. … en donnant aux pasteurs titulaires d’un permis de chasse un droit de légitime défense : le droit de tirer le loup dès lors qu’il se trouve dans des zones d’alpages bien identifiées, lesquelles doivent être sanctuarisées.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Pierre Bernard-Reymond. Je suis persuadé que le loup, animal très intelligent, apprendra assez vite à connaître les zones où un danger existe pour lui et qu’il les évitera.
Évidemment, cette pratique devrait être encadrée, la déclaration de tir effective auprès des autorités compétentes désignées étant obligatoire. Cette politique pourrait aussi être mise en œuvre pour une période d’essai de trois ans, à l’issue de laquelle un bilan serait établi.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, le temps de parole de notre collègue est épuisé !
M. Pierre Bernard-Reymond. Si cette mesure devait ne pas être prise, il nous faudrait en appeler à la solidarité nationale.
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure !
M. Pierre Bernard-Reymond. Je vais conclure, monsieur le président.
Je ne parle pas de solidarité financière, mais d’une solidarité de condition, d’une solidarité d’expérience. Autrement dit, il faudrait étendre la présence du loup aux lieux où il n’est perçu que de façon intellectuelle et théorique. À Paris, par exemple ! On pourrait lâcher quelques meutes au bois de Boulogne, au bois de Vincennes, …
M. le président. Mon cher collègue, vous avez doublé votre temps de parole !
M. Pierre Bernard-Reymond. … et – pourquoi pas ? – au jardin du Luxembourg, avant qu’ils ne s’égarent sur les Champs-Élysées… (Exclamations.) Mais je ne pense pas que la raison du plus fort soit toujours la meilleure, ni que nous serons obligés d’en arriver là sans autre forme de procès…
Toujours est-il que la proposition de loi de notre collègue Alain Bertrand va dans le bon sens et je la voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – MM. Jean-Louis Carrère et Claude Domeizel applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi est examinée dans le cadre d’un espace réservé. Aussi, je demande à chacun de veiller au respect de son temps de parole. Il y va de l’intérêt de tous.
La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez sans peine que le président du groupe d’études de l’élevage que je suis veuille intervenir dans ce débat, et que sa position ne soit pas celle de Mme le ministre.
Si je me suis félicité de l’intitulé de la proposition de loi : « proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour le loup », auquel j’étais très favorable, j’ai estimé, à la lecture de l’article unique, que les expressions « dommages importants » et « perturbation de grande ampleur » minimisaient la portée du texte.
Certes, on peut disserter longuement sur ces termes, et les interprétations peuvent varier beaucoup d’une personne à l’autre. Mon avis sera naturellement très différent de celui d’un sénateur écologiste ; de même, les éleveurs victimes de ces prédateurs n’auront pas la même appréciation que ceux qui privilégient le développement du loup.
Que l’on ne s’y méprenne pas : je ne suis pas hostile au maintien du loup ni à celui des autres prédateurs, tels que l’ours et le lynx. Mais à la condition qu’on en limite le nombre !
Comme de nombreux collègues l’ont souligné, les attaques du loup deviennent de plus en plus insupportables pour les éleveurs des zones de montagne. Bon nombre d’entre eux sont découragés, ce qui a des conséquences graves : l’abandon de pans entiers des alpages et des pâturages laisse place à des friches.
À cet égard, permettez-moi de répondre à nos collègues du groupe écologiste. S’il est vrai que la diminution du nombre des ovins dans notre pays n’est pas uniquement due au loup – il existe un problème économique –, il est évident que les conséquences morales des attaques contre les troupeaux, s’ajoutant aux difficultés économiques des exploitations, conduisent certains éleveurs à abandonner leur activité. Ce problème – important – se greffe à la mauvaise situation économique.
Le mécontentement s’élève de tous nos massifs, de la Méditerranée aux Vosges et des Pyrénées-Orientales au Massif central. Tous les éleveurs se sentent trahis : sous prétexte de biodiversité, on cherche à faire plaisir au mouvement écologique !
Je ne répéterai pas les chiffres des attaques. Mais vous croyez-vous crédible, madame la ministre, lorsque vous demandez aux éleveurs de veiller au bien-être des animaux dans leurs bergeries et leurs écuries, alors qu’on laisse dévorer 5 000 bêtes par an ? Comment parviendrez-vous à leur faire comprendre cela ?
M. Gérard Bailly. Avant vous déjà, les ministres successifs sont restés sourds, ne prenant aucune réelle décision. Faudra-t-il donc attendre qu’un enfant soit attaqué pour que les éleveurs soient enfin entendus ?
M. Jean Desessard. Ce sont les chiens qui attaquent les enfants !
M. Gérard Bailly. Mes chers collègues, j’en suis persuadé : un tel accident se produira !
Certains territoires subissent fréquemment les attaques d’autres prédateurs, comme le lynx. Or non seulement rien n’est fait pour diminuer les effectifs de cet animal, mais on vante même ses mérites, alors qu’il commet des dégâts considérables parmi les jeunes chamois et chevreuils !
Dans le rapport d’information que François Fortassin et moi-même avions rédigé en 2008 sur l’avenir de la filière ovine et que nous avions intitulé : « Revenons à nos moutons : un impératif pour nos territoires et notre pays » (Sourires.), nous avions alors déjà constaté l’étendue des dégâts, qui sont bien plus importants encore aujourd’hui.
Dans mon département, le Jura, j’ai vu pleurer une agricultrice en présence de M. le préfet devant les cadavres de ses quinze animaux morts et le spectacle de ses autres animaux blessés. Depuis, Claire Gadiolet, a vendu ses 240 brebis pour ne pas risquer de revivre un pareil cauchemar.
Voici le discours qu’elle tenait en pleurant, alors qu’on soignait ses bêtes blessées : « Nous sommes des paysans, des gens du pays, si fiers de leur lien avec la terre, cette terre que l’on a sculptée à la sueur de nos fronts et au fil des saisons, et nous sommes des éleveurs. La passion de l’élevage nous unit. Nous avons choisi d’y consacrer nos vies. L’élevage n’est, en effet, pas seulement un métier, mais bien un mode de vie, comme une petite flamme au fond de nos cœurs que l’on ressentait depuis toujours. On voulait être éleveur, alors, dès que l’âge nous l’a permis, on a repris une ferme et un troupeau, et vous voyez le résultat aujourd’hui ! »
Oui, madame le ministre, c’est à cette fille en pleurs, qui a vu ses bêtes mortes, blessées, effarouchées ou avortées, que je songe en cet instant, autant qu’aux loups de nos montagnes ! Ce sont des scènes que vous n’avez pas le droit de laisser se reproduire aussi souvent !
La présente proposition de loi ne doit pas être un faux-semblant, pour se donner bonne conscience en parlant de « perturbation de grande ampleur ». Il faut aller plus loin.
Je le répète, le nombre de loups doit absolument diminuer de manière significative sur nos territoires, ce qui, du reste, n’empêchera pas la conservation de l’espèce. Dans le Jura, si rien n’est fait, les mêmes problèmes se poseront avec le lynx, dont la présence progresse à grande allure.
Madame le ministre, j’aurai prochainement l’occasion de vous interroger sur le coût des prédateurs – un sujet que j’ai déjà abordé dans une question orale. À la vérité, ce coût est inestimable, car il faut prendre en compte, outre le personnel chargé de la protection des prédateurs et les indemnités versées, les conséquences de l’abandon de l’élevage dans certains secteurs de nos massifs : les moutons seront remplacés par l’herbe sèche, ce qui favorisera les incendies dans les régions du sud et les avalanches dans les zones de montagne.
Mes chers collègues, en tant que président du groupe d’études de l’élevage, je tiens à vous communiquer quelques chiffres pour vous alerter.
Alors qu’il y avait 12 840 000 têtes d’ovins dans notre pays en 1980, il n’y en avait plus que 8 490 000 en 2006 – les chiffres ont continué à diminuer de manière significative ! –, 7 959 000 en 2011, pour atteindre 7 600 000 en 2012. Nous perdons chaque année 300 000 ovins ! S’il existe bien une crise ovine, il faut aussi, je le répète, prendre en considération l’aspect moral de la question.
Est-il normal que nous importions environ 55 % de la viande ovine que nous consommons, alors que la France compte tant de pâtures et d’alpages ?
Il est incompréhensible qu’à la situation dégradée de la filière ovine s’ajoute le découragement des éleveurs, auxquels la nécessité de protéger les troupeaux impose un surcroît de travail important. En effet, de longs déplacements sont nécessaires pour mettre les moutons à l’abri le soir. Quant aux chiens patous, ils rendent des services, mais ils peuvent aussi provoquer des désagréments pour les promeneurs.
Je poursuivrai mon combat tant que des mesures plus coercitives ne seront pas prises à l’encontre de ces prédateurs. Dans le Jura, qu’a-t-on trouvé pour les lynx ? Des tirs d’effarouchement ? Un gadget ! Résultat, ils se déplacent ailleurs.
Madame le ministre, vous m’avez attristé en vous déclarant hostile, au nom du Gouvernement, à la proposition de loi. Quelle en est la raison ? Mettez-vous donc à la place des éleveurs !
M. Gérard Bailly. Un éleveur aime ses bêtes, sinon il n’en est pas un ! Il nourrit ses moutons, les soigne et aide à la naissance des agneaux ; en un mot, il les aime. Il souffre à la vue de leurs souffrances, celle, par exemple, qu’illustre cette photo de l’Association nationale des élus de la montagne. (M. Gérard Bailly brandit la photo.)
Mes chers collègues, songez que 5 000 moutons meurent chaque année dans des conditions déplorables ! Voulez-vous que cela continue ainsi ? Pour ma part, j’estime qu’un mouton a autant droit à la vie qu’un loup ; un agneau, je l’aime autant qu’un loup ! (M. Alain Bertrand acquiesce.) Je veux que vous le compreniez !
Mes chers collègues, pour éviter qu’un tel massacre de la production ovine ne perdure, votons cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, dans l’espoir d’aller plus loin demain. Les éleveurs attendent votre décision : pourquoi nous priver d’une telle ambition ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer les propos enthousiastes, mesurés et frappés au coin du bon sens de mes excellents collègues Alain Bertrand et Stéphane Mazars.
De votre intervention, madame la ministre, outre votre un débit oratoire rapide, présentant quelque intérêt (Sourires.), j’ai retenu que vous aviez dit que le plan loup était très intelligent.
M. Pierre Hérisson. Il est inefficace !
M. Jean Desessard. C’est le loup qui est intelligent !
M. François Fortassin. Ce propos peut laisser penser que ceux qui n’y sont pas très favorables seraient beaucoup moins intelligents ! La République nous a parfois habitués à un peu plus de délicatesse mais, enfin, ce n’est pas très grave…
Je voterai cette proposition de loi, pour des raisons historiques d’abord.
En effet, il ne faut jamais oublier que des générations entières, dans nos campagnes, ont vécu pendant des siècles avec la peur au ventre…
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. François Fortassin. … et la crainte permanente du prédateur. À ce propos, permettez-moi de vous livrer deux témoignages.
Le premier, qui remonte à ma jeunesse, est celui d’un homme qui n’avait pas vingt ans au début du XXe siècle. S’étant trouvé aux prises avec une meute de loups qui jouaient autour de lui, il n’avait dû son salut qu’à la présence providentielle d’un âne qui, en se mettant à braire très bruyamment, avait effarouché les loups. Seulement, cet homme était resté enloubit, comme l’on dit en gascon, c’est-à-dire hanté par les loups.
Au soir de sa vie, il m’a confié qu’il avait beau avoir connu les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, notamment ceux de Verdun où il avait perdu un bras, ses traumatismes et ses cauchemars en relation avec le loup étaient beaucoup plus douloureux que ses souvenirs dramatiques de la Grande guerre. Méditons ce cas !
Mon second témoignage est beaucoup plus récent. Sur l’invitation de notre ancien collègue Thierry Repentin, actuellement ministre, le président Bailly et moi-même sommes allés en Savoie, où une meute de loups avait tué un chien patou et précipité dans un ravin 1 480 brebis, dont plus de la moitié avaient dû être euthanasiées dans des conditions très difficiles. Un tel drame ne peut pas être passé par pertes et profits !
M. Jean Desessard. Faudrait-il arrêter de conduire parce qu’il y a des accidents de la route ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. François Fortassin. Le deuxième motif qui me conduit à soutenir la proposition de loi tient à la défense du pastoralisme.
Pourquoi défendre le pastoralisme ? D’abord, pour des raisons économiques et sociales.
Le pastoralisme est, dans notre pays, le gagne-pain d’un certain nombre d’éleveurs, qui de surcroît produisent des denrées de qualité.
Ensuite, pour des raisons affectives.
S’occuper d’un troupeau, comme l’a très bien expliqué Alain Bertrand, prend du temps. Un lien affectif se crée entre l’éleveur et ses bêtes. Vous pouvez indemniser autant que vous voudrez, vous ne réparerez pas la perte affective de l’éleveur qui voit ses moutons massacrés ! (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)