M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le travail réalisé par la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement est colossal.
Notre présidente, Sophie Primas, et notre rapporteur, Nicole Bonnefoy, en ont fait une présentation très complète, en montrant l’ensemble des problématiques liées à l’usage des pesticides, en particulier leurs effets sur la santé des utilisateurs directs et des personnes proches exposées.
Devant l’ampleur du sujet, la mission a dû laisser de côté d’autres effets négatifs des pesticides, notamment la présence de résidus dans l’alimentation humaine ou les impacts sur l’environnement. Et, pour avoir lu différents avis et études, je pense tout particulièrement aux effets des insecticides sur les insectes pollinisateurs ; je sais combien ces questions sont étroitement liées. Je réitère ici notre souhait que les autres conséquences de l’usage des pesticides soient soigneusement prises en compte.
Je partage entièrement ce qui a été indiqué par notre rapporteur sur le volet « santé humaine », s’agissant tant des constats que des solutions avancées. Je reviendrai simplement sur quelques aspects de la lutte qui s’engage aujourd’hui, afin de concrétiser la centaine de propositions qui ont été unanimement portées par la mission.
Réduire l’usage des pesticides impose des changements dans les habitudes des exploitants agricoles et dans les modes de production. À ce titre, il est essentiel de réfléchir aux pratiques agronomiques. Des solutions existent. L’INRA a, par exemple, ouvert une expérimentation mettant en parallèle des parcelles cultivées selon des méthodes intensives et des parcelles cultivées sans recours aux herbicides. Elle est arrivée au constat que cultiver sans pesticides, ou presque, sans pour autant faire chuter les rendements n’était pas une fiction.
Ainsi, dans la station expérimentale d’Époisses, en Bourgogne, l’INRA a comparé sur dix ans une parcelle de référence conduite selon les méthodes intensives traditionnelles, travail des sols et traitements herbicides, et cinq autres parcelles cultivées selon différents protocoles de protection intégrée : sans labour, sans désherbage mécanique, etc.
L’expérience montre l’efficacité de la lutte intégrée par un travail raisonné du sol, une adaptation des dates de semis des cultures et une diversification de l’ensemencement des parcelles.
Cependant, le recours aux cultures alternatives pose un problème économique lié aux débouchés commerciaux, qui ne sont pas assurés pour les exploitants. Réduire la dépendance aux pesticides, c’est donc utiliser de nouvelles pratiques agronomiques ou en réutiliser d’anciennes, mais c’est aussi réorganiser les filières et les marchés, pour accompagner la diversification des cultures.
Les débats que nous avons eus ici sur les semences fermières prennent tout leur intérêt dans la volonté de mettre en place une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement. Comme vous le savez, en station mobile de semences de ferme, le mélange de variétés est aisé et pratiqué ; il permet de diminuer significativement le recours aux produits phytosanitaires. Grâce aux sélections et aux échanges qui existent depuis toujours entre les agriculteurs, on obtient des plantes mieux adaptées aux contraintes particulières de leur environnement.
On se rend compte ici de la valeur du patrimoine naturel et du savoir-faire de générations de paysans qui nous ont livré des trésors de connaissances agronomiques.
Pour réduire l’usage des pesticides, il faut également en faire une priorité de la politique agricole commune. Il est nécessaire que la PAC encourage plus fortement, par des soutiens ciblés, à la réduction des pesticides et aux pratiques agronomiques durables, ce qui est l’objectif.
En l’état actuel des discussions, la Commission propose, au titre du « verdissement » du premier pilier de la PAC, d’accorder un paiement additionnel représentant 30 % de l’enveloppe nationale en direction de l’agriculture biologique ou pour les agriculteurs qui respectent de bonnes pratiques : mettre en place 7 % de surfaces d’intérêt écologique dans les exploitations, y compris les haies, les bosquets, les talus, les mares, diversifier les cultures pour favoriser les rotations et maintenir les prairies permanentes.
Or ces exigences ont été assouplies par l’introduction de mesures équivalentes qui ne sont pas vraiment définies à l’heure actuelle. Peut-être pourrez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre. Nous sommes un peu inquiets : jusque-là, la PAC a favorisé une agriculture intensive forte consommatrice de traitements chimiques contre les bioagresseurs.
Réduire les pesticides, c’est se confronter aux intérêts mercantiles de l’industrie chimique. Cela fait déjà plus de quatre ans que le plan Écophyto 2018 est en place, avec un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides. La réduction devrait porter à la fois sur les volumes et sur la toxicité des molécules.
Et pourtant, l’utilisation de produits phytosanitaires reste en hausse : plus 2,6 % en 2011. Les enjeux économiques sont considérables et freinent malheureusement les efforts pour atteindre les objectifs de protection de la santé et de l’environnement.
Je pense ici à l’avis récent de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, qui reconnaît les effets néfastes sur les abeilles de trois matières actives présentes dans des insecticides de la famille des fameux néonicotinoïdes.
Dans le même temps, une publication du Forum Humboldt pour l’alimentation et l’agriculture financée par Bayer CropScience et Syngenta, défend, quant à elle, les néonicotinoïdes. Je cite le rapport : « Sur une période de cinq ans, l’Union européenne pourrait perdre près de 17 milliards d’euros, 50 000 emplois dans l’ensemble de l’économie, et plus d’un million de personnes engagées dans la production arable en souffriraient. » On comprend bien pourquoi les grands groupes de l’agrobusiness tentent d’associer semences et traitements et d’interdire le droit de ressemer sa récolte.
Dans ce contexte, nous sommes particulièrement attachés aux propositions de la mission d’information visant à « éviter le brouillage provoqué par les conflits ou les liens d’intérêts » et à « organiser un contrôle public effectif de l’innocuité des pesticides autorisés ».
Il est essentiel de séparer la prescription et la vente de pesticides et d’assurer des expertises indépendantes, dépourvues de tout lien avec les intérêts privés concernés par les sujets traités. Il est fondamental d’organiser l’effectivité du contrôle public sur les pesticides autorisés et, bien sûr, d’encourager la recherche publique.
À titre d’exemple, la direction de l’environnement du conseil général des Côtes-d’Armor note dans son dernier numéro la présence de deux substances interdites dans nos cours d’eau : le diuron et l’atrazine.
Je voudrais maintenant aborder le volet social, notamment la prise en compte de la protection des travailleurs agricoles.
Premièrement, la reconnaissance des maladies professionnelles en agriculture a pris du retard.
Les maladies professionnelles liées aux pesticides qui sont reconnues dans le régime général devraient l’être dans le régime agricole. Sur ce point, le Gouvernement peut agir très vite : il s’agit simplement de compléter une liste. Peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur ses intentions à ce sujet.
Deuxièmement, il est important d’accorder une attention particulière aux salariés agricoles qui, comme vous le savez, sont très souvent en situation de précarité.
L’exemple costarmoricain des salariés de Triskalia montre bien combien le parcours juridique des victimes d’intoxication est long et difficile.
Force est de constater que, pour 50 %, le travail salarié agricole est du travail saisonnier. Ces salariés sont particulièrement exposés aux pesticides du fait d’une sous-évaluation des risques liés à ces produits, à la non-conformité des machines servant notamment à l’épandage, ou à la vétusté des équipements de protection, quand ils existent. Ils interviennent souvent juste après l’épandage de pesticides, parfois même sous un épandage aérien. Or, comme cela a été souligné pendant les auditions, les études sur la dangerosité montrent que les personnes qui travaillent dans ces conditions sont les plus exposées.
Les salariés agricoles recrutés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et maintenant, de plus en plus, par des sociétés étrangères d’intérim agricoles, sont encore plus fragilisés. D’abord, ils ne connaissent généralement pas leurs droits, car leur éloignement et les modalités d’embauche dans le cadre de l’intérim rendent difficiles les contrôles de l’inspection du travail. Cette pratique « du travail sans travailleur », qui se généralise au nom de la rentabilité, est particulièrement grave en termes d’impact sur la santé
Et comment protéger des salariés qui parfois ne savent pas lire ? C’est un challenge lorsque l’on connaît déjà les lacunes des salariés nationaux en matière d’information. Je pense, ici, par exemple, au document unique d’évaluation des risques pourtant obligatoire, mais souvent inexistant sur les exploitations agricoles !
De plus, comment suivre ces salariés sur le long terme, comment leur assurer une protection sociale ? De quelle prise en charge peuvent-ils bénéficier lorsqu’ils déclarent des années plus tard des maladies professionnelles ?
Enfin, troisièmement, je me réjouis de ce que je considère comme une évolution très positive, au regard des débats qui avaient eu lieu, ici, en décembre 2011, sur le périmètre de l’action de groupe.
En effet, les auteurs du rapport reconnaissent « l’intérêt d’un tel dispositif pour la protection de la santé face aux dangers des pesticides ». C’est pourquoi, forts de ce consensus, nous allons déposer sur ce sujet une proposition de loi qui reprendra le dispositif voté par le Sénat, sur proposition d’ailleurs de notre collègue Nicole Bonnefoy, mais en l’élargissant à des litiges autres que ceux du droit de la consommation ou de la concurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, les travaux de notre mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ont été passionnants.
Je ne rappellerai pas les chiffres illustrant l’importance de notre travail, tout particulièrement celui de la rapporteur de notre mission commune, Nicole Bonnefoy, et de sa présidente, Sophie Primas.
Je tiens à saluer l’ambiance faite d’entente, d’écoute et d’échange dans laquelle nous avons mené nos travaux, qui ont été encadrés par une équipe administrative particulièrement motivée.
Pour les sénateurs de la mission commune d’information, il s’agissait de s’immerger dans un sujet extrêmement technique et vaste pour parvenir ensuite à une analyse partagée de la situation et à des préconisations utiles.
Nous avons donc orienté et concentré notre attention sur les personnes en contact direct avec les substances et produits pesticides, qu’ils soient riverains de l’industrie ou de l’agriculture, épandeurs professionnels, paysagistes, particuliers ou encore salariés des collectivités.
Dans cette intervention, mon but est non pas d’exposer l’ensemble des problèmes relevés ou des recommandations formulées, mais plutôt d’insister sur certains enjeux que j’ai jugés essentiels.
En premier lieu, sur le terrain, nous faisons le constat d’une dépendance aux pesticides encore forte.
Ensuite, nous relevons l’absence, pour le consommateur, de garanties sur la qualité des produits commercialisés et des distorsions de concurrence, intracommunautaire comme extracommunautaire.
Pour finir, il faut mettre en œuvre des outils de prévention : les lanceurs d’alerte et l’action collective.
Tout d’abord, je rappelle que le rapport est le résultat d’un travail engagé sous l’angle de la santé. Il ne fait aucun procès à l’agriculture et ne vise pas à formuler des préconisations sur ce qu’elle doit être.
Beaucoup d’efforts sont réalisés par les agriculteurs depuis plusieurs années pour réduire la dépendance aux pesticides, notamment à travers le plan Écophyto 2018 ou la formation Certiphyto, afin d’atteindre une agriculture toujours plus raisonnée.
Nous avons relevé une évolution vers plus d’agrobiologie soucieuse du soin de la plante et de la terre, et vers une moindre dépendance à l’égard du chimique.
Cet exercice vers la réduction des pesticides reste pourtant difficile ; leur usage est encore culturel !
Chez les consommateurs, des habitudes liées à l’apparence se sont installées ; nous ne souhaitons pas trouver de pucerons dans les salades ni de limaces dans les haricots verts. Il en va de même pour les taches sur les fruits, qui ne sont pas acceptées.
Quand on interroge les agriculteurs qui travaillent pour les grands groupes de transformation alimentaire, nous constatons que les exigences sont extrêmement précises pour la production industrialisée. Les auditions auxquelles nous avons procédé au titre de la mission commune d’information n’ont cessé de nous rappeler ces réalités.
Sur le terrain, les dangers de toutes origines menacent les récoltes. Un insecte ravageur, la drosophile suzukii, apparu l’an dernier, a durement touché les fruits rouges, notamment dans le Lot-et-Garonne, pour les fraises sous serre. Ceux qui ont abandonné le label biologique et sont passés à un traitement chimique ont sauvé leur production, mais, sans insecticide, il était impossible de lutter contre ce parasite émergent.
Autre exemple entendu durant nos travaux, un agriculteur travaillant pour une grande marque commerciale a été obligé d’importer des salades d’Espagne en pleine saison alors que, en matière de lutte contre le puceron de la salade, la réglementation française impose une distinction entre les différents types de salade – laitue, batavia, mâche, etc. –, le reste de l’Union européenne s’en tenant au terme générique de « salade ».
Ainsi, en 2011, la coopérative pour laquelle travaille cet agriculteur a perdu plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires faute d’autorisation d’utiliser des produits de lutte contre le puceron.
Les situations évoquées précédemment illustrent certaines réalités auxquelles font face les producteurs. La réduction des pesticides, vers laquelle nous essayons de tendre en France, est source d’importantes et d’inquiétantes distorsions de concurrence.
Surtout, les disparités dans les législations ne permettent pas, à ce jour, d’apporter des garanties et des informations claires aux consommateurs quant aux produits vendus.
À cet égard, il faut déjà distinguer les disparités que nous rencontrons.
Premièrement, il existe des disparités avec les pays extracommunautaires. Il est inacceptable, par exemple, que l’on puisse importer des légumes qui ont été traités avec des produits interdits dans notre pays et dans l’Union européenne depuis des années ! L’objectif d’interdiction de commercialisation de tels produits agricoles en France doit être fixé. Sans cela, la politique sanitaire nationale n’aura aucun effet et ne pourra pas être lisible.
Deuxièmement, il existe des disparités avec les États membres de l’Union européenne. Depuis l’adoption du « paquet pesticides », nous constatons une très nette amélioration et un encadrement de plus en plus strict au sein de l’Union – ce point a été évoqué par M. le ministre. Cependant, il demeure indispensable de réviser les modalités de coopération transfrontalière intra-européenne, car nos règles sont souvent plus restrictives que la directive et pénalisent donc les producteurs français.
En bref, aujourd’hui, des produits agricoles peuvent être commercialisés en France bien qu’ils aient été traités en amont dans d’autres pays avec des pesticides dont l’utilisation est interdite dans l’Hexagone !
Si rien ne change, on ne trouvera plus sur les étals que des cerises étrangères, parce que nos autorités tardent à homologuer telle ou telle molécule pourtant agréée au niveau européen.
Monsieur le ministre, vous avez été interpellé cet automne sur le problème de la conservation des pommes, qui sont traitées au Portugal avec des produits interdits en France. Or ces pommes se retrouvent sur les étals français. Il y a urgence à harmoniser les procédures d’autorisation de mise sur le marché !
De plus, les producteurs français ne peuvent tirer avantage de leur usage modéré de pesticides. En effet, quand ils font de la publicité collective, réalisée en partie ou en totalité avec des fonds européens, ils n’ont aucunement le droit de mettre en avant leur « label France » et la qualité qui en résulte.
Un autre aspect doit être également renforcé : la coopération transfrontalière en matière de fraude.
Comme il est indiqué dans le rapport, actuellement, « les services voient leur action gênée par la combinaison de deux facteurs distincts : le principe de libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne et l’atonie dont font preuves les autorités du pays où le produit a été fabriqué ».
Le système européen d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, ou « système SARDANE », fondé sur le règlement (CE) n°178/2002 du Parlement européen, peut constituer un exemple à suivre puisqu’il a démontré son utilité en matière de fraudes alimentaires, avec des commissions rogatoires exécutées dans des délais records.
Ces modalités pourraient être appliquées à la lutte contre la fraude à la législation sur les pesticides. Cela nécessiterait, sans doute, l’élaboration d’un nouveau règlement.
Il est un dernier enjeu que j’évoquerai, le renforcement des actions d’encadrement, de régulation et de lutte contre les fraudes de l’usage des produits phytosanitaires grâce à des outils de prévention.
Nous devons veiller à ce que les lanceurs d’alerte, acteurs essentiels pour l’identification des atteintes à la santé, puissent bénéficier d’une protection juridique solide.
Cette protection est, certes, engagée sur le plan international comme en droit français, mais la logique doit désormais être poussée jusqu’à son terme. C’est ainsi que, dans les recommandations du rapport, nous avons préconisé l’adoption d’une loi qui viserait à appliquer à tous les cas d’alerte donnée de bonne foi le dispositif déjà introduit dans la loi relative à la lutte contre la corruption en 2007 et dans la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé en 2011.
Je vois un deuxième outil de prévention dans l’action collective dans le domaine de la santé afin d’obtenir réparation de préjudices matériels, corporels ou moraux.
Ce dispositif permettrait de faciliter l’accès aux actions judiciaires. Bon nombre de victimes hésitent le plus souvent à engager de telles procédures en raison de la complexité des faits à démontrer, du coût des expertises ou encore de la durée du contentieux. L’exemple de M. François illustre cette observation, car il a eu les plus grandes difficultés à apporter les preuves du danger auquel il a été exposé. Il a également eu du mal à prouver les conséquences de cette exposition sur sa santé.
L’action de groupe serait donc un bon outil de prévention. Elle inciterait les industriels à être plus rigoureux quant à l’évaluation et, surtout, au suivi des produits. Elle serait aussi efficace en termes de préconisation sur les modes d’utilisation ou de protection requis par ces substances.
Agissant telle une pression positive, l’action collective serait alors une sorte de « protection publique » qui produirait certainement davantage de résultats préventifs que de contentieux judiciaires.
Comme nous pouvons le constater, le travail effectué au cours de ces derniers mois est transversal. Il touche, entre autres, des problématiques agricoles, scientifiques ou encore juridiques. Mme la ministre a insisté sur ce point.
C’est pourquoi, afin d’établir une expertise complète et indépendante, nous avons appelé de nos vœux la mise en place d’un comité interministériel qui rendrait ses avis publiquement.
Plusieurs ministères sont concernés par le sujet ; il me semble, cependant, qu’en termes d’impact des pesticides le ministère de la santé devrait être le chef de file du dispositif de prévention afin d’impulser une politique plus responsable et plus globale. Comme vous le voyez, madame la ministre, le cœur de la mission penche pour vous ! (Sourires et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, madame la rapporteur, il se trouve qu’aujourd’hui, hasard du calendrier, l’Agence européenne pour l’environnement publie son rapport intitulé Signaux précoces et leçons tardives, qui relève les failles béantes du système de régulation, en Europe comme ailleurs. Les pesticides y sont abordés.
Ce sujet me tient particulièrement à cœur en tant que rapporteur de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les perturbateurs endocriniens, car de nombreux pesticides peuvent entrer dans cette catégorie.
Qu’il me soit permis de féliciter la présidente de la mission, ainsi que Mme la rapporteur, de l’excellent esprit qui a prévalu tout au long de nos travaux.
La question récurrente de l’utilisation des produits phytosanitaires, de leur dissémination dans l’environnement, de leurs effets sur la santé humaine, a pris une acuité particulière en septembre 2007, avec la révélation du désastre économique et sanitaire dans les Antilles françaises en raison de l’usage du chlordécone, un insecticide organochloré utilisé pendant une vingtaine d’années, entre 1972 et 1993, pour détruire les charançons du bananier.
Ce dossier avait provoqué de nombreuses inquiétudes dans l’opinion et suscité des réactions assez vives dans la classe politique. Cela étant, depuis de très nombreuses années déjà, des alertes étaient lancées par les membres de la communauté scientifique et par les associations, sur les dangers potentiels des produits phytosanitaires, alertes qui ont conduit à une véritable prise de conscience. Et je ne parle pas du fameux livre Silent Spring de l’Américaine Rachel Carson, publié en 1962.
En France, cela a été évoqué, le Grenelle de l’environnement, par le plan Écophyto 2018, prévoit de réduire de 50 % la quantité de pesticides utilisés en France. Ce plan, qui a été suffisamment évoqué par les orateurs précédents, place notre pays dans une dynamique vertueuse.
Il faut s’en féliciter, car la France, grand pays agricole, producteur de fruits et de légumes, avec de grandes surfaces de cultures céréalières, betteravières, d’oléagineux et de vignes, reste un grand consommateur de pesticides, se situant au troisième rang européen.
Le rapport est volontairement centré sur les effets des produits phytosanitaires sur la santé des fabricants, des utilisateurs, de leurs familles et des riverains.
Au-delà des constats et des analyses, il ne contient cependant pas moins d’une centaine de recommandations ; c’est beaucoup !
Quoi qu’il en soit, je tiens à féliciter nos collègues présidente et rapporteur de la mission pour leur travail approfondi. Je fais miens, bien entendu, les constats qui ont été dressés par la mission ; quant aux recommandations, si un certain nombre d’entre elles ont attiré plus particulièrement mon attention, d’autres appellent quelques réserves sur leur portée.
L’urgence absolue, c’est évidemment de mettre en place des outils de surveillance et de veille épidémiologique, ainsi que d’intensifier la recherche.
Il s’agit de disposer – c’est important, en ce domaine comme en d’autres – de données structurées sur des sujets aussi cruciaux que le recensement des maladies, les incidents liés à l’utilisation des produits phytosanitaires, comme cela se fait aujourd'hui pour certains médicaments, madame la ministre, ainsi que sur les alertes et les expositions des utilisateurs. Pour cela, il faut des registres aisément consultables et utilisables par la recherche ou par les agences d’évaluation, notamment en suivi post-autorisation de mise sur le marché.
Aujourd’hui, seuls les effets aigus sont bien cernés, grâce aux observations rapportées en milieu professionnel et aux relevés effectués par les centres antipoison, du moins lorsque les incidents sont signalés, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais les effets croisés de plusieurs produits, qui peuvent être additionnels, multiplicateurs ou, le cas échéant, inverses, restent difficiles à évaluer en toxicologie.
Les effets retardés des pesticides sur la santé sont, eux, très mal connus, malgré des travaux scientifiques toujours plus nombreux. Or toute la réglementation repose sur le principe de Paracelse : « Rien n’est poison, tout est poison : seule la dose fait le poison », paradigme qui est largement remis en cause aujourd'hui sur des bases scientifiques avérées. À cet égard, des effets retardés non linéaires sont de plus en plus envisagés sans que des validations épidémiologiques, qui supposent notamment un temps prolongé, soient toujours possibles.
Les préoccupations pour la santé tournent plus particulièrement autour des effets des phytosanitaires comme perturbateurs endocriniens, que j’ai étudiés dans le cadre de l’OPECST, comme facteurs de troubles neurologiques – les agriculteurs exposés aux pesticides auraient un risque presque deux fois plus élevé de développer la maladie de Parkinson que ceux qui n’en utilisent pas – et dans l’étiologie du cancer.
Il faut donc renforcer la recherche épidémiologique, toxicologique et moléculaire, en soutenant les études sur les effets à long terme des expositions à faibles doses à des substances actives dont le caractère cancérogène, mutagène et reprotoxique est déjà connu à fortes doses, et même les effets d’expositions à de multiples produits phytopharmaceutiques : synergies, additivités, antagonismes.
Les auteurs du rapport soulignent également de manière très précise l’enjeu de la réduction de l’exposition périnatale de l’enfant et de la mère. C’est en effet la période la plus sensible, celle durant laquelle les conséquences d’une exposition à des perturbateurs endocriniens risquent d’être très importantes.
Bien d’autres recommandations sont intéressantes dans le rapport. Je voudrais évoquer la portée de plusieurs d’entre elles.
D’abord, cela a été dit, l’agriculture a franchi de grandes étapes ces dernières années. Les agriculteurs exercent une profession difficile, bien souvent mal comprise par l’opinion publique. L’image de l’agriculteur qui traite systématiquement son champ a la vie dure. Les agriculteurs ne sont pas des irresponsables ! Ils ont acquis un savoir-faire et beaucoup utilisent à bon escient les quantités les plus faibles possibles de produits phytopharmaceutiques nécessaires à la production de notre alimentation.
Il me semble que, globalement, l’agriculture conventionnelle tend à céder le pas à l’agriculture raisonnée. Une meilleure connaissance du risque parasitaire, un usage de techniques agroenvironnementales approfondies, et la nécessité de maîtriser les coûts de tous les intrants dans l’exploitation sont, alliés aux nouvelles réglementations, des facteurs déterminants et limitants. Il faut évidemment aller plus loin, comme M. le ministre l’a souligné, notamment sur la formation et l’information, comme le prévoit le rapport.
Ensuite, soyons conscients que les décisions qui vont être prises conditionneront l’avenir de l’agriculture française et européenne au cours des décennies à venir et influeront sur la capacité à relever le défi alimentaire. Mon collègue Yvon Collin a rendu un excellent rapport sur ce défi à l’horizon 2050 ; je vous invite à vous y reporter.
Avec une population mondiale qui devrait alors atteindre neuf milliards de personnes, un accroissement des capacités de production est nécessaire. Certains rêvent d’une agriculture 100 % biologique, mais si celle-ci doit être encouragée, elle ne peut, à elle seule, nourrir une population en croissance rapide. Son adoption dans les pays où elle représente un choix pourrait compliquer la résolution du problème alimentaire, du moins sur un plan strictement quantitatif.
Une politique de régulation des pesticides ne peut donc se limiter à la seule réduction de l’usage. La question de la substitution est un enjeu industriel, agricole, et une difficulté à prendre en compte. Le retrait de ces produits sans solution de rechange est parfois aussi grave pour la survie des exploitations.
Il faut évidemment encourager la recherche pour disposer d’un ensemble de produits phytosanitaires plus efficaces, plus ciblés, qui soient moins dangereux l’homme et qui répondent de façon adaptée et graduée aux attaques contre les cultures, en fonction du ravageur.
Je ferai une observation supplémentaire dépassant la seule question du couple « rendement-nuisance » pour souligner la contribution des produits phytopharmaceutiques à « l’agriculture de rendement ».
Enfin, il faudra bien un jour trancher la question des plantes génétiquement modifiées, qui divise toujours la communauté scientifique. La recherche scientifique doit être conduite sereinement pour ne pas risquer de priver la France d’un atout qui pourrait, dans les années à venir, se révéler majeur. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe socialiste.)