M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l’emploi pour 2013, que seule l’Assemblée nationale aura eu l’occasion de voter, ne servira pas plus à sauvegarder l’emploi que les précédents, parce qu’il leur est identique et comporte les mêmes actions. Il ne propose rien de nouveau, et ce n’est pas en remplaçant les contrats aidés par des emplois d’avenir ou des contrats de génération que vous apporterez des solutions : c’est du cinéma, cela ne sert à rien ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Ce n’est pas ainsi que l’on va former des jeunes qualifiés, des techniciens capables de développer des produits innovants. Les emplois d’avenir sont des emplois administratifs, et non des emplois marchands, qui seuls ont une utilité ! Ne mettez pas trop d’espoirs en ces emplois d’avenir, car ils ne serviront à rien !
En effet, le chômage est dû au manque de travail : les entreprises n’embauchent pas parce qu’elles ne conçoivent pas suffisamment de produits compétitifs ! Pour remédier à ce problème, il faudrait d’abord travailler plus. À cet égard, le fameux pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi présente une lacune fondamentale : il n’évoque pas les 35 heures, qui sont pourtant une des causes déterminantes de notre manque de compétitivité. Il est évident que l’on ne travaille pas assez dans notre pays, mais on ne veut pas le comprendre ! De surcroît, ce dispositif coûte 21 milliards d’euros au budget.
Il faut de plus savoir que les entreprises n’embaucheront pas si elles ne peuvent pas licencier quand elles n’ont plus de travail à fournir à leurs salariés. La flexibilité de l’emploi est nécessaire !
M. Ronan Kerdraon. La variable d’ajustement !
M. Serge Dassault. Si vous ne voulez pas l’instaurer, les entreprises n’embaucheront pas ! À l’inverse, mettre en œuvre la flexibilité de l’emploi leur permettrait d’embaucher tout de suite et ne coûterait rien à l’État. Mais les syndicats n’en veulent pas et vous vous rangez à leur avis, alors que le souci de l’efficacité devrait être au cœur de votre action !
Si les jeunes ne trouvent pas de travail, c’est aussi parce qu’ils ne savent rien faire, parce qu’on ne leur a rien appris, parce que l’éducation nationale ne fait pas son travail. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Certes, ce n’est pas nouveau : cette situation dure depuis quinze ans, et nous en sommes tous responsables ! Il faut commencer par réformer l’éducation nationale.
M. Ronan Kerdraon. En la confiant aux patrons ?
M. Serge Dassault. Il faut d’abord rétablir l’examen du certificat d’études. Des enfants qui ne savent pas lire, écrire et compter ne devraient pas pouvoir passer dans le secondaire, comme c’est le cas aujourd’hui. Une fois que ces enfants sont au collège, croyez-vous qu’ils progressent ? Bien sûr que non ! Il y en a même qui ne parlent pas français…
Mme Christiane Demontès. Ça suffit maintenant, monsieur Dassault, les limites sont dépassées !
M. Ronan Kerdraon. C’est quoi, cette vision ?
M. Serge Dassault. Eh oui, dans ma ville, on nous impose d’inscrire dans les écoles des enfants qui viennent d’ailleurs et ne parlent pas français (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.),…
M. Jean Besson. Vous proposez quoi ? De les mettre dans un ghetto ?
M. Serge Dassault. … mais on ne leur apprend pas notre langue. Ensuite, au collège, c’est pareil : ils ne travaillent pas davantage, échouent au brevet mais sont néanmoins admis sans difficulté au lycée, où ils ne travaillent toujours pas et ratent leur bachot. D’ailleurs, pourquoi vouloir absolument que tout le monde passe le bachot ? Cela ne sert à rien pour ceux qui ne veulent pas faire des études supérieures !
De même, le collège unique est une absurdité ! Il faut rétablir les collèges d’enseignement professionnel, afin de préparer les jeunes à la vie professionnelle à partir de 15 ans et de leur apprendre un métier. Beaucoup de jeunes ne s’intéressent pas à la géométrie ou à la chimie ; ils veulent apprendre un métier manuel, des choses concrètes.
M. Claude Domeizel. C’est scandaleux d’entendre ça !
M. Serge Dassault. On manque de spécialistes dans tous les domaines. Il faut former les jeunes à ces emplois.
Sachant que 9 % des jeunes diplômés ne trouvent pas de travail, imaginez la situation des non-diplômés ! J’en connais, à Corbeil-Essonnes : une fois sortis de l’école, certains deviennent des délinquants, malheureusement,…
M. Ronan Kerdraon. Et voilà, le raccourci est fait ! C’est honteux !
M. Serge Dassault. … d’autres se rendent à la mission locale. C’est à elle qu’il revient de mettre ces jeunes au travail, et non à Pôle emploi, dont la vocation est de s’occuper des personnes qui ont perdu leur emploi, c’est-à-dire des chômeurs, et non des jeunes n’ayant jamais travaillé.
Il faut donc donner des moyens aux missions locales, notamment afin qu’elles puissent offrir des formations aux jeunes. Par exemple, les missions locales doivent pouvoir financer la préparation du permis de conduire. Aujourd’hui, cela n’est pas possible !
On parle d’offrir aux jeunes une seconde chance, mais pourquoi ne leur donne-t-on pas une première chance ? Pourquoi ne leur assure-t-on pas dès le départ une formation professionnelle ? Pourquoi veut-on absolument conserver le collège unique ? Finissons-en avec tout cela !
En Allemagne, les jeunes trouvent du travail parce qu’on les forme d’emblée à un métier. On ne les prépare pas à passer des diplômes qui ne servent à rien !
Le problème, ce n’est donc pas uniquement le budget de l’emploi, qui atteint tout de même 50 milliards d’euros, une somme dépensée en pure perte, sachant qu’elle inclut 21 milliards d’euros d’allégements de charges au titre des 35 heures ! C’est tellement simple à comprendre ! En réalité, ce budget sert seulement à maintenir des emplois, il n’en crée pas. Or il faut former des ingénieurs, des techniciens capables de développer des produits nouveaux dans de bonnes conditions de compétitivité. Pour cela, il faut travailler plus et former plus !
M. Claude Domeizel. Le temps est dépassé ! On en a assez entendu !
Mme Christiane Demontès. C’est fini !
M. Serge Dassault. Laissez-moi parler ! Ce n’est pas une question politicienne, le problème de la formation des jeunes concerne tout le monde, au-delà des clivages partisans, et nous n’hésiterons pas à applaudir si vous prenez de bonnes initiatives pour lutter contre le chômage, ce qui n’est malheureusement guère le cas jusqu’à présent…
Mme Christiane Demontès. Ça suffit !
M. Serge Dassault. Je voudrais insister sur la nécessité de réformer l’éducation nationale. Ce n’est pas votre mission, monsieur le ministre, je le sais bien, mais voilà dix ou quinze ans que nous entendons les ministres de l’éducation nationale successifs nous dire que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucun bagage. Le problème n’est pas nouveau ! C’est aussi de notre faute, nous n’avons pas fait le boulot !
M. Serge Dassault. Pourquoi ne le feriez-vous pas ? Si ces 150 000 jeunes apprenaient un métier, il y aurait moins de problèmes dans les quartiers ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai beaucoup apprécié les propos tenus par le président Larcher voilà quelques minutes. Je regrette simplement qu’il n’ait pas été entendu par le précédent gouvernement…
Par contre, j’ai beaucoup moins apprécié les propos tenus à l’instant par le sénateur Dassault. Je me suis cru revenu au XIXe siècle ! Il est heureux que M. Dassault n’ait jamais été ministre de l’éducation nationale !
Voilà quelques semaines, nous avons commencé à mettre en place les premiers emplois d’avenir. Ils s’adressent aux jeunes de 18 à 25 ans n’ayant pas ou peu de formation et ne trouvant pas de travail. C’est une première mesure qui se décline dans nos communes et nos départements.
Oui, ces emplois d’avenir constituent un immense espoir pour les jeunes concernés ! Ceux que j’ai pu employer grâce à ce dispositif dans ma commune de Plérin, dans les Côtes d’Armor, pourraient en témoigner.
Les orateurs précédents ont mis l’accent, à juste titre, sur la situation des jeunes peu diplômés. Pour autant, je ne voudrais pas que soient oubliées les difficultés spécifiques rencontrées par certains jeunes diplômés. En la matière, les ambitions sont complémentaires.
En France, près de 40 % des jeunes âgés de 25 à 34 ans sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, ce qui fait de notre pays l’un des plus avancés en Europe ou au sein de l’OCDE. C’est une excellente chose, néanmoins de très fortes disparités existent entre nos territoires. En effet, certaines régions, comme l’Île-de-France, la Bretagne, Midi-Pyrénées ou Rhône-Alpes, se distinguent par un pourcentage de jeunes diplômés à la fois élevé et en progression. D’autres territoires, en revanche, comme les départements d’outre-mer, doivent être aidés pour atteindre de tels résultats.
Selon l’Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés, près d’un tiers des jeunes diplômés de l’année 2011 n’ont occupé aucun poste depuis la fin de leurs études et 43 % d’entre eux étaient employés en avril 2012. En outre, il convient de noter que 42 % de ces derniers étaient employés au titre d’un contrat précaire, c'est-à-dire un CDD ou une mission d’intérim de moins de six mois. Il s’agit là d’un véritable paradoxe !
Nous constatons ici la précarisation de la situation des jeunes, qui oscillent entre des périodes de chômage et des emplois qu’ils qualifient d’« alimentaires ». Pour ma part, je parlerais plutôt d’emplois précaires !
Dans ce domaine aussi, le gouvernement précédent a failli ! Il faut renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, les régions, élaborer des stratégies de confiance pour redonner à la jeunesse une vision plus positive et moins sombre de l’avenir, de son avenir. Monsieur le ministre, je sais votre détermination et celle du Gouvernement en la matière.
Nos propositions doivent être justes et adéquates ; nous ne devons pas oublier les diplômés sous prétexte que les jeunes très qualifiés s’en sortent mieux, car ce n’est pas toujours vrai. Ce qui est dramatique, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux à accepter des postes sans perspectives de carrière et sans rapport avec leurs études.
De surcroît, les salaires d’embauche sont en chute libre en 2012, même dans les entreprises qui se portent bien, monsieur Dassault ! Plus de la moitié des diplômés de 2011 qui travaillent ont un salaire brut inférieur à 1 600 euros par mois. Les plus diplômés gagnent en moyenne 1 729 euros brut par mois, ce qui est peu au regard de leur niveau de formation.
La réalité de notre pays est cruelle : la barre des 3 millions de chômeurs a été atteinte ; cela représente près de 10 % de la population active. Aujourd’hui, les jeunes perdent confiance en l’avenir. Ils sont les premières victimes de la crise que nous traversons et de la précarisation accrue du marché du travail.
Cette aggravation du chômage des jeunes n’est malheureusement pas une surprise : elle résulte en partie de dix années d’inertie et de désengagement coupable de la part de l’ancien gouvernement. La « flexibilité » dont parlait le sénateur Dassault repose sur leurs épaules : la moitié des salariés embauchés en contrat à durée déterminée, en stage ou en apprentissage ont moins de 29 ans, alors que la moitié des salariés recrutés sous contrat à durée indéterminée ont plus de 43 ans.
En outre, les jeunes servent de variable d’ajustement des effectifs en période de crise. Ainsi, la proportion d’intérimaires est plus de deux fois supérieure parmi les jeunes que dans l’ensemble de la population active occupée. Ce sont eux, mes chers collègues, qui grossissent les cohortes de chômeurs. On n’est finalement pas très loin de la fameuse « armée de réserve de travailleurs » dont parlait Karl Marx !
Ce sont également eux qui subissent l’essentiel de la précarité : 17 % des jeunes de 18 à 29 ans disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté, contre 13 % de l’ensemble de la population ; en 2008, plus d’un pauvre sur deux avait moins de 35 ans
Le chômage des jeunes résulte de plusieurs facteurs.
Le premier est bien entendu l’école, 120 000 jeunes sortant chaque année du système scolaire sans formation. C’est pourquoi nous approuvons le Gouvernement lorsqu’il fait de l’éducation nationale une de ses priorités.
L’accompagnement est un autre facteur décisif. Je souhaite souligner ici, après Claude Jeannerot, le rôle important joué par le réseau des missions locales, la mobilisation et le professionnalisme de ses conseillers. Nous nous réjouissons donc de l’annonce par le Gouvernement du renforcement des moyens d’accompagnement des missions locales, à hauteur de 30 millions d’euros pour la première année.
La difficile adéquation entre offres et demandes d’emploi est un troisième facteur. Les rapprocher est un casse-tête pour tous les gouvernements depuis trente ans. Depuis 2008, faute de moyens humains suffisants, Pôle emploi a laissé en jachère la prospection des offres d’emploi, pour assurer l’inscription des chômeurs…
Alors oui, monsieur le ministre, il était urgent de prendre la question de l’emploi des jeunes à bras-le-corps ! « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin ; ouvrons-leur toutes les routes », disait Léo Lagrange. Mes chers collègues, c’est à cette tâche que nous nous sommes attelés, avec le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de l’emploi est particulièrement préoccupante, le chômage atteint un niveau historiquement élevé, et l’on peut craindre que la mobilisation des contrats aidés, la mise en place des emplois d’avenir et même celle des contrats de génération ne suffisent pas à inverser la tendance.
Voici quatre ans s’est déclenchée une véritable catastrophe sociale, dont l’ampleur est particulièrement inquiétante. Ce sont toujours les mêmes catégories sociales, les mêmes catégories d’âge et souvent les mêmes territoires qui sont le plus touchés. La réponse à un tel défi dépasse la seule politique de l’emploi ; elle relève de la politique économique générale.
Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi qui a été annoncé récemment vise naturellement à répondre à cette problématique. Compte tenu du contexte, il sera sans doute nécessaire d’envisager de le compléter dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois par un soutien actif à l’investissement. Cela ne sera cependant possible que si l’Union européenne veut bien considérer que ce type d’investissements n’a pas à être pris en compte dans le calcul du déficit public…
Pour autant, la politique de l’emploi n’est pas réduite à ne jouer qu’un rôle subsidiaire, ne serait-ce qu’eu égard à l’importance des moyens mis en œuvre à ce titre : l’ensemble des dispositifs concernant de près ou de loin l’emploi mobilisent près de 100 milliards d’euros chaque année. Le problème est qu’aucun de ces dispositifs, qui visent des objectifs et des publics différents, ne fait l’objet d’une évaluation, qu’elle soit régulière ou ponctuelle. La collectivité ne se donne donc pas réellement les moyens d’atteindre une efficacité optimale.
Je n’hésite pas à dire, monsieur le ministre, que c’est le poids des habitudes et des corporatismes, plutôt que le souci d’atteindre des objectifs crédibles, qui gouverne aujourd’hui le système de formation et d’emploi.
Nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire d’un tel constat ! Il nous faut envisager des transformations qui devront s’inscrire dans la durée, et ne pas nous limiter à des réformes ponctuelles. Trois au moins me paraissent indispensables : pratiques, opérationnelles, elles sont de nature à bouleverser certaines des habitudes auxquelles je faisais allusion.
En premier lieu, il est absolument nécessaire de mettre enfin un pilote dans l’avion. Sur le terrain, malgré la création des maisons de l’emploi et la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, la multiplication des acteurs a encore été accrue. Ils avouent consacrer près de la moitié de leur temps à se coordonner, au lieu de mettre en place des politiques actives. Il faut désigner un responsable, que ce soit l’État ou les régions. Dans les bassins d’emploi, un seul interlocuteur doit être en mesure d’actionner l’ensemble des leviers, en coopération avec les collectivités locales et les partenaires sociaux, de définir les objectifs sur une durée raisonnable, par exemple triennale. Son action devra être évaluée et permettre d’atteindre des résultats qui auront préalablement été discutés avec l’ensemble des parties prenantes. À défaut d’un tel regroupement sous une même autorité, nous n’atteindrons pas l’efficacité nécessaire sur le terrain.
En deuxième lieu, il faut aller plus loin dans la fongibilité. L’ensemble des crédits, qu’ils relèvent des politiques de l’emploi, de l’indemnisation du chômage ou de la formation, doivent pouvoir être mobilisés en fonction des besoins locaux. Cela suppose de faire tomber les barrières qui peuvent exister entre différents interlocuteurs, entre différents systèmes.
En troisième lieu, les partenaires sociaux doivent être placés devant leurs responsabilités. J’ai apprécié que, lors de sa conférence de presse, le Président de la République invite les syndicats et le patronat à s’engager au service de l’emploi et de la compétitivité. Mon seul regret est qu’il ait indiqué que si les partenaires sociaux ne prenaient pas leurs responsabilités, alors l’État les prendrait à leur place, une fois de plus. Dans ce domaine, l’État ne doit pas se substituer aux partenaires sociaux : il faut exiger des organisations syndicales, patronales et de salariés, qu’elles fassent en sorte d’orienter les moyens consacrés à l’indemnisation du chômage ou à la formation vers la lutte contre le chômage, la formation des personnes les moins qualifiées et la mobilisation de l’ensemble des acteurs autour de ces objectifs.
De ce point de vue, concernant l’emploi des jeunes, nous persévérons, d’une certaine manière, dans deux erreurs classiques.
La première est de vouloir mettre en place des dispositifs spécifiques. Je comprends l’intérêt des emplois d’avenir ou des contrats de génération : il faut répondre à l’urgence. Mais l’instauration de mesures spécifiques pour les jeunes conforte les employeurs dans l’idée qu’ils ne peuvent embaucher un jeune qu’à condition de pouvoir bénéficier de tels dispositifs.
Trente ans après la mise en place des missions locales, trente ans après les efforts engagés sur l’initiative de Bertrand Schwartz, nous devons ramener la politique de l’emploi des jeunes dans le droit commun, d’autant que, en mettant en place des mesures spécifiques, nous risquons de créer des tensions entre les diverses catégories d’âge, qui ont le sentiment de ne pas être traitées de la même manière alors qu’elles font face aux mêmes difficultés.
La seconde erreur classique, d’ailleurs difficilement évitable, est de faire une partie du travail qui incombe aux partenaires sociaux, et plus encore aux branches professionnelles. Sur le terrain, il est frappant de constater que ce sont les services des missions locales ou de Pôle emploi, ainsi que les élus pour une part, qui sont de fait chargés d’aider les jeunes à accéder à l’emploi. C’est pourtant la responsabilité des branches professionnelles. Où sont leurs moyens, leurs crédits, leurs ressources, leurs agents sur le terrain ? À quoi servent ces organisations, si elles se contentent de gérer les structures des organismes paritaires collecteurs agréés ou les secteurs particulièrement protégés, et de mobiliser les financements qui y sont attachés ? Peut-on considérer que le service public est parfaitement rendu dans ces conditions ?
Si nous voulons obtenir des résultats, en particulier en matière d’emploi des jeunes, en faisant en sorte que ces derniers puissent entrer plus tôt sur le marché du travail, il faut mobiliser les branches professionnelles, leur demander de s’impliquer sur le terrain et de servir d’intermédiaires entre les jeunes et les employeurs qu’elles représentent. Cela suppose de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour accompagner la mise en place des contrats en alternance. Je pense en effet que c’est en s’appuyant sur ce dispositif, plutôt que d’en inventer d’autres, et en encourageant la signature de contrats à durée indéterminée que l’on pourra apporter une solution satisfaisante et pérenne au problème de l’emploi des jeunes.
Monsieur le ministre, je me réjouis de la volonté du Gouvernement d’apporter à ces questions des réponses rapides, mais je pense que nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion plus globale sur ce que doit être une politique de l’emploi mobilisant les moyens alloués à l’indemnisation du chômage, à la formation ou à la défense de l’emploi via des allégements de charges et autres mesures. Nous devons engager aujourd’hui une transformation radicale des politiques de l’emploi menées depuis trente ans. Il est naturellement plus difficile de conduire de telles réformes en période de crise, mais cela est indispensable pour sortir de cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe socialiste d’avoir pris l’initiative de ce débat sur l’emploi, la formation et la qualification des jeunes, qui fait écho à la priorité à la jeunesse affirmée par le Président de la République. Cette priorité à la jeunesse doit infuser dans toutes nos actions, toutes nos politiques, en premier lieu bien sûr celles de l’emploi et de la qualification.
À cet égard, je veux dire à M. Bockel que mes objectifs ne sont pas disjoints de ceux d’autres membres du Gouvernement. Chacun l’a compris, la jeunesse constitue une priorité transversale. D’ailleurs, un comité interministériel dédié à ce sujet se réunira au tout début de l’année 2013.
Les questions qui nous occupent ne sont pas déconnectées de celles de l’école, de l’accès aux savoirs ou de l’accès au logement : savoirs, compétences et sécurité matérielle sont indissociables pour la réussite d’un parcours professionnel.
Mon collègue Vincent Peillon a participé dans cet hémicycle, voilà quelques mois, à un débat riche sur les conditions de la réussite à l’école. Moi-même, j’ai eu récemment l’occasion d’aborder ici même la question de l’insertion professionnelle des jeunes lors de l’examen de la proposition de loi relative aux écoles de production.
La thématique de l’emploi et de la qualification des jeunes est complexe, car elle combine des facteurs très divers. Elle concerne aussi bien nos politiques de formation que nos politiques sociales, d’aménagement du territoire, de logement, de transport et d’accompagnement. Elle est également liée aux politiques de ressources humaines des entreprises, lesquelles sont souvent réticentes à l’embauche de jeunes sans expérience. De plus, elle implique de nombreux acteurs institutionnels ou associatifs, dont la coordination est un objectif en construction permanente.
Il y a là un enjeu majeur pour notre société, une urgence humaine, sociale, sociétale et même économique à agir en faveur de l’emploi des jeunes, afin de leur assurer une place dans la société.
Or le constat est édifiant.
Premièrement, ce sont les jeunes qui sont particulièrement touchés par le chômage. Avec un taux de chômage dramatiquement élevé, s’établissant aujourd’hui à près de 23 %, contre 10 % pour l’ensemble de la population active, notre jeunesse subit de plein fouet les effets de la crise.
Pis encore, on observe une inégalité territoriale : 43 % des jeunes sont au chômage dans les quartiers dits « défavorisés », et la situation est plus grave encore outre-mer.
Ce triste constat nous oblige, et le Gouvernement est résolu à tout faire pour enrayer ce phénomène.
Deuxièmement, on note que les jeunes sont les premières victimes de la précarité sur le marché du travail, et ce quel que soit le niveau de diplôme.
Sur le front de l’emploi, les jeunes partent bien souvent désavantagés, du fait de leur position d’entrants sur le marché du travail. De ce fait, il leur est difficile d’accéder à un emploi stable au cours de leurs premières années de vie active. Celles-ci sont très souvent marquées par une succession de stages et de contrats courts, entrecoupés de périodes de chômage, l’âge moyen d’accès au CDI se situant aujourd’hui aux alentours de 28 ans. Globalement, près d’un tiers des jeunes qui travaillent sont employés sous contrat temporaire. Leur situation de primo-accédants à l’emploi les rend également particulièrement sensibles aux variations de conjoncture.
Troisièmement, la situation est plus dramatique encore pour les jeunes qui ne détiennent aucune qualification.
Accéder au diplôme demeure, nous le savons, une protection contre le chômage. Sans être une garantie, le diplôme reste un atout précieux pour entrer sur le marché du travail, puisque le taux de chômage des non-diplômés ou des diplômés du seul brevet des collèges est quatre fois et demie plus élevé que celui des diplômés du supérieur. Je le dis à l’intention de M. Le Scouarnec, la situation s’est encore aggravée au cours des dernières années : 40 % des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme en 2007 étaient au chômage trois ans plus tard, contre 33 % de ceux qui ont quitté l’école sans diplôme en 2004.
Cette situation inacceptable est celle que me décrivent les jeunes que je rencontre un peu partout en France lorsque je vais parrainer des emplois d’avenir. Tous, à Marseille, à Toulouse, à Clermont-Ferrand, à Saint-Etienne, dans le Doubs, s’accordent à dire la même chose : « on nous fait toujours la même réponse : pas de qualification, pas d’expérience, vous n’êtes pas employable ». C’est tout de même un comble : en somme, on reproche aux jeunes d’être jeunes !
Pourtant, la jeunesse est la richesse, le capital de notre pays. Ce que veulent les jeunes, c’est non pas l’assistanat, mais l’autonomie, ce qui est tout à fait différent !
Parce que la réussite de la jeunesse sera la nôtre, investir en sa faveur constituera notre réussite collective. C’est pourquoi – certains d’entre vous l’ont souligné –, dès son entrée en fonctions, le Gouvernement a pris des mesures fortes en direction de la jeunesse et de l’école.
La grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet dernier en a été le moteur. Nous avons défini notre feuille de route en nous appuyant sur la même ligne de force : le dialogue avec les partenaires sociaux, bien sûr, mais aussi avec tous les autres acteurs, notamment les collectivités territoriales. En effet, pour être partagées, les politiques doivent être co-élaborées avec celles et ceux qui doivent les appliquer. Ce dialogue a été concluant pour ce qui concerne le contrat de génération ; j’espère qu’il le sera également s’agissant de la sécurisation de l’emploi.
Dans le domaine de la formation professionnelle et de l’apprentissage, l’action que je porte avec Michel Sapin s’organise selon quatre axes : ouvrir un accès à la qualification pour tous les jeunes, développer l’alternance, réformer le service public de l’orientation et, enfin, permettre un accès à l’emploi plus sécurisant pour les jeunes.
Sur le plan de la méthode, cette action s’appuie sur deux grands principes : le dialogue social et territorial, d’une part, l’interministérialité, d’autre part. Ce n’est en effet qu’en « jouant collectif » au sein de l’État et en conjuguant nos efforts avec ceux des partenaires sociaux et des collectivités territoriales que nous mènerons une action efficace.
Sur ce point, je suis d’accord avec Gaëtan Gorce : il faut que chacun joue sa partition, mais dans un cadre étroitement coordonné. Telle est bien ma volonté. D’ailleurs, dans le cadre des travaux préparatoires du projet de loi de décentralisation, je propose de mettre en place une gouvernance unifiée des politiques d’emploi et de formation, car ces deux politiques sont liées et associent l’État, les régions et les partenaires sociaux.
Le premier axe est donc l’offre d’un accès à la qualification pour tous les jeunes.
Le 12 septembre dernier, à l’occasion d’une déclaration commune à l’Élysée, l’État et l’ensemble des régions ont confirmé l’objectif très ambitieux de diviser par deux en cinq ans le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail sans qualification.
Pour donner une portée concrète à cette déclaration, je viens d’envoyer aux préfets, ainsi qu’aux présidents de région, un document-cadre, qui a lui aussi fait l’objet d’une large concertation avec les participants de l’atelier « formation » de la grande conférence sociale, visant à mettre en place, dans chaque région, des « pactes régionaux pour la réussite éducative et professionnelle des jeunes » avant la fin du premier trimestre de 2013.
Ces pactes tendront à coordonner les efforts de chaque acteur – les autorités académiques via la mission générale d’insertion, le service public de l’emploi par le biais des missions locales, les régions au travers des dispositifs de formation continue, les partenaires sociaux porteurs de l’accord national interprofessionnel des jeunes de 2011, les dispositifs dits « de nouvelle chance », tels que les écoles de la deuxième chance ou l’établissement public d’insertion de la défense –, afin de lutter ensemble plus efficacement contre le décrochage et de proposer à chaque jeune sans qualification une solution adaptée pour réamorcer un parcours de formation.
Parmi les solutions qui seront déclinées dans ces pactes, il y a évidemment l’alternance, notamment pour ce qui concerne les premiers niveaux de qualification ; j’y reviendrai ultérieurement.
Ces pactes ne sont pas un effet d’annonce, un « coup de communication » ; ils marquent l’engagement d’un effort qui, pour porter ses fruits, s’inscrit dans le temps. J’ai demandé aux préfets de région et aux présidents de conseil régional d’en organiser sans tarder la mise en œuvre.
Je m’assurerai personnellement de la mobilisation et de la bonne coordination des différents intervenants, car je veux donner à ces pactes un caractère très opérationnel. Si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous en rendrai compte au cours de l’année prochaine.
Réinscrire les jeunes dans des parcours de formation, mais aussi leur mettre le pied à l’étrier pour obtenir un emploi, telle est la finalité des emplois d’avenir, qui sont destinés aux jeunes peu ou pas qualifiés, ceux que les refus d’embauche successifs conduisent aujourd’hui au découragement, voire au désespoir.
Ces jeunes, qui ont souvent connu un échec scolaire, parfois douloureux, ne sont généralement pas en capacité de reprendre une formation qualifiante. D’ailleurs, ne les opposons pas à ceux qui sont en apprentissage. Dès lors, la mise en œuvre des emplois d’avenir a deux objectifs : d’une part, permettre aux jeunes bénéficiaires de connaître une expérience professionnelle réussie, inscrite dans la durée – trois ans, cela compte dans un curriculum vitae –, et, d’autre part, leur offrir, alors qu’ils sont peu ou pas diplômés, un parcours d’accès à une qualification reconnue. En effet, c’est la première fois, dans l’histoire du droit du travail, qu’une formation qualifiante ou diplômante obligatoire est inscrite dans un contrat de travail.
Un peu partout sur le territoire, Michel Sapin et moi-même partons à la rencontre de ces jeunes, pour la signature des premiers contrats et des conventions-cadres avec les collectivités et les associations. Croyez-moi, il est extrêmement plaisant de pouvoir mettre des visages sur un dispositif que l’on a défendu avec conviction devant le Parlement et que vous avez voté. En voyant la satisfaction de ces jeunes quand ils signent leur contrat, on comprend l’importance que revêt pour eux ce dispositif volontariste en matière d’insertion et de formation.
Nous avons été cohérents dans la mise en place du dispositif, y compris d’un point de vue budgétaire, puisque les missions locales « jeunes » bénéficieront de 30 millions d’euros supplémentaires en 2013. Cela faisait bien longtemps qu’elles n’avaient pas reçu un tel coup de pouce de la part de l’État !