M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas bien !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. … vous sollicitez, à un taux de 15 % à 25 %, des foyers aujourd'hui taxés à 5,5 %, et vous vous proposez benoîtement d’imposer à un taux de 30 % à 40 % des foyers aujourd'hui taxés à 14 %.
Les conséquences de votre proposition s’expliquent peut-être par une malfaçon technique, consistant à reprendre tel quel un barème vieux de trente ans sans revaloriser les seuils d’imposition du montant de l’inflation. Il me semble que, si vous aviez pris la précaution d’effectuer cette revalorisation, votre proposition aurait été moins caricaturale. Surtout, l’objectif même que vous visez, qui est pédagogique, aurait été mieux atteint. En effet, les dispositions de votre amendement vont à rebours de votre intention, puisqu’elles prévoient de solliciter précisément les plus modestes et les classes moyennes, dans des proportions qui me paraissent exagérées.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est la nostalgie de 1982 !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Il serait donc sage de retirer l’amendement n° I-319, monsieur le sénateur.
Les dispositions de votre amendement de repli n° I-320, qui s’inspirent de la même philosophie, c’est-à-dire retrouver un barème ayant eu cours dans le passé, méritent les mêmes critiques. Évidemment, celles-ci sont moins spectaculaires, encore que, l’inflation n’ayant pas été nulle entre 1998 et 2012, ne pas avoir pris la précaution de relever les seuils aboutirait à la situation suivante : alors que, aujourd’hui on est imposable à partir de 5 963 euros par part, l’adoption de votre amendement entraînerait le déclenchement de l’imposition avec 1 000 euros de moins par part, ce qui équivaudrait à une diminution d’un sixième, donc de 15 % !
À l'évidence, baisser d’un tel pourcentage le seuil à partir duquel le contribuable commence à entrer dans le barème de l’impôt sur le revenu contreviendrait, là encore, à votre intention pédagogique, d'ailleurs tout à fait louable, à savoir, en réalité, condamner – je vous suis tout à fait sur ce point – la réforme fiscale engagée à l’époque sous l’autorité du ministre du budget Jean-François Copé.
M. Philippe Marini. Vous auriez pu la voter !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Cette réforme avait permis de passer de six à quatre tranches, mais, surtout, elle ne tenait pas compte d’une inévitable correction de l’abattement de 20 %, lequel fut donc intégré dans le barème. Le résultat fut que cette réforme de l’impôt sur le revenu, votée par la majorité UMP en 2006, procure un gain en impôts pour le haut de la distribution, davantage que pour l’ensemble de celle-ci. Il s’agit de l’une des critiques majeures que l’on pouvait lui opposer.
Le Gouvernement demande donc le retrait de l'amendement n° I-320.
J’en viens à l’amendement n° I-335, qui tend à instituer un taux marginal à 55 %. Il me semble que dix points de plus que ce que le Gouvernement propose, cela fait beaucoup, surtout si vous ajoutez les autres prélèvements…
M. Albéric de Montgolfier. Ce n’est pas raisonnable !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Monsieur Placé, quand vous comparez les taux d’imposition avec ceux d’autres pays, il ne faut naturellement pas omettre de compter la CSG, qui, pour les revenus du travail, représente 7,5 % plus 0,5 %. À ces niveaux de revenus, il y a souvent aussi des revenus du capital, taxés à hauteur de 15,5 %. À cela s’ajoute le prélèvement dû à l’initiative de l’ancien rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, c’est-à-dire 4 points.
M. Albéric de Montgolfier. Et les 75 % ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. L’addition de tous ces prélèvements nous ferait arriver à des niveaux que le Conseil constitutionnel n’accepterait pas, je le crains, de considérer comme équitables.
Comme les deux précédents amendements, peut-être serait-il sage, monsieur Placé, de retirer celui-ci. À défaut, le Gouvernement appellerait à voter contre.
Jean Arthuis, par votre voix, madame Goulet, a proposé un amendement n° I-377 qui vise à instituer un taux marginal à 50 % en lieu et place du prélèvement exceptionnel sur les hauts revenus, dit « prélèvement Carrez », lequel s’élève à 3 % pour 250 000 euros par part et à 4 % au-delà de 500 000 euros. L’adoption de cet amendement serait coûteuse pour les finances publiques. Dès lors, le Gouvernement ne peut qu’émettre un avis défavorable.
Le même raisonnement vaut pour l’amendement n° I-214, déposé par M. de Montgolfier. Monsieur le sénateur, si vous envisagez de conserver le taux de 45 %, vous supprimez dans le même temps les contributions pour les hauts revenus, c’est-à-dire les taux de 3 % et 4 % majorant l’impôt sur le revenu et qui s’appliquent, non pas d’ailleurs sur le revenu lui-même, mais sur le revenu fiscal de référence, ce qui majore en réalité l’impôt dû.
En supprimant ces deux taux, tout en maintenant celui de 45 % – je devine donc une approbation de cette disposition ! –, l’adoption de votre amendement coûterait 620 millions d’euros au budget de l’État. Convenez que c’est beaucoup !
Puisque vous partagez l’objectif des pouvoirs publics de retour à l’équilibre des finances publiques,…
M. Albéric de Montgolfier. Tout à fait !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. … une telle perte devrait vous paraître excessive. Fort de ces commentaires, je vous demande, à vous aussi, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi je demanderais au Sénat de le rejeter.
Enfin, j’en viens à l’amendement n° I-134, présenté par M. Bocquet.
Compte tenu du barème proposé, le vote de cet amendement introduirait un taux marginal de près de 70 %, qui me semble excessif. Reprenant les arguments que j’ai développés précédemment, j’estime que, s’il est normal de solliciter davantage que d’autres les hauts revenus, il faut aussi rester raisonnable.
Au demeurant, le taux marginal de 50 % pour la fraction supérieure à 250 000 euros est à comparer aux 48 % que propose le Gouvernement. Il me semble que nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions. Majorer le taux de deux points, comme vous le suggérez, monsieur le sénateur, rapporterait relativement peu de recettes supplémentaires, avec un effet d’affichage qui serait, je crois, préjudiciable.
Je vous engage donc à retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement appellerait à voter contre.
M. le président. Monsieur Placé, les amendements nos I-319, I-320 et I-335 sont-ils maintenus ?
M. Francis Delattre. Bien sûr qu’il ne va pas les maintenir !
M. Jean-Vincent Placé. Mon objectif était pédagogique, et il me semble qu’il est atteint. Je suis d’ailleurs ravi des précisions apportées par M. le ministre, avec son talent habituel, qui n’a d’égal que celui de ses collaboratrices et collaborateurs, qui suivent de près ces dossiers.
Quand, l’année prochaine, il nous manquera quelques euros pour boucler notre budget, j’espère que nous pourrons reprendre ce débat sur la progressivité de l’impôt sur le revenu.
M. Jean-Pierre Caffet. Il faudra indexer le barème, tout de même.
M. Jean-Vincent Placé. Au regard de la pertinence des remarques qui m’ont été faites par M. le ministre, avec sa maestria habituelle, c’est avec grand plaisir que je retire ces amendements, monsieur le président. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Les amendements nos I-319, I-320 et I-335 sont retirés.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, je reprends l’amendement n° I-319 ! (Sourires.)
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° I-319 rectifié, présenté par M. Marini, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° I-319.
Vous avez la parole pour le défendre, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. J’ai repris cet amendement pour donner quelques mots de commentaires.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est une facétie ?
M. Philippe Marini. Oui, en partie, cher collègue ! (Sourires.) Cela ne peut pas faire de mal à nos débats et j’espère que M. Placé me pardonnera cette taquinerie !
M. Jean-Vincent Placé. Il n’est pas susceptible, contrairement à ce que l’on dit !
M. Philippe Marini. Notre impôt sur le revenu a besoin d’une réforme fondamentale, et non de rapiéçages année après année, comme nous en faisons.
Un vrai débat, que M. le ministre évoquait hier soir, doit avoir lieu sur l’unicité de l’impôt sur la personne. Or, au lieu de se diriger vers une telle solution, nous créons, en quelque sorte, au travers de cette loi de finances, quatre impôts sur le revenu juxtaposés et quasiment indépendants : l’impôt sur le revenu stricto sensu, dont nous traitons ici ; la contribution sociale généralisée, issue de la loi de financement de la sécurité sociale ; la surtaxe exceptionnelle de l’excellent M. Fillon, que vous préservez ; enfin, votre propre surtaxe exceptionnelle, monsieur le ministre, qui fera couler un peu de salive au cours de nos débats dans les jours qui viennent.
Nous faisons donc coexister quatre prélèvements sur les mêmes revenus, sur les mêmes redevables. Sans doute serait-il bon, monsieur le ministre, de poser enfin de manière pluraliste la question d’une simplification de cette fiscalité.
De ce point de vue, les rappels historiques ne sont pas inutiles. Il en est ainsi de celui que faisait Yvon Collin, hier soir, quand il rappelait l’origine de l’impôt sur le revenu, au travers de l’évocation de Joseph Caillaux, mon lointain prédécesseur (Sourires.), qui fut l’une des figures importantes de sa famille politique…
M. Roland du Luart. C’était un Sarthois !
M. Philippe Marini. … et, en même temps, du département de la Sarthe, plus précisément de l’arrondissement de Mamers, si je ne me trompe.
Il en va de même du rappel, fait par Jean-Vincent Placé, de l’alternance de 1981 et des années qui ont suivi.
La période actuelle offre un contexte favorable pour un véritable débat sur l’impôt sur le revenu. Naturellement, je suis de ceux qui souhaitent une proportionnalité jusqu’à un certain seuil ; d’autres souhaiteront que ce dernier soit sensiblement plus bas. Néanmoins, il me semble que beaucoup d’entre nous pourraient converger vers une conception plus moderne, plus simple et, partant, plus attractive de l’impôt sur le revenu.
Enfin, il faudrait intégrer dans cette réflexion ce que j’appelle de mes vœux depuis de nombreuses années, à savoir la suppression des niches fiscales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il nous faut un impôt plus simple, moins clientéliste,…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est un expert qui parle !
M. Philippe Marini. … dont les taux apparents soient plus faibles et, qui, de ce fait, serve notre attractivité.
À titre de conclusion, je voudrais tous vous inciter, mes chers collègues, à prendre en compte l’attractivité fiscale de notre territoire dans vos réflexions sur l’avenir. Un impôt sur le revenu compréhensible, aux taux plus bas et moins clientéliste, c’est, je crois, ce que nous pouvons attendre de mieux pour notre pays !
Monsieur Placé, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de présenter votre amendement, qui m’a permis de rappeler cette forte conviction. L’ayant fait, je retire naturellement l’amendement n° I-319 rectifié. (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° I-319 rectifié est retiré.
Monsieur Bocquet, l'amendement n° I-134 est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Nous considérons que cet amendement a pour objet, non pas d’instituer un impôt confiscatoire, mais d’aller vers une meilleure progressivité de l’impôt sur le revenu. C’est le cœur du débat qui doit nous animer dans le quinquennat qui s’ouvre, et ce dès cette année. Pour notre part, nous préférons une véritable progressivité à la proportionnalité. La vocation de cette proposition est de contribuer, modestement, à engager le débat.
Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° I-377 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise une fiscalité plus juste et plus lisible, en faveur de laquelle plaident depuis longtemps M. Arthuis et les autres membres de notre groupe. Je le maintiens donc, monsieur le président.
M. le président. Monsieur de Montgolfier, l’amendement n° I-214 est-il maintenu ?
M. Albéric de Montgolfier. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le 2 du I de l’article 197 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le montant : « 2 336 € » est remplacé par le montant : « 2 000 € » ;
2° À la première phrase du dernier alinéa, le montant : « 661 € » est remplacé par le montant : « 997 € » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les contribuables veufs ayant des enfants à charge qui bénéficient d’une part supplémentaire de quotient familial en application du I de l’article 194 ont droit à une réduction d’impôt égale à 672 € pour cette part supplémentaire lorsque la réduction de leur cotisation d’impôt est plafonnée en application du premier alinéa du présent 2. Cette réduction d’impôt ne peut toutefois excéder l’augmentation de la cotisation d’impôt résultant du plafonnement. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° I-197 est présenté par MM. du Luart, de Montgolfier et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° I-250 est présenté par M. Pozzo di Borgo.
L'amendement n° I-281 est présenté par MM. Darniche et Türk.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Roland du Luart, pour présenter l’amendement n° I-197.
M. Roland du Luart. L’article 4, tel qu’il nous est présenté, vise à abaisser le plafond de l’avantage procuré par le quotient familial de 336 euros par demi-part.
M. Gérard Longuet. C’est une mesquinerie contre les familles !
M. Roland du Luart. Exactement, mon cher collègue !
Dans une période où la richesse de la France est d’être le pays d’Europe dans lequel il y a encore le plus d’enfants par famille, il ne faut pas renier l’héritage du Conseil national de la Résistance, mis en œuvre dans le consensus depuis 1945.
Je suis, certes, favorable à l’équilibre budgétaire, mais je voudrais, monsieur le ministre, que vous me disiez combien coûte réellement le quotient familial. Il me semble que la réalité est très en dessous des chiffres énormes avancés par le service de la législation fiscale.
À mon sens, ce n’est pas un bon signal à envoyer aujourd’hui à la société française. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour présenter l'amendement n° I-250.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 4 touche à une question fondamentale, je crois, pour tous les membres de cet hémicycle : la famille.
Le quotient familial ne saurait être assimilé à une stricte niche fiscale qu’il faudrait raboter jusqu’à extinction. Tout le monde sait à quel point ce dispositif est un levier puissant de notre politique familiale et du soutien à notre démographie. Celle-ci représente un avantage pour la France, par rapport à d’autres pays européens, notamment l’Allemagne.
Aussi, je ne peux qu’être inquiet de l’adoption de cet article, qui prévoit d’abaisser dangereusement l’avantage tiré dudit quotient. J’y vois le prélude de la suppression de ce dispositif et j’ai le regret de vous dire, monsieur le ministre, que c’est inacceptable. Je n’aime pas les mots trop forts, mais tel est bien mon sentiment.
Nous connaissons tous, ici, vos intentions quant à l’évolution à donner à l’imposition du revenu. La messe a été prononcée par l’économiste Thomas Piketty dans son ouvrage Pour une révolution fiscale : vous rêvez d’un impôt sur le revenu fusionné avec la CSG, sans niches, donc sans quotient.
Il convient de réfléchir à l’évolution à donner à notre fiscalité du revenu, ce qui nous renvoie au précédent débat.
Je le répète, les objectifs de compétitivité et d’attractivité doivent guider également notre politique fiscale. Tout le monde connaît les travers de notre impôt sur le revenu : c’est une imposition mitée, dont la progressivité réelle fait débat, comme nous l’avons encore vu aujourd’hui. Il y a sans doute une réflexion de fond à mener, mais le quotient familial ne me paraît pas la meilleure clef pour entrer dans ce problème.
Je ne comprends tout simplement pas en quoi cet article 4 pourrait renforcer la progressivité de notre système fiscal, ni pourquoi vous cherchez à créer une différence entre les familles, au sens commun du terme, et les parents isolés, qui, eux, ne sont pas touchés par le dispositif.
Je ne comprends pas non plus qu’on décourage la natalité, à une époque où la France est l’une des nations les plus fertiles du continent.
Bref, je ne comprends pas, monsieur le ministre, pourquoi vous souhaitez faire des familles l’une des variables d’ajustement de la réduction du déficit, alors que bien d’autres pistes sont envisageables, à commencer par la diminution des dépenses, qui n’est qu’insuffisamment engagée dans notre pays.
Avant de demander des sacrifices supplémentaires, il faut d’abord travailler sur soi et procéder à une réduction importante de la dépense publique. On ne saurait sacrifier la natalité et la politique familiale à cet écueil.
C’est pourquoi nous entendons, au travers de cet amendement, vous éviter pareille erreur en proposant la suppression pure et simple de l’article 4.
M. le président. L’amendement n° I-281 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos I-197 et I-250 ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Le sujet est sensible, puisque nos collègues nous reprochent de détruire la politique familiale. Je leur répondrai sur deux points, le principe et les chiffres.
Sur le principe, leur affirmation est totalement fausse. Le mécanisme du quotient familial n’est nullement remis en cause. L’abaissement du plafond ne complexifie en rien le calcul de l’impôt sur le revenu ; il s’agit d’une mesure de modification classique, et le nouveau plafond sera automatiquement calculé à partir des déclarations de revenus de l’année 2012.
J’en viens aux chiffres : sur les 862 000 foyers qui seront concernés, 772 000 étaient déjà au plafond ; autrement dit, seuls 90 000 nouveaux foyers entreront dans le dispositif proposé.
En la circonstance, c’est seulement à partir d’un revenu de 68 000 euros qu’un couple avec un enfant sera affecté. Sachant que, selon l’INSEE, le revenu moyen est de 2 082 euros mensuels, soit 25 000 euros annuels pour un salarié et 50 000 euros pour un couple avec deux salaires moyens, on se rend bien compte que le nouveau dispositif ne touchera qu’une frange très limitée de la population.
Il est donc absurde de prétendre qu’une réduction de 3 % du coût du quotient familial puisse remettre en cause la politique familiale et la natalité des Français. C’est un mauvais procès qui est intenté au Gouvernement.
Je ferai opportunément remarquer que le rendement de la mesure, 490 millions d’euros, doit être rapproché du coût réel global des demi-parts du quotient familial, qui représente plus de 16 milliards d’euros.
Soutenir que le nouveau dispositif contribue à détruire la politique familiale, c’est aller très loin ! D’autant qu’il maintient l’ensemble des plafonds spécifiques relatifs aux demi-parts accordées en raison des circonstances familiales – veufs, parents isolés, « vieux parents » – ou de la vie – anciens combattants, invalides – et qu’il doit donc s’analyser comme une mesure de justice fiscale, de nature à améliorer la progressivité de l’impôt sur le revenu.
Pour toutes ces raisons, il y a lieu de rejeter ces amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Il conviendrait d’avoir une plus juste appréciation des effets de la mesure.
M. le rapporteur général vient de l’indiquer, le quotient familial représente, chaque année, une dépense fiscale, c'est-à-dire un coût pour l’État, d’une quinzaine de milliards d’euros. De ce montant, nous distrayons 480 millions d’euros, soit moins d’un trentième, au profit, non pas du désendettement, monsieur Pozzo di Borgo, mais de la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire, c’est-à-dire au bénéfice des familles.
Certes, lesdites familles ne sont pas celles qui bénéficient de l’avantage procuré par le quotient familial : elles ne sont pas imposées au barème de l’impôt sur le revenu puisqu’elles sont éligibles à l’allocation de rentrée scolaire.
Il s’agit donc non pas d’une somme que nous distrairions du revenu des familles, mais d’une somme que nous déplaçons d’un groupe de familles à un autre. On peut contester un tel déplacement, mais on n’a pas le droit d’affirmer que nous enlevons un trentième de l’enveloppe du quotient familial, puisque ce sont des familles qui vont précisément bénéficier de ce déport de 480 millions d’euros.
Il a été dit que nous découragerions la natalité, que nous nous inscririons en faux contre la politique familiale menée constamment depuis une quarantaine d’années dans ce pays. Voilà des critiques disproportionnées, au regard tant du montant considéré que de l’objet que nous privilégions pour affecter ces 480 millions d'euros.
Il y a, en outre, quelque saveur à entendre certains parlementaires s’indigner de ce qu’une telle somme bénéficie non plus à certaines familles, mais à d’autres. En effet, ce sont les mêmes, qui, par leur vote ou leur consentement implicite, ont accepté d’amener la branche famille du régime général à un niveau de déficit rarement, sinon jamais, atteint dans notre pays.
En 2001, mesdames, messieurs les sénateurs, la branche famille était excédentaire. Or rappelez-vous quel était le montant de son déficit l’année dernière. D’ailleurs, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, que le Sénat a examiné il y a peu, contient précisément des mesures pour le réduire.
Il y a donc, j’y insiste, quelque saveur à entendre des parlementaires qui ont laissé la branche famille gravement déficitaire affirmer que nous mettrions à bas la politique familiale, lors même qu’il s’agit bien d’une mesure qui profite aux familles !
Pis, ce sont les mêmes, qui, dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2012 l’année dernière, ont voté une sous-indexation des prestations familiales par rapport à l’inflation.
La déperdition de pouvoir d’achat consécutive à cette mesure votée par la majorité UMP de l’époque a touché toutes les familles de France, et non pas certaines par rapport à d’autres, et a atteint 600 millions d’euros !
La disposition que nous proposons n’entraîne aucune perte de pouvoir d’achat pour les familles dans leur ensemble. Au regard à la fois du principe – aider les foyers les plus modestes –, du montant déplacé – moins d’un trentième de l’enveloppe du quotient familial –, et de ce qui s’est fait jusqu’alors – une branche famille déficitaire et une perte de pouvoir d’achat pour l’ensemble des familles de 600 millions d’euros –, j’invite ceux-là mêmes qui ont une responsabilité dans l’évolution de la situation à mesurer un tant soit peu leurs critiques à l’encontre d’une disposition qui relève, me semble-t-il, du simple bon sens.
Le Gouvernement appelle donc à rejeter ces deux amendements identiques.
M. Roland du Luart. C’est tellement mesquin qu’il n’y a rien à répondre !
M. Philippe Marini. De minimis non curat senator !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-197 et I-250.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° I-135, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Remplacer le montant :
2 000 €
par le montant :
1 800 €
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Les trois derniers alinéas sont supprimés.
III. – Pour compenser la perte de recettes résultant des I et II ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Je trouve que l’on utilise l’héritage du Conseil national de la Résistance pour des motifs bien éloignés de son esprit !
Comme on peut s’en rendre compte, nous sommes partisans d’une réflexion plus profonde sur la question du quotient familial et sur la manière dont il s’applique actuellement dans notre droit fiscal.
Le projet de loi de finances pour 2013 procède à une réduction du plafond de ce quotient, qui, à l’instar d’autres mesures contenues dans le texte, montre que nous avançons, même si c’est peut-être à pas comptés, vers une réforme fiscale plus structurelle, mettant un terme à la spécificité de la fiscalité française, c’est-à-dire le mode déclaratif.
Ici, on abaisse le quotient familial, là, on engage la réduction de la déduction des frais professionnels, ailleurs, on supprime les prélèvements libératoires : c’est ainsi qu’on progresse vers une forme d’unification du traitement fiscal des revenus, qui justifiera, en un temps plus ou moins lointain, le recours au prélèvement à la source, sur lequel nous avons quelques divergences de points de vue.
Le système du quotient familial soulève un problème particulier : la demi-part n’a pas la même valeur ni le même impact dans tous les cas de figure. C’est surtout cet aspect qui nous interpelle, comme si le droit fiscal ignorait certaines des évolutions de la société, à moins qu’il ne les ait, dans le passé, par trop identifiées.
Toujours est-il qu’élever des enfants seul ou en couple n’est manifestement pas considéré de la même manière, sur le plan fiscal, alors qu’il est patent, toutes les études démographiques et sociologiques le prouvent, que les familles monoparentales, de plus en plus nombreuses en France, appartiennent le plus souvent aux catégories sociales les plus vulnérables.
Les données sont connues : plus de 4 millions de foyers fiscaux bénéficient d’une demi-part de quotient familial amoindrie, parce qu’ils sont constitués de personnes seules ayant élevé des enfants aujourd’hui majeurs ; près de 200 000 veufs et veuves continuent de bénéficier du quotient dit « conjugal », car ils élèvent des enfants ; et l’on compte plus de 9 millions de ménages ayant un ou des enfants soit gardés à domicile, soit en garde alternée, et qui, la plupart du temps, sont d’ailleurs non imposables.
La mesure que nous préconisons, tout en réduisant la portée générale en termes monétaires du quotient familial, vise surtout à considérer et à traiter de la même manière l’ensemble des situations familiales, que les parents d’enfants vivent seuls ou en couple.
Je ne suis pas certaine que, sous certains aspects, la mise en œuvre de notre proposition ne finisse pas par équilibrer les situations des uns et des autres en termes de dépense fiscale.
Néanmoins, il nous semble qu’il est temps de rendre justice à l’ensemble des contribuables et de mettre fin à une discrimination qui frappe aussi durement ceux qui subviennent seuls à leurs besoins.