PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le surendettement des ménages est un fléau que de nombreuses majorités ont cherché à combattre ces dernières décennies, mais ses formes, ses causes et ses effets ont évolué, le rendant plus difficile à appréhender.

La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a sans nul doute constitué une avancée dans l’encadrement du crédit à la consommation et la lutte contre le surendettement. Cependant, au regard de l’objet ambitieux qui lui avait été fixé, à savoir « développer un crédit plus responsable », force est de constater que le chemin à parcourir est encore long.

Ce n’est pas la mise en œuvre des dispositions de la loi qui est en cause, comme le montre très bien le rapport réalisé, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par Mmes Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier. Je tiens d’ailleurs à saluer à la fois leur excellent travail et leur engagement sur ces questions, qui touchent nombre de nos concitoyens.

Ce rapport met en évidence la mise en application satisfaisante de la loi de 2010, mais également la persistance de certaines difficultés et l’apparition de nouveaux obstacles, qui rendent nécessaire l’adoption de mesures supplémentaires pour compléter et améliorer cette réforme.

À la suite de la publication du rapport au mois de juin, Mme Muguette Dini a déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi en ce sens. Je ne doute pas que notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier aurait fait de même si elle n’avait pas rejoint le Gouvernement. (Sourires.)

Deux mois après la remise du rapport sénatorial, le Comité consultatif du secteur financier, ou CCSF, remettait également un rapport sur les effets de l’entrée en vigueur de la loi Lagarde. Les conclusions en sont assez proches. Ce document met en évidence un certain nombre de « zones grises ».

Monsieur le ministre, avec M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie, vous avez demandé à Emmanuel Constans, le président du CCSF, de dresser une liste des engagements qui pourraient être pris pour améliorer les choses

La situation est grave. Depuis 2010, le nombre de dossiers de surendettement déposés a continué d’augmenter, malgré un léger recul observé depuis le mois d’août dernier, selon les chiffres de la Banque de France. En Midi-Pyrénées, l’augmentation a été de 40 % ces cinq dernières années. Or les implantations territoriales de la Banque de France peuvent difficilement faire face à cette hausse, d’autant plus que leurs moyens sont limités.

J’ai récemment attiré l’attention du Gouvernement sur cette question et sur la situation très délicate, notamment dans mon département, qui résulte de la fermeture de nombreuses caisses et succursales et du non-remplacement de nombreux départs à la retraite.

Comme je l’ai souligné en introduction, le surendettement a évolué : alors qu’il pouvait plus souvent être attribué à un abus de crédits voilà dix ans, il tient aujourd’hui principalement aux difficultés croissantes que rencontrent les ménages et à l’instabilité de plus en plus grande de leur situation.

La crise économique et le chômage, qui en est le corolaire, ont touché de plein fouet des familles dont les ressources sont devenues insuffisantes pour faire face à des charges fixes qui, elles, ne diminuent pas. Le loyer, la facture énergétique, la téléphonie, entre autres : le nombre de dépenses dites « contraintes » et la part qu’elles représentent dans le budget des ménages ne cessent d’augmenter. Sans compter les prix du carburant qui pèsent très lourdement sur les familles vivant en dehors des grandes villes et qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour aller travailler ou faire des courses.

La pauvreté atteint également chaque année de bien tristes records. Au mois de septembre dernier, l’INSEE a recensé dans notre pays 8 617 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. La question du surendettement est donc plus complexe aujourd’hui qu’elle ne l’était avant la crise.

La procédure de surendettement doit prendre en compte la précarité sociale du débiteur. C’est pourquoi il est essentiel, comme le souligne le rapport de Mmes Dini et Escoffier, qu’elle soit articulée avec le droit du logement.

En effet, il convient de rendre les procédures de surendettement compatibles avec le maintien de la personne surendettée dans son logement et la suspension des mesures d’expulsion, afin de ne pas précariser cette personne durablement. La proposition qui consiste à nommer un référent social en cas de nouveau dépôt d’un dossier de surendettement ira également dans le sens d’un meilleur soutien aux personnes qui se trouvent dans un état de détresse financière, psychologique et sociale.

Cependant, lutter contre le surendettement passe aussi par l’éducation. En ce sens, je salue la proposition n° 19 du rapport, qui vise à mettre en place des modules d’éducation budgétaire à la fin du primaire, du collège et du lycée.

La loi Lagarde a été extrêmement structurante pour le crédit à la consommation ; elle a permis de mieux encadrer les pratiques des professionnels, ce qui était absolument nécessaire. Cependant, la mise en conformité avec les très nombreuses obligations de ce texte a eu un coût important pour les acteurs du marché. Or le législateur se doit d’avoir toujours en ligne de mire à la fois la protection des consommateurs, mais aussi l’impact des différentes mesures sur l’économie et sur la protection des emplois, ce qui n’est pas chose aisée.

L’efficacité des nouvelles obligations des professionnels repose sur des moyens de contrôle suffisants. Les propositions concernant la DGCCRF, notamment la possibilité pour ses agents de réaliser des contrôles anonymes, me semblent aller dans le bon sens.

En matière d’encadrement du crédit, il est nécessaire d’aller plus loin que la loi de 2010, notamment en ce qui concerne les opérations de regroupement de crédit dont les durées de remboursement devraient être limitées. Des évolutions sont également souhaitables dans le domaine de la vérification de la solvabilité des emprunteurs.

Le rapport de Muguette Dini et d’Anne-Marie Escoffier a souligné, à très juste titre, l’une des limites des dispositions existantes relatives à l’encadrement de la publicité, à savoir la non prise en compte du démarchage commercial, qui constitue une forme de publicité passive.

L’interdiction des cartes dites « confuses », qui sont des cartes de fidélité associées à des crédits renouvelables, me semble également prioritaire. Le rapport rendu par le Comité consultatif du secteur financier sur la loi Lagarde apporte un éclairage intéressant dans ce débat. Il précise, en effet, que, en se focalisant sur les cartes de fidélité en tant que support matériel, on omet le phénomène croissant de dématérialisation,…

M. David Assouline, président de la commission. Tout à fait !

Mme Françoise Laborde. … notamment via des applications pour les smartphones. Il faudra certainement tenir compte de ces évolutions dans les dispositions législatives à venir.

Enfin, je tiens à dire quelques mots sur l’opportunité de créer un fichier positif des crédits aux particuliers, sujet qui est au cœur du débat depuis plusieurs années. Pour bien appréhender cette question, plusieurs aspects doivent être pris en compte.

Tout d’abord, les causes et les formes du surendettement ont évolué, comme je l’ai déjà précisé.

Ensuite, et c’est pour moi le point le plus important, un tel fichier doit respecter les règles de protection des données personnelles et des libertés publiques garanties par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a, à plusieurs reprises, fait part de ses inquiétudes à ce sujet. Dans tous les cas, les modalités et les motifs de consultation de ce fichier devraient être très strictement encadrés.

La dernière question en suspens est celle du coût très élevé de la création d’un tel fichier.

Pour conclure, je tiens à féliciter une nouvelle fois les deux corapporteurs de leur travail. Les membres du groupe du RDSE soutiendront les efforts qui seront entrepris pour compléter et parachever une réforme ambitieuse du crédit à la consommation et du traitement du surendettement des particuliers. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Je me réjouis, monsieur le ministre, que le présent débat sur le crédit à la consommation et le surendettement puisse avoir lieu aujourd’hui au Sénat.

Nous sommes à mi-chemin entre deux textes relatifs à ce sujet : d’une part, la loi du 1er juillet 2010, dite loi « Lagarde », portant réforme du crédit à la consommation, et, d’autre part, un projet de loi dont la présentation en conseil des ministres nous est promise pour le début de l’année prochaine et dont les contours ne sont pas encore connus. J’espère d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous pourrez nous en tracer les premières lignes.

Le Sénat est dans son rôle, non pas de législateur, mais de contrôle de l’action du Gouvernement et de l’application des lois, comme l’indique le nom de la commission en cause.

Il faut saluer le travail de notre collègue Muguette Dini et de notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, désormais ministre, travail qui a permis de bien mesurer l’impact de la loi Lagarde tout en pointant les limites et les manques de celle-ci. Ce rapport peut être un excellent support pour rédiger un texte législatif qui portera peut-être votre nom, monsieur le ministre.

Au cours de mon intervention au nom du groupe UDI-UC, j’aimerais tout d’abord rappeler l’importance de la question du surendettement et l’implication constante des centristes sur ce sujet, puis je développerai plus longuement la question du fameux fichier positif, avant de conclure en présentant d’autres mesures qui pourraient compléter la loi de 2010.

La prévention du surendettement et l’encadrement du crédit à la consommation font partie des préoccupations historiques du groupe centriste.

Le problème du surendettement et la question du traitement des crédits à la consommation sont deux sujets liés, l’un étant souvent la cause de l’autre, même si naturellement d’autres raisons existent.

Comme les orateurs précédents l’ont rappelé, notre pays traverse une crise économique profonde et durable. Elle entraîne une crise sociale, qui touche directement les ménages les plus faibles. Le rôle du politique, notre rôle, est de protéger les personnes les plus vulnérables qui se trouvent dans cette situation. Eu égard aux plus de 230 000 dossiers de surendettement déposés fin 2011, les statistiques du surendettement explosent. Le nombre de dossiers à traiter s’élève désormais à 746 000. Notre collègue Muguette Dini rappelait que, par rapport à 2010, cette hausse atteignait près de 6 % au dernier trimestre 2011.

Pour certains ménages, le crédit à la consommation peut servir de compensation de revenus, mais le recours de façon systématique et abusive à celui-ci met les personnes qui contractent ce type de prêts dans des situations inextricables. Ces situations sont aggravées par la crise, qui fausse sans doute une partie de notre analyse ; elles ne sont malheureusement pas nouvelles.

J’appartiens à une famille politique qui s’est toujours battue pour que le crédit renouvelable soit plus et mieux encadré, afin que le consommateur de crédit soit protégé non seulement des établissements prêteurs, mais également de lui-même. La présence de Muguette Dini au banc de la commission le prouve. Notre collègue a beaucoup œuvré lors de l’examen du projet de loi présenté par Christine Lagarde. Très tôt, les centristes se sont engagés dans la lutte contre le surendettement.

En 2005, Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin déposaient à l’Assemblée nationale une proposition de loi tendant à prévenir le surendettement et prévoyant la création d’un répertoire national des crédits aux particuliers, dit « fichier positif ».

En 2008, au Sénat, c’est Muguette Dini et Michel Mercier qui déposaient également une proposition de loi tendant à prévenir le surendettement et visant à mettre en place un tel fichier. Ce texte prévoyait de mettre au cœur de la prise de décision des établissements bancaires la question de la solvabilité de l’emprunteur et de faire figurer des bannières d’informations et de mise en garde contre les risques du crédit.

Au début de cette année, c’est Valérie Létard, qui, avec de nombreux membres de notre groupe, déposait encore une proposition de loi visant à instaurer un répertoire national du crédit pour prévenir le surendettement des particuliers.

Enfin, le 29 août dernier, Muguette Dini et de nombreux sénateurs du même groupe déposaient une proposition de loi relative à un meilleur encadrement du crédit à la consommation et au traitement du surendettement des particuliers, texte qui tendait à adapter au niveau législatif les conclusions du rapport qu’elle nous a présenté.

La question du fichier positif, que plusieurs d’entre vous ont abordée, mes chers collègues, et la mise en œuvre de celui-ci restent en suspens. Comme vous pouvez le constater, la demande de création d’un tel fichier est constante au sein de mon groupe. En effet, la question de la solvabilité de l’emprunteur est au cœur du processus de prise de décision lors du choix d’accorder ou non un crédit. Il nous a toujours paru primordial d’imposer aux établissements prêteurs de s’assurer de cette solvabilité avant de prêter.

En tant qu’ancien directeur général de banque, je sais que l’emprunteur a beaucoup de mal à faire état de sa réelle situation devant un banquier. Il se tourne alors vers d’autres prêteurs et continue à s’enfoncer encore davantage dans une situation inextricable.

Certes, aujourd’hui, grâce à la loi Lagarde, certains documents sont exigés lors de la constitution du dossier de demande de crédit. Néanmoins, certaines pièces manquent parfois, voire sont falsifiées par les demandeurs, et les vendeurs de crédit sont peu regardants. Bref, il n’y a pas de certitude absolue sur la question de la solvabilité.

Seule la création et l’utilisation d’un registre ou répertoire national des crédits aux particuliers répondraient à ce problème. Destiné à établir la liste de l’ensemble des crédits contractés par les consommateurs, il permettrait la responsabilisation de tous les acteurs.

Notre combat avance puisque la loi Lagarde a permis de créer une commission chargée d’imaginer et d’ébaucher le dispositif du fichier positif.

Je sais malheureusement, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas favorable à ce répertoire, notamment parce que les associations de consommateurs, sauf une, l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, ne le souhaitent pas. Je vous précise que les établissements de crédit ne le soutiennent pas non plus, mais pour des motifs toutefois différents. Pourtant, mon expérience professionnelle me prouve que la création d’un tel répertoire est une nécessité.

Les membres de mon groupe soutiennent pour plusieurs raisons l’instauration de ce fichier, dont la gestion et l’utilisation peuvent faire l’objet d’adaptations. C’est peut-être là le vrai sujet. Ce répertoire, géré de façon indépendante par la Banque de France, offrirait une protection aux consommateurs.

Mais sa consultation soulève des problèmes. Ainsi, les consommateurs craignent que les établissements de crédit ne s’en servent pour organiser des démarches commerciales auprès d’eux. Plusieurs solutions peuvent être envisagées.

Soit ce sont les établissements qui le consultent ; dans ce cas, on pourrait leur demander précisément pour quel type de crédit ils sollicitent l’information et la Banque de France pourrait répondre par un simple accord ou désaccord au prêt, sans donner plus de détail sur les comptes des consommateurs.

Soit ce sont les consommateurs qui interrogent le gestionnaire du répertoire ; celui-ci pourrait alors fournir aux particuliers un document récapitulant l’état de leurs dettes et leur capacité à souscrire un crédit à la consommation, par exemple. La démarche et le document produit pourraient être comparés à un permis à points, un certain nombre de points étant dévolus à la souscription d’un crédit. Le consommateur serait amené à se demander s’il peut encore emprunter. La démarche serait effectuée par le seul particulier, mais elle serait obligatoire avant toute acceptation de la délivrance d’un crédit.

La protection des données et la limitation du démarchage seraient ainsi assurées, puisque la demande, j’y insiste, proviendrait du consommateur lui-même.

Certes, les coûts d’installation et de gestion du fichier sont réels, mais leur financement peut être assuré par le paiement, à chaque consultation, d’une dizaine d’euros par les organismes prêteurs, par exemple. Cette somme non négligeable conforterait encore la protection contre le démarchage et éviterait certainement une bonne part du surendettement. C’est une suggestion que le groupe centriste avait faite en présentant sa proposition de loi de 2008. Par ailleurs, ce coût de consultation compenserait le coût du risque qui pèse sur les prêteurs, et qui diminue avec l’existence d’un tel fichier et la meilleure connaissance de la solvabilité.

Vous le constatez, monsieur le ministre, sur ce sujet, nous sommes ouverts, et des solutions concrètes et raisonnables existent. Le débat reste entier. J’espère que nous pourrons l’aborder ensemble.

La loi Lagarde de 2010 a répondu à une partie des attentes, mais son application peut encore être renforcée à l’égard du crédit à la consommation.

Pour conclure, et pour aller encore un peu plus loin dans la lutte contre le surendettement, je voulais saluer vos prises de position sur la loi Lagarde. Vous avez déclaré avec honnêteté qu’incontestablement cette loi avait apporté des améliorations. Comme le souligne le rapport du Sénat, la mise en œuvre de ce texte législatif est d’ailleurs très bonne.

La loi précitée impose aux organismes de crédit, notamment, de nouvelles exigences d’information et l’instauration d’une convergence des taux de l’usure entre crédits renouvelable et amortissable.

Monsieur le ministre, nous sommes rassurés par vos déclarations concernant le crédit renouvelable, que vous souhaitez davantage encadrer et non plus supprimer, comme vous aviez pu un temps le laisser entendre.

Quant aux nouvelles améliorations possibles, le rapport de Mmes Dini et Escoffier prévoit la possibilité de découpler les cartes de fidélité et les crédits renouvelables. Selon nous, il s’agit d’une amélioration indispensable.

Je conclurai cette intervention sous la forme interrogative. Que contiendra le projet de loi que vous nous présenterez ? Quel en sera le calendrier de présentation et d’examen ? Enfin, contiendra-t-il des mesures relatives aux class actions ?

Mme Muguette Dini, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 21 juin 2010, la loi portant réforme du crédit à la consommation était adoptée en deuxième lecture au Sénat. Plus de vingt ans après la loi Neiertz, ce texte, qui faisait suite à plusieurs initiatives parlementaires en la matière, défendait un double objectif : d’une part, encadrer plus strictement les pratiques de crédits à la consommation qui, depuis les années 2000, ont connu une dérive sans précédent ; d’autre part, accompagner les débiteurs surendettés dans les procédures de surendettement mises en œuvre.

Intervenir à la fois en amont et en aval des difficultés financières, telle était l’ambition affichée dans le projet de loi porté par Mme Lagarde. Celle-ci prétendait alors apporter une réponse globale et protectrice à tous les stades de la vie du contrat.

Dans cet hémicycle, à l’époque, nous avions pu regretter certaines insuffisances relatives, notamment, au volet social du dispositif. Celui-ci, devant l’ampleur de la problématique, au regard de l’évolution du profil social des publics concernés, du contexte économique, mais aussi compte tenu de la durée exceptionnellement longue de la navette lors de la première lecture, aurait mérité d’être réformé bien plus en profondeur.

Aussi, les mesures préventives en amont de la contractualisation, qui visaient à encadrer plus strictement les modalités du crédit à la consommation, mais également celles qui sont relatives à l’accompagnement des débiteurs surendettés, destinées à éviter autant que possible les risques de décrochage, étaient apparues incomplètes.

La volonté du Gouvernement d’obtenir un vote conforme en deuxième lecture au Sénat n’avait pas permis de nouvelles avancées. Qu’en est-il aujourd’hui ?

À la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, un rapport a été présenté au mois de juin dernier. À ce propos, je tiens à saluer le travail réalisé par les membres de la commission, en premier lieu son président, M. Assouline, et les rapporteurs, Mmes Dini et Escoffier.

Le résultat de ce travail semble montrer que, si la loi a été correctement appliquée, d’importants problèmes persistent. Certains auraient pu et dû être mieux appréhendés dans le cadre des discussions parlementaires ; d’autres sont liés, semble-t-il, à une recomposition du secteur induite par le contexte de crise économique. Dans les deux cas, ces lacunes appellent une intervention du législateur.

Dans ce cadre, je souhaite revenir sur la nécessaire amélioration du volet « prévention », en amont de la contractualisation, ainsi que sur le renforcement de l’accompagnement social du débiteur au cours de la lourde procédure de désendettement.

Aborder l’encadrement des crédits à la consommation, c’est être confronté à une première difficulté : celle de trouver un juste équilibre entre la préservation du recours au crédit et la protection des consommateurs, en particulier des plus modestes d’entre eux, qui, exclus de l’accès aux crédits traditionnels, se dirigent plus facilement vers des crédits renouvelables.

Quelle que soit l’appellation retenue, « prêt revolving », « prêt relais », « réserve d’argent », ces crédits représentent ce que vous appelez vous-même, monsieur le ministre, un « instrument terrible de surendettement. » Leurs effets dévastateurs sur les ménages les plus fragiles ont été et sont encore trop souvent démontrés.

Pour ce qui concerne le recours à ce type de crédits, si des améliorations semblent notables, en partie grâce à la loi – en partie seulement, puisque le contexte économique a largement contribué à la recomposition du marché des crédits –, des mesures complémentaires, plus strictes, s’imposent et de nouveaux garde-fous à l’entrée au crédit doivent être introduits.

Certes, la loi de 2010 a institué des barrières en matière de commercialisation, d’encadrement de la publicité relative à ces produits et de vérification de la solvabilité des emprunteurs ; elle a également donné la priorité à la fonction « paiement comptant » sur toute autre forme de règlement. Il nous faut désormais aller plus loin.

Afin de satisfaire une demande émise depuis plusieurs années, notamment par les associations de consommateurs, la séparation nette et entière de la carte de crédit et de la carte de fidélité doit être envisagée. Que l’offre promotionnelle puisse être, au final, la cause de charges insurmontables pour le bénéficiaire est un non-sens auquel il nous faut remédier.

Cette disposition était présente dans la proposition de loi du 10 mars 2009 déposée par Mme Bricq. Son insertion avait été demandée voilà deux ans, à l’occasion des débats parlementaires suivant un rapport de la Cour des comptes : celle-ci préconisait l’interdiction de ces cartes, estimant qu’elles participaient d’une confusion préjudiciable pour le consommateur.

Selon une enquête récente réalisée par une association de consommateurs, 60 % des cartes proposées en magasin associent encore fidélité et crédit. La proposition de séparer ces deux usages est de nouveau formulée dans le rapport de Mmes Dini et Escoffier. Il paraît en effet nécessaire de les découpler afin d’éviter que l’emprunteur ne rentre dans le crédit à son insu. Ce cheval de Troie du crédit renouvelable ouvre trop souvent la voie à une « cavalerie » de difficultés financières.

Il s’avère ensuite que les vendeurs disposent toujours d’une rémunération incitative. Si la loi a prévu que ces derniers ne peuvent plus être rémunérés en fonction du type de crédit souscrit, cette disposition n’est que partiellement opérante, notamment lorsque les enseignes ne proposent qu’un type de crédit, en l’occurrence renouvelable.

En pratique, on constate que la présentation de justificatifs pour la souscription d’un contrat de crédit relève en grande partie du déclaratif. Aucune pièce n’est requise lorsque le montant est inférieur à 1 000 euros. Pour un prêt supérieur, les documents demandés ne permettent pas d’appréhender réellement la solvabilité du souscripteur. Ne faudrait-il pas alors exiger la délivrance de pièces plus contraignantes, tout en envisageant un abaissement du plafond ?

En outre, l’obligation pour le vendeur de proposer, sur le lieu de vente, une offre de crédit amortissable comme alternative au crédit renouvelable dès lors que le montant dépasse 1 000 euros reste très peu appliquée.

Plus généralement, si les publicités sont désormais mieux encadrées, ce que confirme la DGCCRF, les sollicitations commerciales perdurent, et des anomalies persistent, telles que la présence de mentions valorisantes laissant à penser que ce type de crédit peut améliorer la situation financière de l’emprunteur.

Contrairement à ce que nous avions défendu, le démarchage commercial, qui s’apparente à une publicité passive, n’a pas été interdit. Cela est préjudiciable en premier lieu aux clients les plus fragiles, qui peuvent être la cible de relances régulières, parfois agressives, les incitant à un recours excessif à ce type de crédit.

Transversale à toutes ces irrégularités, encore nombreuses, la question du type de contrôle se pose. Il est établi que les autorités compétentes n’ont pas les moyens de leurs objectifs. Cette question est centrale.

Le contexte de crise que nous connaissons a entraîné une recomposition du secteur du crédit à la consommation, le crédit amortissable se substituant progressivement au crédit renouvelable.

Cette amélioration ne doit pas faire oublier que près de 250 000 dossiers de surendettement ont été déposés au dernier trimestre de 2011, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2010. La hausse est de 21 % entre 2007 et 2011. Derrière chacun des 750 000 dossiers en cours d’instruction, il y a des ménages en situation de détresse financière, de malaise social et de souffrances psychologiques. Derrière chaque dossier, il y a un risque de « décrochage ».

Ces dernières années a été constatée une évolution très nette du profil des débiteurs concernés par les procédures de désendettement. Pour une part croissante d’entre eux, ils ne sont ni des « accidentés de la vie » ni des personnes ayant eu recours de manière excessive à des crédits, pour reprendre la typologie de M. Hyest. Ni « passifs » ni « actifs », il s’agit de ménages disposant de ressources devenues trop faibles d’un point de vue structurel, qui ne leur permettent plus de faire face à leurs charges courantes désormais insurmontables.

Ainsi, le nombre de surendettés bénéficiaires des revenus minimaux a sensiblement augmenté, tout comme celui des ménages ayant une capacité de remboursement inférieure ou égale à 540 euros ou de ceux qui ont une capacité de remboursement négative.

Bien évidemment, cette situation renvoie au contexte économique ainsi qu’à la problématique plus générale de l’accès au crédit, dont est privée une large partie de la population française, faute de revenus suffisants. Certaines offres adaptées à cette recomposition du marché du travail doivent être envisagées.

Mais plus de trente ans après la mise en place des commissions de surendettement, l’accompagnement social manque toujours à l’appel, et la loi de 2010 n’a pas assez pris en compte ce volet devenu plus que jamais prioritaire. Elle n’a pas répondu, ou l’a fait de façon embryonnaire, à l’objectif de prévention du surendettement et de protection pérenne de ces publics fragilisés. Et le renforcement des moyens humains au sein de la Banque de France, s’il était souhaitable, ne peut tenir lieu d’unique solution.

Les commissions et les procédures de surendettement ont été constituées au regard d’une réalité qui a sensiblement évolué. En conséquence, elles doivent connaître une restructuration et laisser plus de place à l’accompagnement social.

Les procédures de surendettement ont été rendues plus rapides – je pense au raccourcissement du délai d’examen de la recevabilité du dossier – et simplifiées par la « déjudiciarisation » des démarches, notamment par la création d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire pour les situations « irrémédiablement compromises ». L’accélération ainsi permise constitue une avancée puisque tout allongement est, de fait, préjudiciable au débiteur, dont les intérêts continuent à courir.

Cependant, en rendant la procédure uniquement administrative, le juge étant cantonné à un simple contrôle de régularité, le débiteur voit son parcours banalisé et se retrouve éloigné d’une information pourtant nécessaire. Or près de quatre ménages surendettés sur dix redéposent un dossier. Il y a, de toute évidence, une carence du législateur à ce niveau que la loi n’a pas réglée.

Sans revenir sur l’ensemble des propositions formulées dans le rapport, je souhaite insister sur trois points spécifiques : le renouvellement de la composition des commissions, l’articulation entre le droit du surendettement et le droit au logement, et l’accompagnement social à tous les stades du surendettement.

En effet, si le profil des surendettés a évolué, la composition des commissions n’a pas suivi ces transformations.

Le droit de vote conféré par la loi de 2010 à la personne qualifiée en économie sociale et solidaire au sein des commissions n’a fait qu’entériner une pratique déjà existante et n’a donc pas contribué à la restructuration attendue.

Prévoir la participation des conseils généraux et de la caisse d’allocations familiales à la commission de surendettement, ainsi que cela est proposé dans le rapport, paraît un premier pas souhaitable.

Par ailleurs, l’articulation entre le droit relatif au surendettement et le droit au logement n’est toujours pas garantie. Actuellement, des ménages peuvent se voir expulser faute d’avoir payé leur loyer alors même que la commission de surendettement leur interdit le paiement des dettes.

Une nouvelle fois, parce que la procédure telle qu’elle a été prévue à l’origine ne considère pas le surendettement comme un problème de précarité sociale, le maintien de la personne surendettée dans son logement et la suspension des mesures d’expulsion n’ont pas été rendus possibles. Lorsque le paiement permet la conservation du logement, il pourrait être envisagé que le débiteur puisse payer ses dettes de logement, et ce malgré la décision de recevabilité.

L’introduction de modules d’éducation budgétaire dès l’école primaire ne me paraît pas constituer une réponse à ce difficile problème. Il vaudrait sans doute mieux développer une éducation au message publicitaire et à sa lecture critique,…