M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
En adoptant cette phrase incluse dans la loi de 2005, qui donnait force constitutionnelle à la Charte de l’environnement, le Parlement avait clairement affirmé sa volonté d’inscrire la Constitution française dans le droit fil de la convention d’Aarhus. Ratifiée par la France en juillet 2002, très exactement dix ans après le sommet de la Terre à Rio, cette convention des Nations unies s’appuyait sur le principe 10 de ce très beau texte que reste la déclaration finale de Rio en 1992 : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens au niveau qui convient ».
Ainsi, notre discussion d’aujourd’hui ne doit pas se résumer au fait d’adopter, en procédure accélérée, un projet de loi d’application permettant de résoudre un certain nombre de contentieux juridiques et de censures du Conseil constitutionnel, mais elle doit permettre d’affirmer notre volonté politique de répondre aux grands enjeux environnementaux et, pour ce faire, d’associer étroitement les citoyens.
Ce n’est pas totalement notre culture, autant le reconnaître. La tradition française a fait de l’État le garant unique de l’intérêt général, et nous avons construit un système de lois et de grands corps d’État qui est censé répondre à toutes les interrogations, car il est le détenteur du savoir et du pouvoir.
C’est donc le savoir qu’il s’agit ici de partager, et donc probablement aussi un peu le pouvoir. Ce texte s’inscrit bien dans une forme d’évolution culturelle, pour ne pas parler de « révolution » – le mot a été utilisé avant moi –, ce qui n’est pas si simple ; un certain nombre d’événements récents le montrent d’ailleurs clairement, j’aurai l’occasion d’y revenir.
Le projet de loi allant dans le bon sens, le groupe écologiste le votera sans hésitation, en espérant qu’une majorité claire se dégagera pour l’adopter. Je rappelle que, lors du vote de la Charte de l’environnement, c’était bien la majorité de droite de l’époque, en 2005, qui avait soutenu ce texte voulu par Jacques Chirac. Les écologistes avaient d’ailleurs approuvé par leur vote la Charte de l’environnement. C’était un peu moins vrai pour les autres groupes de gauche… Mais c’était une autre époque, et je ne doute donc pas que nous parviendrons aujourd’hui à un consensus encore plus large.
Le travail constructif en commission – à ce titre, je salue Mme la rapporteur – ne nous en a-t-il pas montré le chemin ? Il a déjà permis plusieurs améliorations, notamment en ce qui concerne le temps du débat public. Ce dernier était beaucoup trop court et nous l’avons un peu étendu, même si ce n’est peut-être pas encore suffisant, mais seul l’usage nous le dira.
Quoi qu’il en soit, cette séance peut être l’occasion d’autres améliorations. Dans cette optique, le groupe écologiste proposera plusieurs amendements, par exemple sur l’extension de l’accès à l’information détenue par les entreprises soumises à la législation en vigueur sur les installations classées pour la protection de l’environnement, ICPE.
Surtout, il nous paraît essentiel que l’ensemble du dispositif soit doté d’un organisme garant qui, en assurant le suivi des procédures, apportera au citoyen l’assurance que sa mobilisation et ses avis seront pris en compte. C’est un point important, qui nous rapprochera des pays les plus en avance sur ces questions. Par exemple, Mme la rapporteur l’a évoqué, le Québec a mis en place en 1978 un bureau d’audiences publiques sur l’environnement, ou BAPE, organisme consultatif et indépendant chargé d’informer et de consulter la population. Ce BAPE organise donc des consultations, des débats, innove en s’appuyant sur les nouvelles technologies de l’information, mais met aussi en place des procédures de médiation. Car il ne s’agit pas uniquement de recueillir des avis en laissant l’État, ou tout autre décideur, seul juge de leur utilisation.
Si cette Charte de l’environnement a une logique, c’est bien de mettre en place un processus permettant d’adopter les projets parce qu’ils sont partagés. Comme l’affirmait la rapporteur de la commission des lois à l’Assemblée nationale en 2004, Mme Kosciusko-Morizet en l’occurrence, « la participation ne doit pas avoir lieu à un moment où les choix ont été faits par l’autorité publique ». On ne peut mieux dire !
Demander un avis et ne pas en tenir compte, c’est s’exposer à bien des difficultés.
Imaginons, par exemple, un vaste projet, du genre aéroportuaire, pour lequel on commencerait un grand débat public sur la question de savoir si la plateforme actuelle est saturée, débat qui se conclurait sur une réponse négative : non, cette plateforme ne l’est pas et ne le sera jamais.
Imaginons ensuite que, malgré tout, les promoteurs du projet poursuivent, mais en avançant de nouveaux arguments qui n’étaient pourtant pas au cœur du débat public.
Imaginons, toujours, une étude coût-bénéfice, pièce réglementaire adossée à l’enquête publique du même projet, quelques années après.
Imaginons encore que ce calcul des bénéfices soit fondé sur une valeur économique donnée à l’heure économisée par les heureux bénéficiaires de ce nouvel équipement, à un prix jamais connu et jamais utilisé dans d’autres enquêtes de même nature, rendant ainsi très précieuse - extrêmement précieuse - l’heure gagnée par n’importe quel touriste partant pour une semaine de vacances en Tunisie ou aux Baléares.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Quelle imagination !
M. Ronan Dantec. On serait évidemment surpris tout en constatant que, évidemment, sans cette réévaluation du tarif horaire, le bilan de l’enquête coût-bénéfice serait fortement défavorable au projet.
Imaginons, enfin, que nous soyons sur un territoire où les procédures de médiation font rimer l’acronyme du BAPE québécois avec « bulldozer, arasement, policiers et expulsions ». S’étonnerait-on, dans cette situation, que la participation du public se transforme in fine en manifestations et en occupations des lieux ?
Je serai clair : ce projet de loi doit s’inscrire dans une conception de la société où un État intègre et transparent joue le jeu de l’information, au risque de perdre le débat public quand ses arguments sont trop faibles. C’est cette prise de risques qui le rendra demain capable aussi de faire partager ses projets et de les rendre applicables si les convictions qui les sous-tendent sont justes et clairement expliquées.
Si l’État refuse de prendre ce risque, il se prépare à de nombreuses désillusions.
Aujourd’hui, c’est bien la volonté de passer un cap qui doit guider notre réflexion, pour le bien de l’environnement, bien sûr, mais aussi pour le renforcement et la modernisation de la vie démocratique. C’est dans cet esprit que le groupe écologiste soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Vincent Placé. Bravo ! Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je vais, le temps de cette intervention, prêter ma voix à Odette Herviaux, qui ne peut intervenir dans le débat.
Moins de deux mois après la Conférence environnementale, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui manifeste une double volonté : faire vivre la démocratie environnementale, mais aussi favoriser la rationalisation législative.
Alors que le gouvernement précédent n’a pas pris en compte les décisions du Conseil constitutionnel, dont la première était pourtant connue dès l’automne 2011, le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, s’est immédiatement emparé de l’enjeu de la participation, qui doit contribuer à l’édification de l’écologie du XXIe siècle, fondée sur la transparence, le dialogue et, surtout, la confiance à rétablir entre tous les acteurs.
Au-delà des inconstitutionnalités qui rendent nécessaire l’adaptation de notre législation, ce projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini par l’article 7 de la Charte de l’environnement s’inscrit dans la perspective d’une transition écologique et citoyenne. La feuille de route issue de la Conférence environnementale précise ainsi que « le passage à une participation effective suppose, d’une part, que son rôle dans la mise en œuvre et le suivi des politiques soit renforcé et, d’autre part, que soient levés plusieurs freins tenant notamment à l’insuffisance de l’information et de l’éducation du public, à la disponibilité des acteurs et à la complexité des procédures ».
Le principe de participation du public, déjà consacré dans le code de l’environnement par la loi dite « Barnier » en 1995, a été élevé au rang constitutionnel par l’article 7 de la Charte de l’environnement, puis confirmé en l’espèce par des décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État. Je relis cet article : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
Aux termes de cet article, le principe de participation s’appuie sur deux piliers cohérents et autonomes : le droit d’accès à l’information environnementale et la participation à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.
Le Conseil constitutionnel relève, pour sa part, que les dispositions relatives à l’information du public ne peuvent avoir trait à la participation du public. En effet, informer n’est pas participer.
À cet égard, les amendements adoptés par la commission du développement durable, en particulier ceux qui sont proposés par notre excellente rapporteur et qui mettent en œuvre les principes de transversalité et de traçabilité, représentent des apports fort utiles.
Je voudrais, cependant, ajouter une condition intrinsèque qu’il conviendra d’aborder rapidement dans le cadre d’un partenariat entre les cinq collèges du Grenelle, à savoir l’éducation et la formation, car si l’information semble accessible à tous, la participation, pour être effective et significative, exige des connaissances intellectuelles et culturelles parfois très pointues, comme le prévoit l’article 8 de la Charte de l’environnement.
La généalogie de la participation puise également ses racines dans la convention d’Aarhus, qui rappelle que les États signataires s’engagent à garantir « les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement ». À ce titre, je voudrais me féliciter une nouvelle fois de ce que la Cour de cassation, dans le procès de l’Erika, a consacré la reconnaissance juridique du préjudice écologique et a proposé de le définir comme une atteinte directe ou indirecte à l’environnement.
Dans le cadre du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, le Sénat avait, pour sa part, été à la pointe de ce combat en donnant aux collectivités la possibilité d’« exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect au _ territoire sur lequel ils exercent leurs compétences et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement ainsi qu’aux textes pris pour leur application ».
L’affermissement et l’élargissement du principe pollueur-payeur devront, néanmoins, être encouragés ; je sais pouvoir compter sur votre détermination, madame la ministre.
Le présent projet de loi, quant à lui, met en lumière les liens ténus qui existent entre démocratie représentative et démocratie participative. Il serait contre-productif de vouloir les opposer : la seconde est en effet protégée et organisée par la première. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont ainsi interprété l’article 7 de la Charte de l’environnement comme l’affirmation de la compétence exclusive du législateur pour organiser la participation du public.
Tel est notamment le sens de l’annulation des décrets relatifs à la participation du public en matière d’autorisation de culture d’OGM.
L’adoption du présent projet de loi permettra également d’étendre le champ d’application de l’article L. 120-1 du code de l’environnement, limité actuellement aux seules décisions réglementaires de l’État et de ses établissements publics, à l’ensemble de leurs décisions autres qu’individuelles.
Très sensible aux problématiques maritimes, ma collègue tenait à insister sur l’article 5 du projet de loi, qui modifie l’article L. 914-3 du code rural et de la pêche maritime, suivant en cela la rédaction retenue pour l’article L. 120-1 du code de l’environnement.
Connaissant bien les désaccords qui surgissent régulièrement en ce qui concerne les décisions relatives à la pêche maritime et à l’aquaculture, elle forme le vœu que la nouvelle procédure visée aux articles L. 120-1 et L. 120-2 du code de l’environnement facilite le dialogue citoyen et expert pour réduire les conflits d’usage, encourager le développement responsable des zones maritimes et littorales et maintenir le dynamisme de ces territoires.
L’abandon du critère d’incidence directe et significative nous semble particulièrement opportun dans la mesure où l’intégration croissante des principes du développement durable, avec la logique de long terme qui les sous-tend, rend vaines les tentatives de segmentation et de gradation.
Simultanément, c’est l’intégralité du droit administratif que le principe de participation est susceptible de bouleverser. Les « conditions et limites » de l’application du principe de participation étaient jusqu’à présent définies à l’article 244 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. La rédaction de cet article procédait principalement du souci de l’administration de prévenir une inflation des procédures de participation. Nous devons toujours garder ce souci à l’esprit lorsque l’on parle de simplification législative.
Le périmètre des décisions « ayant une incidence sur l’environnement » est désormais beaucoup plus vaste. Le Conseil d’État l’a interprété comme visant autant les décisions individuelles que réglementaires, et c’est ce qui est mis en œuvre par le présent projet de loi.
Je souhaite donc que le travail qui sera engagé par le Gouvernement en matière d’harmonisation législative et réglementaire s’inspire de la perspective dessinée par le Conseil d’État dans son rapport public 2011 : Consulter autrement, participer effectivement et, je me permets cet ajout, dans la simplification des procédures.
S’agissant de la question, politiquement sensible, du recours aux ordonnances – c’est l’article 7 du projet de loi -, le groupe socialiste soutient la position de notre rapporteur.
Par le passé, notre collègue Odette Herviaux s’est régulièrement opposée à cette méthode qui masquait trop souvent la volonté du Gouvernement de réduire le rôle du Parlement ou de masquer une certaine impréparation.
Cependant, la responsabilité politique commande aujourd'hui d’actualiser notre législation dans des délais très courts. Que l’opposition s’en émeuve m’étonne, car alors pourquoi n’a-t-elle donc rien fait depuis octobre 2011 ?
Par ailleurs, madame la ministre, vous nous avez donné des garanties fortes et remarquables quant à la transparence, la concertation et l’ouverture dont vous entendez faire preuve dans l’élaboration et la ratification de ces ordonnances.
Avant de conclure, je souhaiterais attirer votre attention sur la nécessaire territorialisation de la démocratie participative et des procédures de consultation directe, gage d’une plus grande proximité et d’une meilleure efficacité de la participation. Les élus locaux ne doivent pas être une nouvelle fois les grands oubliés de la modernisation législative et réglementaire.
Après les états généraux de la démocratie territoriale, nous devons garder en permanence à l’esprit leurs demandes répétées pour que ne soient pas condamnés ou reportés indéfiniment des projets de développement du fait d’un excès de normes et de recours contentieux parfois très médiocrement motivés.
Par conséquent, je souhaite que, dans le dialogue qui va s’instaurer entre l’État et les collectivités, cette préoccupation ne soit jamais mise de côté par le Gouvernement. Le Sénat, représentant de ces mêmes collectivités, est prêt à participer à ce dialogue.
Madame la ministre, compte tenu des engagements que vous avez pris devant nous, de la feuille de route de la Conférence environnementale, qui nous oblige collectivement, compte tenu aussi de l’urgence législative, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi présenté par le Gouvernement a pour objet de réécrire plusieurs dispositions de notre droit récemment déclarées inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel à l’occasion de l’examen de questions prioritaires de constitutionnalité.
Les Sages de la rue de Montpensier nous obligent donc à légiférer dans l’urgence pour rectifier certaines dispositions, avant janvier 2013 pour certaines d’entre elles et septembre de la même année pour les autres.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement recourt à une ordonnance, objet de l’article 7 du projet de loi, ce qui peut paraître paradoxal pour des textes visant, justement, à favoriser l’information et la participation des citoyens et le dialogue avec eux en ce qui concerne les décisions publiques susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement. Cependant, vous l’avez dit, le calendrier imposé par le Conseil constitutionnel, comme ce fut le cas pour la garde à vue et le harcèlement sexuel, nous contraint à utiliser ces procédures accélérées.
Certains le regrettent, et j’en fais partie, mais on ne voit pas bien comment y échapper à partir du moment où le Conseil constitutionnel impose une mise en conformité dans des délais rapprochés, notamment pour le premier train de mesures.
En ce qui me concerne, je voterai donc ce projet de loi, nécessaire, même si j’ai des interrogations sur la procédure qui nous est imposée. Ce texte permet en effet de donner toute sa portée à l’article 7 de la charte de l’environnement dont plusieurs orateurs ont rappelé le texte mais qu’il faut toujours avoir à l’esprit : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »
En revanche, madame la ministre, je souhaite profiter de l’occasion qui nous est donnée avec la discussion de ce projet de loi pour attirer une nouvelle fois, et plus globalement, l’attention du Gouvernement sur une question qui préoccupe l’ensemble des élus ayant des responsabilités dans les exécutifs locaux, que ce soit au niveau régional, départemental, intercommunal ou communal.
Je veux parler de cette inflation normative – certains évoquent même aujourd'hui une « incontinence normative » ! – qui ralentit et souvent hélas ! bloque la décision publique.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Roland Ries. Le Président de la République lui-même pointait ce problème voilà un mois, en conclusion de son discours à la Sorbonne en demandant que « pour tout nouveau texte, toute nouvelle norme soit accompagnée de la suppression d’une autre ». Quelle sagesse, et quel travail en perspective !
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et ce « mal français » de la sédimentation normative continue d’alourdir et de rendre de plus en plus difficile le processus décisionnel.
Nos textes de lois, nos décrets d’application, nos règles administratives sont devenus d’une telle complexité et d’une telle opacité – il faut bien le dire – que non seulement ils exigent, pour leur compréhension, l’assistance d’experts, mais ils deviennent également bien souvent des pièges, car les avocats s’engouffrent dans cette complexité normative pour mieux contester l’opportunité de la décision publique elle-même.
En d’autres termes, l’inflation normative aboutit de plus en plus à créer ce qu’on peut appeler des « niches à recours » sur lesquelles se constituent toutes les jurisprudences paralysantes pour la décision publique.
J’ajoute que le principe de précaution, inscrit à l’article 5 de cette même charte de l’environnement, et donc également à valeur constitutionnelle, lorsqu’il est poussé à ses limites, n’est pas non plus de nature à faciliter la décision publique.
Enfin, la méfiance instinctive à l’égard des élus locaux, qui est bien dans la tradition jacobine française, en dépit des lois de décentralisation, contribue, elle aussi, à multiplier les obstacles sous la forme d’un contrôle tatillon et d’une hypertrophie législative et réglementaire.
Et pourtant, mes chers collègues, nous le savons tous, qui mieux que les élus locaux connaît les réactions de leurs administrés, qu’ils côtoient au quotidien et qui les interpellent jour après jour ?
Je vais prendre deux exemples, tirés du Grenelle II : la possibilité de taxer des plus-values foncières liées à l’investissement public dans les projets de transport en commun en site propre, ou TCSP, et la possibilité de mettre en place un péage urbain.
Ces deux dispositions, pourtant votées par une majorité tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, sont restées lettre morte parce que le législateur, notamment notre assemblée, il faut le reconnaître, a mis tellement de conditions à ces mises en œuvre concrètes qu’aucun élu local ne s’y est risqué jusqu’à présent.
La meilleure façon de bloquer toute mise en œuvre, c’est de complexifier et d’instaurer des normes supplémentaires qui font bien évidemment reculer les élus locaux.
Je ne cite que ces deux exemples, particulièrement frappants, mais il y en aurait bien d’autres. Tous démontrent que le mieux est très souvent l’ennemi du bien et que le corset réglementaire est source non seulement de blocages au moment de la décision publique mais également de longs contentieux, lourds pour nos finances publiques, notamment au niveau local.
Madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde où tout va de plus en plus vite, à un moment de crise où la déconnexion entre le temps économique et le temps politique est de plus en plus flagrante, il nous faut revoir en profondeur nos modes de fonctionnement en ce qui concerne aussi bien le travail législatif et réglementaire que nos procédures de décision publique.
Moins de lois, des lois plus simples, des procédures transparentes : telles sont, de mon point de vue, les vraies conditions d’une participation accrue des citoyens à la préparation et au contrôle de la décision publique.
Sur tous ces points, madame la ministre, mes chers collègues, il reste beaucoup à faire. C’est une raison de plus pour commencer rapidement, car il est urgent de préparer plus efficacement les décisions publiques grâce à une participation éclairée et responsable du public. J’espère que les états généraux de la démocratie environnementale que vous nous avez annoncés pour le printemps prochain nous permettront d’avancer dans le sens de la simplification, de la cohérence et de la transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec ce projet de loi, nous avons affaire à un texte qui, de prime abord, peut paraître à certains, dont je suis, plutôt hermétique, même si le principe d’associer le plus grand nombre de personnes aux décisions touchant à l’environnement est généralement admis.
Il faut bien le dire devant vous, madame la ministre, l’intérêt de ce texte est devenu plus qu’évident pour moi au cours du long débat que nous avons eu en commission, le 31 octobre dernier. Notre rapporteur, Laurence Rossignol, a, par son engagement, contribué pour beaucoup à nous ouvrir à ce texte et particulièrement à clarifier la part de ce qui revient à l’État et à ses établissements. Auparavant, le débat était, à mes yeux, quelque peu abscons !
En effet, le projet de loi vise à modifier les dispositions à vocation transversale qui, en l’absence de procédure particulière, organisent la participation du public à l’élaboration des décisions réglementaires.
Il fallait ainsi combler les incertitudes législatives et assurer mieux encore la mise en œuvre du principe de participation des citoyens. De fait, ces incertitudes seront réglées par le texte dont nous débattons pour que, sur le plan constitutionnel, notre législation soit en conformité avec l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Mais revenons à ce qui m’a paru essentiel dans la démarche de la commission : après une phase d’appropriation du projet de loi, les discussions engagées par nos collègues ont permis un enrichissement du texte. Le consensus était général sur la nécessité d’une participation du public dès lors que les décisions ont un rapport avec l’environnement et le milieu naturel. Ce sont les fondements obligés du « bien vivre ensemble ». De plus, la participation des citoyens confère davantage de transparence et d’autorité aux décisions publiques.
Il n’y a rien de pire pour une collectivité, quelle qu’elle soit et quelles que soient sa taille et ses compétences, que de s’exposer à l’incompréhension, voire à des contentieux. Sous cet angle, on voit bien l’intérêt des modifications apportées à l’article L. 120-1 du code de l’environnement, qui impose une indispensable démocratie environnementale.
La participation suppose de valoriser des points de vue différents, exprimés librement. Les confrontations ne sont pas stériles : elles doivent permettre de faire émerger l’intérêt général.
Nous ouvrir à ce projet de loi a eu pour conséquence majeure de nous faire comprendre que nous étions confrontés à des décisions d’ordre individuel, y compris au plan local. Ce texte vient combler un vide, puisque, par ailleurs, les procédures d’enquête publique ou, pour l’État, celles de la Commission nationale du débat public conservent toute leur importance.
Il fallait rendre plus lisible la participation du public, faire en sorte qu’il ne se sente pas privé de parole, tout en sachant, puisque nous pratiquons l’action publique, que, dans les faits, peu de décisions relèveront de ce texte. Cet aspect ne peut que rassurer ceux de nos collègues qui craignent, tout comme moi, le trop-plein de règlements et l’empilement des normes. En effet – je vous ai bien entendue, madame la ministre –, le présent texte n’en rajoutera pas.
Craintifs, oui, nous le sommes, tout simplement parce que nous sommes instruits par l’expérience sur les obstacles que rencontrent l’État et les collectivités locales, y compris les petites, à mener à bien des projets. L’échelle de temps communément retenue est celle d’un mandat de maire. Localement, la durée nécessaire est souvent plus importante encore. Et pour des projets d’envergure, tels que nouveaux quartiers, aménagements et équipements structurants, il faut plutôt compter sur une dizaine d’années.
Les conséquences normatives des empilements de textes et autres réglementations sont souvent minimisées par les pouvoirs publics, comme l’a souligné à l’instant notre excellent collègue Roland Ries. C’est regrettable, puisque les projets ne sortent pas, ou au ralenti. Nous en connaissons les effets négatifs sur les activités économiques et humaines, pourtant si indispensables à notre société encline, malheureusement, à faire du surplace. Toutefois, nous avons compris, madame la ministre, que ce texte ne constituait pas un obstacle supplémentaire.
Pour conclure, revenons sur le projet de loi, en particulier sur son article 7. Ce dernier, il ne faut pas le nier, a entraîné des interrogations et des discussions en commission ; d’autres viendront naturellement au cours du débat en séance.
Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Gouvernement s’engage, d’ici au 1er septembre 2013, à présenter des ordonnances, qui devront déterminer les procédures de participation du public, pour les décisions individuelles de l’État et de ses établissements publics comme pour celles des collectivités territoriales. La consultation des élus, notamment au travers de leurs associations, est indispensable, et nous y tenons particulièrement.