M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Génisson. Madame la ministre, je vous poserai donc simplement trois questions.
Premièrement, le sujet de la féminisation et de la représentativité des hommes et des femmes est-il traité dans le cadre des négociations sociales ?
Deuxièmement, des mesures, spécifiques ou plus globales, sont-elles prévues pour accompagner les entreprises qui font des efforts substantiels en vue de mettre en œuvre des plans d’égalité ?
Troisièmement, compte tenu du fait que l’inégalité professionnelle est un sujet particulièrement prégnant dans notre société, ne serait-il pas opportun d’envisager une loi-cadre ? L’objectif n’est pas tant de prévoir des mesures législatives sur chaque aspect de la question que de faire prendre conscience à notre pays qu’il s’agit encore et toujours d’une priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la sénatrice, que puis-je vous apprendre, à vous qui connaissez parfaitement le sujet ?
Sans revenir sur le diagnostic, je m’attacherai à vous préciser les points d’accord que nous avons conclus avec les partenaires sociaux, au terme de la grande Conférence sociale, laquelle a servi à élaborer notre feuille de route.
Oui, dans la liste des faiblesses et des fragilités qui expliquent pourquoi, malgré la dizaine de lois votées en faveur de l’égalité professionnelle, l’écart de rémunération persiste aujourd’hui, il en est une qui peut être imputable aux organisations syndicales. Celles-ci ont en effet tellement de priorités à défendre que l’égalité professionnelle n’est pas forcément toujours en tête de leur « liste de courses ».
Concrètement, au sein des entreprises, les instances représentatives du personnel, les IRP, n’incluent pas forcément ce sujet dans leurs priorités et n’interpellent pas toujours l’inspection du travail pour un contrôle sur place, pourtant prévu dans le cadre du mécanisme légal actuel.
Cela pose la question de la hiérarchisation des priorités et, peut-être aussi, celle de la représentativité de ces IRP, car, là encore, l’équilibre entre les femmes et les hommes n’est pas toujours atteint. C’est un sujet dont discuteront aussi les partenaires sociaux au cours de la négociation que j’évoquais.
Vous avez raison, madame la sénatrice, il est important que les dirigeants d’entreprise puissent sentir peser au-dessus de leur tête la menace d’une sanction, si possible effective. Je profite de cette occasion pour dire une nouvelle fois que nous allons modifier le décret d’application de la loi, afin de rendre le dispositif de contrôle du respect des obligations incombant aux entreprises de plus de cinquante salariés beaucoup plus opérant qu’il ne l’est aujourd’hui : les sanctions doivent tomber lorsqu’il le faut.
Avoir un dispositif répressif, c’est important mais, dans le même temps, il faut accompagner les entreprises, en particulier les PME, car l’égalité professionnelle ne se réalise pas si simplement que cela.
Des expérimentations sont menées dans neuf régions. L’une des opérations menées consiste à réunir les quinze plus grandes entreprises les plus exemplaires en matière d’égalité professionnelle pour leur demander de faire un travail spécifique en direction de leurs PME fournisseuses et sous-traitantes : nous souhaitons qu’elles puissent mettre à la disposition de ces dernières à la fois l’expertise et les outils qu’elles-mêmes ont su adopter pour assurer l’égalité en leur sein, dans l'objectif de faire dupliquer leur démarche dans ces PME avec lesquelles elles ont un lien si étroit.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour la réplique.
Mme Catherine Génisson. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Puisque nous imposons aux entreprises de produire des rapports de situation comparée dans le domaine de l’égalité professionnelle, nous pourrions demander que les conseils d’administration de l’éducation nationale produisent également des rapports de situation comparée sur l’orientation des filles et des garçons. Je ne demande pas que chaque filière compte autant de filles que de garçons, mais ces rapports permettraient peut-être d’avoir une connaissance précise de la manière dont sont orientés les unes et les autres au cours de leur cursus éducatif.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 12 mars 2012 relative à la précarité dans la fonction publique contient un volet spécifiquement consacré à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Entré en vigueur le 2 mai dernier, ce dispositif prévoit notamment la nomination graduelle, jusqu’à 2018, de 40 % de femmes aux postes dirigeants et supérieurs des trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière –, ainsi que des pénalités financières pouvant atteindre 90 000 euros par poste qui n’aurait pas été attribué, comme il aurait dû l’être, à une femme.
Le 27 juin, un décret a renforcé ce volet législatif en procédant à la nomination auprès de chaque ministre d’un haut fonctionnaire chargé de veiller au bon déroulement du processus paritaire de ces nominations.
Cette mesure, madame la ministre, traduit une volonté comparable à celle du précédent gouvernement : imposer des femmes dans les plus hautes sphères publiques, qui sont aujourd’hui très largement peuplées d’hommes. En effet, les femmes n’occupent que 21,4 % des postes de direction alors qu’elles représentent 54 % des fonctionnaires.
Mais cette volonté est-elle bien réelle ? Depuis mai 2012, les nominations de hauts fonctionnaires ne vont pas dans ce sens.
M. Alain Gournac. C’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Je citerai trois exemples frappants : sur 31 nominations de préfet, on compte 28 hommes et 3 femmes ; sur 6 nominations de recteur d’académie, 4 hommes et 2 femmes ; enfin, au sein de notre réseau diplomatique, une seule femme a été accréditée ambassadeur, contre 8 hommes.
Madame la ministre, vous avez dit votre intention de dresser un premier bilan de ce dispositif à la fin de 2012. Je ne doute pas de votre détermination. Toutefois, au vu de ces premières nominations, je souhaite vous interroger sur ce décalage entre les mesures législatives et réglementaires et la volonté affichée. Comment envisagez-vous de rétablir l’équilibre entre ces nominations, et en avez-vous les moyens ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la sénatrice, vous soulevez une question importante. Nous pouvons nous accorder sur un principe simple : l'État ne sera pas fondé à émettre le moindre jugement sur la situation du secteur privé en matière de parité s'il n'est pas lui-même exemplaire.
Pour ma part, et même si je ne suis pas du même bord politique que vous, j'estime que la loi Sauvadet est un très bon texte. Nous nous sommes engagés non seulement à l’appliquer, mais aussi à anticiper le calendrier d’entrée en vigueur des dispositions qu’elle contient. Comme vous l'avez rappelé, cette loi prévoit que, d’ici à 2018, les femmes occuperont 40 % des postes de direction de la fonction publique. Le Premier ministre, qui a souhaité mobiliser l'ensemble du Gouvernement sur ce sujet, a adressé le 23 août dernier une circulaire à l’ensemble de ses ministres dans laquelle il demande que l'État soit exemplaire s’agissant des nominations aux emplois dirigeants et supérieurs et que le seuil minimal fixé par la loi soit atteint avant le terme de la mandature.
Cela signifie que la parité va devoir rapidement progresser. Je ne vous dirai pas que c’est chose facile. J’interviens régulièrement en conseil des ministres sur les nominations pour demander que le mouvement en faveur de la parité s’accélère, mais vous savez aussi bien que moi combien les choses sont rendues compliquées par l'absence de ce fameux vivier. C'est l’argument qu’opposent régulièrement les différentes administrations, et il faut bien convenir qu’il n’est pas dénué de tout fondement. Certes, des coups de pouce ponctuels sont nécessaires pour atteindre les objectifs, mais, en même temps, il faut penser à l'avenir en constituant un vivier de jeunes femmes considérées comme particulièrement prometteuses et faire en sorte qu'elles puissent monter en grade jusqu'au niveau n-1, avant qu’elles n’accèdent à un poste de direction.
Sachez en tout cas, madame la sénatrice, que nous avons décidé d'être très transparents sur ces questions puisqu'un suivi de ces nominations sera réalisé chaque semestre et qu'un bilan annuel sera présenté en conseil des ministres à la fin de chaque année civile, bilan qui sera rendu public sur le site Internet du Gouvernement. Vous pourrez constater que notre volonté n’est pas de faire en sorte qu’il y ait simplement davantage de femmes chefs de bureau, mais bien qu'il y ait davantage de femmes aux postes de cadre dirigeant. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Mme la ministre, vous parlez d'un vivier. Faut-il disposer d’un vivier ?
Mme Catherine Procaccia. C'est un discours qu'on entend régulièrement en politique et nous, les femmes politiques ici présentes, savons bien que, quel que soit le parti, la réponse est toujours la même : « La parité, oui, mais on ne trouve pas de femmes compétentes ! » Je ne crois pas que ce soit vrai !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y en a même plus que d’hommes !
Mme Catherine Procaccia. L'administration compte autant de femmes que d’hommes diplômés de l'enseignement supérieur ; il n'empêche que ce sont des hommes qu'on nomme !
Vous parler de « repérer » les femmes ; mais elles seront « repérées » par qui ? Par les hommes qui exercent déjà les fonctions de direction ? Dans ce domaine, des efforts doivent être faits et il faudrait que la responsabilité de repérer les futures potentialités n’incombe pas aux hommes en fonction. À défaut, en dépit de la bonne volonté des uns et des autres, les choses n’avanceront pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quoique ce sujet ait été abordé dans une question précédente, ma question portera sur le rôle de l’école dans les choix d’orientation professionnelle des filles.
En effet, on constate que, si les jeunes filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons jusqu’au baccalauréat, elles sont ensuite moins nombreuses à s’engager dans des filières sélectives, par exemple les classes préparatoires, ou dans des études supérieures scientifiques.
Ainsi, les filles représentent moins de 30 % des effectifs de l’École nationale d’administration et 13,6 % des élèves de l’École polytechnique. Les formations scientifiques, quant à elles, ne comptent que 25 % de femmes.
Certes, nous constatons que, dès leur plus jeune âge, l’engouement des filles pour certains métiers diffère de celui des garçons, mais de tels chiffres s’expliquent surtout par des facteurs sociaux. Force est d’admettre qu’il existe des modèles, une culture familiale en vertu desquels les jeunes filles s’orientent vers des carrières différentes.
L’école a un rôle important à jouer pour lutter contre ce phénomène. Tout d’abord, les manuels scolaires doivent être un outil de transmission d’une culture de l’égalité, car c’est dès le plus jeune âge qu’il faut combattre les idées reçues. Or, trop souvent, les manuels renforcent les stéréotypes, montrant les femmes uniquement dans la sphère familiale ou cantonnées dans certains métiers.
Il faudrait sensibiliser davantage les enseignants à ces questions au cours de leur formation initiale.
De même, les conseillers d’orientation dans les collèges ou lycées devraient encourager davantage les filles à se renseigner sur les professions considérées traditionnellement comme masculines et sur l’ensemble des filières du supérieur.
C’est à la source que nous combattrons le mieux l’inégalité professionnelle persistant dans notre société. Puisque le Gouvernement a déclaré engager une réforme d’ampleur de l’école, pourriez-vous nous dire, madame la ministre, ce que vous envisagez de faire à ce sujet ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame Mélot, permettez-moi de revenir d’abord très rapidement sur la question précédente et d’apporter un complément à la réponse que j’y ai faite afin de lever, si nécessaire, tout malentendu sur la notion de vivier.
Moi non plus, madame Procaccia, je n'aime pas qu'on se réfugie derrière cette expression pour ne rien faire. Cette notion de vivier revêt une signification bien précise. Au cours d’une carrière professionnelle, c'est généralement entre 30 et 40 ans que se constituent les viviers de celles et de ceux qui pourront par la suite accéder à des postes de haute responsabilité. Or c'est précisément à cette période de leur vie professionnelle que les femmes, en raison d’événements liés à leur vie familiale, par exemple un congé de maternité ou un congé parental, seront moins présentes que les hommes dans les processus de promotion.
Par conséquent, se poser la question du vivier, c'est notamment envisager de revoir les règles de promotion en fonction des postes. À titre d’illustration, pour devenir préfet, il faut avoir satisfait à telle ou telle exigence, avoir occupé des postes d'encadrement, etc. Toutes ces règles, tous ces processus ne sont-ils pas nuisibles, d’une certaine façon, aux femmes, ne les lèsent-ils pas, dans la mesure où elles ont été sans doute plus absentes que les hommes entre 30 ans et 40 ans ?
J’en viens maintenant à votre question, madame Mélot.
Finalement, lutter contre les stéréotypes en s’appuyant sur l'éducation nationale, c'est sans doute la meilleure façon de parvenir globalement à l’égalité.
J'évoquais tout à l'heure la formation indispensable des enseignants. Beaucoup d'entre vous ont souligné l'inégale répartition des filles et des garçons entre les filières de métiers et, de fait, je n'ai pas assez insisté sur le rôle des personnels d'orientation. On peut se demander non seulement s’il ne règne pas une certaine une forme d'autocensure dans les familles dès lors qu’il est question des perspectives professionnelles des filles, mais également si le discours tenu par les personnels de l'orientation est suffisamment affirmé pour contrecarrer cette autocensure ?
Au-delà de la formation des professionnels et de la formation à l’égalité des enfants, se pose la question de tous ces outils dont disposent ces derniers, notamment les manuels scolaires ou les jeux destinés aux plus jeunes.
Il est clair que les manuels scolaires véhiculent un certain nombre de clichés. Certes, ce n’est pas l'État qui les rédige : leur contenu relève de la responsabilité des éditeurs. Mais Vincent Peillon et moi-même nous sommes engagés dans une démarche vis-à-vis des éditeurs de manuels afin de leur faire prendre conscience des images et des stéréotypes qu'ils confortent et de les inciter à évoluer à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Je vous remercie, madame la ministre, des éléments de réponse que vous m’avez apportés en complément des différentes propositions que vous avez détaillées tout à l’heure.
Il faudra insister sur l'orientation et présenter aux filles tout le panel de possibilités qui s’offrent à elles, y compris les formations auxquelles elles ne penseraient pas spontanément. Il faut surtout leur démontrer qu'elles sont capables d’embrasser toutes sortes de carrières.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
9
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 octobre 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 631-5 du code de commerce (procédure de redressement judiciaire) (2012-286 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 18 octobre 2012, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du II de l’article 6 de la loi n° 2011–1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée (validation législative des rémunérations perçues) (2012–287 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 23 octobre 2012 de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961, présentée en application de l’article 34–1 de la Constitution par Mme Éliane Assassi et les membres du groupe CRC (n° 311, 2011-2012).
2. Proposition de loi relative aux conditions d’exploitation et d’admission des navires d’assistance portuaire et au cabotage maritime, et à l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes de cabotage, à l’intérieur de la République française, présentée par Mme Isabelle Pasquet et des membres du groupe CRC (n° 483, 2011-2012) ;
Rapport de Mme Évelyne Didier, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique (n° 49, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 50, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART