Mme Nathalie Goulet. Ich hab’ einen Traum !
Mme Fabienne Keller. … un rêve où le dialogue et la concertation dépassent nos différences et permettent à l’ensemble des citoyens européens d’avancer ensemble et d’être plus forts. Je ne suis pas certaine que les déclarations du Gouvernement tout à l’heure puissent nous donner l’assurance qu’il porte une telle vision, et je ne suis pas sûre qu’il donne à la France toute sa place historique en Europe.
Pour paraphraser la citation de Milan Kundera faite par François Rebsamen, je crains, monsieur le ministre délégué, que Paris, avec votre gouvernement, ne soit capitale que de la seule France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bravo !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ce n’était pas mal…
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, que l’on me permette d’abord de rappeler que ce débat porte sur les perspectives européennes. C’est de cela que nous voulons parler ! Il ne s’agit pas du débat sur le traité, qui aura lieu tout à l’heure. Certains diront tout le mal qu’ils en pensent, d’autres, peut-être, exprimeront une petite inclination pour lui…
Pour l’heure, le Gouvernement nous invite à confronter nos visions de ce que sera, de ce que devrait être, ou encore, de ce que pourrait être l’Europe dans les prochaines années et, éventuellement, à lui suggérer des pistes d’action. Ce débat sur les perspectives européennes est un moment important dans la vie du Parlement, car c’est un de ces débats que l’on dit « structurants ». J’ajoute que nous n’aurons pas si vite l’occasion d’y revenir.
Je dois donc avouer que j’ai été un peu surpris par l’intervention de notre ami Zocchetto,…
M. Jean Bizet. Pourquoi ?
M. Richard Yung. … qui nous a agonis de reproches pendant un quart d’heure, nous accusant de toutes les vilenies. Je pensais d’ailleurs qu’il ne pourrait en aucun cas voter un traité porté par des gens comme nous, mais… pschitt ! La chute a été brutale et j’ai compris que, finalement, il le voterait. C’est un peu bizarre !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est l’intérêt général qui prime !
M. Richard Yung. Quoi qu’il en soit, à aucun moment M. Zocchetto ne nous a dit ce qu’il voyait pour l’avenir.
D’autres sont satisfaits parce qu’il ne manque pas une virgule au traité. Pour eux, rien d’autre n’importe : le pacte de croissance, c’était…
M. Francis Delattre. De la communication !
M. Richard Yung. … peut-être drôle, mais ce n’était rien ; l’union bancaire, c’était un jeu d’enfant ; la taxe sur les transactions financières,…
M. Francis Delattre. Elle est déjà votée !
M. Philippe Bas. Et c’est nous qui l’avons faite !
M. Richard Yung. … c’était un leurre. Voilà ce que j’ai entendu. Essayez donc d’aller un peu plus loin sur le fond, mes chers collègues !
François Rebsamen l’a dit, l’Europe, c’était, et c’est toujours, la recherche de la paix dans cette zone du monde qui est la nôtre où, depuis deux mille ans, à chaque génération, les tribus, les peuples, les nations ensuite se sont affrontés dans les guerres que l’on sait.
L’Europe, c’était aussi, et pendant longtemps, l’espoir de la prospérité. C’est moins vrai aujourd’hui, parce que, sous les coups de boutoir d’une pensée que certains qualifieraient d’unique, l’Europe s’est en effet réduite aux termes de marché unique, de concurrence libre et efficace, avec pour cortège la décroissance et les licenciements. De ce point de vue, l’espoir a donc quitté l’Europe.
Mais je voudrais vous faire partager une conviction, mes chers collègues, si la France – « Paris », comme disaient d’autres orateurs – veut continuer à exister un peu dans le nouveau monde qui se dessine, elle ne pourra le faire qu’avec ses partenaires, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie… J’ajouterai, à la fin, la Grande-Bretagne. (M. Jean Bizet sourit.)
C’est en effet la seule façon pour nous de peser dans les affaires du monde, de défendre nos intérêts commerciaux, diplomatiques et économiques. Il n’y a pas d’autre solution, et ceux qui s’opposent à celle-ci – je ne citerai pas de noms, car je ne veux pas blesser d’autres pays – veulent en fait que la France soit une puissance moyenne. Cette union est donc nécessaire.
Mes chers collègues, permettez-moi de citer les propos d’un grand européen britannique, Sir Winston Churchill : « Si l’Europe s’unissait un jour pour partager cet héritage commun, il n’y aurait pas de limite au bonheur, à la prospérité et à la gloire dont pourrait jouir sa population de trois ou quatre cents millions d’âmes. [...] Nous devons créer un genre “d’États-Unis d’Europe”. » Il n’y a pas un mot à changer !
C’est dans cette perspective que nous nous inscrivons. François Hollande a été élu sur des propositions qu’il a clairement énoncées au cours de la campagne présidentielle. Il a en particulier insisté sur la nécessité de relancer la croissance, car Mme Merkel et M. Sarkozy lui ont laissé une Europe où règnent l’austérité et le chômage ! Il a réussi à négocier avec nos partenaires européens : le sommet des 28 et 29 juin dernier a permis l’adoption du pacte de croissance, je n’y reviens pas. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) Absolument !
Mes chers collègues, je suis surpris : ce pacte de croissance vous gêne-t-il ? Vous nous avez même reproché l’insuffisance et la médiocrité de ce pacte, madame Keller...
Mme Fabienne Keller. C’est vous qui le dites !
M. Richard Yung. Pourtant, 120 milliards d’euros, ce n’est pas rien ! J’espérais que vous alliez nous apprendre ce qu’il fallait faire et nous annoncer les mesures que vous proposez pour relancer la croissance économique.
M. Gérard Longuet. Travailler plus !
M. Richard Yung. Or je n’ai rien entendu de tel. Peut-être aurons-nous ce plaisir à l’occasion d’un autre débat...
M. Michel Mercier. Parlez à vos amis qui ne vont pas voter ce traité ! Ne cherchez pas à nous convaincre !
M. Richard Yung. En fait, ce pacte de croissance vous grattouille, il vous gêne !
La relance de la croissance est donc le premier axe de la politique européenne de François Hollande.
Le développement de l’union bancaire est un autre élément fondamental. Le système européen ne peut plus continuer à fonctionner ainsi. Savez-vous que, en matière bancaire et financière, nous sommes dans une démarche complètement récessive ? En effet, le système bancaire et financier s’est fractionné, a explosé et les différents marchés nationaux, loin de se rapprocher, se sont renationalisés. Dans ce domaine, nous tournons le dos à ce que nous devrions faire. L’union est donc d’autant plus urgente pour empêcher cette évolution dramatique.
Je rappellerai rapidement les autres sujets qui ont été évoqués et qui constituent la feuille de route du président Van Rompuy : coordination des politiques économiques, convergence fiscale et mutualisation des dettes publiques sous différentes formes. (M. Jean Bizet s’exclame.) Le débat sur cette question n’est pas clos, car aucun accord ne s’est encore dégagé.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh oui, on ne va pas cautionner la dette de la Grèce !
M. Richard Yung. Il nous faut continuer à promouvoir cette idée.
Sur le pacte de croissance, Mme Merkel, qui y a été longtemps hostile et qui ne voulait pas des eurobonds, a fini par évoluer. Elle évolue lentement : il faut l’aider ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Il nous faut aussi débattre de l’avenir du MES, en particulier pour lui donner la possibilité de se financer par l’accès au marché et de disposer d’une licence bancaire. Sur ce sujet non plus, aucun accord n’est intervenu. Voilà justement des perspectives pour l’Europe : nous parlons de ce que nous voulons faire dans les trois, quatre ou cinq années à venir.
Enfin, on ne saurait terminer un discours sur l’Europe sans évoquer le parent pauvre de l’Europe, c’est-à-dire l’Europe sociale – c’est l’un de ces sujets que l’on se croit toujours obligé d’aborder en fin de discours ! Nous devons ouvrir un certain nombre de chantiers sur le salaire minimum – sur ce sujet, l’Allemagne progresse –, un niveau minimal de retraite, le renforcement du dialogue social – la France en a bien besoin –, la question du temps de travail... Le mois dernier, Pierre Moscovici a suggéré de relancer l’idée d’une assurance-chômage européenne. C’est un sujet que je vous invite à étudier et à défendre à l’avenir.
M. Philippe Bas. Ce n’est pas pour demain !
M. Richard Yung. Bien sûr, ces propositions ne font pas l’unanimité, mais c’est justement pour cela qu’il faut ouvrir le débat : c’est ainsi que nous ferons avancer l’Europe. Mme Merkel et M. Schäuble ont évolué. Ce dernier est maintenant l’avocat de la taxe sur les transactions financières, après y avoir été plutôt hostile. Mme Merkel s’est ralliée à l’idée de plan de croissance, alors qu’elle n’y était pas du tout favorable. Ce constat est aussi vrai pour l’Italie et tous nos autres partenaires.
Je conclurai en m’interrogeant sur la place des parlements nationaux, puisque cela fait aussi partie des sujets qu’il faut aborder à la fin de ce genre d’intervention. La question est difficile : quel pouvoir de contrôle pouvons-nous avoir, ici, au Sénat ? On en parle, mais que propose-t-on concrètement ?
On pourrait imaginer une structure composée de délégués ou de représentants des commissions des finances et des commissions des affaires européennes des parlements nationaux qui jouerait un rôle de surveillance et de contrôle et à qui la Commission européenne rendrait des comptes sur la politique budgétaire. Nous devons examiner de manière approfondie ce sujet et formuler des propositions.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur un point particulier : tant que nous ne disposerons pas d’un système de résolution des faillites bancaires et des crises financières intégré et unifié à l’échelon européen – cela prendra du temps –, ce sont les budgets des États qui les supporteront et qui y feront face. Par conséquent, il est normal que les parlements nationaux exercent leur contrôle ; ce n’est que justice.
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, telles sont les observations que je souhaitais formuler sur les nouvelles perspectives européennes. Le débat sur le traité aura lieu ce soir. Il me semble utile que nous échangions des idées et engagions une réflexion sur ces orientations à moyen terme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le moment du débat européen est toujours important, c’est vrai. Il l’est particulièrement aujourd’hui, parce qu’il nous permet de nous poser une question simple : l’Europe est-elle l’avenir de la France ou la cause de ses faiblesses, voire de son déclin ?
Notre conviction est claire, nous pouvons l’afficher : la France ne s’en sortira que par l’Europe. C’est fort de cette certitude que je souhaite revenir sur le traité et, surtout, évoquer l’avenir.
Sur le traité, tout a été dit. Il a été négocié et signé ; il sera ratifié. Le président de notre groupe l’a rappelé, les sénateurs centristes seront fiers d’y contribuer.
M. Michel Delebarre. Très bien !
M. Michel Mercier. Mais, monsieur le ministre délégué, ne réduisez pas cette discussion à un mauvais moment à passer ! Faites preuve d’enthousiasme !
M. Richard Yung. Nous sommes très contents !
M. Michel Mercier. Il suffit de le dire, au lieu de lancer des invectives : le traité n’a pas été renégocié, parce que c’était impossible, il était déjà signé. C’est aussi simple que cela.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Michel Mercier. Cela s’était déjà produit en 2002.
M. Jean-Pierre Chevènement. Drôle d’ambiance...
M. Michel Mercier. Le contexte a-t-il changé ? Oui, car l’environnement européen s’est modifié ces dernières semaines. Le doit-on à la France ? On peut malheureusement en douter.
On le doit à M. Draghi, qui a fait passer un bon été à l’Europe en annonçant de nouvelles actions de la BCE. Cet automne, on le doit au président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe…
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. On l’y a poussé !
M. Michel Mercier. Monsieur le rapporteur général, vous ne nous ferez pas croire que vous avez poussé le président de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Nous sommes prêts à avaler tous les bons produits de Bretagne d’un coup, mais pas cela ! (Sourires.)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Je parlais de M. Draghi ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Mercier. On le doit également aux Néerlandais qui ont choisi une majorité europhile, alors que l’on annonçait un vote antieuropéen. Vous les y avez poussés sans doute...
M. Michel Delebarre. Belle réussite des socialistes, pourtant !
Mme Jacqueline Gourault. Avec les centristes !
M. Michel Mercier. On le doit enfin à Mario Monti, qui a su prendre de bonnes décisions.
Le pacte de croissance change-t-il fondamentalement la donne ? Je ne vais pas dire que 120 milliards d’euros, ce n’est rien : c’est mieux que zéro !
M. Michel Mercier. Cela étant, si on les compare à la somme des déficits, c’est peu. Monsieur le ministre délégué, c’est un prétexte, vous le savez bien. Pour que le pacte de croissance ait du sens, il faudrait des réformes visant à améliorer la compétitivité de notre pays. J’espère que le Gouvernement aura le courage de les engager, car ce n’est pas facile. (M. Philippe Bas acquiesce.) L’Allemagne l’a fait, ce qui lui a permis d’en être là où elle est aujourd’hui.
Ce changement ne doit-il rien à François Hollande ? Selon moi, il a permis une avancée significative, dont personne n’a parlé, mais qui est pourtant importante. Dans la construction européenne, le couple franco-allemand est essentiel, mais il est aujourd’hui très déséquilibré, parce que, contrairement à notre pays, l’Allemagne a su entreprendre des réformes. Or le Président de la République a réintroduit l’Italie dans le dialogue européen moteur. (Mme Jacqueline Gourault applaudit.)
M. Richard Yung. C’est très bien, oui !
M. Michel Mercier. Je tenais à le souligner, car je ne l’ai pas entendu. C’est une très bonne initiative qui n’aurait probablement pas pu se concrétiser avec le prédécesseur de M. Monti. Mes chers collègues, il ne faut jamais hésiter à dire ce qui va, car nous sommes ensuite plus légitimes à formuler des critiques...
M. Michel Mercier. Bien sûr ! (Sourires.)
Je suis frappé de constater que l’Europe est un sujet tabou pour le Gouvernement. Vous brandissez un fatras de règles auxquelles personne ne comprend rien – pas vous, monsieur le ministre délégué, vous êtes bien trop savant... (Sourires) –, alors que l’Europe ne se résume pas à cela, elle représente bien autre chose.
Sur ce que vous allez faire, silence complet ! Pourquoi avoir choisi une telle stratégie ? Je ne le comprends pas, ou plutôt si, mais c’est à vous, et non à moi, de l’expliquer.
Que répondrez-vous à Mme Merkel qui a bravé son opinion publique pour faire des propositions audacieuses en faveur d’une Europe plus intégrée et plus fédérale ? Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que ce n’est pas vrai. Prenez-la au mot : négociez ! Agissez ! Faites montre d’enthousiasme !
Monsieur le ministre délégué, où voulez-vous nous emmener ? Où voulez-vous conduire la France ?
M. Gérard Longuet. Si seulement il le savait !
M. Michel Mercier. Dites-le nous ! C’est de réponses que le pays a besoin aujourd’hui. Resterons-nous un pays fondateur de l’Europe ? Vous ne pouvez rester silencieux sur ce sujet.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Michel Mercier. Je sais bien que vous-même, comme le Premier ministre, comme le Président de la République, êtes un Européen convaincu. Alors, pourquoi ce silence ?
Pour convaincre les Français de la nécessité de ce traité, de la coordination budgétaire dans la zone euro, du fonds monétaire européen ou encore de l’union bancaire, il faut leur expliquer que ce ne sont que les préludes d’une intégration économique et politique sans laquelle la France et l’Europe seront condamnées à jouer un rôle de figurant sur la scène mondiale.
Si vous faites votre devoir, si vous ouvrez des perspectives, alors le choix d’aujourd’hui sera bien, comme le Premier ministre l’a déclaré tout à l’heure, un choix d’avenir. Mais si vous omettez de le faire, ce choix ne sera perçu que comme un ensemble de règles ; les Français considéreront celles-ci comme un carcan, et s’éloigneront de l’Europe.
Monsieur le ministre délégué, vous pouvez donner du sens à l’article 20 de la Constitution, qui dispose que le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation ».
M. Charles Revet. Ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui !
M. Michel Mercier. Je ne vous demande qu’une chose : faites votre office, faites-nous rêver et espérer ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Delebarre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, j’ai voté contre le traité de Maastricht, contre le traité constitutionnel européen et contre le traité de Lisbonne, et pourtant je voterai ce traité budgétaire européen. Je voudrais m’en expliquer à cette tribune.
Je ne voterai pas ce traité parce que Jean-Marc Ayrault nous l’a demandé : le Premier ministre a ses raisons ; même s’il est socialiste, il n’est pas tout à fait mauvais – c’est d’ailleurs un homme de l’Ouest, comme vous, monsieur le ministre délégué –, mais je ne voterai pas ce traité pour les mêmes raisons que lui.
Je ne voterai pas non plus ce traité parce qu’il aurait été renégocié. Tous les observateurs un peu avisés savent – et le Premier ministre lui-même l’a reconnu tout à l’heure – que rien n’a bougé du point de vue juridique : pas une virgule ne manque, aucune ligne n’a été modifiée. L’habileté avec lequel le Gouvernement a mis en avant le « pacte de croissance » ne trompe personne. Il aurait mieux valu dire que la voix de la France transcende les changements de présidence, et assumer cette continuité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Vous auriez pu être compris par vos collègues et vos alliés de gauche sans recourir à de tels faux-semblants.
Je ne voterai pas davantage ce traité parce qu’il a été négocié par Nicolas Sarkozy. Sans doute Jean-Vincent Placé a-t-il eu raison de reconnaître, avec sa candeur politique habituelle, que le traité qui nous est soumis aujourd’hui est bien le traité « Merkozy ».
Je voterai ce traité pour des raisons de fond : je le voterai d’abord parce qu’il s’agit d’un traité de crise, et ensuite parce qu’il prévoit l’institution de la règle d’or.
Commençons par la situation de crise : on oublie vite, bien trop vite, mes chers collègues ! Je voudrais vous rappeler les rouages de l’engrenage infernal qui a failli broyer notre économie et fait aujourd’hui encore souffrir des millions de Français et d’Européens. À la crise des subprimes et à la faillite de Lehman Brothers a succédé la crise des dettes souveraines, la première vague touchant la Grèce, l’Irlande et le Portugal, la deuxième atteignant l’Espagne et l’Italie – on s’est même demandé si une troisième vague ne frapperait pas la France. Voilà le contexte, et on ne peut en séparer le traité budgétaire.
Combien de psychodrames, de sommets, de reculades aura-t-il fallu pour qu’une solution émerge enfin ? Il s’agit d’une double solution, une solution « siamoise » même, associant un mécanisme de solidarité à un traité budgétaire : d’un côté, la main tendue, l’entraide, de l’autre, la responsabilité, la règle, l’engagement. Ces deux aspects sont indissociables. Peut-on voter l’un de ces textes et rejeter l’autre ? Non ! J’ai voté le mécanisme de solidarité, et je voterai donc le traité budgétaire : c’est une question de cohérence.
Monsieur le ministre délégué, vous avez de la chance : vous faites face à une opposition constructive et responsable. Vos amis n’ont pas voté le mécanisme de solidarité : c’est tout de même incroyable ! Je pourrais vous présenter une anthologie des petites phrases prononcées à cette occasion par Nicole Bricq et Jean-Marc Ayrault… Où est la cohérence dans cette démarche, comment peut-on voter le traité budgétaire si l’on n’a pas voté le mécanisme de solidarité ? Monsieur le ministre délégué, nous sommes une opposition responsable : nous ne voulons pas affirmer notre intérêt partisan, mais l’intérêt de la France et celui de l’Europe.
Alors que certains sont sans doute en train d’hésiter, comme cela m’est arrivé par le passé, je pense que nous devons nous rappeler dans quelle situation nous nous trouvions il y a seulement quelques mois. On pouvait alors se demander si c’était la spéculation ou les États qui triompheraient. Quelle alternative existait-il à la réunion d’au moins vingt-cinq États autour d’une solution viable ? Aucune. C’est la première raison pour laquelle je voterai ce traité.
La deuxième raison, c’est que le traité prévoit l’institution de la règle d’or. Il y a un peu plus de quatre ans, j’ai déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à créer une règle d’or en France. En effet, depuis 1975, c’est-à-dire depuis plus de trente ans, aucun budget n’a été voté à l’équilibre, que ce soit par la droite ou par la gauche. L’addiction de notre pays à la dépense publique est donc trop forte pour que nous espérions la réduire sans garde-fou.
La dette issue de l’accumulation des déficits est une bombe à retardement pour notre indépendance nationale. Je demeure souverainiste, et on ne peut parler de souveraineté lorsqu’on se place sous la dépendance des marchés financiers ; c’est une évidence.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Cette dette représente un appauvrissement de la France, un appauvrissement des Français d’aujourd’hui et plus encore de nos enfants et petits-enfants. Il faut en être conscient, ce sont eux qui devront supporter les conséquences de nos dérèglements, alors même qu’ils seront également confrontés au choc du vieillissement, que nous commençons à peine à entrevoir et qui sera un véritable choc de civilisation.
Si la dette est une bombe à retardement, c’est aussi parce que – l’analyse économique l’a démontré – trop de déficit et de dette tue la croissance. Deux économistes, en particulier, ont prouvé, dans une étude portant sur différentes époques et sur quarante-quatre pays, que, à partir d’un certain niveau, la dette tuait la croissance. La règle d’or instaure un garde-fou, sans doute incomplet, mais qui a le mérite de nous engager dans la durée, à la face des autres générations : c’est une garantie. Il faut accepter cet impératif de réduction de notre déficit et de notre dette non comme une fatalité, mais comme un choix assumé, un choix qui ne consiste pas à sacrifier le présent, mais à préserver l’avenir.
Je suis d’accord avec le Premier ministre lorsqu’il affirme que le traité budgétaire n’est pas l’alpha et l’oméga, qu’il ne constitue pas une finalité. Il ne saurait contenir à lui seul ni la dimension nationale ni même la dimension européenne de votre politique. Pour me projeter dans l’avenir, je voudrais faire deux remarques, portant l’une sur la dimension nationale, l’autre sur la dimension européenne.
Paradoxalement, en dépit de toutes vos affirmations – et c’est sans doute pour cela que vous agitez la supercherie du « pacte de croissance » –, le Gouvernement donne le sentiment de n’avoir d’autre boussole que la réduction des déficits. La rigueur sans la réforme ne pourra pas porter ses fruits, parce que le choc fiscal que vous proposez, dans le pays champion du monde des prélèvements obligatoires, ne peut que tuer nos faibles perspectives de croissance. On n’attend pas la croissance comme on espère un phénomène météorologique, en se disant : « après la pluie, le beau temps » ! La croissance est le résultat de réformes volontaires. Or je ne vois pas de réformes dans le projet de loi de finances que vous avez annoncé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La réforme est une construction, et la règle d’or sera inopérante si vous ne faites pas, en même temps, des efforts pour restaurer la compétitivité de notre communauté nationale. C’est une évidence.
M. Charles Revet. Bien sûr ! C’est du bon sens !
M. Bruno Retailleau. On ne peut mobiliser un peuple autour du seul impératif de réduction des déficits. Pour que l’effort à fournir ait du sens, il faut expliquer au peuple que la réduction des déficits vise à préserver les générations futures, et que nous allons, en parallèle, redevenir une nation productive et productrice, en restaurant notre compétitivité. Dans l’histoire récente, d’autres pays, européens ou non, ont fait la démonstration que c’était possible. Cela doit donc être possible aussi pour la France !
Un sénateur du groupe socialiste. Vous avez eu dix ans pour le faire !
M. Bruno Retailleau. Curieusement, il y a quelques jours, au moment où le Premier ministre déclarait que c’était une facilité d’évoquer le coût du travail en France pour justifier le retard de compétitivité, un économiste, plutôt modéré d’un point de vue politique, démontrait que nous avions un double désavantage par rapport l’Allemagne : notre niveau de gamme, bien entendu, mais aussi une compétitivité-coût inférieure non pas de 18 %, mais de 40 % à celle de l’Allemagne, ce qui représente un énorme écart !
Il faut se saisir de ce problème : de toute manière, si vous ne l’abordez pas de façon franche, il vous reviendra sous la forme d’un « déficit jumeau ». En effet, on parle beaucoup du déficit des finances publiques, mais, vous le savez bien, il existe un autre déficit : le déficit commercial.
M. Charles Revet. Bien sûr !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Qui l’a creusé ?
M. Bruno Retailleau. Vous savez parfaitement qu’une union monétaire ne peut durablement se maintenir si sa balance courante est déséquilibrée, car la question de la solvabilité extérieure sera un jour posée. Par conséquent, la restauration de la compétitivité est impérative aussi du point de vue du déficit commercial.