M. Jean Bizet. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. Au terme de cet appel à projets, le ou les opérateurs privés européens retenus pourraient bénéficier du label de la Commission et d’un financement dédié au développement d’innovations en matière de méthodologie. Cette proposition est de nature à faire émerger le grand acteur européen de la notation qui nous manque. Notre mission commune d’information le souhaite, car il traduirait une volonté d’intégration économique et financière plus forte.
Monsieur le ministre, ayons à l’esprit cette affirmation de Talleyrand : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l’État les fait mal. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Fouché. Belle citation !
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord quelques observations formelles sur le rapport de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.
En tout état de cause, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’un travail très important a été accompli dans le cadre de cette mission. Il a abouti à la mise en avant de propositions tout à fait intéressantes.
Évidemment, nous ne pouvons que partager le regret formulé par la mission : le temps passant, les agences de notation ont pris une importance et joué un rôle sans commune mesure avec leurs moyens et leur raison d’être.
Je me permettrai cependant de souligner en cet instant à quel point, dans le monde actuel, l’information économique nécessite autre chose que les approximations produites par des organismes qui ne disposent pas toujours des compétences, de la profondeur de vue et de champ, ni de la légitimité leur permettant d’être considérés comme parfaitement fiables.
Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, quelques éléments relatifs à la réalité de l’action de ces agences de notation.
Trois entités principales existent aujourd’hui dans le petit monde de la finance occidentale, à savoir Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s. Même si Fitch est considérée comme une agence française depuis que Marc Ladreit de Lacharrière en a pris le contrôle, il n’en demeure pas moins que les trois entités ont des intérêts convergents : outre le fait qu’elles disposent parfois d’actionnaires communs, elles sont bien souvent juges et parties sur les marchés financiers.
Pour présenter le rôle des agences de notation, je ferai une comparaison avec le monde du sport. En réalité, c’est un peu comme si l’un des participants à une compétition sportive s’arrogeait le droit de qualifier le jeu de ses compétiteurs et adversaires sans en référer à l’arbitre !
Cette caractéristique constitue, de fait, l’une des limites objectives de l’indépendance et de la qualité du travail des agences de notation financière. J’observe d’ailleurs que leur travail n’a jamais été autant évoqué que depuis l’été 2008, au moment où les tensions observées sur le segment des subprimes nord-américaines ont entraîné la sérieuse crise de confiance systémique du secteur bancaire, dont nous constatons encore aujourd’hui les effets dévastateurs.
Je note à ce propos l’imagination pour le moins limitée des gouvernements européens en réponse à la crise obligataire créée par l’expansion de titres d’État destinés à rétablir la « confiance » dans le fonctionnement du secteur bancaire. Ils ont développé des politiques d’austérité dont l’inefficacité est chaque jour plus probante.
Les politiques menées sont surtout dangereuses pour les équilibres sociaux, les potentiels productifs, la croissance et la transformation positive d’économies, par trop fondées sur le gaspillage des ressources en sociétés où la satisfaction des besoins collectifs irait de pair avec une intelligence nouvelle dans les rapports que nous entretenons avec l’environnement et sur ce que nous risquons de laisser à ceux qui vivront après nous sur notre bonne vieille Terre !
On le sait, dans les années trente, notamment, les agences de notation ont provoqué des tensions particulières dans certains pays – singulièrement en Grèce –, conduisant des nations à connaître des épisodes historiques douloureux, allant très au-delà de l’appréciation négative portée sur telle ou telle dette dite « souveraine ».
Force est de constater qu’aucune de ces observatrices attentives de la situation des marchés financiers n’a été en mesure, en 2008, de nous aviser de ce qui se tramait au travers de la tension du secteur des prêts immobiliers américains, qui touchait l’ensemble du secteur bancaire, notamment parce que, au cours des dernières décennies, l’ingénierie financière a inventé des véhicules toujours plus sophistiqués, dont les échanges obéissent à des algorithmes de plus en plus précis composés de valeurs associées à des supports fort divers. Cela a eu pour conséquence, entre autres, de « contaminer », par simple dissémination systémique, nombre de transactions financières et de créer une méfiance mutuelle entre les banques.
Les agences de notation ont échoué : elles n’ont vu ni la fragilisation de Lehman Brothers ni le degré de la contamination qui risquait d’affecter l’ensemble des acteurs.
C’est pourtant à ce moment-là que nous avons commencé à entendre parler d’elles, ce qui est tout de même pour le moins stupéfiant. Les Français ont ainsi été abreuvés de « triple A » à satiété, comme si cette notation devenait soudain l’alpha et l’oméga de toute politique économique et budgétaire digne de ce nom.
Nous nous posons par conséquent deux questions.
Premièrement, de quels moyens effectifs les agences de notation disposent-elles pour apporter leur « expertise » sur la situation de tel ou tel pays émetteur de dette publique – remarquons qu’il n’existe guère de pays qui n’ait, par-devers lui, une part de dette publique – ou de telle ou telle entreprise, d’importance d’ailleurs fort variable ?
Deuxièmement, la notation d’un pays par une agence de notation donnée a-t-elle la moindre conséquence sur la réalité de la dette publique, singulièrement sur son amortissement, les conditions de financement, les taux d’intérêt ?
Sur le premier point, force est de constater que nous ne pouvons décemment contester aux experts d’avoir fréquenté les meilleurs établissements et écoles de formation économique. Loin de nous l’idée de mettre en cause la qualité de leur formation initiale.
Mais un problème apparaît. De manière générale, les agences de notation confient à deux analystes la mission de donner une valeur objective à la situation d’un pays ; pour ce faire, ils doivent disposer des moyens, des éléments et des informations nécessaires. À qui va-t-on faire croire que l’on peut confier la tâche d’émettre un avis autorisé sur la situation d’un pays à une équipe composée d’un contrôleur senior et d’un contrôleur junior ? On n’accepterait certainement pas une telle situation pour ce qui concerne la gestion d’une entreprise privée de quelque importance !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr !
M. Éric Bocquet. J’en viens à la question de la valeur accordée à la notation des agences par rapport à la situation de tel ou tel pays. À ce propos, souvenons-nous que le maintien du triple A était apparu à la France comme un objectif prioritaire de sa politique budgétaire. Nous pourrions le comprendre, puisque notre pays émet près de 200 milliards d’euros de titres de dette publique par an. Mais nous pouvons aisément rétorquer que certains pays, dont la notation est moins bonne ou dont la dette publique, rapportée au produit intérieur brut, est plus élevée qu’en France, ont une dette publique moins coûteuse, ne serait-ce que parce les taux d’intérêt qui grèvent les émissions obligataires sont moins élevés.
D’ailleurs, la France a fait une expérience intéressante : la notation de la dette publique a perdu le triple A – l’agence Fitch s’est cependant refusée à le retirer à notre pays – au moment même où les plus récentes émissions étaient grevées de taux d’intérêt plus faibles. Mes chers collègues, nous en sommes même arrivés à constater que nous pouvions émettre aujourd’hui des bons du Trésor de court terme assortis d’un taux d’intérêt négatif. Ainsi, le 20 septembre dernier, l’Agence France Trésor a émis des bons à deux ans assortis d’un taux d’intérêt de 0,75 %, après que des bons sur formules ont été émis au mois de juillet à un taux négatif.
Une telle situation a une origine fort simple. La dette publique française est particulièrement bien jugée sur la planète finance et certains investisseurs préfèrent souscrire et sur-souscrire les titres de cette dette pour être certains d’en tirer au moins un petit rendement. Ainsi, cet été, un grand établissement suisse est intervenu pour tirer vers le bas le taux d’intérêt de la dette publique française de court terme.
Pour autant, comme chacun sait, dans un contexte global de dépression et de déflation, un taux d’intérêt, même faiblement positif, est un taux réel encore élevé. Si nos taux d’intérêt sont aujourd’hui moins élevés, c’est parce que certains opérateurs et investisseurs, nonobstant l’avis des agences de notation, se positionnent en fonction des risques présumés encourus à placer leur argent dans tel ou tel pays.
Ces observations ne règlent qu’en partie les questions posées par l’activité des agences de notation. Nous devons désormais consacrer quelques instants à nous demander si nous ne pourrions pas faire tout simplement autrement.
La mission commune d’information a formulé un certain nombre de propositions, celle de confier une bonne part du contrôle de l’activité des agences de notation à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers n’étant pas la moindre.
Selon nous, il ne serait aucunement malvenu, si tant est que la notation des émissions obligataires des États, des entreprises, des collectivités locales ou des organismes sociaux ait un sens et une utilité, de réfléchir à un outil de notation plus directement indépendant des acteurs des marchés financiers.
De ce point de vue, on ne peut oublier que la France est dotée d’un tel outil, puisque la Banque de France dispose, avec sa division « cotations », d’un ensemble d’outils d’évaluation parfaitement éprouvé, dont l’indépendance est tout simplement garantie. Elle évalue aujourd'hui 250 000 entreprises.
Ce fait a deux raisons fort simples : d’une part, la loi de 1993 relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, que nous n’avions pas approuvée à l’époque, a indéniablement établi cette caractéristique fondamentale de notre banque centrale, situation très différente de celle des agences de notation, toutes rattachées par des liens capitalistiques à des groupes ou sociétés cotés ; d’autre part, aux termes de leurs statuts, les agents de la Banque de France voient leur indépendance garantie par leur mode de recrutement.
Par conséquent, notre banque centrale, comme probablement celles d’autres pays européens, dispose des hommes, des femmes et des outils les plus adéquats pour mener à bien une démarche neutre et objective de notation des émissions publiques comme privées.
Au moment même où le gouverneur de la Banque de France entend mettre en œuvre un plan de restructuration des activités de son institution conduisant à la disparition de 2 500 postes de travail, cette situation doit nous interpeller et nous amener à exiger qu’une orientation nouvelle et différente soit imprimée à notre institution bancaire centrale. Pour peu que les critères de notation soient nettement moins sujets aux aléas d’une conjoncture boursière et spéculative particulièrement changeante, les conditions générales de financement de l’économie et donc de la croissance et de l’emploi pourraient probablement être différentes.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les observations dont nous voulions vous faire part. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi qu’au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule de mon exposé, je souhaite féliciter chaleureusement nos collègues Frédérique Espagnac et Aymeri de Montesquiou du travail qu’ils ont effectué au sein de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.
Alors que les agences de notation existaient depuis un siècle, ce n’est qu’en 2008, avec la crise des subprimes, que l’on a pris conscience de leur réalité. On doit cependant aujourd'hui se demander si elles sont utiles. À cette question, je réponds « oui ! »
Imaginons que je sois un chef d’entreprise ayant besoin d’emprunter. Si je m’adresse au Crédit agricole, je vais forcément trouver un fondé de pouvoir capable d’analyser la santé de ma société, pour savoir si je pourrai rembourser mon emprunt.
En revanche, si je me tourne vers le marché obligataire, ce qui est aussi une possibilité, dont les bailleurs de fonds viennent des États-Unis, du Japon, des pays du Golfe ou de Suisse, les agences de notation sont bien évidemment utiles. Mais sont-elles crédibles ? Je réponds « Non » de façon catégorique, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, leurs analystes font preuve d’un assez grand amateurisme. Ils reconnaissent commettre beaucoup d’erreurs et se laissent même aller à des errements. D'ailleurs, ceux que j’ai pu rencontrer, en tant que membre de la mission, étaient généralement cravatés comme des notaires de province, toujours au garde-à-vous devant leurs chefs. En définitive, ils me faisaient penser à ces plantes de serre, qui ont un très bel aspect, comme chacun sait, mais ne résistent pas à la gelée. Or, en l’occurrence, on aurait plutôt besoin de chênes de plein vent capables de résister aux tempêtes ! (Sourires.)
Ensuite, il existe trois agences – je passerai bien entendu sous silence une fantomatique agence bulgare –, qui sont toutes américaines. On peut quelque peu douter de leur objectivité !
Je souscris à la proposition visant à créer une agence européenne. Encore faudra-t-il s’assurer, monsieur le ministre, que celle-ci n’est pas rachetée au bout de quelques mois par une agence américaine.
Même si je présente à cette heure le problème d’une manière quelque peu détachée, j’ai envie de pousser un gros coup de gueule, en citant un cas précis. Car je suis scandalisé, au sens profond du terme : j’ai appris cette après-midi que le Crédit immobilier de France allait disparaître,…
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. François Fortassin. … alors que cet établissement a tellement fait pour ceux qui voulaient accéder à la propriété et ne pouvaient obtenir un prêt de la part d’une autre banque.
Cet organisme possède des fonds propres à hauteur de 2,4 milliards d'euros, somme, qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, ne se trouve pas sous le pas d’un cheval.
M. Alain Fouché. Il a aussi une bonne gestion !
M. François Fortassin. Tout à fait, mon cher collègue ! Ses bénéfices ont atteint plus de 70 millions d'euros en 2011 et 37 millions d’euros pour le premier trimestre de 2012. Or, sous prétexte que l’agence américaine Moody’s l’a dégradé, il sera amené à disparaître !
M. Éric Bocquet. Très belle illustration !
M. Alain Fouché. Très bien !
M. François Fortassin. C’est littéralement scandaleux !
M. Alain Fouché. Nous sommes d'accord.
M. François Fortassin. Il faut sévèrement sanctionner ces gens pour les errements qu’ils commettent, car, malheureusement, s’ils font partie d’une économie virtuelle, leurs décisions ont des conséquences profondes sur l’économie réelle et la vie des populations.
Monsieur le ministre, sachez que je n’ai rien d’un boutefeu.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. Ça !
M. François Fortassin. Néanmoins, si vous aviez besoin d’une corde pour en pendre quelques-uns, je vous en achèterais une immédiatement ! (Sourires et applaudissements sur l’ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise financière et la récession induite que traverse le monde depuis l’effondrement des subprimes sur le marché américain, intervenu en juillet 2007, ne cesse de défrayer l’actualité économique et sociale, tandis qu’une rémission ne se dessine toujours pas à l’horizon.
Ce contexte, d’une gravité exceptionnelle, a mis en lumière auprès du grand public le rôle des agences de notation, suscitant une psychose collective liée à la perte du fameux « triple A ». Ces institutions privées, dont la mission principale consiste à évaluer le risque de crédit, c'est-à-dire le risque de défaut d’un émetteur sur ses dettes financières, apparaissent comme des acteurs incontournables, à défaut d’être légitimes.
On estime aujourd’hui qu’il existe environ 130 agences de notation financière dans le monde, mais nous avons affaire en vérité à un secteur très largement oligopolistique. Pour preuve, Standard & Poor’s et Moody’s contrôlent à elles seules environ 80 % du marché ; Fitch en possède, quant à elle, 15 %. L’agence chinoise Dagong est encore bien trop faible pour les concurrencer.
Ces organismes privés sont tous situés aux États-Unis, à New York. Par conséquent, ils portent une conception occidentale, et plus encore anglo-saxonne, de l’économie.
L’Europe continentale, dont l’histoire économique s’est davantage illustrée par un développement manufacturier que par l’essor d’une industrie financière, ne possède, à ce stade, aucun acteur équivalent. Les projets du français Coface ou de l’allemand Roland Berger n’ont pas abouti, tendant à souligner l’existence de réels blocages et à accentuer un sentiment « d’entre soi », fort commode pour les bénéficiaires.
D’où la question de la légitimité de ces agences, eu égard aux responsabilités qu’elles font peser sur le monde et aux conséquences directes et souvent dramatiques qu’elles ont sur l’économie réelle.
Cette omnipotence reste un défi majeur, surtout lorsque la méthodologie adoptée pose problème. Plus grave encore, le fonctionnement de ces agences est loin de faire l’unanimité. Néanmoins, c’est surtout pour ce qui concerne leur crédibilité qu’il nous faut bâtir un contrôle démocratique.
J’évoquerai donc, tout d'abord, la méthodologie des agences. Les grilles de notation de ces dernières, par exemple, font très largement débat. En effet, si les États-Unis, le Japon et la France ont perdu le triple A, ces États continuent à emprunter à des taux relativement bas sur les marchés. De même, l’Allemagne, meilleur élève économique de la zone euro, est placée sous surveillance.
Il apparaît donc qu’une vision anglo-saxonne de la finance est trop privilégiée par des acteurs dont la légitimité est assez discutable.
Dans cette perspective, le développement des CDS, les contrats d’assurance sur les titres souverains, a accentué le rôle trouble et néfaste joué par le système de notation.
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Inventé en pleine période de dérégulation, il doit permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur de CDS au cas où l’émetteur d’une obligation, c'est-à-dire l’emprunteur, fait défaut, qu’il s’agisse d’un pouvoir public ou d’une institution privée. On comprend dès lors que la dégradation des notes, qui mine la dette souveraine des États, joue en faveur des spéculateurs.
Enfin, l’indépendance des agences est fortement compromise par le système dit « émetteur-payeur ».
Initialement, les personnes souhaitant obtenir la notation d’un investissement étaient généralement celles qui payaient cette dernière. On parlait alors d’un modèle « investisseur-payeur ». En 2011, seulement 10 % du chiffre d’affaires des agences de notation provenait des détenteurs de fonds qui voulaient connaître la validité, le risque et la rentabilité potentielle de tel ou tel investissement, placement ou avance de fonds. Progressivement, les agences de notation ont commencé à facturer les émetteurs pour l’obtention de leur propre notation, d’où des risques très forts de conflits d’intérêts.
On se souvient que le groupe Vivendi Universal a fait faillite deux semaines après avoir été estampillé « AAA ». En 2008, la banque d’investissement Lehman Brothers bénéficiait encore de cette même notation à la veille de son effondrement. Un tel fonctionnement ne peut être accepté si l’on veut refonder sur des bases durables une économie saine, qui aura à cœur de replacer l’homme au centre de sa raison d’être.
J’en viens maintenant au fonctionnement des établissements. L’opacité relative de ces derniers est loin de faire l’unanimité parmi les acteurs économiques. Les politiques tarifaires pratiquées illustrent ce phénomène.
Ainsi, au mois d’août 2012, la fédération allemande du secteur bancaire a envoyé une missive à la plus grande agence, Standard & Poor’s, pour lui faire connaître son désaccord sur le sujet. Ce geste intervenait quelques mois seulement après la grogne de grandes entreprises d’outre-Rhin, comme Lufthansa, Volkswagen et Siemens. « Dans beaucoup de cas, les nouvelles factures des services de notation de Standard & Poor’s sont en considérable augmentation par rapport aux années précédentes », incrimine cette lettre. Les banques allemandes concernées n’ont pas pu constater que ces hausses de prix étaient le résultat de services de meilleure qualité.
L’organisation, qui rassemble les fédérations des banques publiques, privées, mutualistes et des caisses d’épargne, veut plus de transparence sur les prix. Elle a également alerté le superviseur européen du secteur bancaire, chargé aussi des agences de notation : « Ces critiques ne visent pas que Standard & Poor’s mais aussi les autres grandes agences de notation financière qui sont en situation d’oligopole. » Cet exemple illustre parfaitement les graves défaillances du système actuel, dont nous ne sommes pas en mesure de maîtriser la dynamique infernale et incontrôlable.
Enfin, j’en viens à la crédibilité de ces organismes privés, qui, je vous le rappelle, mes chers collègues, alors même qu’ils ne disposent d’aucun contre-pouvoir, se prononcent sur des pans entiers de l’économie, publics ou privés.
Il faut bien comprendre que la perte d’un ou de plusieurs crans de la notation a potentiellement des conséquences désastreuses sur l’emploi. En somme, un petit nombre d’« experts » mus par la cupidité dispose, indirectement, de la vie de millions de travailleurs, sans réel contrôle démocratique.
Cette situation reste dangereuse, dans la mesure où l’on veut éviter de susciter une nouvelle crise systémique à l’échelle planétaire. Il faut donc que l’Europe se dote de ses propres instruments de contrôle, efficaces, crédibles et légitimes.
À ce titre, il faut renforcer les trois nouvelles autorités de supervision européennes instaurées pour constituer le Système européen de surveillance financière : l’Autorité européenne des marchés financiers ; l’Autorité bancaire européenne ; l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.
La mise en place d’outils réellement légitimes et transparents à l’échelle du continent est encouragée par les écologistes, dans la mesure où ces instruments mènent à un approfondissement de l’intégration européenne.
Pour conclure, monsieur le ministre, nous disons oui au contrôle démocratique, oui à l’Europe, oui au TSCG ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant que vice-présidente de la mission, j’ai activement participé à ses travaux d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Je me suis même passionnée pour ces sujets.
Je veux d'ailleurs de nouveau féliciter la présidente et le rapporteur de l’important et agréable travail collégial qui a été réalisé pendant quatre mois et a abouti à un rapport très consensuel, adopté à l’unanimité des membres de la mission. À ce stade, je veux le dire, je souscris au diagnostic et aux propositions formulées, et cela sans aucune réserve.
Je me félicite d’avoir œuvré plus particulièrement en faveur de l’adoption de deux propositions : tout d’abord, l’obligation pour les agences de respecter un calendrier de publication des notes souveraines à date fixe, afin d’éviter la volatilité des notations et les interactions à chaud avec les marchés et d’atténuer les interfaces des notes avec les échéances démocratiques des États ; ensuite, l’obligation de souscrire une assurance civile professionnelle pour permettre aux agences de faire face à leurs responsabilités.
Cela étant rappelé, je voudrais vous faire part d’une analyse plus personnelle de ce dossier et vous faire partager mes convictions, en examinant successivement l’influence des agences, que je qualifierai de démesurée, leur responsabilité, notamment dans la crise, et les moyens de les recadrer, pour qu’elles occupent la place qui doit être la leur.
J’évoquerai donc, tout d'abord, l’influence démesurée des agences et leur responsabilité, en particulier dans la crise.
Tout le monde le sait, avec la mondialisation de la finance, le poids et les profits des agences se sont accrus de façon spectaculaire. En quarante ans, nous avons assisté à des bouleversements importants dans la sphère financière, notamment la libéralisation des mouvements de capitaux, l’accroissement rapide des besoins de financement des États et le développement de la titrisation.
La notation financière s’est imposée comme une réalité incontournable dans l’évaluation du risque crédit et dans le fonctionnement même des marchés financiers, avec, je le répète après d’autres, une situation oligopolistique de trois agences. Celles-ci, toutes de philosophie anglo-saxonne, concentrent plus de 90 % des parts de marché, avec un modèle économique fondé sur le principe de l’émetteur-payeur, qui leur donne un rôle de quasi-régulateur. Car c’est là, me semble-t-il, le fond du problème.
La mission que nous avons conduite a mis en lumière les faiblesses de ces agences, et donc les limites de la notation financière, pointant l’opacité des méthodologies et des processus de notation, leur manque d’anticipation, leurs insuffisances en matière de réactivité, leur légèreté parfois, leurs erreurs, je dirais même leur aveuglement, voire leur incompétence.
Je ne pense pas que les agences de notation soient responsables de la crise financière. Toutefois, celle-ci a incontestablement révélé les insuffisances de leurs méthodes et de leurs objectifs. On peut même dire que leur rôle a souvent amplifié et légitimé les crises spéculatives, car, disons-le, elles ont favorisé la spéculation.
Depuis le début de la crise de l’endettement public, on peut tout particulièrement observer les effets amplificateurs des décisions qu’elles ont prises. On parle même de « procyclicité ». Chaque fois qu’une agence signifie un risque d’insolvabilité, elle justifie a posteriori une position spéculative. Or, nous le savons, en économie, les prophéties auto-réalisatrices caractérisent les marchés financiers.
Les agences considèrent, quant à elles, qu’elles ne font qu’émettre une simple opinion, qui n’est assimilable ni à une recommandation d’investissement, ni à un conseil, ni à un audit, ni encore à une certification.
Toutefois, leur influence est considérable, car la puissance publique elle-même leur a conféré un statut d’auxiliaire du service public. Les notations qu’elles distribuent servent de référence à toutes les institutions internationales. Les normes de Bâle III et la directive Solvabilité II y font notamment référence.
Avec les trois lettres A, B et C, les agences font trembler la planète finance tout entière. Or une erreur d’appréciation peut contribuer à déstabiliser l’économie d’une région du monde. Les intérêts supérieurs d’une nation peuvent être mis en jeu et le pouvoir politique ne peut donc, selon moi, se désintéresser de cette question. Il doit tout entreprendre pour sauvegarder les intérêts fondamentaux du pays.
C’est la raison pour laquelle il faut recadrer la notation financière et la remettre à la place qui doit être la sienne, en redonnant aux agences leur véritable caractère de prestataire de services et non pas d’organisme habilité à certifier les notes.
Comment y parvenir ?
Le pouvoir actuel des agences de notation n’est pas sain – j’avais écrit ce terme dans mon discours avant même que le rapporteur ne le prononce à la tribune ! (Sourires.) – ; il est même déraisonnable pour ce qui concerne la notation des dettes souveraines, d’autant que les pays comme le nôtre ne sont, la plupart du temps, ni demandeurs ni solliciteurs.
Cher collègue François Fortassin, je partage votre coup de colère, bien ciblé. Vos propos sur la notation des établissements bancaires se rapportent à la dette souveraine et non à la dette privée, car il existe véritablement une corrélation dans la manière de noter les États et les établissements bancaires. Pourtant, on ne peut pas tout mettre dans le même panier ! Il n’est pas possible de noter de la même façon les produits structurés, le corporate, les entreprises et le souverain.
Il faut donc que les agences retrouvent leur véritable caractère de prestataire de services. Pour ce faire, il convient de mettre fin au principe de l’émetteur-payeur, qui a brisé tout le système, et revenir à celui de l’investisseur-payeur. Si vous êtes dans une relation de conseil à l’investisseur, vous agissez en tant que prestataire de services, ce qui évite toute ambiguïté. Du reste, cela aura des conséquences positives sur la question complexe du régime de responsabilité des agences, car on déplore malheureusement aujourd'hui une absence de relations contractuelles entre ces dernières et les investisseurs.
Il faut d’ailleurs noter, comme l’a d’ailleurs fait M. le rapporteur, que le modèle de l’investisseur abonné payeur existe ; mais il n’est le fait que des très petites agences de notation. Il est très clair que le paiement de la notation par les entités notées est une source potentielle de conflits d’intérêts entre émetteurs et agences de notation. Ce n’est pas raisonnable ! Et que l’on ne me dise pas que c’est une histoire de photocopieuses ! Les agences de notation savaient parfaitement ce qu’elles faisaient en passant du système de l’investisseur-payeur à celui de l’émetteur-payeur.
Quant à la question de la légitimité des agences de notation de noter la dette souveraine, à mes yeux primordiale, elle ne se pose que depuis 2009. La place croissante des facteurs politiques dans l’analyse des agences est tout simplement insupportable. On ne peut pas laisser faire cela !
La notation de la dette souveraine doit obéir à des critères qui diffèrent, pour partie, de ceux qui sont retenus pour la notation de la dette privée. En effet, les États ont la possibilité de lever l’impôt et d’émettre de la monnaie, ce qui fait d’eux, a priori, des débiteurs beaucoup plus sûrs que les débiteurs privés. Toutefois, il faut aussi reconnaître que les créanciers ont peu de voies de recours si un État décide de ne plus rembourser sa dette.
La notation doit donc prendre en compte non seulement la capacité financière d’un État à rembourser ses dettes, mais aussi sa détermination à le faire, notamment dans l’hypothèse où un contexte de crise économique rendrait le service de la dette plus difficile à assumer.
La notation doit tenir compte de critères économiques et financiers – tout le monde le comprend –, mais aussi – et c’est là où c’est grave ! – de données politiques et institutionnelles. La croissance stable et régulière, l’évolution des déficits publics et de la dette publique, tout comme la politique monétaire ou la balance des paiements, sont également des données essentielles qu’il faut prendre en considération.
De par la complexité de ces données, leur spécificité, la nécessité de disposer non seulement d’une analyse quantitative, mais aussi d’une appréciation très largement qualitative avant de pouvoir attribuer une note, la méthodologie des agences pour la notation de la dette souveraine ne peut se satisfaire de la grille de notation retenue pour les produits structurés ou le corporate.
Je rappelle que, dans la quasi-totalité des cas, les grands États, dont la France, ne demandent pas la notation. Il s’agit donc de notations non sollicitées.
J’ajoute que le défaut d’un État est très rare et ambigu, car, disons-le clairement, un État n’a pas à rembourser ses dettes ; il les renouvelle dans le temps, ce qui est complètement différent.
La soutenabilité intrinsèque de la dette s’évalue sur un horizon à très long terme et dépend de caractéristiques entièrement politiques. La méthode de validation statistique appliquée aujourd'hui aux notations des entreprises est ici inutilisable.
Les agences se contentent donc de définir des critères subjectifs et hétéroclites, qui ont peu évolué face à la crise de liquidité que nous connaissons. La notation souveraine devient un processus entièrement procyclique et autoréalisateur. Le même phénomène se produit pour les banques, puisque les agences relient étroitement la notation bancaire à la notation souveraine. À cet égard, les propos tenus par mon collègue François Fortassin à propos du Crédit immobilier de France sont tout à fait importants.
Pour ma part, je le répète, je considère que les agences n’ont aucune légitimité scientifique dans la notation souveraine. Eu égard à la charge de travail que cela implique, elles n’ont pas davantage les moyens suffisants pour aller dans ce sens. On sait comment cela se passe ! Deux personnes ne peuvent pas décider, dans un aéroport, par conférence téléphonique, de la note de la France. C’est absolument inacceptable !