Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite bien entendu exprimer la légitime satisfaction de notre groupe d’avoir vu ce sujet, hautement politique, et même hautement éthique, au regard de nos valeurs républicaines profondes, dont font notamment partie le paiement de l’impôt, la participation aux charges publiques en fonction de ses capacités et le contrôle de la qualité de l’utilisation de l’impôt versé, d’avoir vu ce sujet, disais-je, traité en 2012 – enfin, serais-je tenté de dire ! – dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire. En effet, nos prédécesseurs du groupe communiste et apparentés, au début des années soixante-dix, avaient fait la même proposition, qui n’avait pas alors été retenue par la majorité du Sénat. Il s’agit donc, vous en conviendrez, d’une exigence ancienne !
Nous ne pouvons, par conséquent, que nous féliciter de la mise en place de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux hors de France et ses incidences fiscales, du déploiement de son activité et de l’extrême foisonnement du résultat de ses travaux. Même si, pour ma part, je n’ai pas pu m’associer autant que je l’aurais souhaité à ces derniers, je tiens ici à apporter mes plus vifs remerciements à son rapporteur, mon ami et collègue Éric Bocquet, à son président, notre collègue Philippe Dominati, ainsi qu’à l’ensemble de ses membres, qui ont fait preuve de ténacité, de sagacité et, souvent, d’à-propos dans le cadre des déplacements comme des auditions. J’associerai à ces remerciements les fonctionnaires concernés, car je sais que, sans eux, il est toujours difficile de mener ce type de travail.
Nous sommes en présence d’une source d’information de première qualité, dont nous ne pourrons pas épuiser toutes les potentialités, que ce soit dans le cadre de ce débat d’étape ou dans celui des débats budgétaires et financiers qui nous occuperont cette année.
Je suis d’accord avec Éric Bocquet pour dire que nous ne sommes qu’au début de quelque chose et que le travail accompli n’est encore qu’une partie de ce qu’il reste à faire.
Pourtant, il me semble qu’il nous faut dès à présent tirer parti de ce travail. Il serait dommage qu’il ne soit pas suivi d’effets, notamment en trouvant une traduction législative.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. L’« affaire Arnault », avec les intentions plus ou moins déclarées de l’actuel P-DG de Louis Vuitton de faire sa valise pour aller, si j’ose dire, poser son sac en Belgique (Sourires.), a au moins révélé la particulière sensibilité des Français au principe d’égalité devant l’impôt. Cela peut nous aider dans ce travail législatif à mener.
Au-delà des compétences et des qualités de l’intéressé, la question qui nous est posée est bien celle-ci : est-il normal qu’une personne ayant largement bénéficié de l’effort collectif de formation, ne serait-ce que pour ses personnels, des infrastructures de transport, réalisées avec l’argent public, des incitations fiscales à l’investissement dans certains cas, puisse considérer comme légitime de s’abstenir de participer aux charges publiques à raison de ses facultés ?
Bernard Arnault est peut-être la première fortune de France, mais il est vite apparu à la grande majorité de nos concitoyens que cela ne lui donnait en aucune manière le droit de se dispenser d’apporter sa contribution aux efforts communs.
Comme le disait notre collègue Yvon Collin, cette affaire a bien montré la nécessité de travailler à une harmonisation fiscale à l’échelon européen.
Je le répète, les Français ont une claire conscience des exigences de justice fiscale, une justice dont ils attendent, notamment, qu’elle tende à corriger les inégalités sociales, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ont été plutôt « dynamisées » ces dernières années.
Cette sensibilité de l’opinion à l’équité fiscale doit, à mon avis, sa raison même.
La commission d’enquête a permis de révéler l’amplitude, la complexité, la diversité de l’ensemble des problématiques de dépense fiscale, d’évasion et d’optimisation. Il est devenu évident, au fur et à mesure des travaux de la commission, que ces domaines avaient connu un certain développement au cours des dernières années.
Une de nos collègues faisait état tout à l’heure de la nécessité d’informer et d’expliquer. À cet égard, je voudrais saluer ici un travail très important, qui mérite sans doute d’être mieux connu : il s’agit d’un documentaire réalisé par la chaîne de télévision Arte et présenté hier soir, qui avait pour thème la City, présentée comme malade de la finance. Il décrit notamment la façon dont s’est mis en place le système des subprimes. Je crois que nous ne sommes pas en mesure de relayer ce type d’information avec la même amplitude que la télévision. Il me semble d’ailleurs que c’est là un élément à prendre en compte dans le débat sur le financement des projets audiovisuels, que nous évoquions justement ce matin en commission des finances.
Avec ce rapport, la fraude aux allocations sociales, dont certains se firent un temps les dénonciateurs implacables – je pense ici à la stigmatisation des présumés fraudeurs à l’aide médicale d’État -, a pris un « coup de vieux » devant l’ampleur de ce qui a été découvert sur les montages financiers et juridiques en vigueur dans certains groupes, adeptes du « sandwich hollandais », du « double irlandais » ou des carrousels de TVA. Les sommes en jeu y sont autrement plus importantes et les méthodes de dissimulation, bien plus sophistiquées !
L’un des constats essentiels de la commission d’enquête sénatoriale est bel et bien là : l’évasion et la fraude fiscales semblent l’apanage de ceux, entreprises ou particuliers, qui ont beaucoup d’argent, de biens et de patrimoine à soustraire à la juste rigueur du fisc.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-France Beaufils. N’allez pas penser que nous assisterions à un retour des « 200 familles », symbole des années trente, mais le fait est que la croissance des inégalités entre ménages, les différences de traitement entre les entreprises du point de vue fiscal ont connu ces dernières années une telle vigueur qu’il nous faudra bien, lors de nos prochains débats budgétaires, en tirer les conséquences, pour mettre fin à ces dérives et revenir à des pratiques plus équilibrées.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Marie-France Beaufils. Le projet de loi de finances pour 2013 peut d’aller dans ce sens, en faisant porter une part importante de l’effort de redressement des comptes publics sur les revenus les plus élevés et les entreprises les plus importantes. Le Gouvernement a également décidé de s’intéresser à certaines conventions signées avec des États européens voisins. Mais nous savons que ce sont plus de cent vingt conventions fiscales qu’il nous faudra dénoncer pour contrecarrer l’évasion et la fraude fiscales.
Modifier nos règles et faire de la justice fiscale la règle d’or de nos choix en matière de recettes va de pair avec une réorientation de nos dépenses publiques, laquelle peut et doit, en principe, justifier de dépenser moins ici et plus ailleurs. Le changement attendu par nos compatriotes prendra alors tout son sens.
Le rapport de la commission d’enquête porte à la connaissance de l’ensemble des parlementaires et, progressivement, du public, une bonne part des enjeux du débat sur les finances publiques, conditionnant par là même le sens que nous entendons donner à l’action publique dans notre pays.
Nous disposons, avec les recommandations de la commission, d’un certain nombre d’outils pour améliorer sensiblement les recettes fiscales, bien assez, sous certains aspects, non seulement pour répondre en partie à l’objectif de réduction des déficits, mais aussi pour penser et repenser l’action publique, les dépenses publiques devant redevenir le vecteur de la croissance qu’elles ont été maintes fois dans l’histoire économique du pays.
Si nous voulons, dans les années à venir, réduire les déficits publics et retrouver la voie d’une croissance responsable et durable, nous devrons bel et bien allier justice fiscale et nouvelles dépenses publiques. J’insisterai tout particulièrement sur la nécessité absolue de mettre à la disposition des services de l’État concernés les moyens, notamment en personnels, d’agir efficacement dans la lutte contre l’évasion fiscale.
Mme Odette Herviaux. Très bien !
M. Guy Fischer. Exactement ! Revoyons la RGPP !
Mme Marie-France Beaufils. Toute autre voie nous conduirait à l’échec dans ce domaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en ma qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, je me réjouis de la tenue de ce débat.
Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales va nous permettre d’étayer notre réflexion. Il est l’aboutissement d’un très long travail, auquel j’ai eu l’honneur de participer, comme quelques autres de mes collègues de toutes tendances politiques.
Ce travail, à mon sens, a été très utile, car il a permis, en ce domaine, de faire la part des fantasmes et de la réalité.
Nier tout exil fiscal est illusoire. On ne peut, en effet, contester l’impact des politiques fiscales conduites jusqu’à présent ; l’actualité récente nous en fournit maints exemples. Les très nombreuses auditions menées par la commission d’enquête ont clairement démontré l’ampleur du phénomène.
Pour autant, tout Français de l’étranger ne saurait être stigmatisé et considéré comme un exilé fiscal.
L’Assemblée des Français de l’étranger s’est aussi, pour sa part, interrogée sur le principe de territorialité de l’impôt, engageant une réflexion sur les conséquences que pourrait avoir l’introduction, en matière fiscale, du principe de nationalité, à côté du principe de territorialité, que je qualifierai d’« assise » du code fiscal.
Cette question concerne au premier chef nos compatriotes expatriés, dont un certain nombre sont binationaux. En effet, comment ne pas tenir compte des conséquences économiques, financières et culturelles des probables renonciations massives à la nationalité française que l’application de cette mesure pourrait induire ?
Quelque cent vingt conventions fiscales bilatérales signées par la France permettent tout à la fois de déterminer le domicile fiscal du contribuable et d’éviter que celui-ci ne subisse une double imposition, en France et dans son pays de résidence. Il s’agit d’une mesure d’équité, nous en sommes tous bien conscients.
Toutefois, Me Jean Pujol, conseiller élu des Français de l’étranger et avocat installé en Andorre, a évoqué, lors de son audition par la commission d’enquête, le cas récent de la convention franco-andorrane, dont une des clauses est pour le moins inhabituelle, sinon extravagante, puisqu’elle permet à l’État français de refuser son application à nos compatriotes résidant en Andorre, ouvrant la porte, ipso facto, à une double imposition.
Voilà une disposition incongrue et potentiellement dangereuse, car son introduction dans d’autres conventions permettrait de vider celles-ci de leur substance.
L’administration fiscale outrepasse ainsi ses pouvoirs en mettant le Parlement devant le fait accompli. Il appartient donc à la représentation nationale, en vertu de son pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale, d’être, sur ce point, particulièrement vigilante sur le contenu des futures conventions bilatérales.
Par ailleurs, malgré les demandes récurrentes des parlementaires représentant les Français établis hors de France, le ministère de l’économie et des finances n’a jamais fourni de chiffres précis permettant de mesurer le niveau de l’expatriation fiscale.
Certes, le phénomène n’est pas facilement quantifiable, mais, comme le note le rapport avec pertinence, les « organismes en charge de cette question ne […] communiquent pas, au minimum, [les] estimations qui pourraient éventuellement reposer sur des jeux d’hypothèses.
Le rapport poursuit : « Les sources publiques d’évaluation de l’évasion fiscale internationale sont généralement "muettes".
« Les informations quantifiées fournies par les administrations publiques françaises en charge de la fraude sont rares, leur réponse aux questions portant sur l’estimation de l’évasion fiscale consistant à… n’en pas fournir. »
La commission des finances et des affaires économiques de l’Assemblée des Français de l’étranger, lors de sa réunion du 3 septembre dernier, a reconnu l’intérêt de certaines propositions du rapport sénatorial. Elle a notamment ciblé le renforcement de la coopération et de l’harmonisation fiscales, en particulier en Europe, une meilleure surveillance fiscale des opérations de cessions-acquisitions-fusions, ainsi qu’une approche pragmatique du spectre très large de la problématique des prix de transfert.
Pour autant, cette commission s’est étonnée du manque d’informations chiffrées que je viens d’évoquer. Elle a ainsi constaté qu’il n’était toujours pas possible de connaître le montant des prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers et les plus-values immobilières de source française pour les non-résidents, de même que la répartition entre non-résidents français et étrangers.
Les revenus de location d’immeuble et les plus-values immobilières des non-résidents sont, rappelons-le, soumis aux prélèvements sociaux depuis la loi de finances rectificative pour 2012 adoptée en juillet dernier.
La commission d’enquête sénatoriale a émis plusieurs propositions afin de pallier ce manque d’informations, notamment au travers de la mobilisation de notre appareil statistique pour évaluer l’évasion fiscale. Je m’en félicite et souhaite que le Gouvernement reprenne à son compte nos propositions en la matière. J’espère, madame la ministre, que notre demande sera satisfaite.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je terminerai en remerciant le président de la commission d’enquête, Philippe Dominati, ainsi que son rapporteur, Éric Bocquet, qui, malgré leurs différences idéologiques, ont su travailler dans un climat constructif et publier un rapport objectif, très complet, dont les 61 propositions, feront, je l’espère, l’objet de toute l’attention du Gouvernement, dont on peut attendre qu’il ne laisse pas sans suites ce travail du Sénat. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre l’évasion fiscale va pouvoir bénéficier de moyens supplémentaires, visant notamment à renforcer les pouvoirs d’investigation, d’enquête et de recouvrement de l’administration. Sachez que nous sommes, bien entendu, très favorables à cette évolution.
À ce titre, il est important de souligner que des dispositions « anti-abus » ont déjà été adoptées dans le cadre du collectif budgétaire que nous avons voté cet été.
Comme le rappelait récemment le ministre du budget, l’efficacité du recouvrement des sommes dues, dans les cas de fraudes fiscales ou sociales mises au jour, est loin d’être satisfaisante.
Au moment où l’on demande un effort vigoureux au pays, il ne serait évidemment pas acceptable que certains contribuables estiment pouvoir s’en affranchir : ils doivent, eux aussi, consentir cet effort.
Tous les aspects du rapport de la commission d’enquête sénatoriale ayant déjà été développés, je me contenterai d’aborder un point particulier, sur lequel je reviendrai d’ailleurs au moment de l'examen du budget pour 2013.
Mes chers collègues, nous avons voté à l’unanimité le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, qui a formulé 61 propositions pour lutter contre la fraude fiscale.
Il y est précisé que le montant correspondant à la fraude et à l’évasion fiscales est aujourd’hui particulièrement élevé. Les chiffres ont été rappelés : celui-ci représenterait près de 50 milliards d’euros chaque année. Comme l’avait fait remarquer mon collègue Yannick Vaugrenard, ce montant égalerait, au moins, les sommes consacrées annuellement au remboursement des intérêts de la dette française. Voilà qui ne manquera pas de parler aux Français, à qui l’on demande tous ces efforts…
À ce titre, et c’est le sens de mon intervention, il serait judicieux de mettre en place un système de taxation sur le revenu mondial, que j’estime indissociable du taux de 75 %.
En 2007, François Marc, aujourd'hui rapporteur général de la commission des finances, avait d’ailleurs proposé, dans le cadre d’un rapport sur la fiscalité, de créer un « impôt citoyen » qui frapperait « tous » les expatriés.
En 2010 et 2011, Jérôme Cahuzac, alors président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, devenu depuis ministre du budget, avait remis cette idée sur la table en proposant, à travers des amendements, de faire contribuer les expatriés dont le revenu annuel dépassait 200 000 euros, pour la partie supérieure à cette somme. Quand l’un de ces amendements avait été discuté à l’Assemblée nationale, en octobre 2010, le ministre du budget de l’époque, François Baroin, avait dénoncé cette taxe, la qualifiant de « droit du sang fiscal », et considéré qu’elle relevait d’une « conception qui va à rebours de l’histoire ». L’actuel ministre du budget avait pourtant suggéré, à juste titre, un impôt de bon sens.
Cette proposition part d’un constat évident, mes chers collègues : pourquoi ne pas rappeler leur nationalité à ceux qui sont partis et leur demander de payer quelque chose en France, pays où ils sont nés, où ils ont été soignés, où ils sont allés à l’école ?
Pour mémoire, je précise qu’actuellement nos compatriotes expatriés payent l’impôt à l’État dans lequel ils résident fiscalement. La France a en effet signé avec d’autres pays dans le monde des conventions fiscales, environ cent vingt, en vertu desquelles elle renonce à son droit souverain de lever l’impôt au profit de ces pays, selon le principe du domicile fiscal. C’est un sujet sur lequel je suis déjà intervenu à plusieurs reprises en commission des finances.
Conséquence de ces accords pour les Français domiciliés fiscalement à l’étranger : seuls sont imposables en France les revenus de source française, tels que revenus du capital, revenus immobiliers, droits d’auteur.
Par ailleurs, en vertu d’un accord visant à favoriser la mobilité des salariés en Europe, un Français travaillant dans un autre pays européen et qui perd son emploi peut s’inscrire au chômage dans le pays où il réside ou bien dans son pays de naissance. Dans ce cas, l’assurance chômage française l’indemnise, sur la base de son dernier salaire perçu, à condition qu’il ait retravaillé entre un jour et trois semaines sur le territoire français. Il se peut donc que des traders français de la City soient revenus en France toucher des allocations de chômage.
Nous sommes, dès lors, en droit de nous demander pourquoi nous ne lions pas imposition et citoyenneté.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Patriat. C’est du reste ce que font, entre autres, les États-Unis. Les expatriés américains paient l’impôt sur le revenu dans le pays où ils résident fiscalement et versent un autre impôt à leur pays d’origine, sur la base du revenu annuel, déduction faite toutefois de l’impôt payé dans le pays d’accueil.
En clair : les expatriés américains sont une source permanente de recettes fiscales pour les États-Unis, tandis que les expatriés français représentent un manque à gagner certain. Pourquoi ne pas appliquer la recette en France ?
M. Jacques Berthou. Cela paraît évident !
M. François Patriat. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait très justement assuré vouloir aller au-delà de la proposition de Nicolas Sarkozy, qui visait uniquement les revenus du capital, en l’élargissant à l’ensemble du patrimoine qui s’est délocalisé en Suisse ou en Belgique.
L’instauration d’un système de taxation sur les revenus mondiaux consisterait à regarder l’ISF qu’aurait dû payer en France un Français qui vit en Suisse, en Belgique ou au Luxembourg. S’il paye moins là où il réside, il devra verser la différence au fisc français.
Rappelons, à ce titre, que la plupart des contribuables qui partent le font pour échapper à l’ISF : c’est la cause principale de l’exil fiscal.
Pour décourager l’exil fiscal, il faudra revoir certaines conventions fiscales. Il sera indispensable d’agir aussi sur les comptes cachés à l’étranger.
Je sais par avance ce que l’on va m’objecter : qu’il y a beaucoup de conventions ; que les remettre en cause ne va pas tout seul ; que la tâche sera complexe et ardue ; que l’avantage fiscal peut aussi être vu comme une compensation pour ceux qui acceptent de s’exiler en vue d’avoir quelques revenus supplémentaires…
Il reste que cet impôt citoyen me paraît être à l'ordre du jour parlementaire au moment où nous instaurons, en France, des mesures qui appellent tous les Français à l’effort.
Le ministre de l’économie et des finances a récemment affirmé qu’il comptait demander au Parlement de légiférer, avant la fin de l’année, sur un « paquet » contre la fraude fiscale, en redonnant au contrôle fiscal les moyens d’être le bras armé de l’égalité devant l’impôt. Cette suggestion n’est qu’une parmi d’autres. Mais sachez, madame la ministre, que nous serons aux côtés du gouvernement dans cette démarche de justice fiscale. Nous la défendrons avec force et détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’évasion fiscale est vécue par nos concitoyens comme une injustice.
Pour les sportifs, il s’agit, nous ont dit certains d’entre eux, de trouver les moyens d’optimiser leurs gains financiers sur une période trop courte à leurs yeux. Pour les entreprises, la concurrence fiscale internationale est la racine de l’évasion fiscale. Elle est la conséquence d’investissements à l’étranger qui bénéficient des failles soit de nos législations, soit des conventions internationales que le France a signées, soit encore des législations étrangères.
Ce phénomène évolue vite. Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales met en évidence les nouveaux territoires d’évasion fiscale : l’Asie, l’Amérique latine ou encore les territoires du numérique.
Il y a un décalage permanent entre notre législation, nos outils de contrôle et les formes que prend l’évasion fiscale. Ce décalage ne doit pas nous conduire au fatalisme.
L’évasion fiscale est un acte intentionnel que la loi condamne lorsqu’il s’agit d’une fraude, mais qui devient légale dès lors qu’elle est considérée comme de l’optimisation. C’est là, me semble-t-il, que réside finalement le cœur du problème : la différence fondamentale entre fraude et optimisation, c’est, en fin de compte, l’action que nous menons, nous, législateur, pour corriger ou bien limiter les risques d’évasion. Se pose alors la question de notre propre responsabilité.
En 1972, déjà, le Sénat soulignait dans une résolution la complexité du système fiscal français : quarante ans plus tard, le constat est toujours le même.
Il est donc essentiel que nous menions une réflexion en profondeur, eu égard à l’évasion fiscale induite par notre propre législation. Comme l’a dit tout à l’heure le président Philippe Dominati, je crois que nous avons encore du pain sur la planche ! Et il est intéressant que nous puissions, ensemble, poursuivre les travaux très riches engagés par la commission d’enquête.
Ainsi, plusieurs personnes auditionnées ont dénoncé la manière dont le crédit impôt recherche est utilisé afin d’obtenir un avantage considérable sans qu’il y ait de contrepartie en termes d’emploi. Selon ces personnes, il aurait contribué, entre 2008 et 2012, à un alourdissement de l’évasion fiscale d’environ 3 milliards d’euros.
Dans le même temps, d’autres personnes auditionnées ont présenté le crédit d’impôt recherche comme un facteur important du développement des petites et moyennes entreprises. À les entendre, il serait, avec la qualité de notre service public, de nos savoir-faire, de notre enseignement, un élément d’attractivité pour investir en France.
Qui doit-on croire ? Je crois que les uns et les autres énoncent une part de la vérité. Ces témoignages contradictoires montrent, en tout cas, qu’il convient de creuser ce sujet du crédit d’impôt recherche, afin d’en garder le meilleur et d’en rejeter le pire.
De manière récurrente, les auditions ont montré que nous étions confrontés à l’internationalisation des systèmes. Je pense que nos deux priorités sont, d’une part, d’affiner la législation fiscale française tout en la simplifiant et, d’autre part, de se doter d’une stratégie volontariste de coopération fiscale entre les États de la zone euro. Nous avons été un certain nombre à le dire dans nos interventions.
Nous devons, en particulier, lutter contre l’abus de droit qui ouvre la porte à l’évasion fiscale légale. Lorsqu’une entreprise réalise son activité à partir de la France et qu’elle doit y être imposée, alors même qu’elle justifie d’un regroupement dans un autre État, il appartient au juge de démontrer que la motivation de l’entreprise à se déclarer en territoire étranger est « exclusivement » d’ordre fiscal. Bien sûr, les entreprises trouvent toujours une bonne raison, un élément propre à démontrer qu’elles ont aussi un autre intérêt à être à l’étranger. Et ce mot « exclusivement » nous prive finalement de toute possibilité d’action ! Il suffirait donc que nous, législateur, retirions le mot « exclusivement » de la loi pour que les juges aient une marge de manœuvre plus importante.
Sur le plan interne, il y a probablement des pistes à explorer pour limiter l’évasion fiscale. Faut-il, par exemple, prévoir l’échelonnement de l’impôt pour les sportifs de haut niveau ? Faut-il envisager un impôt qui prenne en compte la nationalité ? En tout cas, nous aurons beau appeler au patriotisme fiscal en situation de crise, reconnaissons-le, il se trouvera toujours des concitoyens qui échapperont à une taxation.
La moralité a sa place, mais le droit en a une autre. Et le droit, c’est quand même au législateur de le définir.
II convient donc de mettre en place un cadre fiscal et juridique propre à libérer toutes les énergies au service de la croissance française. C’est une évidence, les États dont les impôts ont des assiettes larges avec des taux bas sont moins sujets que la France à l’évasion fiscale. En cette matière, comme dans bien d’autres, je pense que le pragmatisme vaut mieux que la stigmatisation, qui est de nature à diviser les Français.
Une certitude se dégage d’ailleurs à la lecture de ce rapport : un impôt à 75 %, cela nous a été dit au cours des auditions, ne ramènera en aucune manière sur notre territoire ceux qui le fuient pour des raisons fiscales et se contentent d’aller à une heure de Paris ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)