M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, si les contours de l’économie sociale et solidaire demeurent encore l’objet de débats, la notion a acquis une reconnaissance dans l’espace public au cours de ces trois dernières décennies.
Force est de constater que ses frontières sont difficiles à cerner. En effet, les principaux organismes constituant le cœur de l’ESS se rattachent à l’une des quatre grandes familles statutaires – coopératives, mutuelles, associations et fondations –, qui représentent 2,3 millions de salariés, soit plus de 10 % de l’emploi en France, selon l’INSEE.
Autour de ce noyau dur gravitent beaucoup d’entreprises. Certes, il existe une définition légale de l’entreprise solidaire issue de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et précisée par le décret du 18 mars 2009. Cependant, la réalité nous laisse voir une ESS à géométrie variable, en raison de la grande diversité de statut de ses acteurs et de l’absence d’une représentation réellement unifiée.
Je souhaite d’abord saluer la réflexion menée dernièrement au sein du groupe de travail sur l’ESS, présidé par M. Daunis, dont nous pouvons lire les conclusions dans le rapport d’information sur les coopératives en France, rédigé par Mme Lienemann.
Cette réflexion nous a permis d’appréhender globalement la situation de l’ESS et de proposer des mesures en faveur du développement des entreprises coopératives qui représentent une grande partie de l’activité de cette économie, particulièrement dans nos territoires ruraux où les deux tiers des agriculteurs participent à des coopératives.
Cette problématique, qui est désormais traitée dans un ministère à part entière, s’inscrit dans une logique d’évolution, d’amélioration et d’identification.
Monsieur le ministre délégué, vous avez précisé le 4 juillet dernier devant les élus du Réseau des territoires pour l’économie solidaire, le RTES, les contours du projet de loi que le Gouvernement présentera au Parlement à la fin de l’année.
Ce texte, qui devrait être discuté durant le premier semestre de 2013, prévoit certaines mesures intéressantes. Je pense notamment à un accès facilité à la commande publique, en promouvant l’innovation sociale.
Ce projet de loi représente également, selon moi, une opportunité pour favoriser les coopératives de production et de distribution, pour moduler la fiscalité des entreprises en fonction des résultats et des efforts fournis en matière de responsabilité sociale, sur la base de normes européennes communes, ou encore pour promouvoir toutes les forces de distribution en circuit court, du producteur au consommateur.
J’espère, monsieur le ministre délégué, que ces idées seront retenues.
En revanche, vous avez évoqué la création d’un label pour les entreprises sociales, ce qui me paraît plus discutable. Par qui sera-t-il décerné ? Comment sera-t-il vérifié ? Sera-t-il vraiment reconnu par le public ? Quelle en sera la portée normative ? Voilà autant de questions qui s’apparentent à la constitution juridique de règles strictes et contraignantes. Encore un label de plus, pourrait-on dire ! Il me semble que la plus grande prudence est nécessaire en la matière.
Si l’on doit améliorer les fondements juridiques de l’ESS, il faut le faire dans une perspective européenne. La réflexion de l’Union européenne sur ce sujet est en effet favorable, l’économie ne se réduisant plus désormais à ses yeux au marché, puisqu’elle inclut les principes de redistribution et de réciprocité.
Encourager cette économie ne veut pas dire la cloisonner. Il faut donc veiller à ce que la mise en place d’un label pour les entreprises ne vienne pas créer un fossé entre les structures considérées comme « sociales » et celles qui seraient « non sociales ». Une certaine souplesse doit être conservée.
Depuis peu, l’ESS fait face à un fort marquage politique qui laisse penser que ces entreprises se différencieraient très nettement des entreprises dites classiques. Veillons à ne pas tomber dans la caricature, c’est-à-dire à établir une différenciation entre une ESS « vertueuse » et une ESS « spéculative ».
Les problématiques de l’ESS sont très souvent concrètes et identiques à celles des entreprises classiques. Les priorités sont le financement, la croissance de l’activité, les ressources humaines, la fiscalité, l’innovation. Permettez-moi d’évoquer la situation problématique, sur mon territoire, des CUMA, les coopératives d’utilisation du matériel agricole, qui se trouvent exclues du bénéfice de l’exonération des cotisations sociales employeur pour les emplois saisonniers.
La loi doit avant tout permettre de remédier à des rigidités ou à des insuffisances statutaires, grâce à l’adaptation de certains des statuts en vigueur.
La complexité de l’ESS, qui fait aussi sa richesse, réside dans son aspect transversal, qui s’inscrit dans la diversité de ses structures et de ses objets.
Certaines des entreprises sociales et solidaires sont 100 % marchandes, d’autres le sont très peu et combinent des ressources non marchandes et non monétaires. Certaines ont plusieurs milliers de salariés, d’autres aucun. Il est particulièrement difficile d’édicter des lois communes pour toutes ces structures.
C’est pourquoi il faut à tout prix éviter de surcharger ce secteur de nouvelles normes, lesquelles devront, autant que faire se peut, être adossées aux dispositifs de droit commun.
Il faudra aussi aborder le contrôle de la gestion des fonds publics qui financent une grande partie des associations chargées de véritables services publics. Une commune de 500 habitants qui gère un budget de 100 000 euros est particulièrement encadrée. Il n’en va pas de même d’une association à qui une grande collectivité peut confier un service social doté d’un budget de plusieurs millions d’euros.
Il faut donc s’interroger sur le mode de contrôle de gestion qui pourrait être mis en place. Un chantier doit être ouvert en la matière.
Notons, à ce titre, les difficultés des acteurs associatifs. Bon nombre d’entre eux ne peuvent fonctionner comme une entreprise. Ils rencontrent des difficultés internes particulièrement importantes. Les moyens humains, juridiques et financiers manquent. Aussi sont-ils inquiets quant à leur faculté d’assumer toutes les responsabilités qui leur incombent.
Enfin, il me semble que d’autres pistes, sur lesquelles nous n’insistons pas assez, devraient être creusées. Je pense ici à l’enseignement. Mme la rapporteur a d’ailleurs insisté dans sa conclusion sur ce point.
Si l’ESS nous tient à cœur, c’est avant tout parce que ses fondements sont respectueux de l’homme. Ils s’incarnent dans une finalité d’utilité sociale, voire d’intérêt général.
À la notable exception des collectivités territoriales, qui soutiennent de plus en plus l’ESS, ayant compris son intérêt pour le développement local durable, les autres acteurs de la société continuent à la méconnaître largement.
Selon moi, l’une des réponses à son développement passe par la promotion de l’enseignement et de la formation à l’économie sociale auprès des jeunes.
Dès 2011, a été lancé, sur l’initiative de l’État et de six fondations d’économie sociale, le programme Jeun’ESS, qui comporte un volet entrepreneurial. L’appel à projet a été pris d’assaut !
Aujourd’hui, les jeunes souhaitent à la fois pouvoir observer le résultat de ce qu’ils font, être autonomes, prendre des initiatives, exercer les responsabilités d’un entrepreneur, tout en recherchant un travail qui ait du sens, qui serve l’intérêt général.
Pour conclure, monsieur le ministre, l’économie sociale et solidaire peut constituer un renouveau de l’économie, sur la base des principes de solidarité et de proximité auxquels aspire la jeunesse.
Il nous appartient, à nous comme à vous, monsieur le ministre, de ne pas ralentir son foisonnement en créant de nouvelles barrières, en voulant trop bien faire.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire souffre de beaucoup d’idées reçues ; c’est le moins que l’on puisse dire !
Comme elle est associée au secteur associatif, au bénévolat, à l’absence de profits – et donc de rentabilité exponentielle –, on oublie trop souvent à quel point ses acteurs sont producteurs de richesses, de cohésion sociale et d’aménagement du territoire.
À cet égard, je sais gré au Président de la République d’avoir pleinement reconnu cette spécificité, en nommant, dans le champ de l’économie traditionnelle, un ministre délégué à l’économie sociale et solidaire. En effet, notre économie, telle qu’elle fonctionne aujourd'hui, a besoin à la fois de normes et d’un secteur associatif et coopératif extrêmement fort pour que nous puissions relever les défis de la croissance.
Bien évidemment, je salue la grande qualité du rapport qui sert de support à ce débat : sans nier la diversité des formes de l’économie solidaire, ses auteurs ont pris acte de la nécessité de s’appuyer, de manière ciblée, sur ses acteurs pour contribuer à la croissance de notre pays.
La croissance est affaire de moyens, de redistribution et de justice sociale. Elle est aussi affaire de mise en réseau ; je sais que Marc Daunis ne me démentira pas sur ce point. L’économie solidaire n’est pas l’économie solitaire !
M. Marc Daunis, président du groupe de travail. Très bien !
M. Martial Bourquin. Elle est fortement ancrée dans les territoires. Par conséquent, elle n’est pas ou n’est que peu délocalisable.
À ce sujet, je me permets de vous faire part de mon expérience. Il y a quatorze ans, dans la commune de 15 000 habitants dont je suis le maire, nous avons créé un pôle local d’économie solidaire, sur lequel nous avons aujourd'hui des bilans chiffrés et un recul important.
Ce pôle, dont les statuts sont ceux d’une association « loi 1901 », s’articule autour de trois réseaux : un réseau de créateurs, un réseau d’intervenants volontaires et un réseau de financement solidaire.
Il a pour missions non seulement l’aide à la création, au maintien et au développement d’entreprises, mais aussi un développement local participatif de qualité.
Il mobilise un club d’investisseurs, des dons de particuliers et des associations d’entreprises, qui alimentent des projets directement générateurs d’emplois, mais qui prennent également en compte l’insertion professionnelle globale de la personne accompagnée.
Quatorze ans plus tard, le bilan est extrêmement positif. Avec un budget annuel de 50 000 euros et un chargé de mission, le pôle a accompagné six cent cinquante-six personnes et permis cent quarante-trois créations d’entreprise, cent seize emplois directs et cent quarante-deux accompagnements vers l’emploi. Depuis sa création en 2001, la cagnotte solidarité emploi a été à l’origine d’une cinquantaine d’emplois et a directement soutenu une trentaine de projets individuels.
Mes chers collègues, ces initiatives fonctionnent : elles créent de l’emploi ; elles créent de la valeur. Mais elles sont arrivées à un stade où leur développement nécessite des évolutions statutaires, financières et culturelles.
À cet égard, monsieur le ministre, nous attendons beaucoup du projet de loi dont vous avez annoncé la présentation au cours du premier semestre 2013 lors du conseil des ministres du 5 septembre dernier.
Le rapport de la commission des affaires économiques contient un certain nombre de préconisations ciblées, qui, je le crois, seront très utiles car leur mise en œuvre est déterminante pour passer le cap de croissance.
Le premier levier porte sur le statut des coopératives, que nous devons impérativement faire évoluer, ainsi que l’ont déclaré tout à l'heure Marie-Noëlle Lienemann et Marc Daunis.
Certes, la coopérative est une forme originale mais elle est trop souvent le dernier recours quand toutes les voies ont été explorées. (M. Daniel Raoul opine.)
M. Marc Daunis, président du groupe de travail. C’est vrai !
M. Martial Bourquin. Les tribunaux de commerce sont encore trop souvent réticents à les considérer comme de véritables créateurs d’activités économiques à part entière. (M. Michel Teston opine.)
Dans un rapport publié en 2011 à l’issue d’un an de travaux, la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires avait rappelé la grande fragilité de la transmission ou de la reprise d’entreprises.
Les coopératives doivent pouvoir être mobilisées beaucoup plus souvent, ce qui passe par la refonte de leur statut. Dans nos centres-villes, les reprises de commerces ou d’entreprises d’artisanat pourraient alors avoir lieu dans des conditions renouvelées.
Je souhaite que nous ne sombrions pas non plus dans l’angélisme : certains choisissent la formule de la coopérative pour bénéficier d’une niche fiscale. Nous le savons, même si les cas sont minoritaires. Néanmoins, la coopérative doit garder les caractéristiques qui la différencient d’entreprises plus traditionnelles.
Le deuxième levier porte sur le financement de l’économie solidaire. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire doivent être incités à bénéficier des fonds régionalisés de la future Banque publique d’investissement. La possibilité que des sociétés coopératives de production – les SCOP – se multiplient, créent de la valeur, de la richesse et de l’emploi ou que des coopératives industrielles voient le jour en sortirait renforcée. En effet, l’investissement dans le secteur industriel nécessite l’apport de capitaux.
Monsieur le ministre, l’idée d’une fondation, contenue dans le rapport, qui interviendrait de manière complémentaire me paraît aller dans le bon sens. Il s’agit non pas de suppléer les clubs d’investisseurs ou les dispositifs actuels, mais, là encore, de jouer les accélérateurs de projets.
Le troisième levier auquel je suis favorable est celui de la mise en réseau. C’est la force de l’économie sociale et solidaire ; elle est dans sa nature. Mais, pour que certains projets voient le jour et puissent passer à la vitesse supérieure, d’autres travaux en commun doivent être recherchés.
Par exemple, je suis de ceux qui plaident pour une réflexion sur une meilleure intégration de l’économie sociale et solidaire au sein de pôles de compétitivité profondément remaniés.
Je suis aussi de ceux qui souhaitent que ces acteurs de l’économie solidaire ne s’interdisent ni de pénétrer le champ de l’innovation et de la recherche ni de recourir à la mutualisation des moyens, qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, des ressources humaines, de la commercialisation ou de l’exportation.
Mes chers collègues, je suis originaire de Franche-Comté, le pays de Victor Hugo et de Proudhon. Leur région abritant des coopératives de comté, des coopératives laitières, les Francs-Comtois savent que de telles entités fonctionnent, y compris à l’exportation.
Permettez-moi de vous faire une dernière suggestion, à laquelle j’espère, monsieur le ministre, que vous serez sensible : le développement de l’économie sociale et solidaire au service de l’emploi passe aussi par des simplifications administratives majeures.
En effet, la simplification des normes administratives est bonne pour toute l’économie. Or la France est malade de la norme.
M. Jean-Jacques Mirassou. Le mal est grave !
M. Martial Bourquin. Cette situation est très compliquée pour les élus, pour les entreprises – qu’il s’agisse d’entreprises artisanales ou de grandes entreprises –, comme pour nos coopératives. Nous devons donc aller vers un travail de simplification pour développer nos territoires et nos entreprises. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Aline Archimbaud et M. Gérard Le Cam applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin.
M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur de l’économie sociale et solidaire fait partie intégrante de notre économie.
De surcroît, il est un recours parmi d’autres en période de crise économique et financière. Incarnant une autre vision des relations économiques entre les hommes et les femmes, il représente un espoir. Faisant la part belle à toutes les formes de coopération, il constitue une espérance. Surtout, il est à la fois espoir et espérance parce qu’il permet l’innovation sociale.
Pour l’ensemble de ces raisons, il mérite toutes les attentions, et en particulier la vôtre, monsieur le ministre.
L’économie sociale et solidaire est aujourd’hui à la croisée des chemins : elle a besoin qu’évoluent tant son statut juridique que ses modes de financement. À défaut, ses structures seront condamnées, condamnées soit à vivoter, soit à perdre leur âme. Tel est le cas des coopératives vinicoles, qui ne disposent pas des fonds propres nécessaires pour faire face à la concentration du secteur ainsi qu’aux nécessaires investissements de développement commercial et de croissance externe.
Le moment semble venu de permettre au secteur de l’économie sociale et solidaire, porteur d’innovation et de progrès social et pourvoyeur d’emplois non « délocalisables », de jouer pleinement le rôle qui lui revient, à côté du secteur caritatif et du secteur commercial. Il convient toutefois de combattre fermement les dérives financières qui, çà et là, gangrènent ce dernier.
Pour continuer non seulement de voir le jour, mais aussi de croître, les multiples structures – associations, sociétés coopératives et participatives, sociétés coopératives d’intérêt collectif – qui composent l’économie sociale et solidaire gagneraient à bénéficier d’un statut juridique approprié.
En effet, nous savons que la constitution d’une société coopérative de production, une SCOP, peut comporter des risques, lesquels découragent bien trop souvent les salariés à racheter leur entreprise, quand bien même cette dernière est tout à fait viable.
De façon générale, monsieur le ministre, ne peut-on pas réfléchir à un cadre juridique spécifique et commun aux différents types d’associations œuvrant dans le secteur de l’économie sociale et solidaire ? Une piste de travail consisterait à mettre en place un type de société inspiré de la société anonyme à responsabilité limitée, propre à l’économie sociale et solidaire, qui garantirait le respect de ses principes fondateurs comme la protection des apporteurs.
Cette réflexion sur le statut juridique ès qualités dont on pourrait doter les structures d’économie sociale et solidaire prendra inévitablement du temps. Pour l’heure, le financement est la question urgente à régler. À défaut, l’économie sociale et solidaire manquera un rendez-vous historique et ne pourra que stagner, voire régresser.
Monsieur le ministre, tel est le défi que l’économie sociale et solidaire doit relever ! Il faut trouver des capitaux plus « patients », moins « gourmands », et imaginer une autre forme de rémunération des capitaux que la seule rentabilité financière.
Hélas ! en l’état actuel, le mode de financement des entreprises coopératives accuse encore un retard dans la mobilisation d’outils pourtant classiques, qu’il s’agisse des leasings, des garanties, des adossements ou des partenariats. Cette lacune, qui s’accompagne, de fait, d’une très faible innovation en matière d’ingénierie financière, freine l’évolution et la croissance des structures, tout en les privant d’une stratégie économique digne de ce nom.
Aussi, c’est de matière grise que le secteur de l’économie sociale et solidaire a le plus besoin pour effectuer la mutation essentielle pour son avenir.
Tout l’enjeu consiste à lui permettre de disposer, pour son financement, de fonds dédiés à l’amorçage de projets socialement innovants et présentant un potentiel, mais ne pouvant atteindre leur équilibre économique qu’à moyen terme, à savoir trois à cinq ans. Par exemple, ces fonds pourraient prendre la forme de prêts pour le financement de la phase de « lancement-maturation ».
L’économie sociale et solidaire gagnerait également à ce que des fonds de garantie spécifiques – associant, le cas échéant, les collectivités – soient mis sur pied.
Enfin, des fonds d’investissement en fonds propres tels les titres participatifs doivent pouvoir soutenir les structures qui souhaitent se développer, en les accompagnant dans leur changement d’échelle.
Dans ces conditions, comme nombre de mes collègues, j’attends beaucoup de la future banque publique d’investissement, dont l’une des vocations, vous l’avez dit, monsieur le ministre, consiste à rassembler l’ensemble des missions et structures orientées vers le financement de l’économie sociale et solidaire.
J’estime en effet qu’elle doit pouvoir jouer un rôle important dans la dynamique que j’appelle de mes vœux, au côté d’autres acteurs publics : je pense notamment aux conseils régionaux qui font beaucoup. Vous vous doutez, monsieur le ministre, que je les porte dans mon cœur, celui de Languedoc-Roussillon plus particulièrement ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’illustre l’excellent rapport de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, l’économie sociale et solidaire couvre un grand nombre de secteurs. À ce titre, elle est appelée à prendre toute sa part dans l’entreprise de redressement de notre pays que mène actuellement le Gouvernement. Dans cette logique, je consacrerai mon intervention au logement au travers du prisme singulier des « coopératives d’habitants ».
Si le rapport de Marie-Noëlle Lienemann précise que « l’habitat coopératif est un phénomène récent et embryonnaire en France », pour autant, ce sujet n’est pas inconnu de notre assemblée. Ainsi, en 2009, à l’occasion du débat sur la loi « de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion », la gauche avait déposé des amendements relatifs à ce sujet. Le gouvernement Fillon s’était bien engagé à travailler la question, mais cet engagement est resté de l’ordre de la déclaration d’intention.
Plus récemment, lors du dépôt par le groupe socialiste de la proposition de loi « visant à faire du logement une priorité nationale », notre attention avait été attirée sur ce sujet par le titre V, visant à « doter les initiatives solidaires et coopératives spécifiquement orientées sur le logement d’un cadre légal ».
Le sujet ne nous est donc pas totalement étranger. Cependant, dans notre pays, les coopératives d’habitants restent encore peu nombreuses : on en dénombre seulement une cinquantaine. Or, en Suisse, les coopératives d’habitation représentent 8 % du parc immobilier et 20 % des logements dans une ville comme Zurich. En Norvège, plus de 650 000 personnes ont opté pour ce mode d’habitat, soit l’équivalent de 15 % du parc immobilier national. Des initiatives de ce type existent dans toute l’Europe : en Allemagne, en Italie, en Belgique...
Ce mouvement s’inscrit dans un contexte national où, pendant les dix dernières années, le coût du logement a crû de 107 %, quand les revenus n’augmentaient que de 17 %. Le bilan est sans appel : la crise du logement frappe près de 10 millions de personnes dans notre pays. Ainsi que le précise le professeur Marty, le logement est devenu, pour l’essentiel, un objet de spéculation et de rente. Cette dynamique « mercantile » induit deux effets conjoints : d’une part, le citoyen se retrouve dans l’obligation de s’effacer devant les intérêts privés qui composent la chaîne immobilière et marchande ; d’autre part, au fil des politiques de défiscalisation, le logement neuf devient abondant et de qualité, mais reste inaccessible à une très grande majorité de nos concitoyens, compte tenu de son coût.
Face à cette réalité, et pour emprunter à Durkheim, « les coopératives d’habitants » opèrent un travail « d’administration de la preuve ». Cette solution alternative aux politiques de logement traditionnel est non seulement réaliste, mais elle peut constituer un élément important dans une politique renouvelée d’accès au logement. À ce titre, elle entend dépasser l’opposition entre propriété et location et elle est sous-tendue par une double logique : la première, qui est horizontale, renvoie à la solidarité envers nos contemporains ; la seconde, qui est verticale, s’exerce à l’endroit des générations à venir, compte tenu des procédés de fabrication retenus.
D’un point de vue théorique, les « coopératives d’habitants » peuvent prendre la forme de « coopératives locatives d’habitation » ou de « coopérative d’habitants par capitalisation ». Dans les faits, les porteurs de projets se tournent vers un modèle mixte, alliant les logiques économiques de la capitalisation et de la location.
Néanmoins, quelle que soit la forme retenue, les « coopératives d’habitants » présentent des caractéristiques communes. Il s’agit notamment de la propriété collective de logements dont tous les locataires sont les coopérateurs, car propriétaires des parts sociales de la coopérative. Ainsi, en cas de départ d’un coopérateur, ce qui est revendu, ce ne sont pas des murs, mais des parts sociales dont le prix de cession est encadré.
Le modèle est démocratique, puisque fondé sur la gouvernance démocratique et le principe « une personne égale une voix ». Il est solidaire, puisque la dimension individuelle n’exclut pas le développement de la mutualisation de services et d’espaces ; il est solidaire aussi du fait de la prise en compte des préoccupations environnementales. Enfin, il est non spéculatif, puisque la cession s’effectue sur une base de parts sociales à prix encadré.
Comme l’affirme Marie-Noëlle Lienemann dans son rapport, cette forme d’habitat participatif s’inscrit parfaitement dans une démarche de coopérative, telle que l’entend la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Cependant, les coopératives d’habitation ont été supprimées par la loi Chalandon de 1971. De ce corpus législatif ne subsistent que les coopératives de construction et les coopératives d’HLM ayant pour objet la construction de logements en accession à la propriété individuelle.
Convaincue de la pertinence de ce modèle qui propose « d’habiter un territoire » et non pas de « consommer du logement », j’estime qu’il est désormais temps de faciliter son développement et je compte sur votre action en ce sens, monsieur le ministre, ainsi que sur celle de vos collègues.
Sans reprendre toutes les propositions du rapport, je voudrais en rappeler quelques-unes.
La première concerne les nécessaires modifications à apporter à la loi de 1947. Ce texte est la base légale sur laquelle les projets sont actuellement produits, mais il n’a pas été pensé spécifiquement pour encadrer des projets de coopérative d’habitants. Ainsi, la rédaction d’un article visant à définir les sociétés coopératives d’habitants, la qualité d’associé, les possibilités que pourraient offrir des statuts précis, notamment au regard de tiers non-associés, constituerait une avancée importante.
Un vide juridique existe aussi pour les conditions de cession de parts. Il serait souhaitable d’y remédier en permettant que ces cessions se fassent librement, avec un prix qui serait bien sûr encadré, afin d’éviter toute dérive spéculative. Dans ce sens, permettre à la coopérative de pratiquer des loyers inférieurs au niveau du marché, sans risque juridique ou fiscal de pénalisation, me semble important. Dans le respect de l’esprit coopératif, il en va de même de la possibilité de moduler les loyers demandés aux coopérateurs selon l’ancienneté et le montant de l’apport initial.
La question du régime fiscal appliqué aux « coopératives d’habitants » constitue également un volet essentiel. Il serait intéressant de procéder à la modification du premier alinéa du I de l’article 150 U du code général des impôts pour que les bénéfices provenant d’opérations effectuées avec un tiers soient assujettis à l’impôt sur les sociétés à titre normal, pour que ces coopératives puissent provisionner sur le long terme en vue de travaux et pour organiser fiscalement la cession de parts sociales, initiales ou acquises, de la coopérative.
Enfin, la mauvaise articulation entre le droit coopératif et le droit du logement obère le développement de partenariats avec les sociétés d’HLM. De plus, elle rend problématiques les conditions d’attribution des logements sociaux produits au sein de la coopérative : il est donc nécessaire de réformer, à la fois dans une perspective de faisabilité et d’efficacité.