M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’ont déjà excellemment rappelé les deux rapporteurs de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, la loi du 11 février 2005 est une belle loi, dont nous pouvons être fiers, car elle résulte largement d’une initiative parlementaire, notamment du Sénat.
Permettez-moi d’ailleurs de rendre hommage à trois anciens parlementaires, Paul Blanc et Nicolas About, qui furent nos collègues au Sénat, ainsi que Jean-François Chossy, ancien député, qui ont porté ce texte depuis sa genèse et qui ont contribué à le faire vivre grâce à leur implication et à leur énergie, grâce aussi au suivi qu’ils en ont assuré. Ils ont défendu une vision qui nous semble aujourd’hui évidente : une loi globale, de portée transversale, ayant pour ambition de faire en sorte que l’on voie dans chaque personne en situation de handicap d’abord une personne, à laquelle on doit reconnaître toute sa dignité et tous ses droits.
Ce changement de regard est bien l’avancée majeure de la loi du 11 février 2005.
Je tiens également à rappeler la volonté politique des gouvernements précédents, dont le soutien à cette démarche n’a jamais faibli. Je ne doute pas, madame la ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez aura à cœur de la soutenir à son tour. Ayant été secrétaire d’État chargée de la solidarité pendant deux ans, je peux témoigner de l’ampleur de l’effort consacré à la politique du handicap au cours du précédent quinquennat.
Ainsi l’allocation aux adultes handicapées, l’AAH, a-t-elle été revalorisée de 25 % entre 2007 et 2012.
Un plan a également prévu la création de 51 400 places supplémentaires en établissements. Au 31 décembre 2010, 73 % de ces crédits avaient été notifiés aux agences régionales de santé. À mi-parcours, 50 % des places étaient autorisées.
Par ailleurs, un effort sans précédent a été fait en faveur de la scolarisation des enfants handicapés : entre 2006 et 2012, 55 000 élèves handicapés de plus ont été scolarisés en milieu ordinaire.
De nouveaux plans sectoriels ont été mis en œuvre : le plan autisme, que vient d’évoquer Isabelle Debré, le plan handicap visuel, le plan en faveur des personnes sourdes et malentendantes.
La compensation du handicap a été améliorée. En 2005, le montant moyen de l’allocation compensatrice pour tierce personne, l’ACTP, s’établissait à 400 euros par mois. Le montant moyen de la prestation de compensation du handicap est de 850 euros.
Je tenais à rappeler ces chiffres parce qu’ils traduisent de véritables avancées, comme le rappelait le président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, Patrick Gohet, à l’occasion d’une tribune publiée l’année dernière.
Cela dit, je ne souhaite pas non plus verser dans l’angélisme : si les progrès sont là, tout n’est pas réglé, il s’en faut. À cet égard, le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois constitue un recensement utile des difficultés les plus criantes. Je souscris bien volontiers aux remarques et aux propositions de la commission concernant les difficultés de fonctionnement des MDPH, les conditions d’examen des dossiers de plans d’aide, la nécessité d’orienter la scolarisation des enfants handicapés vers une prise en charge plus qualitative, le défi que constitue toujours l’accessibilité universelle à l’échéance de 2015, le chemin qu’il reste à parcourir pour offrir un véritable parcours de vie, en particulier par l’accès à l’emploi.
En matière d’autonomie des adultes, on s’arrête trop souvent à la question des structures, en oubliant que de plus en plus de personnes handicapées sont aujourd'hui capables d’aller vers l’autonomie. Il nous manque simplement les outils adaptés.
Madame la ministre, permettez-moi maintenant de vous faire part de quelques remarques dans trois domaines qui devront, selon moi, être au cœur de la politique à mener au cours des cinq ans à venir et faire l’objet de toute l’attention des pouvoirs publics.
J’évoquerai tout d’abord l’équité territoriale, sur laquelle on ne peut manquer de s’interroger à la lecture du rapport. Cette question surgissait également très vite lors des auditions des associations et des familles lors de la préparation de mon rapport sur l’évaluation de l’impact du dernier plan autisme. Les disparités constatées dans les plans d’aide, dans les montants des PCH alloués, dans les projets personnalisés de scolarisation, les PPS, selon les départements, et pour des situations qui sont ressenties comme comparables, pourraient constituer, si elles continuaient de croître, un véritable danger. Elles pourraient en tout cas rompre l’égalité que toute personne handicapée ou tout parent d’enfant handicapé est en droit d’attendre.
Je me suis toujours battue pour que nous conservions à l’échelon national un socle de solidarité, lequel doit être, à mon sens, le même en tout point du territoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’avais pas souhaité, lors de la préparation de la loi du 28 juillet 2011, que l’on transfère entièrement la gestion des MDPH au département.
On voit bien quelles pourraient être les conséquences, en termes d’équité, pour les politiques territorialisées si d’aventure l’État continuait de s’en désengager totalement. À titre d’exemple, pour un budget du handicap d’un montant voisin, la Ville de Paris traite, par l’intermédiaire de sa MDPH, 90 000 dossiers par an, quand la MDPH du département du Nord en voit passer plus de 150 000.
Quant aux familles d’autistes, elles n’ont aucune possibilité, dans certaines régions, de trouver une place à proximité de leur domicile dans les structures pour enfants autistes mettant en œuvre des méthodes éducatives et comportementales. Même en Île-de-France, région pourtant la mieux dotée de toutes, ces structures sont inégalement réparties selon les départements.
Il est nécessaire que, dans l’acte III de la décentralisation qui nous est annoncé, le handicap fasse l’objet d’un traitement particulier afin que l’ajustement des moyens alloués aux départements soit à la hauteur des besoins. Lors cette nouvelle étape, et compte tenu de l’expérience acquise, l’effort devra être qualitatif et équitablement réparti, tout en tenant compte du contexte local, madame la ministre.
Ma deuxième série de remarques portera sur ce qui constituait l’ambition fondamentale de la loi de 2005 : la construction d’un parcours de vie optimisant les chances d’inclusion.
Il me semble que, aujourd’hui, le handicap est toujours vécu comme une suite de ruptures et de discontinuités. Les familles évoquent toujours un « parcours du combattant ». La complexité des dossiers, la lenteur de leur examen et les files d’attente, le besoin de justifier sa situation lors de chaque renouvellement : tout cela concourt à susciter un sentiment de précarité, qui pourrait être atténué par une plus grande souplesse. Simple à dire, difficile à faire ! Toutefois, c’est bien en agissant sur ces petits points d’achoppement que l’on pourrait gagner en efficacité. Face à des publics aussi fragiles, il faut combattre notre tendance à trop bureaucratiser.
En matière scolaire, et pour tous les handicaps intellectuels ou psychiques, les discontinuités sont particulièrement dangereuses, car elles sont trop souvent synonymes de pertes de chances et de régression. Or ces discontinuités pourraient être mieux gérées. L’éducation nationale et les établissements spécialisés doivent apprendre à travailler plus étroitement ensemble. Il existe malheureusement encore trop peu d’établissements dans lesquels voisinent école ordinaire et structure spécialisée.
Ma dernière série de remarques portera sur le vieillissement.
Nous allons vers une société plus âgée, au sein de laquelle les personnes en situation de handicap vivront plus longtemps. La loi de 2005 prévoyait de lever les barrières d’âge, mais cela n’a pas été possible du fait de la contrainte financière. Pour autant, nous ne devons pas nous dispenser de conduire une réflexion sur une prise en charge adaptée du handicap chez la personne vieillissante. Cette question préoccupe particulièrement les familles, et à juste titre.
Il n’est pas certain, par exemple, qu’un adulte autiste vieillissant trouve sa juste place dans un EHPAD – établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Quels efforts financiers serons-nous prêts à consentir, dans un contexte qui nous laisse peu de marges de manœuvre ? Il nous faut rouvrir le débat sur le « cinquième risque » et donner tous les éléments à nos concitoyens, sans faux-semblants, car il n’y aura pas de choix facile. Ces sujets sont très complexes. Ils sont malheureusement devant nous et il nous faudra trouver des solutions les plus justes possible.
Je conclurai mon intervention par deux questions plus précises.
La première d’entre elles portera sur l’accessibilité. Comment comptez-vous avancer dans ce domaine, madame la ministre ? Quelle méthode allez-vous adopter ? Que pensez-vous de la proposition du président du CNCPH, qui a suggéré « de mettre en place un accord entre les demandeurs et tous les acteurs chargés d’appliquer la loi, à leur niveau de responsabilité, afin d’aboutir à une stratégie portant sur une orientation nationale » ?
Ma seconde question portera sur le troisième plan autisme, madame la ministre, sur lequel vous vous êtes engagée en juillet dernier. Pouvez-vous nous préciser quel sera le calendrier ? Prévoyez-vous la création de places supplémentaires, en particulier pour les adultes ? Lors d’un colloque auquel j’ai très récemment assisté, j’ai pu constater combien ce problème était aigu. Il est urgent d’agir.
Sept ans après le vote de la loi, les attentes demeurent toujours aussi fortes. De nombreuses avancées ont été accomplies, mais beaucoup reste à faire. Il nous appartient collectivement de nous mobiliser pour avancer le plus sereinement possible, en essayant de faire en sorte que les plus fragiles d’entre nous puissent être fiers du travail réalisé par le Parlement et le Gouvernement. (Applaudissements sur différentes travées.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « bilan en demi-teinte », « des progrès, mais des objectifs non atteints », « de grandes ambitions, mais des réalisations insuffisantes » : de telles expressions reviennent de façon récurrente dans le rapport très complet réalisé, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, que je tiens à remercier pour leur important travail.
C’est peu dire que la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était ambitieuse. Il s’agissait d’assurer l’égalité entre les valides et les personnes atteintes de handicap. Rien de moins ! Elle embrassait tous les aspects de la vie des handicapés : l’accès à l’éducation, au travail ; elle devait faciliter les démarches administratives tout comme l’accès aux bâtiments et aux transports. Elle devait aussi modifier le regard de la société sur les personnes handicapées, qu’elle devait faire entrer pleinement dans la Cité. Elle promettait l’égalité. C’était magnifique !
On a coutume de dire que cette loi était attendue et nécessaire. Néanmoins, lors de l’examen du texte, en 2004, notre ancien collègue du groupe RDSE Gérard Delfau avait relevé que ce texte « faisait planer quelques menaces et que manquaient cruellement les moyens de son ambition en termes de financement ». Il ajoutait que « le décalage entre les principes fixés par la loi et la réalité se trouvera souligné au terme de ce débat, d’où une grande frustration qui s’exprime déjà au sein de toutes les associations œuvrant dans le domaine du handicap ».
Ainsi, de manière presque prophétique, notre collègue avait résumé les écueils que nous constatons aujourd’hui, ce qui m’incite à penser que le principal problème de cette loi tient moins à son pilotage qu’à sa rédaction.
L’exemple de l’accessibilité dans la cité est, à ce titre, éloquent. La loi « handicap » fixait un objectif ambitieux : que les établissements recevant du public, les ERP, et les transports en commun soient accessibles à tous en 2015. Dans cette perspective, chaque département, ou presque, s’est doté d’un comité de pilotage et d’un observatoire de la mobilité, voire des deux. Mais les moyens, eux, ont rarement été mobilisés.
Au regard de l’accessibilité, les amendements apportés à la proposition de loi déposée par Paul Blanc, en 2011, ont constitué, il faut le souligner, un recul inadmissible en prévoyant des dérogations à l’obligation d’assurer l’accessibilité pour tous dans les bâtiments neufs, ouvrant ainsi une brèche dans le principe de « conception universelle ».
Il m’est impossible de traiter de toutes les ramifications de la loi de 2005 dans le temps qui m’est imparti. Vous me permettrez donc de m’attarder sur les dispositions de la loi qui concernent les départements. Ce sera également l’occasion de démontrer que, loin d’être un frein au travail parlementaire, la présidence d’un exécutif local enrichit son titulaire d’une expertise de terrain que la simple étude « hors-sol » ne pourra jamais remplacer ! (Murmures et sourires.)
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Madame la ministre, vous pouvez le répéter à vos collègues du Gouvernement et au Premier ministre, ainsi qu’à quelques autres ! (M. Jacques Mézard applaudit. – Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Parfait !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. À mon avis, ce sera fait rapidement !
M. Jean-Michel Baylet. Vous le savez, les conseils généraux sont désormais identifiés comme l’échelon de la solidarité. C’est ainsi que, presque naturellement, il leur a incombé de piloter la mise en œuvre des grandes dispositions de la loi de 2005. Ces avancées se sont pourtant parfois heurtées à de grandes difficultés.
La première concerne les MDPH. Comment ne pas souscrire à cette belle idée consistant à simplifier les démarches des personnes handicapées en instituant un interlocuteur unique dans chaque département ?
Permettez-moi de citer l’exemple d’un département que je connais bien, le Tarn-et-Garonne, où nous nous sommes dotés d’une MDPH dès la fin de l’année 2005. Oh, il a fallu « essuyer les plâtres », au sens propre comme au figuré ! Comme dans les autres départements, nous nous sommes heurtés aux problèmes de gestion du personnel, du fait de la multiplicité des statuts en présence.
La loi « Paul Blanc » a apporté, c’est vrai, des améliorations dans le fonctionnement des MDPH. Elle prévoit notamment la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens afin de pérenniser les ressources des MDPH et leur permettre de ne plus naviguer à vue, comme ce fut le cas à leurs débuts.
Cependant, cela a été dit, nous sommes encore, tant d’années après, dans l’attente de l’ensemble des décrets d’application relatifs à ce texte.
La PCH était une autre innovation majeure. Se substituant à l’allocation compensatrice pour tierce personne, ou ACTP, elle opérait un changement de paradigme : elle considérait le handicap comme un préjudice et, à ce titre, celui-ci devait être réparé. Là encore, la MDPH est au centre du dispositif, car c’est elle qui, en lien avec les personnes handicapées, procède à l’évaluation des besoins.
La PCH, après des débuts en douceur, a vu le nombre de ses bénéficiaires augmenter rapidement. Cette forte croissance, si elle témoigne de l’efficacité du dispositif, suscite, vous le comprendrez, des inquiétudes dans les conseils généraux, car elle s’accompagne mécaniquement d’une hausse des dépenses à leur charge des départements.
De plus, nous avons pu constater une diminution inquiétante, en proportion, de la participation de la CNSA au financement de la PCH. Comme indiqué dans le rapport d’information, le concours de la CNSA est resté globalement stable en valeur absolue, mais il ne représente désormais plus qu’un tiers des dépenses au titre de la PCH. Il revient donc aux départements de supporter seuls l’accroissement des dépenses, qui culminent à plus de 1,4 milliard d’euros.
Je m’interroge donc sur les propositions 8 et 9 du rapport, relatives à l’élargissement du périmètre de la PCH. Je ne remets pas en cause le bien-fondé de ces propositions, qui sont généreuses ; je me permets seulement de poser la question de leur financement. Et le fait que le Gouvernement envisage, compte tenu du contexte, une baisse de plus de 2 milliards d’euros des dotations aux collectivités sur la période 2013-2015 ne sera pas de nature à faciliter la tâche des conseils généraux !
L’élargissement des bénéficiaires de la PCH ne pourra être envisagé que si la proposition 10, qui consiste à pérenniser les fonds départementaux par le biais de règles contraignantes fixant les engagements des différents contributeurs, est réellement mise en œuvre.
Il en va de même pour les fonds départementaux de compensation, qui devaient être abondés par l’État, la CPAM, les conseils généraux et la MSA. Après deux années de fonctionnement, l’État, malheureusement, a suspendu unilatéralement – une fois de plus ! – sa participation au financement des fonds pendant trois années, en 2008, 2009 et 2010.
J’ai choisi l’exemple de la PCH et des fonds départementaux de compensation, mais j’aurais également pu parler du désengagement de l’État en matière de formation professionnelle des personnes handicapées. Ce dernier n’a-t-il pas confié à l’Association de gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, la gestion de plusieurs dispositifs relevant pourtant de sa compétence, et ce sans compensation financière ?
Au-delà du problème de l’état d’application de la loi, le législateur doit s’interroger sur sa faisabilité même. Dans le cas présent, le décalage entre des objectifs élevés et les moyens disponibles constituerait presque un motif de ne pas mobiliser les seconds pour s’approcher des premiers.
Ce décalage pose également la question des outils de pilotage, de suivi et d’évaluation des lois. Le 25 septembre dernier, à l’Assemblée nationale, lors de la séance de questions au Gouvernement, vous ne disiez pas autre chose, madame la ministre. Vous voyez que j’ai de bonnes lectures ! (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet. Vous constatiez que cette loi n’avait « pas été conduite, ni managée, ni suivie ». J’ajouterai que, pour partie, la loi de 2005 constitue ce qu’on pourrait appeler une loi d’affichage.
Le Président de la République a souhaité opérer un changement de méthode en matière, notamment, de politique du handicap. Il a raison ! Dans son programme présidentiel, il s’engageait à garantir « l’existence d’un volet handicap dans chaque loi ». Ce fut le cas de la loi sur les emplois d’avenir, avec le recrutement de 1 500 auxiliaires de vie scolaire supplémentaires. Il sera de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement qu’il en aille de même pour les contrats de génération et les réformes des dispositifs d’aide aux personnes âgées et de la dépendance. Nous attendons également, vous l’imaginez, la présence d’un tel volet dans la future loi de décentralisation.
Voilà, madame la ministre, ce que les radicaux pensent du bilan de l’application de la loi de février 2005. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les rapporteurs pour leur travail très précis et très riche.
Le débat demandé par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois permet de dresser un état des lieux utile, portant sur le respect des obligations fixées par la loi de 2005.
Tout d’abord, je rejoins le point de vue exprimé par les rapporteurs et par plusieurs des orateurs qui m’ont précédée, selon lequel le recul de l’échéance de 2015 pour permettre un égal accès à la Cité pour tous serait un très mauvais signal, décourageant et démobilisateur. Nous ne pouvons pas nous le permettre et nous devons résister aux fortes pressions qui s’exercent en ce sens.
Cela est d’autant plus vrai que le retard est très important. En effet, selon le rapport rendu public le 12 septembre dernier par Mme la ministre, le niveau de réalisation actuel ne dépasserait pas 15 %. Ce rapport met en cause l’ampleur des travaux, et donc de leur financement, le manque de proportionnalité des normes entre le neuf et l’ancien, le manque d’harmonisation entre les commissions d’accessibilité, mais aussi un portage politique parfois – pour ne pas dire souvent – insuffisant, ainsi que l’échelonnement dans le temps de la publication des textes réglementaires.
Il paraît donc indispensable de maintenir le cap et de conserver l’échéance finale, tout en distinguant les différentes catégories d’ERP, ce qui permettra de déterminer des niveaux de priorité différents et obligera à élaborer un calendrier précis de ce qu’il reste à faire.
En effet, l’accessibilité est une condition de la participation économique, sociale et citoyenne, car elle définit non seulement les aménagements rendant possible la mobilité de tous au sein de l’espace public, mais inclut également la notion d’accès aux services et d’implication active dans la vie sociale, à tous les niveaux.
Nous défendons une politique du handicap fondée sur la solidarité et sur l’autonomie des personnes en situation de handicap, qui vise à leur inclusion par une application pleine et entière de cette loi et par l’application de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, qui prévoit notamment le droit à la santé, à des revenus suffisants, à la compensation intégrale du handicap et à l’accessibilité.
Plus généralement, notre société doit garantir aux personnes en situation de handicap les conditions de l’exercice plein et entier de la citoyenneté. Ainsi faut-il donner les moyens à ces personnes de s’intégrer dans la société par la mise à niveau de l’allocation aux adultes handicapés, l’amélioration de l’insertion professionnelle par le renforcement des moyens de l’AGEFIPH, un nouveau statut pour les employés des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, et un soutien des collectivités aux structures accueillant des travailleurs handicapés.
Parallèlement, une politique de « désinstitutionalisation » progressive nous paraît devoir être engagée, afin de permettre une meilleure intégration sociale pour un plus grand nombre de personnes en situation de handicap dont le placement en institution spécialisée n’est pas indispensable et dont le maintien ou le retour à domicile, total ou partiel, est possible.
J’en viens au fonctionnement des MDPH. Sur ce point, le rapport est très riche, et nous souscrivons d’ailleurs aux suggestions qui y sont faites. Nous proposons également de soutenir les services d’aide à domicile, avec une revalorisation des tarifs et de la qualification du personnel, en développant notamment la formation de ce dernier.
Le rapport analyse également la question très importante de la scolarisation des élèves handicapés au sein des établissements destinés à tous. Nous proposons d’augmenter significativement le nombre d’auxiliaires de vie scolaire – au demeurant, les annonces faites récemment par le Gouvernement vont évidemment dans le bon sens –, en les intégrant à l’éducation nationale, mais aussi en leur garantissant une professionnalisation et une formation de bon niveau, ainsi qu’un statut qui les sorte de la précarité dans laquelle ils vivent aujourd’hui.
Les enseignants doivent également recevoir une formation au handicap, ainsi que le matériel adapté. Pour les enfants ne pouvant être accueillis en milieu scolaire ordinaire, il est nécessaire d’augmenter la capacité d’accueil et le maillage des territoires par de petites structures spécialisées. Il est vrai que, pour certains enfants, le nombre d’heures de transport par jour pose problème.
Concernant l’égalité d’accès aux soins, nous proposons d’augmenter le seuil d’accès à la CMU complémentaire, en rattrapant le retard d’adaptation des structures hospitalières et médicales.
Plus généralement, il nous paraît important d’engager les collectivités territoriales dans la mise en place de ce que l’on appelle l’« Agenda 22 », en prévoyant, par exemple, un soutien à l’aménagement des logements particuliers, une aide financière au logement adapté et accompagné – usufruit locatif social, maison-relais, etc. – et surtout en répondant à la demande d’autonomisation des personnes handicapées. Par exemple, des lieux d’hébergement intermédiaires peuvent être créés pour les personnes souffrant d’un handicap psychique.
Enfin, l’accessibilité au transport, mais aussi à la culture et au sport, doit être garantie pour toutes et tous.
La loi de 2005 proposait un changement complet de regard dans tous les domaines, plusieurs orateurs ont eu l’occasion de le rappeler. J’entends par là l’adoption d’une approche à la fois transversale et positive, en ce sens que toutes les questions, y compris celle de l’intégration professionnelle, sont appréhendées à partir non plus des incapacités de la personne, mais de l’évaluation de ses capacités et compétences.
Ne nous arrêtons pas en chemin. Engrangeons les acquis tout en conservant les objectifs. Madame la ministre, nous comptons sur vous pour donner une forte impulsion à l’important travail de pilotage engagé et à la mise en œuvre nécessaire des mesures prévues vu l’étendue et la transversalité des secteurs concernés. Les sénateurs du groupe écologiste vous assurent de leur soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au débat qui nous réunit aujourd’hui, je voudrais revenir sur l’examen du projet de loi portant création des emplois d’avenir qui a eu lieu la semaine dernière au Sénat.
J’avais déposé, avec le groupe CRC, un amendement visant à rendre obligatoire une formation préalable pour les jeunes qui, dans le cadre de ce recrutement, seraient appelés à travailler auprès de personnes dépendantes ou en situation de handicap.
Cette formation préalable est, à l’image de celle qui existe en matière de petite enfance, indispensable pour éviter des situations de maltraitance involontaire. Je suis d’autant plus étonnée du mauvais sort qui a été réservé à mon amendement que l’objectif qu’il sous-tendait rejoint celui que votre collègue chargée des personnes âgées et de l’autonomie, Mme Delaunay, a mis en avant le lendemain même, à l’occasion des troisièmes assises nationales de l’aide à domicile.
La commission mixte paritaire qui s’est réunie ce matin ne nous a pas donné satisfaction. C’est dommage car, vous le savez, madame la ministre, pour ce qui concerne l’accompagnement des personnes en situation de handicap, la seule bonne volonté ne suffit pas. Pourtant, sur ce sujet comme sur d’autres, il faudra bien que nous avancions, et que nous avancions vite.
S’il est indéniable que l’adoption de la loi du 11 février 2005 a permis une évolution notable des conditions de vie des personnes en situation de handicap, beaucoup de chemin reste à parcourir, ainsi que l’ont souligné plusieurs de mes collègues. La force de cette loi réside sans doute dans le fait que, pour la première fois, notre pays appréhendait la question du handicap dans son ensemble, suscitant ainsi un très grand espoir.
Plus de sept ans après son adoption, force est de constater que tous les objectifs ne sont pas atteints et que nous ne nous sommes pas dotés des outils nécessaires à leur pleine réalisation, surtout quand la détermination politique a fait défaut. Je pense particulièrement à l’objectif d’une société accessible pour tous en 2015. Cet engagement, qui est un véritable enjeu de société, est au croisement d’exigences différentes, mais convergentes.
Une Cité universelle est le gage d’une réelle prise en compte des besoins spécifiques des familles, des personnes vieillissantes et de la volonté des personnes en situation de handicap de ne plus être victimes d’une forme d’apartheid ou, à tout le moins, de relégation sociale.
Tant que l’espace urbain, les lieux de rencontre et de vie collective ainsi que les chaînes de déplacement ne seront pas accessibles à toutes et à tous, on privera, de fait, les personnes en situation de handicap de leur pleine citoyenneté.
Je rappelle d’ailleurs, que, comme nous l’avions signalé à Jean-Pierre Bel le lendemain de son élection à la présidence de la Haute Assemblée, les tribunes de notre hémicycle demeurent inaccessibles aux personnes à mobilité réduite, ce qui oblige une délégation à suivre en ce moment même nos travaux depuis le salon Victor-Hugo. Ce qui est vrai au Sénat l’est malheureusement également à l’extérieur, comme le rappelle fort bien le rapport de nos collègues.
Ce rapport explique notamment le retard pris en la matière par un manque de pilotage, ce qui est certainement vrai. Sans doute aurions-nous pu, ou dû, nous doter dès 2005 d’un outil statistique susceptible d’évaluer annuellement les progressions afin de pouvoir agir plus rapidement.
Dans le même temps, un autre rapport de l’IGAS précise que l’ampleur des travaux à réaliser impliquerait d’engager près de 20 milliards d’euros de dépenses si l’on maintenait le cap posé par la loi.
Cette somme colossale nous interpelle : si les collectivités ne peuvent en assurer seules la charge sur une période si courte, cette somme est d’abord et avant tout la conséquence du retard pris. En effet, les acteurs publics ont peu pris en compte les problématiques liées à l’accessibilité dans leurs choix en matière d’investissements.
Permettez-moi, madame la ministre, de dire que votre dernier communiqué de presse sur ce sujet nous rassure. Les propos tenus lors de la remise du rapport de l’IGAS nous ont fait craindre un renoncement non pas sur la date de l’échéance, mais sur les objectifs. Cela m’a d’ailleurs rappelé le débat que nous avions eu ici même sur les notions d’aménagements et de dérogations lors de l’examen de la loi « Paul Blanc ». Nous savons aujourd’hui que l’accessibilité universelle reste l’objectif, et nous nous en réjouissons.
Dès lors, il faut mobiliser toutes les énergies et mettre cette question au cœur de tous les projets. Plus aucune subvention publique ne doit être donnée, plus aucun chantier immobilier urbain engageant des fonds publics ne doit être lancé sans intégrer un volet accessibilité. Ces 20 milliards d’euros sont des dépenses légitimes dans la mesure où elles correspondent à un engagement de la Nation. De plus, il s’agit non seulement d’un investissement pour le « vivre ensemble », mais aussi d’une politique d’emploi judicieuse.
En outre, je veux profiter de cette intervention pour aborder la question de la compensation du handicap.
L’exposé des motifs du projet de loi du 11 février 2005 prévoyait que la politique de compensation devait permettre « à chaque personne handicapée d’obtenir la réponse appropriée à ses besoins et de disposer des moyens nécessaires pour faire face aux charges spécifiques liées à sa situation de handicap ». Cet objectif a malheureusement été démenti « à la source » tant la loi a posé de restrictions, à commencer par l’absence d’une véritable PCH enfant ou encore l’instauration de tarifs plafonds ou de critères d’éligibilité, qui se traduisent par une PCH dont le montant ne permet pas de répondre pleinement aux besoins des personnes en situation de handicap.
Cela explique sans doute pourquoi de nombreuses personnes en situation de handicap pourtant éligibles à la PCH continuent d’opter pour l’ACTP, et ce malgré le durcissement des conditions de contrôle.
Je dois dire qu’une formule utilisée dans le rapport de nos collègues concernant la PCH et les maisons départementales des personnes handicapées a attiré mon attention. En effet, s’appuyant sur les difficultés qu’ont pu connaître les MDPH, principalement en raison du non-respect par l’État de ses obligations en matière de personnels et d’une importante montée en charge de la PCH, le rapport pose la question d’une éventuelle remise en cause du statut actuel. Or celui-ci présente l’avantage de réunir les différents acteurs dont les départements, acteurs de proximité indispensables pour une évaluation au plus près des besoins, et l’État, acteur indispensable pour garantir la solidarité nationale.
Sans que soit directement remis en cause le statut actuel, celui du GIP – groupement d’intérêt public –, on devine toutefois la tentation de faire en sorte, notamment dans le cadre d’une nouvelle étape de décentralisation, que les MDPH deviennent des services intégrés aux conseils généraux. Ainsi, leurs présidents des assemblées départementales deviendraient définitivement les contrôleurs, les instructeurs des dossiers et les payeurs.
Si cette solution présente l’avantage, pour les départements, d’adapter au plus juste ces dépenses, elle entraîne de fait une dissolution du rôle de l’État en tant qu’autorité édictant des règles communes, garantes de l’égalité territoriale et de la solidarité nationale.
Le groupe CRC estime que, plutôt que de s’engouffrer dans ce chemin, les conseillers généraux doivent porter le combat de la juste participation financière de l’État à la PCH, comme aux deux autres allocations individualisées que sont l’APA et le RSA.
Faute de temps, je ne pourrai aborder la question de la scolarisation des enfants handicapés ni celle de la professionnalisation des auxiliaires de vie scolaire. Même si je note que le Gouvernement a fait des efforts importants en recrutant notamment 1 500 AVS, je déplore que trop d’enfants demeurent encore privés d’une scolarité en milieu ordinaire, ou n’y ont accès qu’à temps partiel.
Avant de conclure, je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur l’AAH.
Si le Président de la République l’a bien augmenté de 25 %,…