M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Karoutchi et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 53.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (n° 750, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Roger Karoutchi, auteur de la motion.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est de grands moments dans la vie politique.
J’ai le souvenir, en 2008, d’avoir été sèchement interpellé, dans cet hémicycle – ce fut le cas aussi à l’Assemblée nationale -, par les sénateurs communistes, socialistes et radicaux, qui estimaient que les pouvoirs du Parlement n’étaient pas suffisants et que l’on ne donnait pas aux parlementaires assez de capacités d’analyse et d’étude. Et nous avons procédé, en juillet 2008, à la réforme que vous savez : si elle n’est peut-être pas allée assez loin, elle visait trois objectifs majeurs : un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement profondément renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens.
Pour renforcer les pouvoirs de la représentation nationale, il a été décidé que désormais, la discussion en séance porterait sur le texte adopté par la commission saisie au fond, gage d’un plus grand respect du travail des parlementaires en commission.
En outre, la procédure législative a été encadrée dans un certain nombre de délais pour que le travail parlementaire puisse se dérouler dans des conditions raisonnables. D’ailleurs, chers collègues de gauche, vous estimiez vous-mêmes, autant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, que six semaines seraient un peu justes pour permettre un travail sérieux et qu’il faudrait, sur des textes importants, non seulement garantir la navette parlementaire autant qu’il est nécessaire, mais aussi donner aux commissions la possibilité d’effectuer en amont des analyses, des études, des expertises en prévoyant des délais complémentaires. En somme, respectez le Parlement, laissez-nous faire notre travail, voilà ce que l’on nous disait à l’époque.
Après des allers et retours entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat, le groupe UMP s’en souvient, un texte a finalement été adopté qui, au moins sur le travail des commissions, sur les délais, sur les études d’impact - nécessaires et imposées -, ainsi que sur la qualité du travail parlementaire, avait suscité sinon un accord du moins une solution qui semblait convenir à tous les groupes.
Combien de fois, avant ou après la réforme, lorsque j’ai dû invoquer l’urgence pour obtenir que les délais soient quelque peu érodés, oui, combien de fois ne m’a-t-on pas accusé d’assassiner le Parlement ! Comment ? Réduire le délai imparti à deux ou à trois semaines ? Quelle audace ! C’était la violation du délai des six semaines. L’urgence, d’accord, mais pourquoi ?
Or les mêmes groupes, aujourd’hui dans la majorité, acceptent que le délai de six semaines soit réduit à une semaine à peine. Cette situation est tout simplement hallucinante au regard du travail parlementaire ! Et je parle non pas du fond du texte, madame la ministre, mais uniquement de la forme, de la manière.
À l’origine, la session extraordinaire était annoncée pour le 25 septembre, avec notamment le texte sur les emplois d’avenir. Puis, tout à coup, parce que la fin de l’été a été un peu agitée médiatiquement, le Gouvernement, ne voulant pas donner le sentiment qu’il ne fait rien, convoque le Parlement dans la précipitation. On voit d’ailleurs mal le lien : le Gouvernement ne peut-il travailler sans le Parlement ? Et nous voici donc réunis en session extraordinaire avec deux semaines d’avance.
Madame la ministre, encore une fois sans parler du fond, qui fera l’objet d’un débat à moins que cette motion ne soit adoptée, ce qui serait, pour des parlementaires comme vous, une violation de vos propres principes (Rires sur les travées du groupe socialiste.), permettez-moi de m’interroger : où sont passés les articles 42 et 44 de la Constitution ? Où sont les délais prévus ? Six jours se sont écoulés entre le dépôt de ce texte et sa discussion, et vous l’avez accepté, chers collègues !
Les droits des parlementaires s’exercent naturellement en conférence des présidents, à qui la Constitution reconnaît désormais la possibilité de se prononcer sur l’opportunité de l’engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement – article 45 de la Constitution – et sur le respect par l’étude d’impact accompagnant chaque projet de loi des prescriptions édictées par la loi organique – c’est l’article 39.
Mes chers collègues, pour réunir le Parlement en session extraordinaire, encore faut-il avoir un ordre du jour ; pour avoir un ordre du jour, faut-il avoir préparé des projets de loi ; et, pour avoir des projets de loi, faut-il avoir un programme viable et un agenda maîtrisé.
Le calendrier qui a été imposé au Sénat, madame la ministre, est contraire à tous les principes constitutionnels résultant de la réforme de 2008 ou même à ceux qui lui préexistaient.
La conférence des présidents de notre assemblée se réunissait, le 5 septembre dernier, pour inscrire un texte délibéré le matin même en conseil des ministres, et organiser nos travaux, alors même que le décret signé par le Président de la République convoquant la session extraordinaire était paru au Journal officiel le matin même de la conférence des présidents. Ce décret étant incomplet, il a été corrigé au Journal officiel le lendemain.
Lors de la réunion de la conférence des présidents, pas un sénateur n’avait en main le projet de loi et son étude d’impact, puisqu’il n’a été transmis qu’à seize heures passées. La procédure accélérée, qui était indispensable pour pouvoir inscrire le texte dès aujourd’hui, n’était toujours pas engagée. Elle ne le fut que vers dix-neuf heures.
Le Gouvernement nous impose d’examiner ce texte dès aujourd’hui, moins de six jours après son dépôt, alors qu’il concerne directement – Mme la ministre a raison de dire que c’est important – l’avenir de nos collectivités, dont le Sénat est le représentant constitutionnel.
En d’autres termes, s’agissant d’un texte essentiel pour le Sénat, nous n’aurons disposé que d’un délai de six jours entre le dépôt du texte et sa discussion.
La majorité sénatoriale décide apparemment de laisser faire, renonçant à ses prérogatives constitutionnelles.
Si le règlement du Sénat prévoit, dans son article 28 ter, un délai de deux semaines entre l’examen du texte en commission et son passage en séance, c’est bien pour garantir le respect de ces droits.
La majorité a, en outre, accepté de joindre au rapport de la commission des affaires économiques, l’examen d’une proposition de loi de Mme Borvo Cohen-Seat. Je ne mets pas en doute la qualité de ce texte, mais cela constitue à nos yeux l’inscription déguisée d’une proposition de loi qui ne figure pas dans le décret de convocation de la session extraordinaire. Là encore, en quoi a-t-on respecté les droits du Parlement ?
Madame la ministre, chers collègues de la majorité comme de l’opposition, si, dans le passé, il nous est arrivé de raboter les délais de deux ou trois jours, ce qui nous a valu d’être copieusement houspillés - l’ancien secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement que je suis peut en témoigner, de même que mes successeurs -, je n’ai jamais vu un texte de cette importance arriver devant une assemblée sans étude d’impact, sans analyse cohérente de la commission, sans travaux préalables, sans possibilité d’amender dans les temps.
On convoque subitement le Parlement : il doit débattre sur un texte, peu importe la façon dont il aura préparé la discussion. C’est la négation même du travail parlementaire ! (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)
Monsieur le président de la commission, depuis la révision constitutionnelle de 2008, le premier alinéa de l’article 42 de la Constitution consacre le principe de l’examen en séance publique du texte adopté par la commission. Ce principe est assorti, vous l’avez dit tout à l’heure, d’un certain nombre d’exceptions qui conduisent, « à défaut », le Parlement à se prononcer sur le texte dont il est saisi.
À côté des exceptions clairement circonscrites par le constituant en raison de la nature du texte examiné, notamment les textes budgétaires, il existe des exceptions évoquées en creux dans l’alinéa, où il est prévu que la discussion porte « à défaut » sur le texte dont l’assemblée a été saisie.
En prévoyant cette possibilité, rappelez-vous, mes chers collègues, le constituant a entendu prévenir d’éventuels blocages d’ordre politique, dans l’hypothèse, par exemple, où une commission déciderait de ne pas délibérer sur un texte pour en bloquer la navette. Il a également voulu répondre aux cas où la commission rejetterait un texte ou les propositions de conclusions de son rapporteur, comme nous l’avons récemment vécu pour le projet de loi relatif aux soins psychiatriques.
Il n’a pas été prévu d’offrir une quelconque alternative au législateur dans l’organisation de son travail, lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre des procédures en dehors des exceptions citées. Cela ne figure pas dans la Constitution et une telle interprétation serait contraire aux travaux parlementaires préalables à la réforme de 2008, tous groupes confondus.
Nous sommes devant une situation qui ne correspond pas à un travail cohérent du Parlement, et nous le savons. Je ne voudrais pas retourner le couteau dans la plaie, mais l’article 28 ter du règlement du Sénat, qui met en œuvre l’article 42 de la Constitution, ne fait pas plus référence à la possibilité, pour la commission saisie au fond, de choisir, selon son bon vouloir, sa méthode de travail.
Sommes-nous ici dans l’une ou l’autre des exceptions prévues par la Constitution ? Non ! Nous sommes en face d’un texte hâtif, préparé sous la pression d’une urgence politique, pour lequel le Gouvernement veut éviter à tout prix un débat parlementaire dans les normes.
Mme Catherine Troendle. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Nous aurions dû pouvoir examiner le texte en commission deux semaines avant la séance. Nous aurions dû avoir le temps d’examiner l’étude d’impact. Nous aurions dû avoir le droit de déposer des amendements en commission. Nous aurions dû discuter aujourd’hui d’un texte adopté par la commission, car rien n’interdisait à la commission des affaires économiques de se réunir en temps voulu pour établir son texte, si du moins on avait respecté les délais.
Mes chers collègues, à quoi sert l’article 42 de la Constitution, qui consacre une avancée majeure des droits du Parlement, s’il est contourné au gré du vent ?
Ce que vous acceptez aujourd’hui pour le présent projet de loi, vous devrez le tolérer pour n’importe quel texte dans les prochains débats, et quelle que soit la majorité. Après avoir formulé des demandes si insistantes et si fortes en 2007 et 2008 sur les droits du Parlement, comment pourriez-vous permettre, sous prétexte qu’il s’agit de votre majorité, que rien ne soit respecté ? Que direz-vous, demain, si un gouvernement de droite se comporte comme vous avec des textes du même ordre ?
À ceux d’entre vous qui viendront se plaindre bruyamment que les droits du Parlement ne sont pas respectés, la droite saura quoi répondre !
À mon sens, il s’agit là d’un véritable sujet, qui dépasse à la fois les clivages politiques en général et les dispositions du présent texte en particulier. Je le souligne : prenons garde, nous sommes devant un contournement des droits du Parlement, des droits de l’opposition, du droit d’amendement. Que ce soit pour la procédure accélérée ou pour le droit d’amendement, rien ici ne respecte la Constitution.
En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UMP considère que la procédure législative choisie par le Gouvernement et la majorité contrevient à plusieurs principes et droits constitutionnels.
Premièrement, le principe de clarté et de sincérité des débats : comment travailler sérieusement sur un texte aussi fondamental pour nos concitoyens comme pour les collectivités territoriales en aussi peu de temps et sous pareille contrainte ?
Deuxièmement, le principe de l’examen en séance du texte élaboré par la commission : vous contournez ainsi un droit nouveau, expressément consacré par l’article 42 de la Constitution.
Troisièmement, le principe, fondamental pour tous les parlementaires, du droit d’amendement. Je me souviens précisément avoir consacré à ce droit deux nuits de débats à l’Assemblée nationale et deux autres nuits au Sénat, ce droit d’amendement que vous défendiez alors comme l’alpha et l’oméga de la fonction parlementaire et qui, de facto, est aujourd’hui foulé aux pieds.
Chers collègues de la majorité, tous les textes méritent des débats, des études d’impact, et tous exigent le respect de la Constitution. De fait, si on se dispense de respecter la Constitution dès l’examen du premier texte soumis au Sénat lors de la reprise des travaux parlementaires, pourquoi respecterait-on l’action du Parlement, la Constitution, les droits des groupes parlementaires, qu’ils appartiennent à l’opposition ou à la majorité, le droit d’amendement, le droit aux études, les dispositions relatives aux études d’impact ?
Mme Catherine Troendle. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Si, pour un texte si important – madame la ministre, vous soulignez vous-même l’enjeu capital que représente ce projet de loi – nous ne respectons pas ces procédures et ces droits, pourquoi les appliquerions-nous aux textes qui suivront ?
Chers collègues, au-delà des pouvoirs de chacun, la majorité dont vous disposez au Sénat ne vous donne évidemment pas le droit de vous affranchir à l’envi de la norme suprême. De fait, si chacun de nous, à gauche comme à droite, cesse de la respecter, il ne faudra pas s’étonner si l’opinion ne respecte plus le travail parlementaire lui-même.
Mes chers collègues, pour l’ensemble de ces raisons, nous vous demandons d’adopter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Pardonnez-moi de le dire de but en blanc, tout en étant certain que cette motion sera adoptée, chacun d’entre nous étant conscient de l’importance capitale de l’analyse qui la sous-tend : le cas échéant, le groupe UMP irait, naturellement, devant le Conseil constitutionnel.
Nous avons obtenu la censure constitutionnelle lorsque le Gouvernement a refusé la tenue d’une séance de questions d’actualité au Sénat, lors de la précédente session extraordinaire,....
M. Pierre Charon. Exact !
M. Roger Karoutchi. … et, de même, le Conseil constitutionnel reconnaîtra que la manière par laquelle le présent texte est arrivé au Sénat n’est pas constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Pierre Charon. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, contre la motion.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai assisté avec intérêt, une bonne partie de l’après-midi durant, au débat qui a suivi la présentation par Mme la ministre du présent projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement.
Nombreux sont ceux qui ont commencé par adopter une posture politicienne, au milieu d’un brouhaha sans doute inévitable, caractéristique de la rentrée des classes.
Toutefois, au cours de l’après-midi, bien des interventions de qualité se sont succédé, entrant dans le fond du débat. Je prends l’exemple des propos de Valérie Létard. Certaines des propositions de notre collègue ont suscité de l’intérêt sur les travées de la majorité. (Mme Valérie Létard manifeste son scepticisme.)
Je ne doute donc pas qu’il y ait ici de la place pour l’échange, en vue de l’amélioration de ce texte. Nous sommes bel et bien au Sénat, et le travail de fond doit, partant, l’emporter sur les postures politiciennes : nous en sommes tous convaincus et chacun d’entre nous l’a souligné au cours des dernières heures.
Cette après-midi, une partie de l’opposition a donc choisi de faire primer l’urgence de la question de fond, à savoir la pénurie de logements sociaux, renonçant aux polémiques politiciennes un peu faciles. Nous pouvons nous en féliciter, même si nous entendons les insatisfactions que peut légitimement susciter cette accélération de procédure.
Malheureusement, avec l’intervention de M. Karoutchi, il me semble que nous revenons quelque peu en arrière. J’en suis désolé.
M. Karoutchi considère donc que ce projet de loi est contraire « à l’esprit de la Constitution ».
M. Roger Karoutchi. Pas le projet de loi, la procédure adoptée pour l’examiner !
M. Ronan Dantec. Cela signifie qu’il ne juge pas l’ensemble de l’examen de ce texte comme contraire à la lettre de la Constitution : sinon, sa motion aurait naturellement été libellée différemment. (M. Roger Karoutchi manifeste sa circonspection.)
Nous nous inscrivons évidemment dans le cadre du règlement du Sénat, et notamment de son article 42 : nous ne sommes donc en rien en contradiction avec la procédure accélérée telle que la définit la Constitution.
Chers collègues de l’opposition, je ne voudrais pas, moi non plus, remuer le couteau dans des plaies mal cicatrisées.
M. Roger Karoutchi. Pour ma part, je n’ai pas de plaies !
M. Ronan Dantec. Toutefois, je me permets de souligner que M. Karoutchi connaît parfaitement cette procédure accélérée, pour l’avoir lui aussi assez largement utilisée – il l’a d’ailleurs discrètement admis.
M. Roger Karoutchi. Je l’ai dit clairement !
M. Ronan Dantec. Prenons par exemple ce communiqué d’Associated Press, en date du 4 mars 2009. Cette date ne manque pas d’intérêt, car 2009 vient après 2008 (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.),…
Mme Catherine Procaccia. C’est indéniable !
M. Roger Karoutchi. Jusque-là, nous sommes parfaitement d’accord !
M. Ronan Dantec. … c'est-à-dire après la révision constitutionnelle. Je cite cet intéressant document : « Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, a confirmé qu’il n’est pas question de revenir sur la procédure d’urgence pour la loi pénitentiaire,…
M. Roger Karoutchi. Oui, mais avec un délai de quinze jours !
M. Ronan Dantec. … une décision que Bernard Accoyer a regrettée. »
Notons d’ores et déjà que, aujourd’hui du moins, le président du Sénat est, lui, en phase avec le Gouvernement : le choix de la procédure accélérée n’a donc pas été opéré contre la volonté de la majorité parlementaire, les interventions de cet après-midi l’ont abondamment illustré.
Je remarque parallèlement que le précédent gouvernement était, lui, capable d’utiliser la procédure d’urgence, ou la procédure accélérée, même contre l’avis des présidents de droite de l’Assemblée nationale et du Sénat.
M. Roger Karoutchi. Avec un délai de quinze jours !
M. Ronan Dantec. À mon sens, monsieur Karoutchi, il n’est pas raisonnable de vous ériger ainsi, ce soir, en défenseur outragé des droits du Parlement !
M. Roger Karoutchi. Si !
M. Ronan Dantec. Tout aussi intéressant est votre argumentaire de l’époque, qui figure également dans ce communiqué d’Associated Press,…
M. Roger Karoutchi. Décidément !
M. Ronan Dantec. « L’été est la période la plus difficile dans le monde carcéral, est-ce qu’on n’a pas intérêt à ce que ce texte de loi soit voté avant l’été ? »
M. Roger Karoutchi. Nous étions en mars, nous avions tout de même trois mois devant nous avant le début de l’été !
M. Ronan Dantec. Eh oui, il y a l’urgence des saisons. Pour les mal-logés de France – 3,6 millions de personnes selon la fondation Abbé Pierre – l’hiver arrive également très vite. Les quelques semaines gagnées dans l’examen de ce projet de loi, représenteront également, dans quelques années et sur tout le territoire, des logements prêts avant l’hiver, des souffrances humaines évitées, bref autant de motifs donnant toute sa pertinence au recours à cette procédure accélérée, même si nous sommes tous d’accord pour souligner qu’il ne faut pas abuser de cette possibilité.
Mme Élisabeth Lamure. C’est pourquoi il fallait engager cette réforme dès juillet !
M. Ronan Dantec. La procédure accélérée est possible parce qu’une large majorité du Sénat s’accorde sur la nécessité d’une action rapide et forte, illustrant la détermination de l’État à combattre le mal-logement en répondant aux besoins des Français en matière de logements sociaux.
La procédure accélérée est possible parce que ce projet de loi constitue une impulsion, le premier étage d’une fusée – Mme la ministre l’a dit – que d’autres textes viendront ensuite compléter, en s’attaquant à toutes les questions complexes liées à ces dossiers. Vous conviendrez donc qu’il n’y a aucune raison de retarder une semblable impulsion !
Par ailleurs, ce constat a été dressé au cours de l’après-midi, nous avions déjà travaillé au sein de la Haute Assemblée, avant l’élection présidentielle, sur une proposition de loi sénatoriale relative à la mobilisation du foncier public : nous ne sommes donc pas placés aujourd’hui face à un sujet totalement nouveau que nous découvririons.
Malgré tout, la droite, ou du moins une partie de celle-ci, s’oppose à l’examen du présent projet de loi, et prend le prétexte d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à laquelle M. Karoutchi ne peut pas croire lui-même,…
M. Roger Karoutchi. Vous n’avez pas le droit de parler ainsi !
M. Ronan Dantec. … pour faire durer les débats et, partant, prolonger la séance. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
Chers collègues de l’opposition, j’ignore si vous tirez de la révision constitutionnelle le droit d’interrompre constamment l’orateur présent à la tribune : peut-être faudrait-il examiner les textes plus en détail ! (Mme Hélène Lipietz applaudit.) Quoi qu’il en soit, je vous ai écouté attentivement, afin de déterminer si le temps de parole gagné grâce à cette motion, à laquelle vous ne croyez pas vous-même, monsieur Karoutchi, vous permettait de développer de nouveaux arguments. Quitte à augmenter votre temps de parole, autant avancer dans le débat !
M. Roger Karoutchi. Vous n’avez pas le droit de laisser entendre que je ne crois pas moi-même à ce que je dis !
M. Ronan Dantec. Cher collègue, je me permets de l’affirmer, et vous, vous ne cessez de m’interrompre. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) C’est fini, la rentrée des classes ! Désormais, il faut s’écouter mutuellement et travailler en bon ordre : votre discours à la tribune n’avait précisément pas d’autre sens ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Mme Catherine Troendle. Assez de leçons de morale !
Mme Élisabeth Lamure. Et nous ne sommes pas à l’école !
M. Ronan Dantec. Le constat est clair : votre intervention, purement politicienne, n’a pas apporté un seul argument supplémentaire au débat. En revanche, comme nous avons, avec vous, évoqué le passé à l’occasion d’un certain nombre de réminiscences, je me permettrai de rappeler à mon tour quelques souvenirs qui n’ont pas été cités.
À mon sens, il est intéressant de revenir rapidement sur la première discussion de la loi SRU, qui avait eu lieu dans un brouhaha bien plus sonore qu’aujourd’hui, tandis que la droite se livrait à une vigoureuse obstruction.
Je rappellerai notamment – voilà qui ne nous rajeunit pas – l’intervention, sous le gouvernement Jospin, de M. Gilles Carrez, alors député de l’UDF. Ce dernier voyait dans le projet de loi SRU « un retour à l’urbanisme du Gosplan et à l’architecture du béton », « un texte dangereux pour la qualité de vie et d’habitat des Français ».
La droite invoquait alors systématiquement le principe de libre administration des communes mentionné à l’article 72 de la Constitution. Aujourd’hui encore, elle conserve un peu de ce réflexe, mais en tournant l’argument différemment : dans son intervention, en fin d’après-midi, Mme Colette Giudicelli nous accusait ainsi de vouloir stigmatiser les élus locaux. On retrouve bien la trace de l’ancien argumentaire. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Diable ! Stigmatiser les élus locaux ? Je crois pourtant que ce projet de loi est un acte de confiance en la capacité des élus locaux à agir…
Mme Christiane Hummel. Dans ce cas, laissez-les faire !
M. Ronan Dantec. … pour répondre au défi du logement dès lors qu’on leur en donne les moyens, soit, en l’occurrence, des terrains !
Mme Christiane Hummel. Vous savez bien que cela ne suffit pas !
M. Ronan Dantec. Néanmoins, la droite est désormais bien plus prudente sur le sujet, et vous n’êtes pas revenus sur le fond pour rien, car vous avez vous-mêmes compris que le pays ne pouvait plus continuer à laisser la fracture territoriale s’aggraver, chers collègues de l’opposition.
Jean Leonetti, qui est de votre côté, déclarait ainsi, quelques années après l’adoption de la loi SRU que ce texte avait été « un outil, un levier indispensable pour imposer la mixité sociale dans nos communes ».
En 2007, Jacques Chirac lui-même appelait les agents de la fonction publique de l’État à aider les élus locaux à « progresser vers une stricte application de la loi SRU ».
Il est donc possible d’évoluer : dans quelques années, lorsque nous inaugurerons les programmes de logements sociaux nés du présent texte, je suis certain que nous atteindrons un consensus bien éloigné de l’esprit qui anime les auteurs des motions de procédure examinées ce soir.
Je ne veux pas entrer trop avant dans le jeu de cette motion en contribuant, moi-même, à prolonger exagérément le débat. Néanmoins, je profiterai de cette intervention pour relever quelques questions, des questions de fond, cette fois.
Tout d’abord, j’entends et je rejoins Valérie Létard sur le fait que les objectifs quantitatifs, s’ils sont nécessaires, ne doivent pas pour autant masquer les enjeux qualitatifs qui doivent s’attacher à ces nouveaux programmes urbains, quant à leur insertion dans la ville – c’est toute la question des transports en commun -, quant à leur mixité sociale et fonctionnelle, ou encore quant à la qualité du bâti. Je sais que nous partageons ces exigences avec Mme la ministre. (Mme la ministre acquiesce.)
Par ailleurs, en matière de logement, les élus locaux ont accumulé une riche expérience : il s’agit bel et bien de développer des démarches d’éco-quartiers, qui, nous en sommes convaincus, ne doivent pas se cantonner dans un habitat de classes moyennes et aisées.
Enfin, Mme Giudicelli suggère que certains territoires, notamment les zones littorales touristiques, seraient en tout état de cause devenus trop chers pour intégrer des programmes d’habitat social. Un tel constat traduit une part de fatalisme. Or, bien au contraire, comme Mme la ministre vient de l’illustrer très précisément, il faut aujourd’hui apporter des réponses à l’exclusion des populations modestes, souvent originaires de ces territoires et qui ne parviennent plus à s’y loger. C’est, là aussi, un enjeu majeur qui nécessite un véritable volontarisme public.
Mes chers collègues, ce projet de loi est nécessaire sur le fond et important par le signal de mobilisation qu’il envoie à une société française fragilisée par le mal-logement. Je suis persuadé qu’une large majorité se dégagera, au sein de la Haute Assemblée, pour juger irrecevable l’exception d’irrecevabilité défendue dans sa motion par M. Karoutchi.
Pour ce dernier, la présente motion apparaît, au total, comme une forme de catharsis, au regard de sa propre expérience ministérielle et de la manière dont il traitait naguère le Parlement. (Mme Catherine Troendle s’exclame.) J’appelle toutes les sénatrices et tous les sénateurs à rester concentrés sur le fond du sujet et à voter contre cette motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)