compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaire :
M. Jacques Gillot.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le lundi 30 juillet 2012, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, il a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de l’article L.O. 134 du code électoral (démission du suppléant d’un parlementaire) (2012-4563 AN).
Le texte de cette saisine est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
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Harcèlement sexuel
Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel (texte de la commission n° 712, rapport n° 711).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, en remplacement de M. Alain Anziani, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, prenant la parole en ce jour au nom de notre collègue Alain Anziani, rapporteur, qui vous prie de bien vouloir accepter ses excuses, car il ne pouvait être parmi nous cet après-midi, je dirai simplement en préambule : le contrat est rempli et la promesse, tenue.
C’est le 4 mai dernier que le Conseil constitutionnel a choisi d’annuler, pour les raisons pertinentes qu’il a indiquées, la législation existante en matière de harcèlement sexuel. Nous-mêmes, au Sénat, avons immédiatement pensé aux victimes et, plus largement d’ailleurs, aux justiciables ayant engagé une action devant la justice, action qui se trouvait de fait brutalement interrompue. Nous nous sommes dit qu’il était de notre devoir de parlementaires de combler le plus rapidement possible le vide juridique ainsi créé. J’avais même fixé l’objectif d’y parvenir pour la fin du mois de juillet, avant que se termine la session extraordinaire.
Mes chers collègues, nous sommes le 31 juillet, et, oui, le contrat est rempli, car je ne doute pas que les conclusions de la commission mixte paritaire seront adoptées dans nos deux assemblées.
Je tiens une fois encore à souligner le travail fécond organisé au Sénat sur l’initiative de mes collègues Annie David, présidente de la commission des affaires sociale, et Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Nous avons en effet choisi d’unir nos trois instances – deux commissions et une délégation – pour constituer un groupe de travail au sein duquel, en confrontant toutes nos réflexions et en auditionnant quelque cinquante personnes, nous avons accompli, sans a priori, une œuvre utile, qui a permis de rassembler les points de vue.
Qu’il me soit permis de souligner le travail approfondi mené par Alain Anziani, que j’ai l’honneur de suppléer en cet instant, et par Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Je soulignerai aussi le travail de nos collègues, il en est beaucoup, qui ont contribué à l’élaboration des sept propositions de loi déposées sur le bureau du Sénat, émanant de tous les groupes de notre assemblée.
Enfin, madame la garde des sceaux, je tiens à souligner, ce qui ne vous étonnera pas, l’entente profonde et fructueuse qui a marqué notre intense dialogue avec vous et avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes. Aussi peut-on dire aujourd’hui que le projet gouvernemental a constitué une contribution très utile, tout comme les sept propositions de loi d’origine sénatoriale et les conclusions de notre groupe de travail.
Cela montre que, lorsque chacun est actif et apporte sa pierre à l’édifice, l’œuvre parlementaire qui en résulte n’appartient à personne, parce qu’elle appartient à tous : Parlement, Gouvernement, délégations, commissions, groupes politiques.
Il s’agissait de trouver la meilleure solution possible à un problème difficile. Je l’ai dit, il était sans doute plus facile, pour le Conseil constitutionnel, que je respecte infiniment, comme chacune et chacun d’entre vous, d’abolir ces dispositions législatives que d’en rédiger de nouvelles.
Nous nous sommes attelés à cette tâche.
Je n’aurai garde d’oublier de citer les représentants des partenaires sociaux, syndicats et représentants des chefs d’entreprise, ainsi que les associations, qui ont joué un grand rôle dans le débat.
Cela nous permet d’examiner aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire.
Mes chers collègues, je souhaite rappeler rapidement ce que fut l’apport du Sénat à l’issue de la précédente lecture dans notre assemblée.
D’abord, nous avons clarifié la rédaction des définitions relatives au harcèlement sexuel et nous avons choisi d’inscrire dans la loi ce que nous avons appelé, sans doute de façon impropre, l’« acte unique », c'est-à-dire que nous incriminons le fait d’exercer une seule fois, mais de manière gravissime, un chantage en lien avec une embauche ou telle ou telle prestation.
Nous avons élevé l’ensemble des peines encourues à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, ces peines étant portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes.
Sur proposition de la commission des affaires sociales et de son rapporteur pour avis, Mme Christiane Demontès, nous avons introduit la vulnérabilité économique ou sociale de la victime au titre des circonstances aggravantes. Il y a eu de grands débats sur ce sujet et j’ai la faiblesse de penser que cette innovation pourra être réutilisée en d’autres circonstances. Quoi qu’il en soit, chacun voit bien que, dans ces situations de harcèlement, il y a souvent un rapport du fort au faible. Par conséquent, les notions de misère, de précarité, de vulnérabilité économique et sociale, traduisent bel et bien, mes chers collègues, la réalité.
Nous avons, sur proposition de plusieurs de nos collègues, expressément reconnu les discriminations dont peuvent être victimes des personnes en raison de leur « identité sexuelle ». Ce débat n’est pas sans signification, y compris, sans doute, au-delà de ce texte particulier.
Nous avons facilité l’action en justice pour des associations accompagnant les victimes et procédé à une mise en cohérence du statut de la fonction publique avec les nouvelles dispositions pénales réprimant le harcèlement sexuel.
Enfin, par l’adoption de plusieurs amendements, nous avons renforcé les compétences des délégués du personnel ainsi que des services de santé au travail en matière de prévention et de détection du harcèlement, et nous avons inclus les stagiaires et les apprentis dans le champ des dispositions protégeant les victimes et les témoins de harcèlement sexuel.
Telle a été l’action du Sénat, et je pense que l’on peut la qualifier d’importante. L’unanimité qui s’est peu à peu construite ici a été féconde.
L’Assemblée nationale a largement conforté le texte du Sénat. Elle a choisi de remplacer le mot « agissements », que nous avions finalement choisi après que la commission des lois lui eut préféré le mot de « comportements », par celui de « comportements » ! Nous ne rouvrirons pas des querelles sémantiques, car nous estimons que cette rédaction est satisfaisante.
Les députés ont en revanche conservé le terme de « situation », que le Sénat avait préféré, ce dont je m’étais réjoui, à celui d’« environnement », qui nous paraissait trop vague.
L’Assemblée nationale a retenu une nouvelle rédaction pour répondre à la crainte qui avait été exprimée par des associations de voir le nouveau délit de chantage sexuel utilisé par les juridictions pour requalifier des agressions sexuelles ou des tentatives de viol, ce qui aurait été préjudiciable aux victimes. Nous l’avions dit en séance publique, à nos yeux, notre rédaction était très claire, elle ne permettait pas une telle requalification. Toutefois, les craintes subsistant, l’Assemblée nationale a clarifié la rédaction de l’article en question, afin que fût expressément exclue une telle possibilité.
Les associations ont joué leur rôle, l’Assemblée nationale également, et la commission mixte paritaire a donné son accord.
Par cohérence, l’Assemblée nationale a également choisi d’aligner les peines encourues en cas de harcèlement moral sur celles qui sont désormais encourues en cas de harcèlement sexuel.
Elle a étendu les dispositions réprimant les discriminations aux témoins de harcèlement sexuel.
Elle a reproduit in extenso dans le code du travail la nouvelle définition du harcèlement sexuel que nous avions déjà inscrite dans le code de la fonction publique.
Enfin, elle a adopté une disposition qui permettra de faciliter l’allocation de dommages et intérêts aux personnes qui avaient engagé une procédure devant une juridiction pénale et qui se sont retrouvées face à un vide juridique du fait de la décision du Conseil constitutionnel.
Nous avons largement évoqué ce sujet en commission mixte paritaire et nous sommes tombés d’accord pour adopter cet article ainsi rédigé. Il est vrai que la décision du Conseil constitutionnel a créé un préjudice en raison de l’interruption de l’ensemble des actions qui étaient alors engagées sur le plan pénal. Aussi, l’idée qu’ont exprimée nos collègues députés que l’on puisse obtenir réparation sur le plan civil nous est apparue tout à fait judicieuse.
Force est de reconnaître qu’il n’y avait pas de bonne solution. Soit le Conseil constitutionnel accordait un délai au législateur pour récrire la loi, à l’instar du choix qu’il avait fait s’agissant de la garde à vue, mais cette solution n’était pas parfaite, car, pendant cette période que je qualifierai d’intérimaire ou d’intermédiaire, les avocats n’auraient pas manqué, se fondant sur la décision même de la haute juridiction, d’exciper de l’inconstitutionnalité de cette disposition. Soit le Conseil constitutionnel déclarait que, à compter du 4 mai, le délit de harcèlement sexuel n’était plus dans la loi, ce qui soulevait tout autant de problèmes.
En conclusion, la commission mixte paritaire s’est réunie dans un excellent climat et a procédé à quelques clarifications rédactionnelles. Ainsi, elle a amélioré la rédaction de l’article 7, de telle sorte que les victimes de faits de harcèlement sexuel commis jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi devraient pouvoir se voir octroyer des dommages et intérêts sur le fondement de la faute civile commise par l’auteur des faits.
Je rappelle qu’un tel mécanisme existe déjà, notamment en matière de délits non intentionnels ou encore en cas de loi d’amnistie.
Enfin, pour être tout à fait juste, je dois reconnaître qu’une question a échappé à la sagacité de la commission mixte paritaire et donc, madame le garde des sceaux, aux représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat. En effet, il était nécessaire de procéder à une coordination de manière à étendre à Wallis-et-Futuna, à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie les dispositions relatives à l’indemnisation des victimes que je viens d’évoquer. Heureusement, madame la garde des sceaux, vous avez été vigilante et vous nous présenterez à cet effet un amendement que je vous propose de voter, mes chers collègues.
Au final, nous avons tenu notre engagement vis-à-vis des victimes et des justiciables. Pour ce faire, madame la garde des sceaux, nous autres parlementaires avons souhaité, demandé même, que soit engagée la procédure accélérée. Pourtant, une telle démarche n’est pas dans notre habitude, car nous n’aimons guère cette procédure dans la mesure où nous estimons que, pour faire de bonnes lois, il faut s’accorder du temps. À cet égard, la seconde lecture est souvent très utile, au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Mais nous avions un devoir moral à l’égard tant des victimes que des justiciables. De surcroît, nous avons compensé cette absence de seconde lecture par un travail préalable approfondi et une étroite coopération avec le Gouvernement.
En définitive, je crois pouvoir dire que le Parlement et le Gouvernement auront fait leur travail C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, de la commission des lois, vous avez dit l’essentiel. Aussi, je serai brève et n’aborderai que les quelques points qui méritent encore quelques éclaircissements.
Au préalable, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire tout le plaisir que j'éprouve à être de retour devant vous pour l’adoption définitive, sans nul doute, de ce projet de loi. Je rappelle que c’est sur votre diligence, à peine deux semaines après la décision du Conseil constitutionnel d'abroger l'infraction de harcèlement sexuel, qu’a été ouvert ce débat.
Je remercie particulièrement chacune des sénatrices et chacun des sénateurs qui se sont fortement impliqués sur ce texte et grâce auxquels nos débats ont été d’une grande qualité. En particulier, je pense aux auteurs des sept propositions de loi jointes à ce projet de loi et à ceux d’entre vous qui, dès les auditions en commission et jusqu’à la commission mixte paritaire, auront suivi l’ensemble du processus, y compris, pour certains d’entre vous, notamment le président de la commission des lois, le rapporteur et les rapporteures, les travaux de l'Assemblée nationale.
Ce travail aura permis d’enrichir ce texte au fur et à mesure de son cheminement entre les deux assemblées.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président de la commission des lois, nous avons dû légiférer dans un délai contraint, celui de la procédure accélérée, une procédure que vous avez en général en aversion, et ce n’est pas l'ancienne parlementaire que je suis qui pourrait vous le reprocher.
Si nous avons recouru à cette procédure, c’est par souci des victimes, des victimes qui ont vu s'éteindre des actions qu’elles avaient engagées parfois de longue date pour des faits de harcèlement sexuel, des victimes qui s'apprêtaient à appeler la justice à leur secours, des victimes qui ont été exposées au harcèlement sexuel au cours de cette période durant laquelle leur action pénale n’avait plus aucun fondement.
Les voilà désormais mieux armées qu'elles ne l'étaient dans le passé, parce que l'incrimination est plus précisément définie, parce qu’elle couvre un champ plus large et que les sanctions sont plus conformes à la gravité des faits, tant par la nature des transgressions, bien entendu, que par leurs conséquences.
Dorénavant, ces victimes peuvent à nouveau demander en justice réparation des préjudices subis à la suite de faits de harcèlement sexuel.
Le texte adopté en première lecture à l'unanimité tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale puis, finalement, après quelques modifications qui en ont « fluidifié » la rédaction, par la commission mixte paritaire, obéit donc pleinement aux objectifs que nous nous étions fixés.
Premier objectif, nous devions agir avec célérité pour combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. En dépit de la circulaire adressée par la Chancellerie aux parquets leur demandant de poursuivre sur la base d’autres qualifications – violences volontaires, harcèlement moral ou tentative d'agression sexuelle –, de nombreuses victimes, de nombreux plaignants se sont retrouvés sans possibilité d’engager une procédure judiciaire.
Deuxième objectif, il s’agissait de définir aussi précisément que possible cette incrimination de harcèlement sexuel, non seulement pour satisfaire aux exigences constitutionnelles et répondre ainsi aux considérants du Conseil constitutionnel, mais également pour couvrir sinon la totalité, du moins la grande majorité des situations concrètes susceptibles de se présenter.
Troisième objectif, il nous fallait proportionner la sanction à la gravité des faits, mais en conservant une échelle des peines cohérente au sein des agressions et atteintes sexuelles, à défaut de pouvoir obtenir cette même cohérence pour la totalité des peines prévues dans le code pénal.
Enfin, quatrième objectif, et c’est le plus important, nous devions « armer » les victimes de façon qu'elles puissent recourir à la justice le plus vite possible et le mieux possible, tout en tenant compte du fait que, lorsqu’elles prennent cette courageuse décision, elles sont encore souvent en contact avec la personne coupable des faits de harcèlement sexuel.
Nous avons modifié le code pénal et le code du travail de façon que les discriminations soient plus précisément définies et plus diversement envisagées.
Nous nous sommes également attachés à protéger à la fois les victimes, mais aussi les témoins, afin que ces derniers puissent contribuer à la manifestation de la vérité sans crainte de représailles.
Dans le même ordre d’idées, nous avons modifié le code de procédure pénale de manière à permettre aux associations d’accompagner plus aisément les victimes. Nous savons combien ces associations, qui sont déjà à l’œuvre, accomplissent un travail important et même remarquable.
Dans ce souci de protection des victimes, plusieurs députés et sénateurs, dont Mme Dini, ont souhaité que le délai de prescription coure à compter non plus du dernier fait commis, mais de la date de cessation du contrat de travail.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire, nous comprenons parfaitement cette préoccupation, et nous y avons fait droit dans le débat. Néanmoins, il ne nous a pas été possible d’accepter les amendements tendant à rédiger la loi en ce sens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le législateur doit avoir le souci que la victime soit mieux armée pour mettre un terme aussi rapidement et efficacement que possible aux faits de harcèlement sexuel. Le code pénal pose comme règle générale que les délits sont soumis à une prescription de trois ans. Faire partir le délai de prescription des faits de harcèlement sexuel à compter de la date de cessation du contrat de travail reviendrait pratiquement à introduire un délai de prescription indéterminé. Surtout, nous savons tous combien il est difficile, dans le cas de cette infraction particulière, de rassembler non seulement les preuves des faits, mais également les preuves du refus de la victime, lorsqu'elle a pu l'exprimer.
Par conséquent, nous avons choisi de privilégier les dispositions permettant aux victimes d’engager aussi rapidement que possible une procédure plutôt que d'étendre le délai de prescription. Si nous n’avions pas agi de la sorte, nous aurions pris le risque de signifier que rien ne pressait, alors que, au contraire, tout presse dans le harcèlement sexuel, parce que ses effets sont dévastateurs, et parce qu’il est important que la victime sache qu'elle peut recourir à l’action publique et obtenir de la justice qu’elle garantisse sa liberté de vivre et de travailler sans être harcelée.
Évidemment, cela ne suffit pas. Un certain nombre de messages doivent être délivrés. En priorité, il doit bien être affirmé que le harcèlement sexuel ne bénéficiera d’aucune complaisance sociale.
Ainsi, le 3° ter du texte proposé par l’article 3 pour l’article L.1153-1 du code du travail, introduit au cours des débats, prévoit l'affichage sur le lieu de travail du texte de l'article 222–33–2 du code pénal.
C’est dans cette optique aussi que sera lancée dès la rentrée une campagne d’information conjointe de la Chancellerie, du ministère des droits des femmes, du ministère de la santé et des affaires sociales, du ministère du travail, du ministère de la réforme de l'État et du service d'information du Gouvernement, campagne qui est d’ores et déjà en préparation.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président de la commission, nous avons eu, tant ici qu’à l’Assemblée nationale, des débats sur des questions de vocabulaire, et ces débats n’étaient pas que sémantiques : fallait-il retenir « agissements » plutôt que « comportements », « environnement » de préférence à « situation », ou encore, comme il en fut question à l’Assemblée nationale, « placer » plutôt que « créer » ?
Ces débats étaient motivés par le souci des parlementaires de s'assurer que la définition des éléments constitutifs de l'infraction était aussi précise que possible eu égard au motif d'abrogation par le Conseil constitutionnel de cette infraction, à savoir le non-respect du principe de légalité des délits et des peines.
Nous avons donc veillé à ce que les termes employés soient aussi précis que possible et la rédaction ultime retenue par la commission mixte paritaire me paraît à cet égard constituer une combinaison optimale pour garantir une bonne interprétation et donc une bonne application de la loi.
La commission mixte paritaire a maintenu le « fait unique », qui a fait débat également à l'Assemblée nationale. En prévoyant qu’est assimilée à du harcèlement sexuel « toute forme de pression grave », même non répétée, exercée « dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle », cette rédaction permet d'inclure dans le champ de l'infraction des faits que le législateur de 1992 avait déjà retenus en raison de leur fréquence, de leur gravité ou parce que leurs conséquences étaient identiques ou analogues à celles du harcèlement sexuel dans sa définition plus classique.
En ce qui concerne le niveau des peines, le projet de loi initial prévoyait deux niveaux d’infraction et deux niveaux de sanction. Le Sénat a souhaité unifier les sanctions en retenant le quantum le plus sévère, et le Gouvernement s’est rallié très volontiers à cette position ; l’Assemblée nationale l’a adoptée ainsi que la commission mixte paritaire. Cette unification laisse au juge une marge d’appréciation plus importante pour traduire la gravité des faits dont il est saisi.
Pour ce qui est des circonstances aggravantes, le texte en compte désormais cinq ; les quatre qui figuraient dans le projet du Gouvernement ont été conservées, à savoir l’abus d’autorité, la minorité de quinze ans, la vulnérabilité personnelle ainsi que la commission des faits en groupe en tant qu’auteur ou complice.
Le Sénat a manifesté dès le début le souci de prendre en considération la vulnérabilité économique ou sociale ainsi que la dépendance, et, au nom du Gouvernement, je vous sais gré d’avoir adopté à l’unanimité l’amendement qui permet d’inclure dans le texte cette cinquième circonstance aggravante.
La commission mixte paritaire a conservé cette disposition et, désormais, les cinq circonstances aggravantes sont passibles de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Des débats extrêmement intéressants ont également eu lieu tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale concernant la minorité de quinze ans, car nous nous sommes posé la question de l’effectivité de cette circonstance aggravante dans le milieu du travail.
Je sais que ces dispositions ont suscité une certaine insatisfaction, et pas seulement de la part de ceux des sénateurs et des députés qui ont plaidé pour la minorité jusqu’à dix-huit ans, contre quinze ans dans le texte. Cette question nous concerne tous, car la protection de la jeunesse est l’une de nos priorités.
D’abord, ce texte de loi ne vise pas exclusivement les lieux de travail ; ensuite, des mineurs de quinze ans peuvent tout à fait travailler pour effectuer des stages de une ou plusieurs semaines. Nous avons veillé à les protéger, notamment grâce aux dispositions destinées à lutter contre les discriminations, qui visent toutes les personnes en formation ou en stage.
Néanmoins, nous n’avons pas souhaité modifier la disposition concernant la minorité de quinze ans, pour ne pas introduire un biais susceptible de provoquer des conséquences en cascade dans le code pénal, qui protège les mineurs – c’est la logique de protection - mais qui comporte aussi des exceptions pour la tranche des seize – dix-huit ans au titre cette fois de la logique d’engagement.
Nous en sommes bien conscients, on trouve des jeunes de seize à dix-huit ans dans des lieux de travail, un univers qui ne leur est pas familier, ce qui constitue déjà une première fragilité, raison pour laquelle nous devons protéger ce public.
Le texte de loi, d’ailleurs, ne vise pas uniquement les lieux de travail, et des amendements ont été examinés à l’Assemblée nationale sur le milieu sportif, les colonies de vacances, partout où les adolescents qui travaillent peuvent être exposés au harcèlement sexuel.
Nous allons donc exercer une vigilance particulière, tout d’abord au travers de cette circulaire d’application dont je vous ai parlé. Elle enjoindra aux parquets d’être particulièrement attentifs à ce public qu’il convient tout particulièrement de protéger, les mineurs de quinze ans avec la nouvelle circonstance aggravante et les mineurs de seize à dix-huit ans, avec la circonstance aggravante d’abus d’autorité.
Ces mesures de protection seront prises, mesdames, messieurs les sénateurs, d’autant que le Président de la République a fait de la jeunesse une priorité de son quinquennat. Nous serons donc d’une vigilance particulière s’agissant de cette frange de la population.
Nous avons également beaucoup discuté, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.
Nous avons retenu l’identité sexuelle tout en écoutant attentivement les observations relatives à la différence entre le sexe et le genre et les conséquences que cette dernière induit, notamment pour la reconnaissance des droits des individus.
Nous avons tenu des propos précis et clairs qui pourront éclairer les juges sur l’intention du législateur : les personnes transsexuelles et les personnes transgenres sont concernées par les discriminations prévues dans le texte mais également au titre de l’identité sexuelle et doivent être protégées en conséquence. Il n’existera aucune ambiguïté sur l’inclusion des personnes transsexuelles et transgenres dans le champ de la protection.
Par ailleurs, nous avons veillé, dans le texte, à protéger le témoin autant que la victime, puisque sa contribution est très importante pour éclairer les enquêteurs.
Vous l’avez dit, monsieur le président de la commission, la loi portant statut des agents des fonctions publiques a été modifiée en conséquence. Enfin, grâce à l’adoption, à l’unanimité, d’un amendement du Gouvernement, le quantum de peine du harcèlement moral a été porté à deux ans et 30 000 euros d’amende, contre un an et 15 000 euros d’amende aujourd’hui.
Nous avons entamé au Sénat et à l’Assemblée nationale un débat qui mériterait d’être approfondi, même s’il a été très riche aussi au sein de la commission mixte paritaire, comme j’ai pu le lire dans le compte rendu, puisque députés et sénateurs se sont interrogés sur les solutions à apporter aux victimes se heurtant à l’extinction de l’action publique. En effet, si l’action publique est éteinte dans le cadre de la procédure pénale, les victimes sont fondées à recourir à la procédure civile pour obtenir réparation. Ce droit existe déjà, mais, aux termes de la loi actuelle, il implique qu’une nouvelle procédure soit engagée devant les juridictions civiles.
Vous l’avez évoqué, monsieur le président de la commission, sur l’initiative de Pascale Crozon, rapporteure à l’Assemblée nationale, a été introduit dans le projet de loi un nouvel article 7, qui permettra aux plaignants de maintenir devant la juridiction correctionnelle, saisie dans le cadre de l’action pénale, leur demande de réparation civile.
Autrement dit, avec cette disposition, plutôt que de devoir entamer une nouvelle procédure, les victimes pourront réclamer des dommages-intérêts devant la juridiction correctionnelle, la juridiction pénale demeurant compétente pour statuer sur l’action civile.
J’ai l’intention, dans la circulaire d’application, de demander aux parquets d’écrire aux personnes confrontées à l’extinction de l’action publique, afin de les informer de leur droit à demander réparation des préjudices subis devant les juridictions civiles sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Cette possibilité existait, mais l’article va en faciliter la mise en œuvre.
La réponse apportée au travers de l’amendement déposé à l’Assemblée nationale a néanmoins soulevé un certain nombre d’interrogations concernant la sécurité juridique et constitutionnelle de cette disposition, les droits de la partie civile et, surtout, la possibilité d’une extension de cette action.
La rédaction que la commission mixte paritaire a retenue n’est pas exactement celle de l’amendement adopté par l’Assemblée nationale. Elle tient compte des observations du Gouvernement et ne fait donc plus référence à l’article 470-1 du code de procédure pénale, qui concerne des actes non intentionnels pour lesquels la relaxe a été prononcée. Par ailleurs, cette disposition serait transitoire compte tenu du délai de prescription de trois ans. Or il n’y a pas lieu d’introduire dans le code de procédure pénale une disposition transitoire.
Ces arguments ayant été pris en considération, la nouvelle rédaction se réfère non plus à l’article 470-1 du code de procédure pénale, mais très clairement à la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai 2012, pour préciser le champ d’application de cette procédure. Il s’agit donc, non d’une disposition de droit pénal de fond, mais d’une pure règle de procédure pénale et civile destinée à réduire les délais et à faciliter l’action des victimes.
Cela étant, cet article 7, vous l’avez dit, monsieur le président de la commission, ne permet pas, là où il est placé, une application aux justiciables de Wallis-et-Futuna, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Le Gouvernement propose donc un amendement technique qui permettra l’extension de ces dispositions en faveur des justiciables de ces territoires.
Compte tenu des délais de procédure – en moyenne vingt-sept mois – et de leur coût – entre 13 000 et 20 000 euros –, nous avons tous eu le souci de venir en aide aux victimes confrontées à l’extinction de l’action publique. Je vous ai fait part de mon intention de sensibiliser les bureaux d’aide juridictionnelle, à l’article de la loi du 10 juillet 1991 instituant l’aide juridictionnelle qui prévoit une dérogation aux conditions de ressources en cas de situation exceptionnelle. À l’évidence, nous sommes devant une situation exceptionnelle !
Tel est le texte aujourd’hui soumis à votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs. La circulaire d’application sera prête et publiée le jour même de la promulgation de la loi.