M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l'article.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons déjà abordé ce sujet, mais il me semble que la confusion demeure sur ce qu’il faut entendre par intéressement et par participation.
Dans tous les camps politiques, on a imaginé une autre forme de relations au sein des entreprises : certains ont privilégié le dialogue social, d'autres ont essayé des formules un peu plus conflictuelles, d’autres encore ont cru au pouvoir des syndicats ou des comités, d'autres enfin, comme le général de Gaulle, ont souhaité le faire par l'association capital-travail, l'intéressement et la participation.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, le problème n'est absolument pas de savoir si, oui ou non, il s’agit d’un substitut ou d’un complément de salaire. L'élément premier de la participation et de l'intéressement, c'est de changer l'état d'esprit au sein d'une entreprise.
Le salaire, c’est la contrepartie d'un travail : il doit être rémunéré de manière cohérente et correcte ; il correspond à un certain nombre d'heures de présence du salarié dans l'entreprise. En revanche, l’intéressement et la participation permettent au salarié d’évoluer au sein de son entreprise dans un climat différent, qui n'est plus du tout celui du temps des patrons du début du XXe siècle, de s’impliquer totalement, afin que l'ensemble de l'entreprise se porte mieux et que soit créé de l’emploi.
La répartition de la richesse créée par l’entreprise au profit de ceux-là mêmes qui l’ont permise, c'est cela l'intéressement et la participation ! Ce n'est pas un complément ou un substitut de salaire.
Vous cherchez des moyens de réduire les niches fiscales, vous voulez fiscaliser l'intéressement et la répartition de la même manière que les salaires. Or la méthode que vous employez est la négation même de l'intéressement et de la répartition ! Je le répète, ils sont la garantie d'un autre climat et d’un changement d’état d’esprit dans l’entreprise. Si on ne le comprend pas, alors ce dispositif perd tout son sens. Pourquoi un taux de 8 %, 20 % ou 12 % ? Cela n'a aucun sens ! Sauf à considérer que cela n’a rien à voir avec le salaire et que c’est un élément d'intégration sociale, d’équité, de justice.
À gauche, on se demande toujours : pourquoi le profit des entreprises ne bénéficierait-il qu'aux actionnaires ? On vous répond : banco ! Faisons de la participation et de l'intéressement pour que les salariés qui contribuent à la richesse de l'entreprise en profitent aussi. Et vous nous répondez que vous voulez fiscaliser ces outils comme si c'était du salaire. Il faut savoir !
De deux choses l'une : ou bien vous considérez que l'intéressement et la participation permettent un meilleur dialogue social, une meilleure intégration, une meilleure répartition des profits, lorsque l’entreprise en génère, et ce n'est pas du salaire ; ou bien vous considérez que ce n'est qu'un supplément de salaire et vous tuez alors l'idée même de participation.
Pour ma part, je suis totalement opposé à votre manière de procéder avec cet article 27. Je partage tout à fait l'analyse d’Isabelle Debré : ce n'est pas un complément de salaire, c'est un autre état d'esprit, une autre manière de voir la répartition des profits. Ne tuez pas cette idée en la réduisant à un complément de salaire !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 106 est présenté par Mme Debré, M. Dassault et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 130 rectifié est présenté par MM. Marseille, Dubois, J. Boyer, Maurey et Tandonnet et Mme Férat.
L'amendement n° 204 est présenté par MM. Mézard, Chevènement et Plancade.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Serge Dassault, pour présenter l'amendement n° 106.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la suppression de la déductibilité fiscale de la provision pour investissement dont nous avons débattu hier et que j'ai voulu empêcher sans succès, vous vous attaquez maintenant à la prime au travers de l’augmentation du forfait social.
Quel est le véritable objectif de cette opération ? J’en vois deux : soit il s’agit pour vous de récupérer de l’argent pour réduire le déficit budgétaire actuel – dans la situation que nous connaissons aujourd’hui, à la limite, pourquoi pas, même si cela me paraît dérisoire ? –, soit vous êtes animés par la volonté politique de supprimer la participation.
Lors des différentes interventions des membres de la majorité au cours de nos débats d’hier, j'ai cru comprendre que vous vous attaquiez à la participation, parce que, pour vous, seul comptait le salaire. Ce n'est pas du tout notre cas.
Je souhaite insister sur le fait que la participation et l’état d’esprit qu’elle suppose, c'est fondamental dans l'entreprise. Pour ma part, j'appelle cela la gestion participative : je prends en compte non seulement l'élément financier, mais aussi l'élément philosophique, l’élément de gestion du personnel dans l'entreprise.
Le personnel fait partie de l'entreprise. En effet, dans une entreprise, on compte quatre acteurs fondamentaux. Le plus important, ce n'est pas l'actionnaire, ce ne sont pas non plus les syndicats, ni même les salariés, c'est le client ! On l’oublie souvent, mais c'est pourtant lui qui gère l’entreprise, en décidant d'acheter ou de ne pas acheter. S'il n'achète pas, il n'y a pas d'entreprise, donc pas d'emploi. Par conséquent, il faut que l'entreprise marche, qu'il y ait un consensus, que tout le monde s’implique pour permettre des prix compétitifs, pour développer l'emploi et l'activité.
À cet effet, j'ai appliqué dans mes entreprises ce système de gestion participative, qui plaît au salarié, parce que cela améliore son intégration. Le salarié n'est pas seulement une main qui fait fonctionner une machine : c'est un esprit, un cœur. Il faut donc y être attentif, l’informer, lui donner des responsabilités, reconnaître sa dignité et le récompenser quand ça marche. C'est la participation !
Mes chers collègues, si, sur cette mesure, le Gouvernement est animé par des considérations plus financières que philosophiques, je suis moins hostile à cette augmentation, même s’il serait bon qu’elle fût moins forte.
Aujourd'hui, nous souhaitons la suppression de cet article et le maintien du taux de 8 % – ce qui n'est déjà pas si mal. À l’heure actuelle, pour l'entreprise, pour la réussite, pour l'emploi que vous cherchez tous, pour le développement de l'économie, il faut travailler ensemble. L'entreprise n'est pas un endroit où l'on se bat les uns contre les autres. « Le patron peut payer » : je ne connais que trop cette formule ! Non, le patron ne peut payer que s'il a de l'argent. Il est donc normal qu’il paye plus lorsqu'il dégage des bénéfices et qu’il paye moins lorsqu'il n'en fait pas assez.
Monsieur le ministre, éclairez-nous : quelle est votre véritable motivation, est-elle plus budgétaire que philosophique ?
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour présenter l'amendement n° 130 rectifié.
M. Hervé Marseille. Une hausse de 12 points du forfait social est manifestement une mesure inéquitable et inopportune, comme l'a rappelé Isabelle Debré.
En effet s’il est voté en l’état, l’article 27 aura de lourdes conséquences sur de nombreux salariés.
Une telle hausse incitera les entreprises à renoncer à se doter de mécanismes de participation sociale et privera donc leurs salariés d’accessoires de rémunération, de dispositifs de consolidation de leur prévoyance complémentaire et de retraite complémentaire.
J'ai été saisi, certainement comme un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, par une chaîne de supérettes qui emploie près de 14 000 collaborateurs et qui subira directement cette mesure. Cette entreprise développe depuis plus de 15 ans une politique visant à associer les salariés aux résultats de l’entreprise, bien au-delà des obligations légales. Elle a ainsi redistribué, cette année, 17 millions d'euros en intéressement et participation à l’ensemble de ses collaborateurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi n’a-t-elle pas augmenté les salaires ?
M. Hervé Marseille. L’épargne salariale est un moyen efficace permettant aux salariés les plus modestes de se constituer de l’épargne. Taxer davantage la participation porterait clairement atteinte au pouvoir d'achat de nombreux salariés, dont l’épargne salariale est l’unique apport personnel à faire valoir, par exemple, lors d’une première acquisition immobilière.
Si cette mesure grève largement le pouvoir d’achat des Français, elle se traduit également par une charge financière supplémentaire pour les entreprises. Ainsi, l'entreprise que j'évoque estime à plus de 2 millions d'euros l’augmentation de charges résultant de cette mesure, ce qui se traduira inéluctablement par des choix.
C’est donc une double peine : on pénalise les entreprises dans leur capacité et on enlève aux salariés les plus modestes ce qui leur permet d’envisager un avenir meilleur.
En bref, cette mesure nous conduira à des difficultés en pleine période de crise. Partageant les préoccupations exprimées par notre collègue Isabelle Debré, nous demandons par conséquent la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour présenter l’amendement n° 204.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mon argumentation sera totalement différente de celles qui ont été développées par mes collègues.
L’investissement et la participation constituent, pour les entreprises françaises, un outil important pour défendre leur capital contre les menaces d’offre publique d’achat ou de prise de participation qui peuvent porter atteinte à leur autonomie. Imposer davantage la participation et l’intéressement peut donc aller à l’encontre des objectifs de redressement de l’appareil productif que le Gouvernement s’est fixé, à juste titre.
Cet amendement, déposé par MM. Mézard, Plancade et moi-même, a pour but d’attirer votre attention sur cet aspect de la question, monsieur le ministre. On ne peut pas compter seulement sur le Fonds stratégique d’investissement ou sur l’appel au secours de l’État, comme cela a pu se faire en d’autres occasions.
Il faut aussi renforcer cette composante du capital de nos entreprises qui permet de les stabiliser. On sait que leurs marges de profit ne sont pas si élevées qu’elles les mettent à l’abri d’offres publiques d’achat sauvages.
Il faut donc que le Gouvernement revoie absolument sa position sur ces dispositions relatives à l’intéressement et à la participation. Je ne veux pas en faire une querelle idéologique : l’opposition capital-travail me paraît relativement dépassée…
M. Philippe Dallier. Pas pour tout le monde, apparemment !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le véritable enjeu, c’est la préservation du tissu industriel français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. L’avis de la commission risque d’être répétitif. Notre majorité souhaite préserver l’équilibre général du dispositif budgétaire qui nous est soumis : la commission émettra donc un avis défavorable sur tous les amendements qui portent préjudice à cet équilibre.
En l’occurrence, ces amendements tendent à supprimer l’article 27 qui porte le taux du forfait social de 8 % à 20 %, suppression qui entraînerait une perte de recettes de 550 millions d’euros sur l’année en cours et de 2,4 milliards d’euros en année pleine. Même si j’ai bien compris que des arguments très divers étaient invoqués à l’appui de ces amendements – notamment ceux de Jean-Pierre Chevènement –, la commission ne peut donc qu’émettre un avis défavorable.
Outre l’argument budgétaire que j’ai évoqué, vous savez, mes chers collègues, que l’épargne salariale est concentrée dans les grandes entreprises et qu’elle bénéficie surtout aux salariés dont les revenus sont les plus élevés…
Mme Catherine Procaccia et M. Philippe Dallier. Ce n’est pas vrai !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est établi, mes chers collègues. Vous pourrez consulter les statistiques existant sur ce sujet, qui sont mentionnées dans mon rapport.
M. Philippe Dallier. Avez-vous seulement été salarié dans votre vie ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ensuite, l’épargne salariale peut se substituer aux rémunérations salariales : il en résulte un effet pervers qui a été maintes fois dénoncé.
En outre, même au taux de 20 %, le forfait social reste inférieur au taux des cotisations patronales sur les salaires. On ne peut donc pas considérer que ce taux soit prohibitif.
Enfin, je précise que les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance – en clair, les « complémentaires santé » – ne sont pas concernées par la hausse du forfait social.
Ces arguments donnent toute la pertinence nécessaire à l’avis défavorable de la commission des finances. Mes chers collègues, je vous invite donc à rejeter ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Le Gouvernement, vous n’en serez pas surpris, est évidemment opposé à l’adoption de ces amendements de suppression.
Ce forfait social s’inscrit dans une quadruple perspective.
La première qui me vient à l’esprit est celle du rétablissement de nos finances publiques. Le nier serait hypocrite ! Nous avons besoin de cette recette, en 2012 et, bien sûr, en 2013. Il a toujours été dit que, si certains seraient davantage sollicités, tous le seraient néanmoins. Cette sollicitation s’adresse à des salariés, certes, mais nous appartenons tous au même pays : ce pays a donné sa parole, la mission qui m’a été confiée est de tout faire pour que cette parole soit respectée. Cette disposition s’inscrit donc dans cette volonté. Je comprends les inconvénients qui pourraient résulter de cette mesure, mais je souhaite que personne n’oublie la finalité à laquelle elle obéit.
La deuxième perspective n’est pas nouvelle. Le principe du forfait social a été posé en 2009. La majorité précédente a décidé de taxer à hauteur de 2 % des versements qui n’étaient pas taxés jusqu’alors. De 2 % en 2009, ce prélèvement est passé à 4 % en 2010, à 6 % en 2011 et à 8 % cette année. Nous n’avons rigoureusement rien inventé !
Il s’agit donc soit d’une question de principe – mais ce principe ne fait pas l’objet d’un débat –, soit d’une question de niveau. Sur ce dernier point, qui n’est pas médiocre, je ne pense pas que la discussion appelle des arguments aussi décisifs et entiers que ceux que j’ai pu entendre. En effet, j’admets une telle divergence d’appréciation sur des questions de principe, mais plus difficilement pour des questions de niveau. Je le répète, la majorité précédente a inventé le forfait social et, en quatre année, l’a porté de 0 % à 8 %.
La troisième perspective a été tracée par d’autres que les représentants du suffrage universel : la Cour des comptes, il y a longtemps, sous l’autorité de Philippe Séguin – peu suspect d’hérésie en gaullisme social ! –, avait indiqué, la première, qu’il n’était pas normal que ces versements échappent à toute cotisation. Elle recommandait que, sans atteindre le niveau des cotisations sur les salaires, situé entre 40 % et 45 %, cette contribution des entreprises soit fixée à un niveau proche de la moitié, c’est-à-dire 18 %.
Enfin, au-delà de ce point de vue d’expert, je voudrais mentionner une dernière perspective, d’ordre politique. J’ai en effet le souvenir que les députés centristes, mais néanmoins alliés à l’UMP, en tout cas pendant ces cinq dernières années, ont déposé des amendements visant à porter le taux du forfait à 19 %. Le Gouvernement vous propose de fixer ce taux à 20 % : cela n’a rien d’original, car la proposition est ancienne ; ce n’est pas une question de principe, car elle a été tranchée par la majorité précédente, il y a quatre ans. C’est peut-être une question de niveau : si tel est le cas, les échanges pourraient comporter des propos un peu moins décisifs.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je voudrais à mon tour exprimer les craintes que cet article m’inspire. Ces craintes relèvent de considérations d’ordre économique et social.
D’un point de vue économique, si l’épargne salariale est essentielle, c’est parce qu’elle permet notamment de créer de l’épargne longue dans les véhicules d’épargne retraite. Nous savons que notre système d’assurance vieillesse, avec ses différents niveaux – l’assurance obligatoire, les régimes complémentaires par répartition – nécessite un « troisième étage », un étage « surcomplémentaire ». Cet étage est bienvenu pour celles et ceux qui ont la possibilité de lui consacrer des versements volontaires et peuvent y être incités par des abondements de leur employeur.
Depuis vingt ans, j’ai toujours été de ceux qui pensent que l’épargne salariale doit trouver sa place et qu’elle a un rôle important à jouer dans le dialogue social au sein des entreprises. En effet, c’est ainsi que les partenaires sociaux, représentants de la direction et des salariés, appelés à dialoguer autour d’une table et à trouver des solutions empiriques pour définir des régimes, pour acquiescer au système d’abondement ou pour surveiller ensuite la gestion de ces fonds, progressent dans l’exercice de leurs responsabilités.
Notre économie a cruellement besoin de cette épargne longue : au regard des nouvelles règles comptables qui s’imposent, nous savons tous que la situation de la France en Europe est, hélas ! originale. La France est beaucoup plus vulnérable à la nouvelle normalisation comptable internationale entérinée par l’Union européenne, parce qu’elle a choisi – et personne, ici, ne penserait à revenir sur ce choix fondamental – de fonder la couverture du risque vieillesse sur des systèmes par répartition. De ce fait, l’espace disponible pour les régimes d’épargne retraite est plus réduit que dans d’autres pays. Or vous savez qu’en matière de répartition des actifs et de calcul des risques du système d’assurance, les normes ont de plus en plus un effet dissuasif quant à la détention d’actions. Dès lors, pénaliser la constitution de cette épargne longue, ralentir les flux qui lui permettront de se sédimenter davantage est, sans doute, une erreur économique, je n’hésite pas à le dire ! Seuls les fonds d’épargne retraite peuvent se permettre, aujourd’hui, de détenir dans leurs actifs plus de 50 % d’actions ou de placements en fonds propres – de l’ordre de 60 % pour les PERCO, si ma mémoire est bonne.
À cela s’ajoute la préoccupation que peut nous inspirer l’indépendance capitalistique de nos entreprises. Jean-Pierre Chevènement a évoqué ce point et il me remettait en mémoire l’épisode vécu par un grand groupe français du BTP, le groupe Eiffage. Ce groupe a pu sauver son indépendance, certes avec l’appui de la Caisse des dépôts et consignations, grâce aux 17 % du capital détenus par l’actionnariat salarié, au moment où un grand groupe espagnol du BTP – c’était un autre temps ! –, pris de rêves de grandeur, essayait d’en prendre le contrôle.
Certains se rappellent sans doute cet épisode qui a défrayé la chronique et les contentieux qui en ont résulté : toujours est-il que ce grand groupe étranger se trouvait très près de prendre le contrôle de cette entreprise française. Compte tenu de l’évolution de la situation économique et financière de l’Espagne lors des dernières années, il est vraisemblable que ce grand groupe aurait été démantelé peu après et que la perte, en termes d’emploi et de substance économique, aurait été considérable. Le fonds commun représentatif des salariés a donc été un élément essentiel dans la solution qui a assuré l’indépendance durable de cette entreprise.
Donc, sur le plan économique, je crois que cette hausse importante et brutale, monsieur le ministre, va avoir des conséquences défavorables, et je le déplore. Certes, vous l’avez dit, le forfait social n’est pas votre invention. Il a évolué selon une progression arithmétique d’année en année, mais, si vous nous aviez proposé 10 % ou 12 %, je crois que…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, je ne partage pas votre réaction.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Certes, une opposition s’oppose, c’est bien naturel.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous en avez l’expérience, vous l’avez fait fort bien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela étant dit, au-delà du devoir d’opposition, il y a la réalité des choses, et la réalité est différente entre 10 % ou 12 % et 20 %. Les conséquences économiques seront différentes.
Or il convient d’ajouter, et je terminerai par là, des conséquences sociales qui sont loin d’être négligeables.
M. Dassault a évoqué l’industrie. Pour ma part, je voudrais évoquer le commerce (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) et un grand groupe intégré de la distribution qui mène une politique d’association de ses salariés au résultat de l’entreprise depuis plus de cinquante ans. Il nous indique que tous ses collaborateurs bénéficient d’une prime d’intéressement, d’une prime de participation supérieure à la participation légale, ce qui, pour 2012, représente 183 millions d’euros d’intéressement et participation dont bénéficient les 50 000 collaborateurs de l’entreprise, quel que soit leur niveau hiérarchique, caissières comprises.
La hausse brutale à 20 % peut pénaliser, me dit-on, les salariés les plus jeunes et les plus modestes, en particulier ceux de moins de vingt-cinq ans qui représentent les deux tiers des embauches annuelles de ce groupe. C’est tout de même bien une réalité qu’il faut écouter. Au demeurant, pour ces jeunes salariés, faciliter la constitution d’une épargne est un élément qui leur permettra de mener des projets et de faire face aux besoins de la vie.
Le montant moyen par collaborateur de cette épargne s’élève à 27 000 euros. (Mme Nathalie Goulet marque son impatience.) Il est prioritairement utilisé pour constituer l’apport nécessaire à l’acquisition de la résidence principale. Bien sûr, cette somme est d’autant plus vitale que l’on est sans doute plus modeste ou plus exactement que l’on a moins de capacité d’apporter des fonds propres pour contribuer à l’acquisition d’un bien immobilier à usage familial.
Par ailleurs, cette hausse brutale peut réduire l’emploi et l’investissement. Pour le groupe en question, la charge supplémentaire sera de 22 millions d’euros. Bien entendu, ce groupe, qui bénéficie d’une gestion avisée, tiendra compte de cette charge supplémentaire pour modifier certains de ses choix.
Enfin, il y a lieu de signaler que cette hausse brutale pénalisera le partage des résultats et l’actionnariat des salariés.
Je conclus en indiquant que, dans ce groupe…
M. Alain Richard. Ne vous dépêchez pas !
M. Jean-Pierre Caffet. Prenez votre temps !
M. Michel Berson. Vous vous exprimez depuis dix minutes !
M. Alain Richard. Prenez tout votre temps, monsieur le président !
Mme Annie David. C’est irrespectueux de l’institution !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Écoutez, je ne vous ai pas encombrés ce matin ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Alors permettez-moi de compenser un peu et de vous dire, même si cela vous déplaît, qu’une hôtesse de caisse avec trois ans d’ancienneté perçoit une rémunération annuelle de 20 027 euros hors intéressement et participation (Mme Annie David s’exclame.), que les choix salariaux dans cette entreprise sont donc loin de pâtir de l’intéressement et de la participation, et que ceux-ci ne sont pas nécessairement les ennemis du salaire.
Par conséquent, avec cet exemple concret – pardonnez-moi, ce sont des données d’expérience –, je crois pouvoir dire qu’il serait plus sage, sauf si M. le ministre nous dit qu’il lui est possible de réduire sensiblement le taux de 20 % (M. Jean-Pierre Caffet s’esclaffe.), de repousser l’article 27. (M. Serge Dassault applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cet instant du débat, j’exprime la voix de la majorité des membres de la commission des affaires sociales, particulièrement attachés à cet article 27 dont l’objet est de relever la contribution au budget de la sécurité sociale d’éléments de rémunération qui, aujourd’hui, y échappent largement.
Ces éléments exemptés d’imposition, de contribution sociale constituent, quoi que l’on puisse dire, de véritables niches sociales particulièrement appréciées et optimisées et, que cela plaise ou non de l’entendre, plus répandues dans les grandes entreprises que dans les petites et moyennes entreprises. Elles profitent davantage aux salariés de niveau élevé qu’à ceux qui sont au bas de l’échelle des salaires. Surtout, nul ne peut ignorer l’effet substitutif en termes de salaire et de rémunération que peut provoquer une utilisation trop large de ces dispositifs quand, nous le savons, les salaires sont, eux, assujettis à une contribution globale qui approche les 45 % à titre social.
Je formulerai quelques observations. Certaines ont déjà été évoquées, ce qui me permettra d’aller plus vite.
Première observation : le forfait social a été instauré en 2009 au taux de 2 % ; ce taux a été depuis multiplié par quatre.
Deuxième observation : le manque à gagner de recettes pour la sécurité sociale est estimé à 10 milliards d’euros, ce qui n’est pas du tout une petite somme.
Troisième observation : l’étude d’impact montre qu’entre 1999 et 2007 les sommes versées au titre de l’épargne salariale ont été multipliées par plus de deux, alors que la masse salariale augmentait de moins de 40 %.
Ceci m’amène à une quatrième observation, déjà faite par M. le ministre qui se référait lui-même à une grande personnalité, Philippe Séguin, alors président de la Cour des comptes – et nous avons tous en mémoire, ici, la qualité du travail qu’il a accompli –, lorsqu’il soulignait que des entreprises pouvaient préférer aux hausses de salaires des hausses sur ces accessoires.
Cinquième observation : l’attractivité de l’intéressement et de la participation n’est pas remise en cause. Le différentiel demeure important, du simple au double.